La campagne de Pologne de 1807

Auteur(s) : GANIÈRE Paul
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Le 27 octobre 1806, 20 jours seulement après le début des opérations militaires contre la Prusse, qui poussée par l’Angleterre et alliée de la Russie l’avait imprudemment défié, Napoléon fait son entrée à Berlin. Dans le même temps il précise dans une proclamation à ses troupes que « Cette grande armée prussienne a disparu comme un brouillard d’automne au lever du soleil. Il n’en reste plus rien… ». Pourtant près de 18 000 Prussiens sous les ordres du général Lestocq ont réussi à échapper aux Français lancés à leur poursuite. Une partie d’entre eux occupe les places fortes de Glogau, Breslau, Colberg, Grandeuz et Dantzig, les autres ont suivi le roi Frédéric-Guillaume III et son épouse la reine Louise à Königsberg. C’est bien peu, il est vrai, en face des 150 000 hommes environ, dont Napoléon dispose le long de la basse vallée de l’Oder.

La campagne de Pologne de 1807
Horace Vernet, Napoléon Ier sur le champ de bataille Friedland, le 14 juin 1807
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés

Les Prussiens sont légitimement inquiets. Les Russes qui devaient se porter à leur secours sont encore loin. Les Autrichiens, vaincus l’année précédente par Napoléon, ont refusé de leur venir en aide en se joignant à la coalition : « Il me faut gagner du temps, avait répondu l’empereur François aux sollicitations du gouvernement prussien… Je manque de beaucoup de choses… Si je me déclare, il faut m’attendre à avoir toutes les forces de Bonaparte sur les bras : je risque d’être écrasé et alors ce serait pire pour votre maître… Je suis franc : je me battrai le plus tard possible… ». Devant la gravité de la situation et la disproportion des forces en présence, le roi Frédéric-Guillaume songe un instant à conclure une paix séparée, mais les exigences du vainqueur et les protestations de loyalisme exprimées par ses sujets vont le détourner de ce projet. La guerre va donc se poursuivre.
Les Russes, d’ailleurs, encouragent les Prussiens à la résistance. Le tsar Alexandre, les membres de sa famille et de son entourage se veulent résolument hostiles à tout arrangement avec « Bonaparte ». De leur côté, les chefs de l’armée, en dépit de leur échec à Austerlitz (dont ils rendent responsables les seuls Autrichiens) et des prodigieux succès récemment remportés par les Français à Iena et Auerstaedt (qu’ils attribuent à l’effet de surprise) se disent assurés de la victoire. Les troupes dont ils disposent s’élèvent à 120 000 hommes considérés comme d’excellents soldats, décidés à mourir s’il le faut pour leur Petit Père le Tsar et la défense de la Sainte Russie. Ils sont placés sous le commandement plus théorique que réel d’un vétéran de la Guerre de Sept Ans, le feld-maréchal Kamensky et sont répartis en trois corps d’armée : le premier, fort de 60 000 hommes sous les ordres du général Benningsen, descendant d’une famille d’origine hanovrienne et ami personnel du Tsar, le second fort de 40 000 hommes sous les ordres du général Buxhoewden, originaire des environs de Riga et ancien lieutenant du maréchal Souvarov, le troisième constituant le corps de réserve, fort de 20 000 hommes placés sous les ordres du général Essen, lui aussi d’origine livonienne.

La perspective d’en découdre avec les Russes ne semble pas troubler Napoléon, mais il sait qu’il lui faudra remporter sur eux un succès décisif. Ne vient-il pas, en effet, de signer à Berlin le 24 novembre un décret instaurant le Blocus Continental. Pour faire ainsi le siège de l’Angleterre, la réduire à la ruine et l’amener à capituler, il importe d’imposer sa volonté à toutes les puissances européennes, et au premier chef à la Russie qui est un de ses principaux partenaires commerciaux sur le continent. Aussi, lorsqu’il reçoit les membres d’une délégation du Sénat venus de Paris, moins pour le féliciter que pour lui faire part de l’inquiétude des Français devant la prolongation de la guerre et supplier de faire la paix, a-t-il beau jeu de leur répondre qu’il était prêt à accéder à leur désir dès que le Tsar serait disposé à rompre son alliance avec l’Angleterre et d’ajouter que le seul moyen de parvenir à ce résultat consistait à infliger à ses troupes une défaite éclatante.
 
Cette victoire, il compte la remporter au printemps. « Les Russes, écrit-il le 28 novembre à Talleyrand son ministre des Relations extérieures, ne paraissent pas pour l’instant se trouver en mesure de livrer bataille ». Il va donc mettre ce répit à profit pour permettre à ses troupes de se reposer et de se renforcer. À cet effet, il demande au Sénat la possibilité d’appeler sous les drapeaux par anticipation la conscription de 1807, soit 80 000 hommes. En même temps il décide de retirer 7 régiments de Paris qui seront remplacés par des Gardes Nationaux et donne des ordres pour faire parvenir des contingents levés dans les pays de la Confédération du Rhin, de Saxe, de Hollande et même d’Italie. Ses effectifs s’élèveront ainsi à quelques 300 000 hommes. Afin de les nourrir et de les équiper, il organise la constitution de dépôts de vivres et de vêtements, active des fabrications d’armement et ordonne la réquisition de 10 000 chevaux.

Dans le même temps et pour mettre toutes les chances de son côté, il va se livrer à une véritable offensive diplomatique. Tout d’abord, il se tourne vers l’Autriche dont il n’ignore pas le désir de prendre sa revanche de sa défaite de 1805 et lui propose de lui rendre la Silésie que le Grand Frédéric lui avait enlevée en 1740, mais l’empereur François dédaignera de répondre à cette offre. D’autre part, pour fixer une partie des troupes russes sur leurs frontières du Sud, il invite son « ami » le sultan de Turquie, Selim III, à s’insurger contre les Russes, qualifiés pour la circonstance « d’ennemi éternel de l’Islam » et à profiter des difficultés auxquelles ces derniers se trouvent actuellement aux prises pour tenter de leur reprendre les provinces qui leur avaient été « injustement arrachées » depuis un siècle. Selim, homme faible et vaniteux, se laisse convaincre et déclare la guerre au Tsar.

Après avoir pris ces mesures, Napoléon affecte le plus grand optimisme. « Je suis décidé à en finir, écrit-il à l’archichancelier Cambacérès. Ce sera un jeu d’enfant ». Mais les Russes ne vont pas lui laisser le temps de poursuivre ses préparatifs. Le général Benningsen, promu commandant en chef après l’éviction récente du maréchal Kamensky, prononcée par le Tsar en raison de son âge (Kamensky a 68 ans) et dont les 60 000 hommes sont habitués au froid et aux intempéries, décide de ne pas attendre les beaux jours pour avancer en direction de la Vistule, suivi à quelque distance des 40 000 hommes de Buxhoewden. Sans plus attendre, Napoléon dresse son plan de bataille.
 
Déjà Benningsen occupe Varsovie et va bientôt être rejoint par Buxhoewden. S’il laisse à l’ennemi le temps de s’organiser, Russes et Prussiens pourront se tendre la main, voire même passer à l’offensive et mettre les Français en difficulté. Aussi, au lieu de demeurer sur ses positions en attendant l’arrivée des renforts qu’il a demandés, l’Empereur, malgré les mauvaises conditions atmosphériques et la fatigue de ses troupes, donne l’ordre aux corps des maréchaux Lannes, Davout, Augereau et à la réserve de cavalerie du maréchal Murat, soit 80 000 hommes au total, de se porter directement sur Varsovie pour y retenir le général Benningsen, tandis que les autres corps de la Grande Armée franchiront la Vistule à Thorn (aujourd’hui Torun), situé à 200 kilomètres en aval de l’ancienne capitale de la Pologne, pour déborder les Russes par le Nord et leur interdire la possibilité de faire leur jonction avec les unités prussiennes du général Lestocq.

La manoeuvre est habile, mais Benningsen qui a pressenti le danger et redoute un soulèvement des Polonais, s’empresse d’évacuer Varsovie et les positions qu’il occupait déjà sur la rive gauche de la Vistule. Après le retrait de ses troupes, il fait sauter le pont de Praga qui permet de passer sur la rive droite du fleuve et prend la direction de la région comprise entre les rivières Ukra et Narew, à une cinquantaine de kilomètres au Nord de la capitale polonaise. Le 28 novembre, Murat qui, bénéficiant de son rang de prince, a pris la tête des opérations avec le titre de lieutenant-général de l’Empereur, fait son entrée dans Varsovie, coiffé de plumes, ceinturé d’or, vêtu d’une magnifique tunique de velours vert recouverte d’une pelisse rouge doublée de fourrure. Il est follement acclamé par la population et se voit déjà le souverain d’une Pologne reconstituée par la volonté de Napoléon lorsque celui-ci aura remporté sur les Russes et les Prussiens une victoire décisive, ce qui, à ses yeux, ne saurait tarder.

Napoléon, qui avait quitté Berlin pour Posen (aujourd’hui Poznan) le 25 novembre, décide de se rendre à Varsovie afin de se rapprocher du théâtre des opérations. Il y arrive le 18 décembre, au terme d’un voyage difficile en raison de l’état déplorable des routes qu’il lui a fallu emprunter et au cours duquel il a été obligé d’abandonner sa berline pour une modeste calèche du pays et même terminer son trajet monté sur un simple bidet de poste.
 
Dans le même temps, les corps des maréchaux Soult, Ney et Bernadotte, accompagnés des divisions de cavalerie placées sous le commandement du maréchal Bessières ont finalement atteint la Vistule en aval de Varsovie conformément aux ordres de l’Empereur. La pluie ayant succédé au gel, il leur a fallu, pendant d’interminables jours, avancer dans un véritable bourbier, traverser des cours d’eau sur des troncs d’arbres recouverts de rondins branlants, aider les chevaux à tirer les pièces d’artillerie, tenter d’empêcher les fourgons de verser. De plus, le ravitaillement est insuffisant, la population indifférente quand elle n’est pas hostile, les cantonnements sont misérables. En attendant de nouvelles instructions, les troupes « grognent ». Les généraux eux-mêmes s’interrogent et se demandent quand ils reverront Paris. Le maréchal Berthier, qui se fait leur interprète auprès de l’Empereur, s’entend simplement répliquer : « Vous seriez donc bien contents d’aller pisser dans la Seine ».

Mais l’heure n’est pas aux états d’âme. Napoléon vient d’apprendre que Benningsen, sans attendre l’arrivée de Buxhoewden qui se trouve encore dans la région d’Ostrolenka, amorce un mouvement vers l’Ouest, en direction de l’Ukra. S’il parvient ainsi à franchir la rivière et à gagner la basse Vistule entre Thorn et Dantzig (aujourd’hui Gdansk) il tentera de contourner l’aile gauche de la Grande Armée et, en se rabattant vers le Sud, de la prendre à revers. Malgré les conditions difficiles dans lesquelles va s’engager le combat, Napoléon décide de passer à l’attaque.
Avant toute chose, il faut rétablir les ponts sur la Vistule et sur son affluent, le Bug, qui coule à une trentaine de kilomètres au Nord de Varsovie, que les Russes avaient fait sauter en se retirant. L’opération est périlleuse, car les eaux charrient d’énormes blocs de glace. Cependant, grâce à la bonne volonté des ouvriers polonais, des ponts de bateaux assez solides pour permettre le passage des troupes seront bientôt construits.
Les opérations vont donc pouvoir commencer.

Avec la rapidité de décision qui le caractérise, l’Empereur a déjà élaboré un plan d’action qui pourrait transformer en victoire la menace que Benningsen voudrait faire peser sur ses aigles. A cet effet, la Grande Armée va se porter à la rencontre de l’ennemi en deux masses, l’une en direction de l’Ukra, l’autre en direction de la Narew, afin de surprendre les Russes dans leur marche vers l’Ouest et les attaquer de flanc. Il suffira alors aux corps de troupes cantonnés plus au Nord de franchir la Vistule au Sud de Thorn et se porter vers l’Est pour leur couper toute possibilité de retraite et les écraser. Napoléon est tellement assuré du succès qu’il écrit au général Clarke, nommé quelques semaines plus tôt gouverneur de Berlin : « Il est possible que d’ici huit jours il y ait une affaire qui finisse la campagne ».
Conformément à ses ordres, le maréchal Davout franchit le Bug à Okunin, engage aussitôt avec sa fougue habituelle la bataille et rejette les Russes vers l’Ukra. Ceux-ci remontent le cours de la rivière, mais se heurtent à la hauteur de Biezun aux forces du maréchal Bessières qui s’est porté à leur rencontre et parvient à les refouler. Assailli à l’Ouest par les forces des maréchaux Augereau et Soult, au Sud par celles de Davout, l’ennemi se retire en direction de la Narew. Dans le même temps, plus au Nord, le corps du maréchal Bernadotte avance en direction de Ciechanov et amorce le mouvement destiné à tourner la droite russe. La manoeuvre conçue par l’Empereur se développe ainsi qu’il l’avait prévu.

Benningsen, qui ne s’attendait pas à une action d’une telle envergure, concentre ses troupes dans les régions de Golymin et de Pultusk. Le 24 décembre, Napoléon décide de les attaquer avant qu’elles n’aient le temps de consolider leurs positions. Tandis que les maréchaux Augereau, Ney et Soult, qui ont traversé la Vistule en aval de Varsovie se lancent, soutenus par la cavalerie du maréchal Murat, à l’assaut de Golymin et que le maréchal Lannes se porte en direction de Pultusk, les maréchaux Bessières et Bernadotte poursuivent leur mouvement sur la droite de l’ennemi. Le succès de cette audacieuse manoeuvre dépend essentiellement de la rapidité de son exécution. Malheureusement, les opérations vont se trouver considérablement ralenties par la pluie qui ne cesse de tomber, détrempant le sol à tel point que les chevaux s’enfoncent jusqu’au ventre tandis que les fourgons, les affûts, les voitures s’embourbent jusqu’aux essieux.
 
Pourtant les Russes, après avoir opposé aux attaquants une résistance acharnée sont délogés de Golymin, abandonnant sur place 52 canons « empoissés dans la boue ». La bataille est encore plus rude autour de Pultusk où Benningsen a réuni le gros de ses forces. Napoléon, qui a quitté Varsovie dès le début de l’offensive, se porte en personne sur le lieu des combats qui se poursuivent les 26 et 27 décembre. Le 28 au matin, Lannes s’aperçoit que Benningsen a amorcé son mouvement de retraite, mais ses troupes sont si éprouvées par deux jours de luttes incessantes dans des conditions climatiques affreuses qu’il ne peut poursuivre l’adversaire. Au terme de ces durs combats, grâce à leur supériorité tactique et malgré leur infériorité numérique (18 000 hommes contre près de 40 000) les Français n’en demeurent pas moins maîtres du terrain.
L’Empereur pense que Benningsen va prendre la direction de Koenigsberg pour tenter de rejoindre les Prussiens de Lestocq, qui, après de nouvelles levées de troupes se trouve désormais à la tête de 20 000 hommes et il compte sur les corps des maréchaux Ney et Bernadotte pour l’intercepter. Tandis que ce dernier demeure à Ciechanov, Ney marche à la rencontre de Lestocq qui est déjà parvenu à Soldau, à une soixantaine de kilomètres seulement de Pultusk et le repousse sur Niedenberg. Le danger que représentait pour les Français une possible jonction entre les Russes et les Prussiens se trouve ainsi écarté.

Il reste dès lors à achever l’anéantissement du corps de Benningsen suivant le plan initialement établi. Malheureusement pour la suite des événements, le Russe se dirige non vers le Nord, comme l’avait prévu Napoléon, mais vers l’Est, en direction d’Ostrolenka. Profitant des difficultés éprouvées par la cavalerie dans ses missions d’éclairage et de l’étrange passivité de Bernadotte qui, à la suite d’un malentendu avec Bessières, ne poursuit pas son avance, les troupes ennemies parviennent à se dégager et à se regrouper dans la région d’Ostrolenka sans être inquiétées. Napoléon les jugeant encore trop près, donne l’ordre de les repousser, ce qui va obliger les Russes à se disperser derrière les forêts et les marécages situés entre les cours de l’Alle et de la Pregel. Le contact est perdu, mais la Grande Armée, désormais hors de portée de l’ennemi, va enfin pouvoir prendre ses quartiers d’hiver conformément aux intentions de l’Empereur.
Il était temps. Les hommes sont épuisés et affamés (ils n’ont reçu au mieux qu’une demi-ration de pain). Tous assurent que cette maudite campagne de six jours les a vieillis de dix ans. Certains ont regretté de ne pas avoir été tués, d’autres se sont suicidés. Aux cris habituels de « Vive l’Empereur », sont souvent mêlés ceux « Du pain ! Du pain ! » en utilisant le seul mot polonais qu’ils connaissent : « Chleba ». Napoléon leur répond invariablement dans la même langue; « Nie ma (je n’en ai pas) ».

Un jour, sous une pluie torrentielle, un vieux soldat s’était approché de l’Empereur dont les cornes du chapeau tombaient sur les épaules et l’avait interpellé en ces termes :
– « Il faut que vous ayiez un fameux coup dans la tête pour nous mener sans pain dans des chemins pareils !
– Encore quatre jours, lui avait répondu l’Empereur et je ne vous demanderai plus rien ; alors vous serez cantonnés.
– Allons, quatre jours ! Mais souvenez-vous-en, parce que nous nous cantonnerons tout seuls après ! »
Napoléon savait par expérience que cette mauvaise humeur se dissiperait avec le repos et une meilleure distribution de vivres. Aussi, est-ce avec un soulagement évident qu’il rentre à Varsovie le 1er janvier 1807 où l’un des premiers soucis est d’organiser le ravitaillement des troupes en attendant l’arrivée des renforts qu’il espère prochaine.

Pendant ce temps, Benningsen proclame qu’il a remporté une grande victoire non seulement en tenant tête à toute l’armée française commandée par Napoléon en personne, mais en lui infligeant des pertes si lourdes que ce dernier s’était trouvé dans l’impossibilité de le poursuivre. Cette nouvelle est accueillie à Saint-Pétersbourg par des manifestations de joie. Après avoir relevé de son commandement le général Buxhoewden qui, à l’en croire, avait donné la preuve de son incompétence au cours des récents engagements, le Tsar lui confère la croix de l’Ordre de Saint-Georges créée en 1769 par l’impératrice Catherine II pour récompenser les actions d’éclat accomplies par les officiers de ses armées.
Très fier de cette distinction, le nouveau chevalier se pavane et laisse entendre que ce premier succès n’est que le prélude à une action de grande envergure qui délivrera l’Europe de la « tyrannie de Bonaparte ». Napoléon, qui n’ignore rien de ces fanfaronnades, se contente de rappeler qu’un général n’a pas le droit de se proclamer vainqueur lorsqu’il a été contraint d’abandonner le champ de bataille après avoir laissé sur le terrain, comme ce fut le cas de Benningsen, une grande partie de son artillerie et près de 7 000 tués, blessés ou prisonniers, soit le double des pertes que les Français avaient subies. Il rappelle également que les Russes n’avaient échappé à la destruction complète qu’en raison de la mauvaise coordination entre certaines de ses unités et notamment à l’incurie de Bernadotte, ainsi qu’aux conditions atmosphériques détestables qui avaient trop souvent empêché son artillerie de soutenir l’infanterie et à sa cavalerie de se déployer.
 
Bien que ne croyant pas, malgré les vantardises de Benningsen, à une reprise prochaine des opérations militaires, Napoléon prend cependant ses dispositions afin que la Grande Armée soit en mesure de faire face à toute éventualité. Tout d’abord, il place en couverture à l’Est de Varsovie, sur le cours inférieur du Bug, le corps du maréchal Lannes très éprouvé au cours des combats de Pultusk et dont la mission consistera à contenir une tentative toujours possible des Russes de s’emparer par surprise de l’ancienne capitale de la Pologne. Il dispose ensuite le gros de ses forces sur une ligne s’étendant de Pultusk à Neidenberg. Plus au Nord, le corps du maréchal Bernadotte occupe la région de Mohrungen tandis que le corps du maréchal Lefèbvre met le siège devant Dantzig où se sont retranchés 18 000 Prussiens sous le commandement du général Kalkreuth. Entre Mohrunhen et Neidenberg, se trouve le corps du maréchal Ney chargé d’une double mission : d’une part, tenir en échec les troupes du général Lestocq au cas où ce dernier tenterait de se rapprocher des Russes, d’autre part assurer la liaison avec les forces cantonnées plus au Sud. Mécontent des cantonnements affectés à ses troupes et toujours désireux d’aller de l’avant, Ney, outrepassant ses consignes, se porte imprudemment à la poursuite des Prussiens et s’éloigne de façon dangereuse de ses bases de départ. Napoléon le rappelle à l’ordre, mais le maréchal fait la sourde oreille et, emporté par son élan, n’en continue pas moins sa progression en direction de Bartenstein.

Installé depuis son retour à Varsovie dans l’ancien Palais Royal, le Zameck, où il occupe les appartements aménagés pour le dernier roi de Pologne, Stanislas Poniatowski, Napoléon déploie une activité intense. Son premier soin, après avoir déterminé les responsabilités de ses corps d’armée, est d’améliorer le sort des soldats. A cet effet, il leur accorde une indemnité doublant la solde et fait remettre à chacun une chemise, un sac de couchage, une paire de bottes ou trois paires de souliers selon l’arme dans laquelle il sert. La nourriture est considérablement améliorée et il donne des ordres pour que soit expédiée de France une importante provision d’eau-de-vie. En même temps, il fait organiser un corps de chevau-légers polonais placé sous le commandement du comte Vincent Krasinski et destiné à renforcer les effectifs de la Garde. Enfin chaque jour, il assiste sur la place de Saxe, située à quelques centaines de mètres du Palais Royal à une grande parade militaire qui, quel que soit le temps, attire une foule considérable de Varsoviens.
Il n’en perd pas de vue pour autant l’administration de l’Empire. Sans relâche, malgré le mauvais état des routes et les intempéries, des courriers se relaient entre Paris et Varsovie pour porter les dépêches et en ramener les réponses. Une grande partie de la journée, ses collaborateurs et ses secrétaires travaillent comme à Paris. Deux fois par semaine, on assiste à un concert chez l’Empereur à la suite duquel il préside un cercle de cour. Grands seigneurs polonais et jolies femmes se bousculent pour y être admis. Parmi celles-ci, il en remarque une très jeune et très belle qu’il accueille tous les soirs dans l’ancien boudoir de Stanislas-Auguste : elle s’appelle la comtesse Marie Walewska.

De son côté, le général Benningsen n’a pas perdu son temps. Après avoir remis de l’ordre dans ses troupes, il veut profiter de ce que la grande masse des troupes françaises se trouve rassemblée dans la région de Varsovie pour les tourner par le Nord. Il compte d’abord rejoindre les troupes du général Lestocq et, avec leur appui, bousculer les corps de Bernadotte et de Ney. Puis, tandis qu’une partie de ses effectifs franchira la Vistule entre Thorn et Marienbourg (aujourd’hui Malbork), une autre se portera vers les rivages de la mer Baltique et débloquera Dantzig. Toutes les forces réunies pourront ensuite se rabattre vers le Sud et couper aux Français toute possibilité de retraite en direction de Berlin. Dès le début de l’offensive et pour donner le change, les 20 000 hommes du général Essen attaqueront les unités du maréchal Lannes à Borck, sur le Bug, à 25 kilomètres à l’Est de Varsovie.
Passant aussitôt à l’action, Benningsen quitte son quartier-général de Bialla et regroupe ses forces autour d’Ostrolenka. Puis, remontant vers le Nord-Ouest, il leur fait franchir l’Alle à Allestein, Guttstaedt et Heilsberg, et les lance en direction de l’Ouest. Le 18 janvier, des unités du général russe Markov placées en avant-garde, prennent en écharpe au Nord de Heilsberg les éléments avancés du maréchal Ney. Comprenant, grâce à l’interrogatoire de prisonniers ennemis, que ses hommes avaient eu affaire non pas à une unité isolée mais aux avant-gardes de la presque totalité de l’armée russe, le maréchal prend la décision de se replier le plus rapidement possible. En même temps, il s’empresse d’avertir l’Empereur et de prévenir Bernadotte du danger qui le menace.

Le lendemain 19 janvier, ce dernier se trouve aux prises avec les premières unités adverses. Après avoir tenté de faire front, il doit se retirer précipitamment de Mohrungen, abandonnant à l’ennemi tous ses bagages. Ayant ainsi échappé aux Russes, il ne lui reste plus qu’à se diriger vers Osterode où il fera sa jonction avec les forces du maréchal Ney.

A l’annonce de l’offensive ennemie, Napoléon est surpris mais nullement inquiet. Un peu contre son gré, il doit reconnaître que la désobéissance de Ney a eu d’heureuses conséquences puisqu’elle lui a permis de connaître les intentions de l’adversaire et de monter sans plus attendre une contre-offensive qui cette fois, espère-t-il, lui donnera la possibilité d’en finir. La riposte qu’il se propose d’opposer aux Russes lui semble imparable. Tandis que Ney s’efforcera de repousser les Prussiens, Bernadotte, paraissant céder sous la pression victorieuse de l’ennemi, poursuivra sa retraite en combattant, au besoin jusqu’à Thorn. Plus les Russes avanceront, en effet, plus ils deviendront vulnérables et offriront le flanc à une contre-attaque de la Grande Armée venant du Sud-Ouest. Dans le temps, le corps du maréchal Lefèbvre, abandonnant le siège de Dantzig, viendra attaquer l’adversaire sur son flanc Nord. Dès lors, les Russes se trouveront « enfournés » comme l’avaient été les Prussiens à Iena.
Napoléon compte profiter du temps redevenu sec et froid pour mener rondement les opérations. Un seul souci pourtant : ses soldats, qui espéraient rester dans leurs quartiers d’hiver jusqu’au retour de la belle saison, devront se remettre en route après trois semaines seulement de repos : « Bah, s’exclame l’Empereur, ils grogneront, mais ils marcheront ».

Le secret constitue l’élément essentiel de la réussite de ce plan. Malheureusement, le 27 janvier, les deux officiers chargés de communiquer au maréchal Bernadotte les ordres de l’Empereur ont été enlevés par une patrouille de Cosaques avant d’avoir eu le temps de détruire les dépêches dont ils étaient porteurs. Le général Benningsen, ainsi prévenu des intentions de son adversaire, comprend le danger mortel que court son armée s’il commet la folie de lui faire poursuivre son offensive. Sur-le-champ, il donne l’ordre à ses troupes non seulement de s’arrêter, mais de faire demi-tour en direction de l’Est.

Le 31 janvier, Napoléon arrive à Willemberg et se prépare à marcher sur l’ennemi. C’est alors qu’il apprend que les Russes ont amorcé leur mouvement de retraite et que le gros de leurs forces se trouve déjà à Osterode et Heilsberg, soit à quelques lieues seulement au Nord des positions qu’il occupe. Devinant ce qui s’était passé, l’Empereur, dans l’impossibilité où il se trouve désormais d’encercler toute l’armée adverse, décide de la couper en deux « en la perçant en son centre » et, en se jetant sur sa gauche, de s’emparer de toute son arrière-garde.
Pour réussir cette manoeuvre, Napoléon se porte donc vers le Nord à la tête de la Grande Armée afin d’attaquer les Russes avant qu’ils n’aient pu passer sur la rive droite de l’Alle. Il pourra dès lors se jeter sur eux avec le gros de ses forces tandis que le maréchal Bernadotte reprendra l’offensive sur les arrières de l’ennemi et que le maréchal Ney, après avoir repoussé les Prussiens de Lestocq assez loin pour qu’ils ne puissent momentanément constituer un danger, viendra lui prêter main-forte. Mais, en dépit des consignes qu’il leur fait communiquer, Bernadotte ne bouge pas et Ney continue sa poursuite.

De plus en plus pressé de sortir du guêpier dans lequel il s’est aventuré, Benningsen profite de la situation pour précipiter sa retraite et, afin qu’elle ne ralentisse pas la marche de ses colonnes, prend la précaution d’envoyer toute sa grosse artillerie à Eylau, à une quarantaine de kilomètres des positions qu’il occupe et où elle lui sera bientôt fort utile. Dans le même temps, les Français tentent de les devancer en remontant la vallée de l’Alle en direction de Guttstaedt, Heilsberg et Bartenstein. En approchant de Guttstaedt, le 3 février, ils découvrent une partie de l’armée russe rangée en ligne de bataille en avant du village de Jonkovo. Aussitôt, Napoléon donne l’ordre de l’attaquer de front, tandis que le corps du maréchal Soult soutenu par celui du maréchal Davout va se porter plus au Nord pour tenter de lui barrer la route. Les combats ne s’arrêtent qu’à la nuit tombante. À l’aube, la bataille reprend et les Français enlèvent Jonkovo, mais s’aperçoivent que Benningsen a profité de l’obscurité pour tromper la surveillance de Davout et s’échapper, ne laissant sur place que des unités d’arrière-garde.

La poursuite reprend donc. Les Russes se dirigent à marches forcées vers le Nord, talonnés par les Français. En trois jours ils vont ainsi parcourir dans le plus grand désordre près de 85 kilomètres, abandonnant en chemin des drapeaux, des bagages de toute sorte et même des canons de campagne. « L’ennemi ne sait où il va, écrit l’Empereur à Daru, intendant général de la Grande Armée ».

Désireux d’en finir, les Français ne lâchent pas prise. Déjà, ils approchent de Landsberg qu’ils occupent le 5 février après avoir bousculé une importante formation ennemie embusquée dans le ravin de Hoff. Malgré le froid et l’insuffisance de ravitaillement, ils maintiennent leur pression sur l’ennemi. Benningsen comprend alors qu’il lui faut prendre une décision. Deux possibilités s’offrent à lui : ou tenter de sauver Koenisberg, la seule grande cité encore aux mains des Prussiens, ou abandonner ces derniers à leur triste sort et passer sur la rive droite du Niemen qui marque la frontière entre la Prusse et la Russie. Adopter cette dernière décision consisterait, à ses yeux, à reconnaître sa défaite, aussi se résigne-t-il à accepter le combat. Il a choisi de se battre dans le cirque naturel de Preussisch-Eylau, bourg de 1 500 habitants (aujourd’hui Bagrationosk en U.R.S.S.), situé au croisement des routes menant de Bartenstein à Koenigsberg et de Landsberg à Friedland. Il estime ainsi occuper des positions très avantageuses et espère non seulement arrêter Napoléon mais le refouler à son tour.

Afin de retarder l’avance des Français, Benningsen a disposé une partie de son arrière-garde sur le plateau de Ziegelhof, à deux kilomètres environ en avant d’Eylau. Le 7 février, Napoléon donne à Murat l’ordre de la déloger. À deux reprises, celui-ci, à la tête de la cavalerie légère se lance sans succès à l’assaut de la position ennemie. Il faudra l’intervention des cuirassiers du général d’Hautpoul pour obliger les Russes à se retirer. Sur leurs talons, l’infanterie du maréchal Soult fait son entrée dans le village d’Eylau en grande partie dévasté et pillé. Après de rudes combats, les Français parviennent à l’occuper et à s’emparer du cimetière, situé sur une hauteur, un peu au Sud de l’agglomération. L’ennemi va se retrancher sur les mamelons qui, en demi-cercle, entourent la petite ville.

La nuit est déjà tombée quand l’Empereur arrive à Eylau, accompagné des maréchaux Soult et Murat. La situation lui apparaît clairement : 80 000 Russes disposés sur deux lignes et soutenus par 400 canons font face à 46 000 Français ne disposant que de 300 pièces d’artillerie. Napoléon, craignant de voir l’ennemi se dérober une nouvelle fois prend pourtant la décision d’engager la bataille le lendemain et expose son plan à ses officiers d’état-major. Les corps des maréchaux Augereau et Soult tiendront solidement Eylau et ses abords tandis que lui-même et la Garde prendront position dans le cimetière et que la cavalerie de Murat demeurera en réserve, prête à intervenir à tout instant. Immédiatement, ordre est lancé au maréchal Davout qui dispose de 15 000 hommes et se trouve à 18 kilomètres au Sud, dans la région de Bartenstein de venir le rejoindre sur sa droite et au maréchal Ney (10 000 hommes) qui se tient au contact des Prussiens à une trentaine de kilomètres au Nord de faire demi-tour et de venir renforcer sa gauche. Le maréchal Bernadotte (15 000 hommes) qu’il estime à deux journées de marche du maréchal Ney est invité à le suivre au plus près. Ainsi se trouvera rétabli l’équilibre entre les forces en présence.
 
Tandis que le centre de ce dispositif tiendra tête aux Russes, Davout s’efforcera de contourner la gauche de l’ennemi, ce qui laissera le temps à Ney et peut-être même à Bernadotte, pour peu que la lutte se prolonge, de surgir sur sa droite et de couper la route de Koenigsberg. Benningsen, pris ainsi dans une immense tenaille et sans aucune possibilité de repli, sera immanquablement condamné à l’anéantissement. Après avoir exposé ce plan, l’Empereur qui n’a pas dormi depuis plusieurs jours, se retire dans la maison de poste et, effondré sur une chaise, s’endort.

A six heures du matin, le 8 février, il fait encore nuit noire lorsqu’il est réveillé par un de ses aides de camp venu lui annoncer que les Russes tentent de pénétrer dans le village. Il gagne aussitôt le cimetière où il pourra diriger les opérations. Il fait très froid, mais le ciel est bas et de légers flocons de neige commencent à tomber, réduisant la visibilité à quelques dizaines de mètres. Déjà, la canonnade fait rage. L’artillerie française réplique aux tirs de l’ennemi. De part et d’autre, les boulets causent de terribles ravages. Les Russes n’en attaquent pas moins et portent surtout leur effort sur la gauche du dispositif français tenu par le maréchal Soult qui réussit pourtant à les contenir.

Comme l’Empereur l’espérait, vers 9 heures du matin, Davout débouche à 3 kilomètres au Sud-Est d’Eylau et entre aussitôt en action. Sans laisser à l’ennemi le temps de réagir, il occupe le petit bourg de Serpallen et arrive jusqu’à Klein-Sausgarten. Très vite, la résistance russe s’organise et les villages sont enlevés et perdus à plusieurs reprises. Voyant Davout en difficulté, Napoléon lance contre le centre ennemi le corps du maréchal Augereau qui, appuyé par l’artillerie, se déploie dans la plaine enneigée, au Sud du cimetière. Brusquement, une violente tempête de neige s’abat sur les combattants et les flocons, poussés par un fort vent du Nord, viennent aveugler les Français. Ceux-ci perdent leur direction et, appuyant trop à gauche se font littéralement hacher par une batterie russe de 72 canons (dont 22 grosses pièces de siège amenées de Koenigsberg à en croire certains historiens militaires) tirant à bout portant. Profitant du désarroi des Français la cavalerie russe, entre en action contre les forces d’Augereau, qui, très éprouvées reculent ; une de leurs unités, le 14e régiment de ligne, est pratiquement anéantie sous les yeux de l’Empereur. Le maréchal lui-même est blessé au bras.

Cette catastrophe ouvre dans le front français une brèche de plus de 1 500 mètres dans laquelle 4 000 grenadiers russes, s’engouffrent et avancent jusqu’aux abords du cimetière.
– « Quelle audace ! Quelle audace, s’exclame Napoléon ! »
Sa seule ressource pour arrêter la progression de l’ennemi, est de faire appel à Murat : « Vas-tu nous laisser dévorer par ces gens-là, lui lance-t-il ».
A la tête de ses 10 000 cavaliers auquels se sont joints les grenadiers de la Garde, Murat se précipite sur les formations de l’adversaire, les bouscule et leur inflige des pertes sévères. A deux reprises, il traverse même la double ligne de défense établie par les Russes et parvient jusqu’aux premières maisons du village d’Anklappen. De l’avis de tous les témoins, c’est « dans une bourrasque aveuglante une charge fantastique, la plus extraordinaire de toutes les guerres de l’Empire ». Cependant, malgré les coups de boutoir qui leur sont ainsi assénés, les Russes tiennent toujours.
 
Il va bientôt être 3 heures de l’après-midi et la situation demeure confuse. D’un côté, Napoléon a engagé toutes ses réserves alors qu’en face de lui Benningsen dispose encore de 30 000 hommes de troupes fraîches. Il hésite pourtant à les lancer dans la bataille en raison de la menace que le maréchal Davout, après s’être emparé au prix de rudes combats de villages de Anklappen et Kuschitten, fait peser sur son aile gauche. On apprendra plus tard que le Russe avait même envisagé, au cas où la situation se serait encore aggravée dans ce secteur du front, de battre en retraite en direction de Koenigsberg.
Brusquement, tout va changer, car venant d’Altdorf, situé à 5 kilomètres environ au Nord-Ouest d’Eylau, surgissent les 8 000 Prussiens du général Lestocq qui ont échappé à la surveillance du maréchal Ney. Benningsen reprend espoir et les dirige immédiatement sur Schloditten pour contenir l’avance de Davout. Sous le choc, celui-ci cède du terrain mais se retranche en arrière de Kuschitten et tient fermement ses nouvelles positions.

Napoléon, qui est revenu à Eylau « pour manger sur le pouce un morceau de viande froide » envisage à son tour, s’il continue à être privé du soutien tant attendu du maréchal Ney et si la situation continue à se dégrader, de se retirer du champ de bataille afin de pouvoir reformer son armée et, avant l’arrivée de nouvelles unités venues de France, de faire appel s’il le fallait aux corps des maréchaux Oudinot et Lefèbvre : « Revenez ce soir à 8 heures recevoir mes dernières instructions, déclare-t-il à ses officiers décontenancés. Peut-être y aura-t-il du nouveau ».
Il y en aura, en effet, car, avec 7 heures de retard et alors que la nuit commençait à tomber, 8 000 hommes du corps du maréchal Ney (celui-ci a laissé 2 000 hommes en couverture à Altdorf) arrivent enfin sur le champ de bataille et menacent à leur tour la bourgade de Schloditten. Davout en profite pour repartir à la charge et occupe à nouveau les hameaux d’Anklappen et de Kuschitten. Benningsen comprend qu’il risque à tout instant de voir couper la route de Koenigsberg et, pour sauver son armée, se résigne à ordonner la retraite.

Dès qu’il apprend que les Russes ont commencé leur mouvement de repli, Napoléon laisse éclater sa joie. Mais celle-ci est de courte durée. Parcourant le champ de bataille où depuis les premières heures du jour les combats n’ont cessé de faire rage, l’horrible spectacle des morts et des blessés lui arrache des larmes. Mais, il se ressaisit : en demeurant maître du terrain, il peut se proclamer vainqueur et, pour célébrer sa victoire, demande que des feux de bivouac soient allumés sur les positions que l’ennemi tenait encore quelques heures plus tôt.

L’Empereur, qui va passer la nuit dans une modeste ferme aux environs de Ziegelhof, est cependant inquiet. Qu’adviendrait-il si les Russes, faisant demi-tour, attaquaient à l’aube ? Au petit matin, après quelques heures d’un lourd sommeil, il est réveillé par un officier de l’état-major du maréchal Soult qui le trouve « habillé, botté, étendu sur un mauvais matelas au coin d’un poêle ».
– « Qu’y a-t-il ? demande l’Empereur ».
Le messager lui répond que l’ennemi poursuit sa retraite et que le maréchal voudrait connaître ses instructions. Napoléon réfléchit quelques instants : l’armée est dans un tel état d’épuisement qu’il faut renoncer à poursuivre l’adversaire et, quoi qu’il lui en coûte, le laisser se retirer en bon ordre.

Vers midi, l’Empereur se décide à revenir sur les lieux des combats. Ses vêtements sont maculés de boue et sa barbe n’a pas été faite depuis plusieurs jours. Le spectacle qu’il découvre est affreux. Partout des cadavres jonchent le sol au milieu desquels se traînent des blessés appelant à l’aide. Des survivants, affamés et transis, le visage couvert de crasse, les uniformes souvent en lambeaux, s’abritent tant bien que mal dans les ruines. Certains, à son passage, se redressent et crient « Vive l’Empereur », mais la plupart demeurent silencieux, comme assommés par l’effort qu’il leur a fallu fournir et le carnage auquel ils ont assisté.
– « Quel massacre, l’entend-on murmurer ! Et sans résultat ! Spectacle bien fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre ! »

Le bilan de la bataille est effroyable. Près de 47 000 morts ou blessés gisent sur le terrain. Les Russes et les Prussiens pour leur part déplorent 30 000 tués, blessés ou prisonniers. Ils ont perdu, en outre, plus de 16 drapeaux et 23 canons. Sur les 69 000 Français engagés, 17 000 ont été tués ou blessés et 1 200 sont tombés aux mains de l’ennemi.

Dès les premiers jours du mois de juin, on pressent dans le camp français que les événements vont se précipiter. Des renseignements font, en effet état, de préparatifs et de mouvements de troupes chez les Russes et chacun s’attend à une reprise prochaine des combats.
Conscient des dangers que courrait son armée en cas de nouvel affrontement avec celle de « Bonaparte », le général Benningsen avait tout d’abord proclamé qu’il fallait éviter la bataille, parce qu’ajoutait-il dans une lettre au Tsar, « cent lieues de notre pays (la Russie) forment un cordon que les Français ne pourraient enlever ». Mais le Tsar ne partageait pas cet avis. Convaincu de la supériorité de ses soldats et leurs officiers, il ne cessait de l’adjurer d’en finir au plus vite avec celui que l’on n’appelait plus à la Cour de Saint-Pétersbourg que le « vaincu d’Eylau ».

Benningsen avait dû s’incliner. Le 6 juin, soutenu par ses alliés prussiens, il attaque les postes avancés des Français, tente de traverser la Passarge et de marcher sur Guttstaedt que le maréchal Ney est obligé d’abandonner. Aussitôt prévenu, l’Empereur, convaincu que le centre d’opérations de l’ennemi se situe aux alentours de Koenigsberg, se propose de couper la route menant de Guttstaedt à cette ville en remontant le long de la rive gauche de l’Alle afin de le priver de toute possibilité de retraite. Le soir même, grâce au bon fonctionnement du système de transmissions qu’il avait pris soin de mettre en place, toute la Grande Armée se met en mouvement. Il est confiant dans l’issue de la lutte qui s’engage et, avant de quitter Finkenstein pour Saalfeld où il va passer la nuit afin de se rapprocher du lieu des combats, il écrit à Fouché cette phrase prophétique : « Huit jours après que vous aurez reçu cette lettre, tout sera fini ».

Le lendemain 7 juin, les Russes poursuivent leur effort, attaquent les forces des maréchaux Bernadotte et Soult, mais concentrent leur pression sur les positions occupées par le maréchal Ney. Prudemment, celui-ci recule en bon ordre en direction de Deppen afin de laisser le temps au gros des forces de la Grande Armée de manoeuvrer et de venir l’appuyer.
Napoléon est maintenant sur place. Certain que la majeure partie de l’armée adverse est concentrée autour de Guttstaedt, il décide de foncer sur elle avant qu’elle n’ait le temps de lui échapper. Il ordonne donc de passer immédiatement à la contre-attaque et le 9 juin au soir ses troupes entrent à Guttstaedt tandis que les Russes vont se retrancher à Heilsberg.

Le 10 juin, à 6 heures du matin, les Français repartent à l’assaut et marchent sur Heilsberg afin de s’emparer du village avant que l’ennemi n’ait le temps de s’y retrancher. Dans la matinée, alors que l’action se déroule sous ses yeux, Napoléon se porte au galop en haut d’un mamelon qui domine la campagne et demande ses cartes. Après les avoir déployées sur le sol, il se met à genoux, se penche en avant, puis finalement se couche de tout son long pour en mieux saisir les détails. Pendant une demi-heure, un compas à la main, il étudie le terrain et mesure les distances. Il se relève enfin, l’air satisfait. Il a trouvé la tactique pour battre les Russes. Tandis que Ney continuera à reculer pour attirer les troupes ennemies le plus loin possible vers l’Ouest et que Murat et Soult progresseront en direction de Heilsberg pour occuper l’ennemi le plus longtemps possible, il marchera avec ses grosses unités en direction de Landsberg et le prendra à revers.
– « Je les engagerai alors dans une bataille pour en finir », annonce-t-il à ses officiers.
Malheureusement, Murat et Soult qui ne disposent que de 30 000 hommes en face de 80 000 Russes, attaquent avec furie et sont menacés d’encerclement. Napoléon est obligé de leur envoyer ses réserves pour les dégager. Le combat ne cessera qu’à minuit. Dans cette affaire, les Français perdent 9 000 tués ou blessés, les Russes 12 000. Vers 4 heures du matin, Napoléon fait son entrée dans Heilsberg que l’ennemi vient d’abandonner.

Benningsen, très abattu, se dirige vers le Nord, en suivant la rive droite de l’Alle qui serpente dans une vallée encaissée qu’il peut, à juste titre, considérer comme une défense naturelle. Napoléon, pour sa part, poursuivant la réalisation de son plan, donne l’ordre à ses troupes de refouler les forces adverses toujours plus loin et de couper la route de Koenigsberg afin de les contraindre à livrer bataille.

Le 12 juin, Napoléon arrive à Eylau où le gros de l’armée va prendre ses bivouacs afin de se trouver en mesure de reprendre l’offensive dès qu’il lui en donnera l’ordre. En attendant, et afin de se renseigner sur les intentions de l’ennemi, il envoie ses maréchaux en reconnaissance. Lannes, pour sa part, est chargé de se diriger vers Friedland (aujourd’hui Pravdinsk), petite ville de 3 000 habitants située dans une boucle de l’Alle large d’une cinquantaine de mètres et dont la rive droite est à cet endroit particulièrement escarpée.

La journée du 13 juin se passe dans l’attente. Au cours de la soirée, Napoléon apprend que Benningsen a fait traverser la rivière en face de Friedland par une forte partie de ses troupes grâce à un pont de bois fixe et trois ponts de bateaux et tente de repousser la cavalerie du maréchal Lannes. Les stratèges de l’époque se sont interrogés sur les raisons ayant poussé le Russe à commettre une telle imprudence. La réponse sera plus tard fournie par Benningsen lui-même. Croyant que le maréchal Lannes chargé de protéger le flanc droit de l’armée française marchait vers Koenigsberg, il avait estimé de son devoir de se porter à sa rencontre pour contrarier cette manoeuvre et obliger son adversaire à reculer.

Sur-le-champ, l’Empereur entrevoit le parti qu’il va pouvoir tirer de cette erreur et rassemble toutes ses forces sur le lieu des combats. De trois heures du matin à midi, les 10 000 hommes du maréchal Lannes, balayés par le feu des canons ennemis disposés sur les escarpements de la rive droite de l’Alle, devront tenir tête à 72 000 Russes qui avancent vers le village d’Heinrichdorf, sur la route de Koenigsberg. Ils sont soutenus dans leur résistance par l’arrivée de renforts envoyés par l’Empereur, en particulier des unités prélevées sur le corps du maréchal Oudinot.
Vers 2 heures de l’après-midi, Napoléon arrive à Posthenen, à 5 kilomètres environ de Friedland :
– « Où sont les Russes ? Combien sont-ils », s’enquiert-il ?
On lui répond qu’ils sont devant lui, dans la plaine, adossés aux rives de l’Alle, au nombre de 70 à 80 000. Napoléon n’en croit pas ses oreilles :
– « Ce n’est pas vrai, » s’exclame-t-il !
Le maréchal Oudinot confirme ce chiffre et ajoute :
– « Je leur mettrai bien le cul dans l’eau si j’avais des grenadiers ».
Napoléon lui répond simplement : « Je vous amène l’armée ».

Après avoir félicité le maréchal Lannes de la magnifique tenue de ses troupes, l’Empereur dicte son plan de bataille. En avant de la rivière, les Russes sont disposés en trois armées : l’une à gauche commandée par le général Galitzine, une autre au centre par le général Gortchakov, la troisième à droite par le général Bagration, cette dernière se trouvant légèrement séparée des deux autres par un étang et le ravin de la Mühlenfluss, petit ruisseau allant se jeter dans l’Alle aux abords de Friedland. Tandis que Mortier et Lannes contiendront la poussée de l’adversaire sur la chaussée de Koenigsberg, Ney débouchera du bois de Sortlach situé au Sud-Ouest de Friedland et, soutenu par le général Victor, appelé à remplacer Bernadotte blessé au cou lors des récents combats, et au besoin par la Garde, enfoncera le front tenu par Bagration, s’emparera du village et détruira les ponts afin de couper à l’ennemi toute possibilité de retraite. La ville prise et les ponts détruits, une offensive générale permettra de culbuter les Russes dans la rivière.

Mais il faut rassurer l’opinion et Napoléon ordonne que les chiffres officiels fassent état de 1 500 morts seulement et de 4 300 blessés. Il précise d’autre part que la victoire a été acquise à 4 heures 30 de l’après-midi : « C’est de cette manière, ajoute-t-il, que parlera l’Histoire ».

Pour bien se convaincre de son triomphe, Napoléon va demeurer huit jours à Eylau, sortant à peine de la maison où il a réussi à s’abriter et échafaudant déjà des plans pour l’avenir. Le 16 février, il apprend que le général Savary qui vient de remplacer le maréchal Lannes, a battu les 20 000 hommes du général Essen à Ostrelenka. Toute l’armée russe est ainsi, pour l’instant du moins, hors de combat. Mais comme le dégel qui « liquifie la terre » s’est installé, il ne saurait être question dans l’immédiat de reprendre les hostilités.
Dans une proclamation à ses troupes, l’Empereur fait part de ses intentions et termine par ces phrases : « …Ayant déjoué tous les projets de l’ennemi, nous allons nous rapprocher de la Vistule et rentrer dans nos cantonnements. Qui osera en troubler le repos s’en repentira car, au milieu des frimas de l’hiver comme au commencement de l’automne, nous serons toujours des soldats français et des soldats de la Grande Armée ».

Les Russes sont ainsi prévenus : malgré un calme apparent, Napoléon veut demeurer vigilant et prêt à reprendre les armes à tout instant si les circonstances venaient à l’y contraindre.
Le 17 février, il donne l’ordre de repli en direction d’Osterode où il va lui-même s’installer au milieu de sa Garde. L’armée doit se rassembler dans un carré de 80 kilomètres de côté en arrière du cours de la Passarge. Tout d’abord, il prononce la dissolution du corps du maréchal Augereau à moitié détruit au cours de la bataille d’Eylau. Son chef, très fatigué à la suite de sa récente blessure, est renvoyé en France tandis que ce qui restait de ses régiments est réparti entre les corps des maréchaux Ney, Davout et Soult. Puis chacun des chefs d’armée est invité à occuper ses nouvelles positions, Bernadotte le long du cours inférieur de la Passarge, face aux villes de Braunsberg et Spanden, Soult plus au Sud, entre Liebstaedt et Mohrungen, à l’endroit où les cours de la Passarge et l’Alle sont les plus rapprochés, Davout, plus au Sud encore, entre Allenstein et Hohenstein. Le corps du maréchal Mortier, chargé jusqu’alors de surveiller les Suédois aux confins de leur province de Poméranie et rendu libre par la conclusion d’un armistice avec cet adversaire potentiel, va occuper la basse vallée de la Vistule et doit se tenir prêt à tout instant à se porter vers l’Est au cas où l’ennemi passerait à l’offensive. La cavalerie, toujours sous le commandement du maréchal Murat, se place en arrière depuis Thorn jusqu’à Elbing, dans une région riche en fourrage. Enfin, jugeant qu’il suffit de laisser en couverture autour de Varsovie un simple rideau de troupes renforcé par des unités polonaises fraîchement constituées, il rappelle à lui le maréchal Lannes et lui confie le commandement d’un nouveau corps d’armée.

Une mission particulière est dévolue au maréchal Ney. L’Empereur le place « en flèche » aux environs de Guttstaedt, sur les rives de l’Alle. En prenant cette décision, il songe sans doute à faire naître chez Benningsen la tentation de « commettre une bévue et de « s’engager à l’étourdi ». Dans ce cas, Ney devrait se retirer en direction de Deppen, plus loin même, afin de donner le temps à la Grande Armée de se regrouper et de se porter sur le flanc droit de l’imprudent et de l’anéantir. En quelque sorte, dans l’esprit de Napoléon, Ney devrait servir « d’appât et amener le Russe à « tomber dans une souricière ».

Benningsen, pour sa part, s’est retiré à quelques kilomètres d’Eylau, sur la route de Koenigsberg et, sachant que les Français s’étaient résignés à ne pas le poursuivre, y a établi ses cantonnements. Dans une proclamation à ses troupes, il a affirmé à nouveau que le fait de ne pas avoir été battu par « Bonaparte » équivalait à un succès et que pour la première fois, ses « vaillantes troupes avaient obligé l’aigle à baisser la tête ». Dans sa jactance, il écrit au Tsar que « la bravoure et l’inébranlable courage des Russes avaient arraché une victoire disputée depuis longtemps. Le souverain lui répond en le félicitant d’avoir eu la glorieuse fortune de vaincre celui qui, à ce jour, n’avait jamais été vaincu », mais avoue, non sans une pointe d’amertume et de réprobation « que son seul regret avait été d’apprendre que le général ait reconnu nécessaire de se replier ».
Pour donner plus de force à ses affirmations, Benningsen ordonne à ses troupes de réoccuper la région d’Eylau que Napoléon vient d’évacuer et va même établir ses positions avancées à Heilsberg. Obéissant à ces ordres, Benningsen installe son quartier-général à Bartenstein. Quant aux Prussiens, ils ont pour mission de renforcer la droite du dispositif russe et à cet effet, de prendre position le long de la rive gauche de la Passarge.

Ainsi, moins de deux semaines après la terrible saignée d’Eylau, les deux armées ennemies sont de nouveau face-à-face, mais cette fois l’arme au pied. De part et d’autre, les chefs s’observent et leur grande préoccupation est de guetter, en l’espérant, la faute que pourra commettre l’adversaire. Chacun se dit assuré de la victoire, mais nul ne saurait dire combien de temps va se prolonger cette attente.
 
Le 1er avril, Napoléon, après avoir pris ses dispositions pour organiser son armée et estimant se trouver désormais en mesure de faire face à toute éventualité, quitte Osterode et va s’installer dans le château de Finkenstein, à une quarantaine de kilomètres plus à l’Ouest. Il s’agit d’une grande bâtisse (brûlée au cours de la Seconde Guerre mondiale) construite au xviiie siècle par le comte von Finkenstein, gouverneur de Frédéric II et appartenant en 1807 au margrave von Dohna-Schlobitten, Grand-maître de la Maison du roi de Prusse. L’Empereur la décrit ainsi dans une lettre à Talleyrand : « C’est un très beau château où j’ai beaucoup de cheminées, ce qui m’est fort agréable, me levant souvent la nuit. J’aime à voir le feu… « . Et d’ajouter : « Ma santé est parfaite. Le temps est beau, mais encore froid ».
Napoléon va rester un peu plus de deux mois à Finkenstein et y déployer une activité débordante sur les plans militaire, diplomatique et politique. Son premier souci est, en effet, de réparer les pertes et renforcer les unités maltraitées au cours des récents combats, restaurer la discipline et nourrir l’armée qui est encore, selon sa propre expression, à « la demi-ration ». On traque donc les déserteurs et les « fricoteurs », on récupère les blessés considérés comme guéris ; on pourchasse les faux malades. En même temps commencent à arriver les conscrits de la classe 1807 levée par anticipation, mais ils sont moins nombreux qu’on pouvait l’espérer, car la conscription a été mauvaise et la proportion des réfractaires plus importante que prévu. Comme prévu d’autre part, des renforts arrivent d’Italie, de Bavière, de Saxe et même d’Espagne. Il faut les encadrer, les instruire, les équiper en fusils, souliers, vêtements, médicaments.

L’arrivée de 10 000 chevaux permet de « rafraîchir » la cavalerie et de créer de nouvelles unités d’artillerie. Pour faciliter les transports, Napoléon ordonne la formation de dix bataillons du train militaire, utilise la voie fluviale parallèlement à la voie terrestre grâce aux accords passés entre le génie et les bateliers, organise tout le long de la route menant à l’Ouest des relais et des dépôts solidement gardés.
Un autre de ses soucis réside dans le ravitaillement des troupes. « Le sort de l’Europe dépend des subsistances » se plaît-il souvent à déclarer. Il exige que l’on distribue tous les jours du pain frais dans tous les cantonnements, que l’on fasse venir de France des provisions de farine, de riz, de biscuit et même des barriques de vin, que l’on mobilise toutes les ressources locales pour améliorer l’ordinaire. « Battre les Russes si j’ai du pain est un enfantillage », écrit-il à Talleyrand. Cette phrase, maintes fois répétée, confirme l’intérêt qu’il porte « à ces problèmes d’intendance ».
Il faut également maintenir un contact permanent entre les corps d’armée dont il dispose. Pour assurer des liaisons rapides avec chacun de ses maréchaux, des estafettes sont prêtes à prendre la route à n’importe quelle heure du jour et de la nuit pour porter ses ordres. Tout le long des principaux axes routiers, des postes de cavalerie sont établis prêts à fournir aux messagers des « chevaux frais ».
Grâce à toutes ces mesures, Napoléon va bientôt compter sur une armée reposée, soignée, exercée, ayant retrouvé ses qualités militaires. Ses effectifs se montent à 150 000 hommes prêts à la moindre alerte à faire face à toute éventualité et répartis en sept grandes unités respectivement commandées par les maréchaux Bernadotte (21 000 hommes), Davout (24 600 hommes) Soult (26 300 hommes), Ney (16 800 hommes), Mortier (12 800 hommes), Lanncs (18 500 hommes), Murat (8 000 hommes).

Le 27 mai, Napoléon apprend la capitulation de Dantzig survenue la veille. Le 31, il décide de se rendre sur place pour féliciter le maréchal Lefebvre. Le succès que celui-ci vient de remporter constitue à ses yeux un événement d’une portée considérable. D’abord, il libère une partie de ses troupes immobilisées devant la ville et va lui permettre de raccourcir sa ligne de défense, ensuite il va pouvoir s’emparer de nombreux approvisionnements entreposés par les Prussiens et dont ses troupes ont tant besoin. Après avoir inspecté les troupes victorieuses et s’être fait présenter l’inventaire du butin découvert dans la place forte, il s’empresse de regagner Finkenstein où il est de retour le 3 juin.

Si les problèmes militaires occupent la première place dans les préoccupations de l’Empereur, les tensions diplomatiques n’en sont pas moins d’une importance capitale. Le 27 février, le roi de Prusse, estimant que la bataille d’Eylau pouvait être considérée comme la revanche de la défaite de ses troupes à Iéna l’année précédente, avait envoyé au quartier-général d’Osterode le feld-maréchal von Kleist chargé de sonder Napoléon en vue de l’ouverture de négociations de paix, espérant obtenir dans les circonstances présentes des conditions moins humiliantes pour son malheureux pays que celles qui lui avaient été soumises quelques mois plus tôt. L’Empereur avait feint d’être « furieusement inquiet » et laissé entendre à l’émissaire prussien qu’il était disposé à signer immédiatement avec son maître une paix relativement avantageuse au cas où ce dernier consentirait à séparer définitivement sa cause de celles des Russes. Il ajouta pourtant que si ses propositions étaient rejetées, il n’en était pas moins assuré de remporter sur les troupes du tsar Alexandre une victoire qui « déciderait du sort de l’Europe », ce qui aurait pour conséquence de lui permettre d’instaurer à Berlin « un régime analogue à sa politique ».

De retour à Koenigsberg, Kleist, sans tenir compte de cette menace, n’avait voulu retenir de son entrevue avec Napoléon que l’impression de profond embarras qu’il avait cru lire sur son visage. Le roi Frédéric-Guillaume, très impressionné par les mensonges triomphants de Benningsen et poussé par la reine Louise, toujours aveuglée par sa haine envers les Français, en avait conclu que l’heure n’était pas aux concessions, mais à la fermeté. Aussi, au lieu de poursuivre ses pourparlers avec l’Empereur, avait-il jugé bon de resserrer davantage encore ses liens avec les Russes afin de partager bientôt à leurs côtés la gloire et les avantages de la victoire commune.

De son côté, le tsar Alexandre, afin d’augmenter encore ses chances d’abattre prochainement Napoléon s’était une nouvelle fois retourné vers l’empereur d’Autriche pour lui demander de reprendre les armes contre les Français : « Battez-les encore deux fois, avait répondu l’empereur François et je me déclare ».
Cet excès de prudence, dont les échos étaient parvenus aux oreilles des diplomates, devait être accueilli par Napoléon avec un évident soulagement. Lui-même reconnaîtra plus tard que toute autre attitude de la part de l’Autriche « l’aurait plongé dans un fier embarras ». Pour éviter que l’empereur François ne change d’avis, il était même allé jusqu’à demander à Talleyrand de proposer au baron de Vincent, envoyé du souverain autrichien à Varsovie, « officiellement pour y saluer l’Empereur des Français », mais en réalité pour surveiller l’évolution de la situation, la conclusion d’une alliance. A cette offre, l’Autriche répondra en suggérant l’ouverture de négociations qui « embrasseraient l’ensemble des intérêts belligérants, Russie, Prusse, Angleterre d’une part, France d’autre part, afin de conclure une paix assurée et solide qui garantirait pour l’avenir les relations politiques de l’Europe. Cette fois, c’est Napoléon, qui, redoutant de voir l’Autriche devenir l’arbitre du conflit, comme elle devait le devenir en 1813 au lendemain du désastre de Russie, repousse cette proposition ». Cependant, connaissant la fourberie et la versalité des dirigeants de Vienne, il donne aussitôt des ordres pour que soient renforcée l’armée d’Italie à proximité de la frontière autrichienne. En même temps un corps d’armée, sous le commandement du prince Jérôme est invité à prendre position en Silésie et à s’opposer par les armes à toute tentative d’invasion pouvant s’opérer depuis les provinces de Bohème et de Moravie.

Afin de surveiller l’Allemagne, Napoléon installe à Mayence le corps du « vieux maréchal Kellerman » (il est âgé de 71 ans). De plus, comme il pouvait craindre une intervention de l’Angleterre sur les rivages de la Mer du Nord, il prend également la précaution de constituer autour d’Anvers « un corps d’observation de l’Escaut » et fait courir le bruit que les Français n’ont jamais renoncé à tenter un débarquement en Irlande. Enfin, les unités cantonnées en Italie du Sud doivent redoubler de vigilance. Dans l’esprit de l’Empereur, toute l’Europe est ainsi « verrouillée ».
Mais il doit également s’occuper des affaires françaises. La nouvelle du demi-succès d’Eylau, la prolongation de la guerre qui se déroule à près de 600 lieues de Paris, la levée de nouvelles troupes, ont visiblement créé un malaise. La vie augmente, le commerce languit. La Bourse suit ce mouvement de pessimisme et la rente perd en quelques jours 3 points, puis 6. Cette baisse, écrira plus tard le général Savary dans ses Mémoires, venait « du danger auquel était exposé l’Empereur et de la frayeur que l’on voyait dans les destinées de la France et de chaque famille soumises à un coup de canon ».

Napoléon comprend qu’il est temps de réagir. L’annonce officielle selon laquelle 1 500 hommes seulement avaient trouvé la mort au cours de la bataille d’Eylau n’a convaincu personne. Il sait qu’un peu partout, on parle de la « boucherie d’Eylau » dont l’issue est demeurée longtemps incertaine. Il prie donc son ministre de la Police, Fouché, de rappeler en toute occasion que les Russes sont de redoutables adversaires et que « toute guerre use le personnel et le matériel ». De plus, parlant du nombre de ses soldats tombés au combat, il précise : « Quand je ramènerai mon armée en France et sur le Rhin, on verra qu’il n’en manque pas beaucoup à l’appel ».
L’émotion s’apaise lentement, mais le ministre de l’Intérieur ne peut dissimuler dans ses rapports à l’Empereur « que son retour à Paris est désiré, attendu comme le plus grand bien qui puisse arriver à la France » tandis que Fouché, de son côté, ne cesse de rappeler « le profond désir de paix qui anime tous les Français ». Agacé, Napoléon lui répond : « Il n’est pas question de parler toujours de paix ; c’est le meilleur moyen de ne pas l’avoir, mais il convient de se mettre en mesure de défense sur tous les points ».

Mais l’attention de l’Empereur doit également se porter sur toutes les autres questions concernant le gouvernement de l’Empire. Deux fois par semaine, un conseiller d’État quitte Paris, quel que soit le temps, emportant les porte-feuilles de tous les ministres et les principaux journaux à destination de Berlin où le ministre secrétaire d’État Maret, opère une sélection et un classement des documents dont il est porteur. Puis, le messager reprend la route et arrive enfin à Finkenstein au terme d’un voyage harassant. Napoléon est ainsi tenu régulièrement au courant de tout ce qui se passe, non seulement à Paris, mais dans toutes les grandes villes de l’Empire. Après avoir pris connaissance des rapports qui lui ont été adressés, il dicte les réponses qui reprennent aussitôt le même chemin, mais en sens inverse. Au cours de ce « printemps fiévreux » ainsi que le qualifient les membres de son entourage, il expédie ainsi plus de 300 lettres ayant trait aux sujets les plus divers : nominations de fonctionnaires, secours à apporter à l’industrie, avancement des grands travaux, embellissement de la capitale, fonctionnement des grandes administrations. Il s’intéresse aussi à des problèmes apparemment moins importants, tels que l’édification à Paris d’un Temple de la Gloire (qui deviendra plus tard l’église de la Madeleine), le règlement de la maison d’éducation de jeunes filles de la Légion d’honneur d’Ecouen, le comportement de « cette folle de Mme de Staël », le dépôt aux Invalides de l’épée et des décorations du grand Frédéric dont il s’est emparé à Postdam, ou encore, d’un incident survenu entre le directeur de l’Opéra et certaines actrices, incident qui à lui seul fera l’objet d’une dizaine de dépêches. Dans l’intervalle, il reçoit des ambassadeurs, notamment celui du shah de Perse et celui du sultan de Turquie.

C’est au cours de son séjour à Finkenstein qu’il apprend la naissance à Paris le 15 décembre 1806, du fils d’une de ses maîtresses passagères, Éléonore Denuelle de la Plaigne, qui sera connu un jour sous le nom de comte Léon. Se croyant en droit de mettre en doute la fidélité de la belle, il n’est pas tout à fait assuré d’être le père de cet enfant, bien que les dépêches qui lui parviennent à ce sujet fassent état d’une ressemblance troublante. Sur la foi de ces témoignages, il revient peu à peu sur ses hésitations et envisage de prendre des mesures en sa faveur dès son retour à Paris. Pour la première fois de sa vie, il songe, contrairement à ce dont l’impératrice Joséphine avait toujours voulu le convaincre, qu’il est capable de procréer.

Le 14 mai, une dépêche parvenue de La Haye le plonge dans la consternation. Il s’agit de la mort à l’âge de 5 ans du petit prince Napoléon-Charles, fils de son frère Louis, roi de Hollande et de sa belle-fille Hortense de Beauharnais. La disparition de cet enfant que l’on disait très intelligent et qui lui ressemblait beaucoup le touche d’autant plus profondément que l’on prétendait qu’il avait songé à l’adopter et à en faire son héritier. À cette occasion, il adresse à Joséphine et à Hortense des lettres pleines de tendresse. L’enfant ayant succombé au croup, il ordonne aussitôt à Champagny de prendre ses dispositions pour que soit créé un prix de 12 000 francs destiné à récompenser « le meilleur mémoire sur cette maladie et la manière de la traiter ».

Pour meubler ses loisirs, Napoléon a fait venir auprès de lui la comtesse Walewska qui était devenue sa maîtresse lors de son séjour à Varsovie. Marie s’était discrètement installée à Finkenstein auprès de cet homme qu’elle avait tout d’abord redouté et dont elle est maintenant amoureuse. Depuis lors, les deux amants prennent tous leurs repas ensemble et quand l’Empereur travaille ou fait de longues promenades à cheval en compagnie de ses officiers, elle demeure sagement dans ses appartements à lire, à broder ou à rêver à l’avenir de la Pologne, car elle est profondément patriote. Chaque jour à midi, dissimulée dans l’angle d’une fenêtre, elle assiste de loin à la parade militaire qui se déroule en présence de l’Empereur dans les jardins du château. « Voilà quelle était sa vie, rapporte le valet de chambre Constant dans ses Mémoires, comme son humeur, toujours égale, toujours uniforme. Son caractère charmait l’Empereur et la lui faisait chérir chaque jour davantage ».

Le déclenchement des opérations est fixé à 5 heures de l’après-midi afin de laisser le temps à toutes les unités de se mettre en place. Chacun se récrie : Ne sera-t-il pas trop tard ? Ne vaudrait-il pas mieux attendre le lendemain ? Napoléon fait remarquer qu’à cette saison de l’année, le soleil se couche tard dans le Nord de l’Europe. Enfin et surtout, il ne veut pas laisser échapper la chance qui s’offre à lui d’écraser enfin l’armée russe :
– « On ne surprend pas deux fois l’ennemi en pareille faute », conclut-il.
Puis, se retournant vers le maréchal Berthier, il demande :
– « Quel jour sommes-nous aujourd’hui ? »
– « Le 14 juin, Sire ».
– « Jour de Marengo ! Jour de gloire », constate-t-il.
A 5 heures, ainsi que l’avait prévu Napoléon, tout le dispositif d’attaque est en place. Soudainement, trois salves d’artillerie sont tirées par des batteries postées sur les hauteurs de Posthenen. C’est le signal. Les soldats se préparent au combat et crient : Vive l’Empereur !

Les forces du maréchal Ney avancent en direction de Friedland sous le feu des canons ennemis. Plusieurs charges de la cavalerie russe les mettent en mauvaise posture, mais elles vont être bientôt dégagées par les dragons du général Latour-Maubourg. De plus, pour appuyer l’action du maréchal, Napoléon met à sa disposition 40 pièces d’artillerie appartenant au corps du général Victor et placées sous les ordres du général Sénarmont. Ce dernier va disposer ses batteries en avant de l’infanterie, à 200, puis à 120 mètres seulement des positions ennemies. Le canon tonne sans arrêt, réduisant au silence les batteries adverses, puis décimant ses carrés les uns après les autres. Ney repart alors à l’assaut, s’empare de Friedland et détruit les ponts.
– « Cet homme-là, c’est un lion », déclare Napoléon qui suit avec admiration l’action du maréchal.
La première partie de son plan se trouvant ainsi réalisée, l’Empereur donne l’ordre à l’aile gauche de son armée de se porter en avant. Sous le choc, les forces des généraux Galitzine et Gortchakov se replient en désordre. Les Russes, pris au piège, n’ont d’autre ressource que de se précipiter vers l’Alle qu’ils tentent de traverser à la nage. La plupart sont noyés. Il existait pourtant un gué à Kloschenen, situé à 2 kilomètres seulement en aval de Friedland, mais la pression française ne leur laisse pas le temps d’y parvenir.

A 10 heures du soir, tout est terminé. Pendant un peu plus de 3 heures, les Français ont tiré 3 600 coups de canon. Les Russes ont perdu de 15 à 20 000 hommes, les Français comptent moins de 10 000 hommes hors de combat.

La victoire est totale. Le soir même, Napoléon adresse cette lettre à l’impératrice Joséphine : « Mon amie, je ne t’écris qu’un mot, car je suis bien fatigué ; voilà bien des jours que je bivouaque. Les enfants ont dignement célébré l’anniversaire de la bataille de Marengo. La bataille de Friedland sera aussi célèbre et aussi glorieuse pour mon peuple que celles d’Austerlitz et d’Iéna. Toute l’armée russe mise en déroute, 80 pièces de canons, 30 000 hommes pris ou tués (chiffre exagéré), 25 généraux russes tués, blessés ou pris (on n’en dénombrera en réalité que 23), la Garde russe écrasée… ».

Benningsen, qui a réussi à sortir de Friedland avant la destruction des ponts, n’a pu qu’assister impuissant à la déroute de ses troupes. Il essayera pourtant de se disculper en ces termes aux yeux du Tsar : « Les Français eurent beau jeu, écrit-il, puisque la prudence exigeait qu’on ne leur disputât point le champ de bataille ». Mais les faits sont plus forts que les paroles. Après avoir rétabli les ponts sur l’Alle, les Français se lancent à la poursuite des restes de son armée et, marchant 10 heures par jour, font le 15 juin leur entrée à Koenigsberg, dernière place forte encore aux mains des Prussiens et capturent ainsi toute l’arrière-garde du général Lestocq ainsi qu’un important matériel de guerre. Le 16, ils campent sur les rives de la Pregel ; le 19, le maréchal Murat arrive à Tilsitt (aujourd’hui Sovetsk) et l’Empereur peut fort justement proclamer : « Mes aigles sont arborées sur le Niemen » (aujourd’hui le Memel). Bien que Benningsen prétende que la retraite de ses troupes auxquelles se sont joints les débris de l’armée prusienne « s’opère en bon ordre » et que la défaite qu’il vient de subir « n’a rien d’irréparable », les Français affirment n’avoir rencontré que des hommes désemparés, jetant leurs armes et refusant de se battre.

Le 19 juin, au moment où les avant-gardes françaises approchaient de Tilsitt, le prince Lobanov-Rostovsky se présentait aux avant-postes et demandait à parler au maréchal Murat. Il venait, lui dit-il, solliciter un armistice au nom du Tsar. Murat donna l’ordre de le conduire auprès de Napoléon qui l’accueillit aimablement et le retint à dîner. Au terme du repas, il avait même bu avec lui à la santé de Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies.
Le Tsar, malgré l’opposition de nombre de ses conseillers et de membres de sa famille juge venu, en effet le moment de traiter avec « Bonaparte ». Son armée est détruite, il redoute des soulèvements en Pologne et en Ukraine et prévoit que les Turcs, profitant de son désarroi, ne passent à l’offensive et lui reprennent une partie des territoires que leur ont arraché ses prédécesseurs. Napoléon, lui aussi, veut la paix ; il sait que les Français ont assez de la guerre et que rien ne serait plus désastreux pour lui que d’être obligé de poursuivre les Russes au-delà du Niemen. De part et d’autre on estime donc que l’heure n’est plus aux affrontements, mais aux pourparlers.
 
La campagne de Pologne est terminée. Jamais sans doute au cours de l’Histoire, une modeste bourgade dont le nom, Friedland, qui en allemand signifie « terre de paix », n’avait aussi bien justifié une telle appellation.

Titre de revue :
Revue du Souvenir napoléonien
Numéro de la revue :
357
Numéro de page :
pp. 6-25
Mois de publication :
février
Année de publication :
1988
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