Document > Le traité de la paix d’Amiens 1802

Auteur(s) : COLLECTIF
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Traité définitif de paix entre la République française, sa majesté le roi d’Espagne et des Indes, et la République batave, d’une part, et sa majesté le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, d’autre part.

 Le premier consul de la République française, au nom du Peuple français, et sa majesté le roi du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, également animés du désir de faire cesser les calamités de la guerre, ont posé les fondements de la paix, par les articles préliminaires signés à Londres le 9 vendémiaire an 10 (1er octobre 1801).
Et comme par l’article XV desdits préliminaires, il a été convenu :  » Qu’il serait nommé de part et d’autre des plénipotentiaires qui se rendraient à Amiens pour y procéder à la rédaction du traité définitif, de concert avec les alliés des puissances contractantes.  »
Le premier consul de la République française, au nom du peuple français, a nommé le citoyen Joseph Bonaparte, conseiller-d’état.
Et sa majesté le roi du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, le marquis de Cornwallis, chevalier de l’ordre très illustre de la Jarretière, conseiller privé de sa majesté, général de ses armées, etc.
Sa majesté le roi d’Espagne et des Indes, et le gouvernement de la République batave, ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir : sa majesté catholique, don Joseph-Nicolas d’Azara, son conseiller d’état, chevalier grand-croix de l’ordre de Charles III, ambassadeur extraordinaire de sa majesté près la République française, etc.
Et le gouvernement de la République batave, Roger-Jean Schimmelpenninck, son ambassadeur extraordinaire près la République française.
Lesquels, après s’être duement communiqué leurs pleins pouvoirs, qui sont transcrits à la suite du présent traité, sont convenus des articles suivants :

ARTICLE PREMIER
 Il y aura paix, amitié et bonne intelligence entre la République française, sa majesté le roi d’Espagne, ses héritiers et successeurs, et la République batave d’une part, et sa majesté le roi du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, ses héritiers et successeurs, d’autre part.
 Les parties contractantes apporteront la plus grande attention à maintenir une parfaite harmonie entre elles et leurs états, sans permettre que, de part ni d’autre, on commette aucune sorte d’hostilité par terre, ou  par mer, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce puisse être.
 Elles éviteront soigneusement tout ce qui pourrait altérer à l’avenir l’union heureusement rétablie, et ne donneront aucun secours ni protection, soit directement, soit indirectement, à ceux qui voudraient porter préjudice à aucune d’elles.
II
 Tous les prisonniers faits de part et d’autre, tant par terre que par mer, et les otages enlevés ou donnés pendant la guerre et jusqu’à ce jour, seront restitués sans rançon dans six semaines au plus tard, à compter du jour de l’échéance des ratifications du présent traité, et en payany les dettes qu’ils auraient contractées pendant leur captivité. Chaque partie contractante soldera respectivement les avances qui auraient été faites par aucunes des parties contractantes pour la subsistance et l’entretien des prisonniers, dans le pays où ils ont été détenus. Il sera nommé de concert, pour cet effet, une commission spécialement chargée de constater et de régler la compensation qui pourra être due à l’une ou à l’autre des puissances contractantes. On fixera également de concert l’époque et le lieu où se rassembleront les commissaires qui seront chargés de l’exécution de cet article, et qui porteront en compte, non seulement les dépenses faites par les prisonniers des nations respectives, mais aussi pour les troupes étrangères qui, avant d’être prises, étaient à la solde et à la disposition de l’une des parties contractantes.
III
 S. M. Britannique restitue à la République française et à ses alliés, savoir : sa majesté catholique et à la République batave, toutes les possessions et colonies qui leur appartenaient respectivement et qui ont été occupées ou conquises par les forces britanniques dans le cours de la guerre actuelle, à l’exception de l’isle de la Trinité et des possessions hollandaises dans l’île de Ceylan.
IV
 S. M. catholique cède et garantit en toute propriété et souveraineté, à S. M. Britannique, l’île de la Trinité.
V
 La République batave cède et garantit en toute propriété et souveraineté, à S. M. Britannique, toutes les possessions et établissements dans l’île de Ceylan, qui appartenaient avant la guerre à la République des Provinces-Unies, ou à sa Compagnie des Indes-Orientales.
VI
 Le port du Cap de Bonne-Espérance reste à la République batave en toute souveraineté, comme cela avait lieu avant la guerre.
 Les bâtiments de toute espèce appartenans aux autres parties contractantes, auront la faculté d’y relâcher et d’y acheter les approvisionnements nécessaires comme auparavant, sans payer d’autres droits que ceux auxquels la République batave assujettit les bâtiments de sa nation.
VII
 Les territoires et possessions de sa majesté très fidelle sont maintenues dans leur intégrité, tels qu’ils étaient avant la guerre : cependant les limites des Guyannes française et portugaise sont fixées à la rivière d’Arawari, qui se jette dans l’Océan au-dessus du Cap-Nord, près de l’île Neuve et de l’île de la Pénitence, environ à un degré un tiers de latitude septentrionale. Ces limites suivront la rivière d’Arawari, depuis son embouchure la plus éloignée du Cap-Nord jusqu’à sa source, et ensuite une ligne droite tirée de cette source, jusqu’au Rio Branco, vers l’ouest.
 En conséquence, la rive septentrionale de la rivière d’Arawari, depuis sa dernière embouchure jusqu’à sa source, et les terres qui se trouvent au nord de la ligne des limites fixées ci-dessus, appartiendront en toute souveraineté à la République française.
 La rive méridionale de ladite rivière, à partir de la même embouchure, et toutes les terres au sud de ladite ligne des limites, appartiendront à sa majesté très fidelle.
 La navigation de la rivière d’Arawari dans tous son cours, sera commune aux deux nations.
 Les arrangements qui ont eu lieu entre les cours de Madrid et de Lisbonne, pour la rectification de leurs frontières en Europe, seront toutefois exécutés suivant les stipulations du traité de Badajoz.
VIII
 Les territoires, possessions et droits de la sublime Porte, sont maintenus dans leur intégrité, tels qu’ils étaient avant la guerre.
IX
 La République des Sept-Isles est reconnue.
X
 Les îles de Malte, de Gozo et Comino, seront rendues à l’Odre de Saint-Jean de Jérusalem, pour être par lui tenues aux mêmes conditions auxquelles il les possédait avant la guerre, et sous les stipulations suivantes.
 1°. Les chevaliers de l’Ordre, dont les langues continueront à subsister, après l’échange des ratifications du présent traité, sont invités à retourner à Malte, aussitôt que l’échange aura eu lieu : ils y formeront un chapitre général, et procéderont à l’élection d’un Grand-Maître choisi parmi les natifs des nations qui conservent des langues ; à moins qu’elle n’ait été déjà faite depuis l’échange des ratifications des préliminaires.
 Il est entendu qu’une élection faite depuis cette époque, sera seule considérée comme valable, à l’exclusion de toute autre qui aurait eu lieu dans aucun temps antérieur à ladite époque.
 2°. Les gouvernements de la République française et de la Grande-Bretagne, désirant mettre l’Ordre et l’île de Malte dans un état d’indépendance entière à leur égard, conviennent qu’il n’y aura désormais ni langue française, ni anglaise, et que nul individu appartenant à l’une ou à l’autre de ces puissances, ne pourra être admis dans l’Ordre.
 3°. Il sera établie une langue maltaise qui sera entretenue par les revenus territoriaux et les droits commerciaux de l’île. Cette langue aura des dignités qui lui seront propres, des traitements et une auberge. Les preuves de noblesse ne seront pas nécessaires pour l’admission des chevaliers de ladite langue : ils seront d’ailleurs admissibles à toutes les charges, et jouiront de tous les privilèges, comme les chevaliers des autres langues. Les emplois municipaux, administratifs, civils, judiciaires et autres, dépendans du gouvernement de l’île, seront occupés au moins pour moitié, par des habitants des îles de Malte, Gozo et Comino.
 4°. Les forces de sa majesté britannique évacueront l’île et ses dépendances dans les trois mois qui suivront l’échange des ratifications, ou plus tôt si faire se peut. A cette époque, elle sera remise à l’Ordre dans l’état où elle se trouve, pourvu que le Grand-Maître, ou des commissaires pleinement autorisés, suivant les statuts de l’Ordre, soient dans ladite île pour en prendre possession, et que la force qui doit être fournie par sa majesté sicilienne, comme il est ci-après stipulé, y soit arrivée.
 5°. La majorité de la garnison, pour le moins, sera toujours composée de Maltais natifs : pour le restant, l’Ordre aura la faculté de recruter parmi les natifs des pays seuls qui continuent de posséder des langues. Les troupes maltaises auront des officiers maltais. Le commandement en chef de la garnison, ainsi que la nomination des officiers appartiendront au Grand-Maître, et il ne pourra s’en démettre, même temporairement, qu’en faveur d’un chevalier, d’après l’avis du conseil de l’Ordre.
 6°. L’indépendance des îles de Malte, de Gozo et de Comino, ainsi que le présent arrangement, sont mis sous la protection et garantie de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Autriche, de l’Espagne, de la Russie et de la Prusse.
 7°. La neutralité de l’Ordre et de l’île de Malte, avec ses dépendances, est proclamée.
 8°. Les ports de Malte seront ouverts au commerce et à la navigation de toutes les nations qui y paieront des droits égaux et modérés ; ces droits seront appliqués à l’entretien de la langue maltaise, comme il est spécifié dans le paragraphe III, à celui des établissements civils et militaires de l’île, ainsi qu’à celui d’un lazaret général, ouvert à tous les pavillons.
 9°. Les Etats barbaresques sont exceptés des dispositions des deux paragraphes précédents, jusqu’à ce que, par le moyen d’un arrangement que procureront les parties contractantes, le système d’hostilités qui subsiste entre lesdits Etats barbaresques, l’Ordre de Saint-Jean, et les puissances possédant des langues ou concourrant à leur composition, ait cessé.
 10°. L’Ordre sera régi, quant au spirituel et au temporel, par les mêmes statuts qui étaient en vigueur lorsque les chevaliers sont sortis de l’île, autant qu’il n’y est pas dérogé par le présent traité.
 11°. Les dispositions contenues dans les paragraphes III, V, VII, VIII et X, seront converties en lois et statuts perpétuels de l’Ordre, dans la forme usitée ; et le Grand-Maître, ou s’il n’était pas dans l’île, au moment où elle sera remise à l’Ordre, son représentant, ainsi que ses successeurs, seront tenus de faire serment de les observer ponctuellement.
 12°. Sa majesté sicilienne sera invitée à fournir deux mille hommes natifs de ses Etats, pour servir de garnison dons les différences forteresses desdites îles. Cette force y restera un an, à dater de leur restitution aux chevaliers ; et si à l’expiration de ce terme, l’Ordre n’avait pas encore levé la force suffisante, au jugement des puissances garantes, pour servir de garnison dans l’île et ses dépendances, telle qu’elle est spécifiée dans le paragraphe V, les troupes napolitaines y resteront jusqu’à ce qu’elles soient remplacées par une autre force, jugée suffisante par lesdites puissances.
 13°. Les différentes puissances désignées dans le paragraphe VI, savoir : la France, la Grande-Bretagne, l’Autriche, l’Espagne, la Russie et la Prusse, seront invitées à accéder aux présentes stipulations.
XI
 Les troupes françaises évacueront le royaume de Naples et l’Etat romain ; les forces anglaises évacueront pareillement Porto-Ferraïo, et généralement tous les ports et îles qu’elles occuperaient dans la Méditerranée ou dans l’Adriatique.
XII
 Les évacuations, cessions et restitutions stipulées par le présent traité, seront exécutées pour l’Europe, dans le mois ; pour le continent et les mers d’Amérique et d’Afrique, dans les trois mois ; pour le continent et les mers d’Asie, dans les six mois qui suivront les ratifications du présent traité définitif, excepté dans le cas où il y est spécialement dérogé.
XIII
 Dans tous les cas de restitution convenus par le présent traité, les fortifications seront rendues dans l’état où elles se trouvaient au moment de la signature des préliminaires, et tous les ouvrages qui auront été construits depuis l’occupation, resteront intacts.
 Il est convenu en outre que, dans tous les cas de cession stipulés, il sera alloué aux habitants, de quelque condition ou nations qu’ils soient, un terme de trois ans, à compter de la notification du présent traité, pour disposer de leurs propriétés acquises et possédées, soit avant, soit pendant la guerre actuelle, dans lequel terme de trois ans, ils pourront exercer librement leur religion et jouir de leurs propriétés. La même faculté est accordée dans les pays restitués, à tous ceux, soit habitants ou autres, qui y auront fait des établissements quelconques, pendant le temps où ces pays étaient possédés par la Grande-Bretagne.
 Quant aux habitans des pays restitués ou cédés, il est convenu qu’aucun d’eux ne pourra être poursuivi, inquiété ou troublé dans sa personne, ou dans sa propriété, sous aucun prétexte, à cause de sa conduite ou opinion politique, ou de son attachement à aucune des parties contractantes, ou pour toute autre raison, si ce n’est pour des dettes contractées envers des individus, ou pour des actes postérieurs au présent traité.
XIV
 Tous les sequestres mis de part et d’autres sur les fonds, revenus et créances, de quelqu’espece qu’ils soient appartenans à une des puissances contractantes ou à ses concitoyens ou sujets, seront levés immédiatement après la signature de ce traité définitif.
 La décision de toutes réclamations entre les individus des nations respectives, pour dettes, propriétés, effets ou droits quelconques, qui, conformément aux usages reçus et au droit des gens, doivent être reproduites à l’époque de la paix, sera renvoyée devant les tribunaux compétents, et dans ces cas il sera rendu une prompte et entière justice dans les pays où les réclamations seront faites respectivement.
XV
 Les pêcheries sur les côtes de Terre-Neuve et des îles adjacentes, et dans le golphe de Saint-Laurent, sont remises sur le même pied où elles étaient avant la guerre.
 Les pêcheurs français de Terre-Neuve, et les habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon, pourront couper les bois qui leur seront nécessaires dans les baies de Fortune et du Désespoir pendant la première année, à compter de la notification du présent traité.
XVI
 Pour prévenir tous les sujets de plaintes et de contestations qui pourraient naître à l’occasion des prises qui auraient été faites en mer, après la signature des articles préliminaires, il est réciproquement convenu que les vaisseaux et effets qui pourraient avoir été pris dans la Manche et dans les mers du Nord après l’espace de douze jours, à compter de l’échange des ratifications des articles préliminaires, seront de part et d’autre restitués ; que le terme sera d’un mois, depuis la Manche et les mers du Nord jusqu’aux îles Canaries inclusivement, soit dans l’Océan, soit dans la Méditerranée ; et de deux mois depuis les îles Canaries jusqu’à l’Equateur, et enfin de cinq mois dans toutes les autres parties du Monde, sans aucune exception ni autre distinction plus particulière de temps et de lieu.
XVII
 Les ambassadeurs, ministres et autres agens des puissances contractantes, jouiront respectivement, dans les états desdites puissances, des mêmes rangs, privilèges, prérogatives et immunités dont jouissaient, avant la guerre, les agens de la même classe.
XVIII
 La branche de la maison de Nassau, qui était établie dans la ci-devant République des Provinces-Unies, actuellement la République batave, y ayant fait des pertes, tant en propriétés particulières que par le changement de constitution adoptée dans ce pays, il lui sera procuré une compensation équivalente pour lesdites perte.
XIX
 Le présent traité définitif de paix est déclaré commun à la Sublime Porte Ottomane, alliée de S. M. Britannique, et la Sublime Porte sera invitée à transmettre son acte d’accession dans le plus court délai possible.
XX
 Il est convenu que les parties contractantes, sur les réquisitions faites par elles respectivement, ou par leurs ministres et officiers duement autorisés à cet effet, seront tenues de livrer en justice les personnes accusées des crimes de meurtre, de falsification ou banqueroute frauduleuse, commis dans la jurisdiction de la partie requérante, pourvu que cela ne soit fait que lorsque l’évidence du crime sera si bien constatée, que les lois du lieu où l’on découvrira la personne ainsi accusée, auraient autorisé sa détention et sa traduction devant la justice, au cas que le crime y eût été commis. Les frais de la prise de corps et de la traduction en justice, seront à la charge de ceux qui feront la réquisition : bien entendu que cet article ne regarde en aucune manière les crimes de meutre, de falsification ou de banqueroute frauduleuse, commis antérieurement à la conclusion de ce traité définitif.
XXI
 Les parties contractantes promettent d’observer sincerement et de bonne foi tous les articles contenus au présent traité, et elles ne souffriront pas qu’il y soit fait de contravention directe ou indirecte par leurs citoyens ou sujets respectifs, et les susdites parties contractantes se garantissent généralement et réciproquement toutes les stipulations du présent traité.
XXII
 Le présent traité sera ratifié par les parties contractantes dans l’espace de trente jours, ou plus tôt si faire se peut, et les ratifications en due forme seront échangées à Paris.
 En foi de quoi, nous soussignés plénipotentiaires avons signé de notre main, et en vertu de nos pleins pouvoirs respectifs, le présent traité définitif, et y avons fait apposer nos cachets respectifs.
 Fait à Amiens, le 4 germinal an 10 (25 mars 1802.)
  Signés, BONAPARTE, CORNWALLIS, AZARA et SCHIMMELPENNINCK.

Titre de revue :
Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel
Mois de publication :
03
Année de publication :
1802
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