Les publications sur Talleyrand depuis 1928

Auteur(s) : DWYER Philip G.
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L'historien hollandais, Pieter Geyl, avait signalé autrefois que,  » dans le domaine purement politique « , le seul personnage à avoir maintenu son rang dans l'histoire pendant l'époque napoléonienne, à part Napoléon bien sûr, était Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et il avait l'intention d'inclure un chapitre sur le prince dans son fameux ouvrage Napoléon: For and Against (Harmondsworth, 1949) (1). Talleyrand est, sans aucun doute, un des personnages les plus remarquables de l'histoire de la fin du dix-huitième et du début du dix-neuvième siècle, et certainement un des plus controversés. Il fut l'un de ces rares caractères capables de couvrir un large éventail de positions politiques et sociales, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée. Dans une certaine mesure, il était bel et bien le représentant de son époque, que ce soit sous les habits de l'Ancien Régime, du noble qui travaillait pour la Révolution, ou du seigneur du château de Valençay pendant la Restauration. Mais on se souvient de lui, bien sûr, pour le plus important de ces rôles, comme ministre des Affaires étrangères pendant le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Restauration. La parution d'un livre récent dans la série ambitieuse de Michel Poniatowski nous permet de saisir l'occasion de revoir la bibliographie sur Talleyrand, d'évaluer les contributions que ces ouvrages peuvent apporter à nos connaissances, et de suggérer des orientations de recherche.
 
L'étude de Lacour-Gayet, l'ouvrage classique sur Talleyrand, est le point de départ de cette revue (2). Les quatre volumes, parus entre 1928 et 1934 et qui ont pris dix-sept ans à achever, ont été salués à l'époque comme l'ouvrage définitif sur la question. Bien que ce soit de loin l'étude la plus complète sur Talleyrand, elle comporte de nombreuses imperfections. Même si la préface nous assure que l'auteur n'a aucun parti pris, Lacour-Gayet fait preuve d'une hostilité évidente à l'égard de Talleyrand et paraît avoir été guidé par une sorte d'indignation morale. Mais ce qui compte davantage, c'est qu'il semble avoir manqué de perspicacité sur le caractère de Talleyrand et, dans l'ensemble, l'ouvrage, qui se lit comme un recueil d'essais, est trop long, fondé uniquement sur des sources françaises et en tire des conclusions douteuses. En somme, l'ouvrage est un bon exemple d'un genre de biographie assez répandu, qui explique l'attitude politique de Talleyrand en se référant à son soi-disant manque de principes moraux.
Malgré l'intérêt montré pour la carrière diplomatique et politique de Talleyrand depuis la parution de l'ouvrage de Lacour-Gayet, on peut affirmer qu'il n'a pas encore trouvé un biographe comparable à Heinrich von Srbik ou Enno Kraehe pour Metternich, ou Charles Webster pour Castlereagh (3). On est frappé par le manque d'analyses sérieuses, par le nombre de récits anecdotiques et par le fait que la plupart des historiens de la Révolution et de l'Empire l'ont ignoré entièrement (4). On pourrait ajouter que, parmi ceux qui ont étudié Talleyrand, aucun n'a réussi à comprendre son caractère ambigu et élusif. Presque tous ont été impressionnés par le nombre d'exploits exceptionnels qui ont marqué sa carrière. Pourtant, très peu admirent ouvertement son caractère et quelques-uns mettent en doute sa réputation de diplomate (5). Puisque sa vie est assez bien documentée, les différences d'opinion ne se fondent par sur ce qu'il aurait ou n'aurait pas fait (bien qu'il reste encore des interrogations sur sa participation dans certains événements de l'époque impériale, notamment son rôle dans l'assassinat du duc d'Enghien et dans l'invasion de l'Espagne), mais sur l'interprétation de ses motivations. La source de ces interprétations réside souvent dans des notions abstraites et morales comme la fidélité, la trahison, et l'hypocrisie. La plupart des anti-Talleyrandistes condamnent le fait qu'il a survécu à tant de gouvernements alors qu'il ne croyait en aucun, qu'il était opportuniste et qu'il n'avait aucun principe, ou tout au moins qu'il modifiait ses principes pour s'adapter au gouvernement au pouvoir. De ce point de vue, un homme sans principes est condamnable devant l'Histoire. De l'autre côté, on trouve des oeuvres où Talleyrand est dépeint comme un homme gouverné par un idéal politique (6). Bien que peu d'ouvrages écrits avant 1945 entrent dans cette catégorie, il y a sans aucun doute une tendance chez les biographes plus récents à interpréter les actions et les motifs de Talleyrand avec un regard plus bienveillant.
 
Tentatives de réhabilitation
 
Tournons-nous maintenant vers ces ouvrages. Après la condamnation de Lacour-Gayet, un certain nombre d'historiens ont tenté ce qu'on pourrait appeler une réhabilitation. Le premier fut Y. Guyomard avec un essai intitulé Le secret de Talleyrand (Cherbourg, 1934). Guyomard soutient que Talleyrand était un partisan résolu de la paix et de l'équilibre européen, et qu'il poursuivit les mêmes buts politiques tout au long de sa carrière. Ce livre a été suivi par un essai écrit par l'arrière-petit-neveu de Talleyrand, Jean de Castellane, Talleyrand. Le diplomate et le gentilhomme, vu par l'un des siens (Paris, 1934). C'est un récit agréable, sinon trop favorable et quelque peu inexact qui, sans entrer dans trop de détails, tente de dépeindre l'homme et sa philosophie politique. Il contient probablement la collection la plus complète de citations des propres paroles de Talleyrand.
Les historiens anglo-saxons ont généralement traité Talleyrand plus favorablement, mais on devait attendre la publication de Duff Cooper, Talleyrand (New York, 1932) avant qu'un ouvrage adéquat ne paraisse en anglais. L'ouvrage de Cooper, dans lequel Talleyrand est dépeint comme un diplomate capable mais un peu rusé, est probablement la biographie la plus lue en anglais et fut longtemps considérée une des meilleurs études disponibles. Bien que périmé et qu'on puisse le classer dans la  » petite histoire « , il vaut encore la peine d'être lu par son style divertissant. Après Cooper, la contribution la plus connue est celle de Crane Brinton, The Lives of Talleyrand (New York, 1936). Le titre affiche l'attitude de l'auteur envers le caractère de Talleyrand. Dans l'ensemble, le livre est bien écrit et favorable à Talleyrand tout en étant critique, avec une approche thématique plutôt que chronologique. Il a probablement fait plus que tout autre ouvrage pour sauver Talleyrand des critiques contre sa moralité. Certes, de nombreuses imperfections gâchent l'ouvrage. Un des thèmes principaux est la  » bonté  » de Talleyrand ; les premier et dernier chapitres qui y sont consacrés sont verbeux, ainsi que le chapitre dévolu à l'analyse de Talleyrand en tant qu'homme politique et moraliste. Mais bien que cet ouvrage soit périmé, il vaut la peine d'être lu à cause de sa finesse psychologique et parce qu'il est certainement une des rares études à placer le sujet dans un contexte intellectuel et politique convenable.
Dans l'ensemble, les historiens anglo-saxons ont prêté très peu d'attention à Talleyrand et on a dû attendre presque quarante ans avant qu'un autre ouvrage paraisse en anglais: Jack F. Bernard, Talleyrand: A Biography (New York, 1973). Bien qu'il contienne quelques inexactitudes et que l'auteur ait tendance à exagérer l'importance de la contribution de Talleyrand, il est très lisible et représente une bonne introduction au sujet. Mais en tant qu'ouvrage savant, il est gâté par le manque d'appareil critique et de recherche d'archives. En outre, les sections concernant Napoléon et les relations internationales sont parfois faibles. C'est néanmoins le meilleur ouvrage disponible en anglais, et vingt ans après sa publication, il n'a pas encore été remplacé.
 
La tradition « populaire » française
 
La tradition « populaire » française qui dominait l'approche des études sur Talleyrand au dix-neuvième siècle s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Aucun des biographes récents n'a accru nos connaissances et la plupart peuvent être rejetés comme sans valeur du point de vue universitaire. Le livre de Gérard Sellier, Humeurs et humour de Monsieur de Talleyrand (Paris, 1992), consacré à l'humour de Talleyrand, est, par définition, anecdotique, rédigé par un  » historien du dimanche « . Le livre de André Beau, Talleyrand : chronique indiscrète de la vie d'un prince : Consulat, Empire, Restauration (Paris, 1992), est un peu plus intéressant car l'auteur utilise un nombre de sources inédites pour décrire la vie de Talleyrand au château de Valençay. Néanmoins, le livre reste essentiellement anecdotique. Celui de François Bonneau, Les Princes d'Espagne à Valençay ou l'Espagne humiliée (Châteauroux, 1986), est un récit assez bien documenté sur la vie au château de Valençay pendant l'époque où les princes d'Asturie y résidaient (1809-1812). Toutefois, un manque de références et de bibliographie nuit à l'ouvrage.
Deux études, dont la qualité principale est de rendre Talleyrand accessible au grand public, sont celles de Jean Orieux, Talleyrand ou le sphinx incompris (Paris, 1970), et d'André Castelot, Talleyrand ou le cynisme (Paris, 1980). Toutes les deux sont fondées sur une lecture étendue de la littérature sur Talleyrand. Le livre d'Orieux a l'avantage d'être une véritable réussite littéraire. L'ouvrage de Castelot est franc et très agréable à lire. Malheureusement, Orieux dépeint Talleyrand sous un jour très cynique et son livre contient tant d'inexactitudes qu'il n'a que peu de valeur historique. On trouve enfin peu de choses utiles dans un des ouvrages les plus récents, Georges-Albert Morlot, Talleyrand : une mystification historique (Paris, 1991) qui n'apporte rien de nouveau sur le sujet et s'appuie trop sur les mémoires de gens hostiles à Talleyrand, comme Thiers. Ce qui est plus grave, l'auteur ignore les recherches intéressantes qui ont été faites en anglais depuis 1945.
 
Le cas particulier des livres de Michel Poniatowski
 
D'un tout autre genre est l'oeuvre de Michel Poniatowski, riche en extraits de documents et en récits d'époque. Jusqu'à présent cinq livres sont parus : Talleyrand aux États-Unis (Paris, 1967) ; Talleyrand et le Directoire (Paris, 1982) ; Talleyrand et le Consulat (Paris, 1986) ; Talleyrand et l'Ancienne France (Paris, 1988) ; et, le tout dernier, Talleyrand. Les années occultées, 1789-1792 (Paris, 1995) (7). Ces livres examinent dans le plus grand détail la carrière de Talleyrand et, puisque Poniatowski n'a encore abordé ni l'Empire ni la Restauration, on peut s'attendre à d'autres tomes dans l'avenir. L'aspect le plus décevant, c'est que ces livres consistent en une narration émaillée de longues citations extraites de divers journaux et de sources déjà publiées. S'ils deviendront ainsi, sans doute, des ouvrages de référence, la lecture n'est destinée qu'aux  » fans  » de Talleyrand les plus assidus. Enfin, malgré des preuves de recherches en archives, Poniatowski semble éviter toute analyse de caractère ou de faits, à l'exception de son livre le plus récent où il adopte une attitude beaucoup plus critique de Talleyrand qu'à son habitude. Mais il est à craindre que, dans ce cas particulier, l'auteur est en train d'utiliser Talleyrand pour exprimer ses vues conservatrices sur la Révolution.
 
La carrière ecclésiastique de Talleyrand
 
Une des rares études qui ait avancé nos connaissances sur Talleyrand se concentre sur sa carrière ecclésiastique: Louis S. Greenbaum, Talleyrand, Statesman Priest. The Agent-General of the Clergy and the Church of France at the End of the Old Regime (Washington, 1970). Ce livre est, sans aucun doute, le meilleur à être sorti depuis de nombreuses années et remplace pratiquement toute la littérature précédente sur les débuts de sa carrière. Basé sur des documents d'archives, il éclaire de nouveau le rôle de Talleyrand en tant qu'agent général du clergé, un poste qu'il a occupé entre 1780 et 1785. Greenbaum nous présente un agent général modèle qui oeuvrait à protéger les droits du clergé contre les assauts de la monarchie. La contribution la plus importante de Talleyrand était dans la formulation d'un plan adopté vers la fin de son mandat et qui avait pour but la consolidation de l'église. Greenbaum a aussi publié un certain nombre d'articles sur Talleyrand prêtre avant la parution de son livre, ainsi :  » Talleyrand and His Uncle: The Genesis of a Clerical Career « , Journal of Modern History (1957), pp. 226-236, qui révise la notion d'un Talleyrand destiné à la carrière ecclésiastique à cause d'une décision prise par ses parents et qui attribue la décision à l'ambition personnelle de son oncle, résolu à construire un empire ecclésiastique ;  » Talleyrand and the Temporal Problems of the French Church from 1780 to 1785 « , French Historical Studies, 3 (1963), pp. 41-71, qui montre comment Talleyrand, en tant qu'agent général, a maintenu les droits de l'Église face à la monarchie ;  » Talleyrand as Agent-General of the Clergy of France: A Study in Comparative Influence « , Catholic Historical Review, 48 (1963), pp. 473-486, une évaluation des succès de Talleyrand pendant son agence générale et qui confirme que lui seul en était responsable ; et  » Ten Priests in Search of a Miter: How Talleyrand Became a Bishop « , Catholic Historical Review, 50 (1964), pp. 307-331, qui rediscute l'opinion que Talleyrand avait été refusé par l'épiscopat à cause de sa conduite scandaleuse et démontre que des  » considérations institutionnelles et ecclésiastiques  » ont joué un rôle beaucoup plus important. Malgré l'importance des résultats de ses recherches, Greenbaum semble avoir été totalement négligé par les historiens français. Pourtant, l'implication pour des recherches futures sur Talleyrand est importante, car Greenbaum le dépeint comme travailleur, ambitieux et même obéissant à des principes moraux, ce qui contraste fortement avec l'image dissolue de tant de biographes. Il serait intéressant de savoir
d'où provient cette différence entre l'image de Talleyrand avant et après la Révolution et d'examiner jusqu'à quel point il aurait lui-même encouragé ce portrait de quelqu'un de paresseux, frivole, peu scrupuleux, joueur et coureur de jupons.
 
Le séjour aux États-Unis
 
Le seul livre qui traite de la période d'exil de Talleyrand aux États-Unis est celui de Michel Poniatowski, Talleyrand aux États-Unis, 1794-1796. C'est un livre assez bien écrit mais un peu superficiel et on peut se demander s'il valait la peine de consacrer tout un livre à ce sujet. On peut aussi consulter la collection de documents sur les activités financières de Talleyrand pendant son séjour en Amérique du Nord : Hans Huth et Wilma J. Pught, Talleyrand in America as a financial promoter, 1794-96 (Washington, 1942). Il existe aussi deux thèses américaines écrites à peu près en même temps mais qui sont un peu décevantes : Edwin Rockefeller Baldrige Jr.,  » Talleyrand in the United States, 1794 to 1796  » (Université de Lehigh, 1963) qui a, au moins, la valeur d'avoir réfuté quelques idées fausses au sujet de son séjour – Talleyrand n'a pas acheté de terrain et il n'a pas fait fortune par la spéculation ; et John L. Earl III,  » Talleyrand in America. A Study of his exile in the United States, 1794-1796  » (Université de Georgetown, 1964), qui a le mérite d'être un peu plus profonde que celle de Baldwin en couvrant le même sujet. Aucune des deux thèses n'utilise des sources d'archives et, tout comme pour le livre de Poniatowski, on peut se demander si le sujet convient à une étude approfondie. Earl a publié les résultats de ses recherches dans un article intitulé  » Talleyrand in Philadelphia, 1794-1796 « , Pennsylvania Magazine of History and Biography, 91 (1967), pp. 282-298, qui constitue un exposé bien renseigné sur son séjour en Amérique.
 
Le rôle pendant la Révolution
 
Deux études analysent le rôle de Talleyrand pendant la Révolution, un aspect de sa vie qui a généralement été négligé par les historiens : la thèse de Peter V. Curl,  » Talleyrand and the Revolution Nobiliaire  » (Université de Cornell, 1951), et le livre de Michel Poniatowski, Talleyrand. Les années occultées. De loin le meilleur des deux est celui de Curl qui traite bien du caractère de Talleyrand et qui attire l'attention sur ses relations avec Mirabeau, Calonne et Necker. Il soutient que la participation de Talleyrand dans la Révolution n'était pas uniquement une question d'opportunisme, comme beaucoup d'historiens le soutiennent, mais qu'il était politiquement engagé au côté des révolutionnaires. Il explique le fait que Talleyrand a servi six régimes successifs par l'argument que l'État était un  » concept métaphysique  » qui devait être obéi et servi de la manière la plus éclairée possible. À noter un chapitre sur la tentative de Talleyrand d'obtenir le ministère des Finances en 1789, un autre sur ses relations avec La Fayette et un autre encore, qui est central dans la thèse de Curl, à savoir que Talleyrand aurait tenté de sauver la monarchie à travers une politique de réconciliation nationale et une guerre limitée. Un des défauts majeurs de ce travail, cependant, est le manque total de sources d'archives. Poniatowski a également attiré l'attention sur la participation de Talleyrand au processus révolutionnaire et va jusqu'à prétendre qu'il était un des fondateurs de la Révolution avec Mirabeau et La Fayette ! C'est injustement qu'il tient Talleyrand pour responsable du schisme de l'église et le surnomme « père de l'Église constitutionnelle ». Tandis que les autres livres de Poniatowski sur Talleyrand ont tendance à manquer d'analyse, celles qu'on trouve dans ce livre sont beaucoup trop simplistes et réduisent les questions les plus complexes à leur plus simple expression. Dans l'ensemble, il condamne les motivations et le comportement de Talleyrand, ce qui nous conduit à penser que son attitude est compatible avec la vue traditionnelle des historiens français qui voient Talleyrand comme un traître à sa classe, une notion qui fut avancée en premier par l'historien Louis Madelin. Il n'est peut-être pas étonnant que Poniatowski et Madelin, à l'opposé de l'éventail politique, aient tous deux quelque chose en commun. Madelin a été un des rares universitaires français spécialistes de la Révolution qui ait daigné jeter un coup d'oeil sur Talleyrand, mais son évaluation dans ce domaine s'est limitée à un article assez court dans lequel il examine les trois années que Talleyrand a passées à l'Assemblée nationale, les événements qui ont mené à la nationalisation des biens de l'église et le schisme qui a résulté de la constitution civile du clergé. Madelin explique le comportement de Talleyrand pendant le début de la Révolution comme étant motivé par l'ambition personnelle, une vue qui néglige le rôle complexe que joua la noblesse dans le processus révolutionnaire (8).
 
Le diplomate

 
La majeure partie de la littérature critique a pour objet l'étude de Talleyrand diplomate. Or on distingue, ce qui n'est pas étonnant, deux tendances principales : ceux qui doutent de la capacité de Talleyrand à faire de la diplomatie et qui le considèrent comme traître à son pays (cette tendance est particulièrement marquée parmi les auteurs français) ; et ceux qui le regardent comme un diplomate capable, voire un des plus grands diplomates du dix-neuvième siècle. Cette dernière vue a souvent été exposée par d'anciens diplomates qui éprouvent une crainte presque respectueuse des talents de Talleyrand comme négociateur, souvent au détriment de facteurs domestiques et politiques plus importants. Les traditions diplomatiques et la politique internationale qui existaient, bien avant que Talleyrand n'arrive sur la scène, ne sont pas souvent prises en considération et ce fut seulement beaucoup plus tard, avec des historiens comme Sorel et Bourgeois, qu'un lien a été établi entre le talent évident de Talleyrand et la nature traditionnelle de la politique dont il était l'avocat.
Alfred Fabre-Luce est un bon exemple du diplomate devenu historien, intrigué par le caractère de Talleyrand (9). Bien que ce livre n'atteigne pas le strict minimum requis pour un travail historique, des remarques faites par l'auteur sur l'enfance de Talleyrand et son insatisfaction dans sa carrière ont servi de base à une réévaluation de sa vie. Fabre-Luce avance l'argument que Talleyrand n'a rien, ou presque rien fait pour dissiper une image défavorable de lui-même. Il a, en fait, grandement contribué à la créer. Il est assez intéressant de remarquer que l'opinion de l'auteur sur Talleyrand a changé du tout au tout au cours des années comme en témoigne la préface à une nouvelle édition de son livre parue en 1969. Dans la première édition, Talleyrand était considéré comme un bon citoyen avec un certain nombre de faiblesses qui pourraient être pardonnées à cause de son intelligence et des circonstances de sa vie, mais cette interprétation a cédé la place au portrait d'un Talleyrand gangster qui aurait volé régulièrement et qui aurait même songé à utiliser l'assassinat comme instrument politique. Malheureusement, l'auteur ne nous explique pas les raisons de cette volte-face.
Un autre diplomate qui a admiré Talleyrand, le comte de Saint-Aulaire, sympathisant de l'Action française, a écrit une biographie élogieuse publiée quelques années avant le centenaire de la naissance de Talleyrand (10). Il prétend que Talleyrand était un génie de la politique qui chercha à devenir indispensable à ses maîtres politiques. Il établit un parallèle entre sa vie et la carrière de Bonaparte. Malheureusement, l'auteur a trop tendance à se faire lyrique et beaucoup trop tendance à excuser, plutôt qu'à analyser, le comportement de son sujet.
Les débuts diplomatiques de la carrière de Talleyrand remontent à l'Ancien Régime. Quelquefois, on le dépeint comme l'héritier de Vergennes, ministre des Affaires étrangères entre 1774-1787, et parfois comme l'héritier de Mirabeau. Dans un article intitulé  » Talleyrand and Vergennes: The Debut of a Diplomat « , Catholic Historical Review, 56 (1970), pp. 543-550, l'historien américain, Louis Greenbaum, décrit la situation précédant l'échange de lettres entre Talleyrand et Vergennes et qui fut son introduction au monde diplomatique. Il constate qu'en raison de la continuité dans l'art de gouverner, Talleyrand et Vergennes sont très liés. L'implication de Talleyrand dans l'origine de la campagne d'Égypte est suffisamment traitée dans l'article d'Alain Silvera,  » Egypt and the French Revolution « , Revue Française d'Histoire d'Outre-Mer, 69 (1982), pp. 307-322 ; tandis que Carl Ludwig Lokke,  » Pourquoi Talleyrand ne fut pas envoyé à Constantinople « , Annales historiques de la Révolution française, 10 (1933), pp. 153-159, explique pourquoi Talleyrand a abandonné le projet d'aller à Constantinople comme ambassadeur. Talleyrand devait s'occuper du côté diplomatique de l'expédition égyptienne et fut accusé plus tard par Lacour-Gayet de perfidie pour avoir laissé Bonaparte quitter la France sans avoir l'intention de le soutenir. Mais, comme Lokke nous le démontre, Talleyrand, bien qu'il ait été ministre des Affaires étrangères, était souvent traité comme un fonctionnaire par les autres membres du Directoire et n'avait aucune voix au chapitre pour désigner la personne susceptible d'occuper le poste à pourvoir à Constantinople.
Le livre d'Émile Dard, Napoléon et Talleyrand (Paris, 1935), décrit par Jean Savant comme  » magistral « , traite de la période entre 1797-1815 et étudie les relations entre les deux hommes. Malgré quelques défauts dans la peinture des actions et des motivations de Talleyrand, ce travail est précieux pour les détails qu'il donne sur Talleyrand ministre des Affaires étrangères. Pourtant, on est obligé de souligner le fait que les relations véritables entre ces deux hommes resteront toujours, au fond, un mystère, puisque la correspondance dont disposent les historiens est une correspondance officielle qui révèle peu sur leurs pensées et leurs sentiments profonds. Le travail de Dard a été le premier à révéler jusqu'à quel point Talleyrand trahissait des secrets militaires aux Alliés, ce qui est à l'opposé de l'impression que donne Lacour-Gayet d'un Talleyrand serviteur de Napoléon. On peut aussi mentionner la thèse de Peter Hans Olden,  » Napoleon und Talleyrand. Die französiche Politik während des Feldzugs in Deutschland 1805  » (Université de Tübingen, 1927), étude sur les buts militaires divergents de Talleyrand et Napoléon pendant la campagne de 1805. Olden base sa thèse sur un mémoire connu de Talleyrand écrit en octobre 1805 à Strasbourg, dans lequel il presse Napoléon de conclure une paix modérée avec l'Autriche. Edward A. Whitcomb, en revanche, refuse de prendre ce mémoire pour argent comptant et le critique sévèrement dans son livre sur les services diplomatiques de Napoléon en concluant que  » le célèbre mémoire de Talleyrand de 1805 n'était pas modéré, il n'assurait pas la paix européenne, il n'exigeait pas un équilibre des pouvoirs et il n'était pas pratique  » (11). Paul Schroeder soulève un point intéressant dans son article,  » Napoleon's Foreign Policy: A Criminal Enterprise?  » Journal of Military History, 54 (1990), pp. 157, quand il avance, l'argument que juger le mémoire strasbourgeois de Talleyrand sur ses mérites en tant que solution pratique aux problèmes vécus par la France est à côté de la question. Ce qu'il illustre avant tout, ce sont les différences fondamentales qui existaient entre Talleyrand et Napoléon. Talleyrand, selon Schroeder,  » considérait comme convenu qu'on devait trouver une place permanente et un rôle pour l'Autriche au sein du système international, et il a tenté d'en imaginer un qui plairait à Napoléon. Napoléon, véritable criminel dans la politique internationale, considérait comme allant de soi qu'il n'était pas obligé de donner un quelconque rôle à l'Autriche s'il en décidait ainsi « . Une étude plus récente sur les rapports entre Talleyrand et Napoléon est le livre de Barbara Norman Makanowitzky, Napoleon and Talleyrand: The Last Two Weeks (New York, 1976). Il décrit les événements qui se sont déroulés entre le 23 mars et le 5 avril 1814 mais n'apporte rien de neuf bien que l'auteur ait visiblement consulté des archives.
 
Le ministre et sa correspondance
 
Il est surprenant qu'il n'existe pas une étude traitant spécifiquement de Talleyrand comme ministre des Affaires étrangères, omission incroyable au vu des jugements contradictoires sur ses talents de diplomate. De nombreux documents qui relèvent de sa période au ministère ont été publiés – et l'on recommande surtout ceux de Pallain et de Bertrand (12) – mais le gros de sa correspondance diplomatique pendant le Consulat et l'Empire reste presque entièrement inédit (à l'exception de Bertrand), et il est un peu surprenant qu'un recueil complet n'ait jamais été réuni. La seule collection de correspondance publiée récemment est celle de Gaston Palewski, Le miroir de Talleyrand. Lettres inédites à la duchesse de Courlande pendant le Congrès de Vienne (Paris, 1976) (13) et de Ernst Eberhard, Talleyrand und der Herzog von Dalberg: unveroffentlichte Briefe (1816-1832) (Frankfurt am Main, New York, 1987). Ce volume, qui est une sélection de la correspondance entre Talleyrand et la duchesse de Courlande, est essentiel pour le Congrès de Vienne. Chacune des soixante et onze lettres est accompagnée par une note explicative qui la resitue dans son contexte historique. Le recueil d'Eberhard se compose de cinquante-neuf lettres de Talleyrand au duc de Dalberg, représentant de l'électeur de Bade à Paris. Rien de  » renversant  » n'y est révélé, pourtant. Pour des détails sur la manière dont le ministère des Affaires étrangères fonctionnait on peut consulter l'ouvrage de Whitcomb cité ci-dessus. C'est le récit le plus récent qui, par rapport à l'étude classique de Frédéric Masson, se concentre sur le personnel et qui conclut que la qualité des services diplomatiques s'est essentiellement améliorée pendant le règne de Napoléon. Nous trouvons, toutefois, ses vues sur les talents diplomatiques de Talleyrand excessivement sévères. Un dictionnaire assez utile sur le personnel diplomatique pendant l'époque napoléonienne est celui de Henri Robert, Dictionnaire des diplomates de Napoléon (Paris, 1990). Il comporte, cependant, de nombreuses inexactitudes et il devrait être utilisé avec prudence.
On peut aussi consulter Émile Dard,  » Lettres inédites de Dalberg à Talleyrand « , Revue d'histoire diplomatique, 51 (1937), pp. 164-183, qui contient huit lettres de Dalberg à Talleyrand datées du 26 avril au 11 juin 1807. Un grand nombre de courts extraits émanant de sa correspondance ont été publiés dans diverses revues. Voici une sélection des extraits les plus importants :
– Émile Dard,  » Napoléon et Talleyrand. Lettres inédites de Talleyrand (1804-1808) « , Revue de France, 14 (1934), pp. 601-619. Ibid,  » Talleyrand et la correspondance de Napoléon « , Revue des Deux Mondes, 19 (1934), pp. 183-200, seules les pages 183-186 nous intéressent directement. Dard explique comment, le 12 janvier 1817, Talleyrand adressa à Metternich une proposition de vendre toute la correspondance que lui avait adressée Napoléon pendant son séjour au ministère des Affaires étrangères (1799-1807). Metternich accepta l'offre et l'affaire fut conclue pour 500 000 francs.
– Georges Lacour-Gayet,  » Pages inédites de Talleyrand sur l'Assemblée, Constituante « , Revue bleue politique et littéraire, 13 (1934), pp. 481-483, qui contient une copie du document écrit de la main de Talleyrand et qui faisait sans doute partie de ses Mémoires, correspondant aux pages 125-136 (vol. 1 de l'édition de 1891). Il y a des différences entre les deux mais pas assez pour mettre en doute l'authenticité des Mémoires.
– Jean Hanoteau,  » Lettres de Talleyrand à Caulaincourt « , Revue des Deux Mondes, 29 (1935), pp. 782-816 ; 30 (1935), pp. 142-180, une copie des lettres adressées à Caulaincourt pendant son ambassade à Pétersbourg, 1807-1809, et pendant sa période au ministère des Affaires étrangères, 1809-1815.
– Carl Ludwig, Lokke,  » Mémoire sur les États-Unis d'Amérique par Joseph Fauchet « , American Historical Association, 1 (1936), pp. 83-123, qui contient plusieurs procès-verbaux de Talleyrand au Directoire (1797-1799) sur l'affaire dite  » XYZ « .
– Quelques articles fondés sur des documents trouvés dans les archives familiales (bien que le nom de la famille ne soit pas mentionné) ont été écrits par Fleuriot de Langle,  » Le portefeuille Fouché-Talleyrand « , Revue des Deux Mondes (Mai 1949), pp. 221-231. Il explique qu'il a découvert la correspondance relative à Talleyrand en triant les archives liées à Fouché. Il est fait aussi mention de Talleyrand et de ses liens avec Metternich sur la vente des documents. Ibid.,  » Le portefeuille Fouché-Talleyrand. Correspondance avec l'Empereur « , Revue des Deux Mondes (juin 1949), pp. 493-515, soutient Chateaubriand qui a mentionné un texte concernant l'exécution du duc d'Enghien daté 8 mars 1804. Ibid.,  » Le portefeuille Fouché-Talleyrand Austerlitz « , Revue des Deux Mondes (août 1949), pp. 672-693, un recueil de lettres de Talleyrand à Napoléon pendant que ce dernier était à Strasbourg en 1805. Ibid.,  » Le portefeuille Fouché-Talleyrand. Lettres inédites de Talleyrand, Fouché, etc. « , Revue des Deux Mondes (mai 1951), pp. 300-316, contient un certain nombre de lettres de Talleyrand avec des indications sur la vie à Valençay et l'organisation du château pendant la captivité des princes d'Espagne.
– Michel Missoffe,  » Talleyrand et Maret, duc de Bassano. Lettres inédites « , Revue des Deux Mondes, 15 (1954), pp. 459-472, un recueil de lettres datées 1791 à 1809 des archives Maret.
– Jean de Bourgoing,  » Lettres de Talleyrand à Metternich « , Revue de l'Institut Napoléon, 95
(1965), pp. 65-75, contient dix-huit lettres de Talleyrand à Metternich datées de 1809 à 1816, bien que l'auteur
ne donne aucune indication sur l'origine de ces documents.
– Émile Dard,  » Une lettre inédite de la comtesse Tyskievitch à Talleyrand « , Revue d'histoire diplomatique, 48 (1934), pp. 321-329, fait partie d'une correspondance dans les archives de Vienne restée inédite jusqu'ici. Cette lettre, interceptée par les Autrichiens, est datée de décembre 1812 et contient des détails sur Napoléon à Varsovie.
 
Le système politique de Talleyrand
 
Aucune analyse exhaustive sur la politique étrangère de Talleyrand n'a été tentée, à supposer qu'il en ait eu une… Maurice Schumann croit que Talleyrand avait bien un système politique, surtout en ce qui concerne l'Allemagne et l'Angleterre, et suggère que sa maxime politique peut être résumée en une phrase – lier et subordonner l'intérêt national de la France à la notion d'un ordre général européen (14). Il nous offre les bases d'une discussion fructueuse et attire l'attention sur un élément qui se retrouve dans toute la carrière de Talleyrand, c'est-à-dire sa préférence pour une alliance avec l'Angleterre. Ceci n'explique pourtant pas le rôle de Talleyrand dans la campagne d'Égypte ni son attitude envers l'Angleterre avec la reprise de la guerre en 1803. La thèse d'Ernst Mechthild,  » Talleyrand und die angelsächsiche Welt, 1729-1799  » (Université de Münster, 1969) est une tentative d'analyser sa politique envers les États-Unis et l'Angleterre. Une autre tentative d'examiner les  » principes  » gouvernant la politique de Talleyrand est celle de Johannes Kraft, Prinzipien Talleyrands in der Aussen- und Innenpolitik (Bonn, 1958). Le livre de Kraft, qui décrit à grands traits la politique suivie par Talleyrand à des périodes particulières dans sa carrière, est intéressant et a de la valeur, mais n'est pas aussi détaillé ni consciencieux que l'on aurait souhaité. Une des rares tentatives d'en venir au fond avec les idées politiques de Talleyrand est celle de H. Wendorf,  » Die Ideenwelt des Fürsten Talleyrand. Ein Versuch « , Historische Vierteljahrschrift, 28 (1933-34), pp. 335-384, qui se demande si Talleyrand était un sophiste ou s'il y avait une Weltanschaung derrière la façade diplomatique. Wendorf a aussi l'honneur d'être le seul historien à tâcher de comprendre le comportement de Talleyrand dans l'esprit du siècle des Lumières. Il décrit Talleyrand comme le disciple de Montesquieu dans la mesure où il croyait que les circonstances singulières d'une nation dictaient l'évolution d'une société ; ainsi que le disciple de Voltaire, dans la mesure où il prescrivait l'avènement d'une sorte de  » machinerie mondiale  » sur le modèle de Newton pour l'Europe ; et celui de Locke, dans la mesure où il était convaincu que le gouvernement le plus convenable se faisait connaître par sa durée.
 
Le rôle dans l'assassinat du duc d'Enghien et dans l'affaire d'Espagne
 
Il existe un manque relatif d'études sur un des aspects les plus controversés de la carrière de Talleyrand – son implication dans l'assassinat du duc d'Enghien – bien que cette lacune soit due évidemment à un manque de sources documentaires. Toutefois Lacour-Gayet,  » Talleyrand et l'affaire du duc d'Enghien « , Revue de Paris, 4 (1929), pp. 387-405, soutient qu'il était responsable d'avoir suggéré et transmis l'ordre et de ne pas avoir empêché l'exécution. On manque aussi de travaux concernant Talleyrand et l'invasion de l'Espagne, une fois de plus à cause de l'absence de documents. G.-A. Pordea,  » Talleyrand et la couronne d'Espagne. L'intrigue de Bayonne à la lumière des documents diplomatiques « , Société des Sciences, lettres et arts de Bayonne, 114 (1967), pp. 103-130, consacre une partie de son article au rôle de Talleyrand dans l'affaire, mais le jugement défavorable sur sa vie privée éclipse la discussion sur son implication dans la politique. Il en tire la conclusion que Talleyrand était bel et bien impliqué et qu'il a même conseillé une invasion dans un effort pour regagner l'estime de Napoléon, mécontent qu'il aît quitté le ministère ! Émile Dard,  » Napoléon et Talleyrand  » (Paris, 1935), croit que Talleyrand était responsable et de l'assassinat du duc d'Enghien et de l'affaire d'Espagne, et que son rôle ne devient compréhensible que si on le considère comme une conséquence logique de sa haine envers les Bourbons. Cet argument tombe à plat quand on considère que Talleyrand a manigancé le retour des Bourbons en 1814. Par ailleurs, Dard fait une distinction entre l'avis que Talleyrand aurait donné à Napoléon sur la nécessité de renverser les Bourbons d'Espagne et les actes de brigandages politiques qui ont suivi. Bien sûr, on trouve d'abondantes discussions sur ces deux épisodes dans des études sur l'époque napoléonienne mais, étant donné le manque de sources documentaires, il est peu probable que l'on ne saura jamais définitivement le rôle qu'il aurait joué dans ces affaires.
 
Le rôle au Congrès de Vienne
 
Les seuls ouvrages à paraître dans le cadre de cette étude traitant spécifiquement de Talleyrand et du Congrès de Vienne sont ceux de Guglielmo Ferrero, Riconstruzione. Talleyrand a Vienna (1814-1815) (Milan, 1941) ; et la thèse d'Ernest J. Knapton,  » A Reconsideration of the Diplomatic Policy of Prince Talleyrand, 1814-1815  » (Université de Harvard, 1934). Ferrero, un éminent anti-fasciste d'avant la guerre, établit un parallèle entre l'échec du traité de Campo Formio et l'échec du traité de Versailles en 1919. C'était un appel à la génération de la guerre d'en venir à un arrangement semblable au Congrès de Vienne pour vaincre le despotisme en Europe. Les graines de la Première et même de la Deuxième guerre mondiale ont été semées pendant le Congrès de Vienne et ont été fertilisées par l'incapacité à en venir à une solution permanente des problèmes créés par les guerres napoléoniennes. Par opposition à d'autres interprétations du Congrès, Talleyrand émerge comme un héros de la  » reconstruction  » qui, dans la pensée de l'auteur, se met à restaurer les gouvernements légitimes. Il en conclut que :  » Le Congrès de Vienne a donné à l'Europe un siècle de paix parce qu'il a appliqué la doctrine de Talleyrand à la reconstruction de l'Europe en éliminant tous les gouvernements révolutionnaires dont Napoléon a accablé le continent « . Bien que cette interprétation donne beaucoup trop d'importance à l'influence qu'aurait exercée Talleyrand au Congrès, elle est jusqu'ici l'étude la plus détaillée sur ce sujet. L'aspect le plus fâcheux de ce travail, toutefois, est le manque presque total de citations de sources et le fait qu'il est impossible de savoir à quel point il se fonde sur des sources d'archives.
La thèse de Knapton est une étude détaillée qui pose toutes les bonnes questions sur le rôle de Talleyrand dans la diplomatie française en 1814 et 1815. En se référant à des sources imprimées, il commence par une analyse de la politique alliée et française pendant les mois qui précèdent l'ouverture du Congrès et il examine longuement les questions de la Pologne, du Saxe et de l'Italie où l'influence de Talleyrand a été considérable. Knapton avoue que son intention n'était pas de peindre un portrait nouveau de Talleyrand ; il avait un but plus subtil, celui de faire la lumière sur des points qui restaient encore obscurs. Il en tire la conclusion que Talleyrand a contribué à l'oeuvre du Congrès, mais pas autant que beaucoup d'historiens l'ont supposé jusqu'ici, et que Talleyrand n'a déterminé ni les questions à l'ordre du jour ni les buts du Congrès. Le livre de Ferdinand Bac, Le secret de Talleyrand, d'après des témoignages contemporains (Paris, 1933), est un récit anecdotique du Congrès et des événements qui y ont mené, et s'inspire des journaux contemporains, surtout celui du baron de Stettin. Le secret, implicite dans le titre, n'est rien moins qu'un pacte improbable entre Talleyrand et les Anglais pour aider discrètement l'évasion de Napoléon de l'île d'Elbe, ou tout au moins de fermer les yeux, le menant ainsi sur la voie de sa chute irrémédiable. Le travail de Tekla Krotoska, Stosunek Talleyrand'a do sprawy Polskiej w dobie I. cesarstwa i kongresu wiedenskiego (1806-1814) (Cracovie, 1935) traite de Talleyrand et de la question polonaise entre 1806 et 1814.
Beaucoup plus nombreux sont les articles et les essais dédiés à Talleyrand et au Congrès, mais la plupart sont anecdotiques et peu utiles au chercheur. La plupart de ces articles ont été écrits avant la fin du dix-neuvième siècle, à quelques exception près, mais ils ont tous tendance à exagérer l'importance du rôle de Talleyrand et négligent complètement l'influence que les intrigues de la Cour de Paris auraient pu avoir sur les décisions prises à Vienne (15). En comparaison, un nombre d'articles parus soit pendant soit après la Première guerre mondiale, sont critiques sur la position de Talleyrand et surtout la décision prise par rapport à la Prusse et la possession de la rive gauche du Rhin (16). Il faudra attendre la fin de la Seconde guerre mondiale pour voir une réévaluation de la politique de Talleyrand à l'égard de la Prusse et la possession des provinces rhénanes avec l'article de Paul Mantoux,  » Talleyrand et la rive gauche du Rhin « , Schweizer Beiträge zur Allgemeinen Geschichte, 3 (1945), pp. 158-178. L'essai le plus récent est celui de Claude Guillaumin,  » Talleyrand et le Congrès de Vienne « , dans Les grandes énigmes du temps jadis (Paris, 1969), pp. 11-167, de la  » petite histoire « , un récit historiquement correct et divertissant, mais que les historiens peuvent sans doute négliger. Un autre article vaut la peine d'être mentionné, celui de Harold E. Blinn,  » New Light on Talleyrand at the Congress of Vienna « , Pacific Historical Review, 4 (1935), pp. 143-160, dans lequel il avance l'idée que l'action de Talleyrand, à l'égard des négociations italiennes tout au moins, fut un échec.
 
Pendant la Monarchie de Juillet
 
Très peu a été écrit sur le rôle de Talleyrand pendant la monarchie de Juillet. Une étude de valeur existe néanmoins, celle de Raymond Guyot,  » La dernière négociation de Talleyrand. L'indépendance de la Belgique « , Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2 (1900), pp. 573-594 ; 3 (1091), pp. 237-281, sur l'ambassade de Talleyrand à Londres entre 1830 et 1834 et sa participation à la conférence de Londres sur la Belgique. Il existe aussi une monographie relativement complète sur le sujet, J.S. Fishman, Diplomacy and Revolution: The London Conference of 1830 and the Belgian Revolt (Amsterdam, 1988). Pas de récit exhaustif en revanche sur la politique étrangère de la monarchie de Juillet. On peut néanmoins consulter avec profit H.A.C. Collingham, The July Monarchy. A Political History of France 1830-1848 (Londres et New York, 1988) qui est une bonne introduction à la période.
 
La conversion
 
La conversion de Talleyrand sur son lit de mort est devenue un sujet de discussion. La mise à jour des archives privées de Mgr de Quelen (qui a présidé à la conversion de Talleyrand en 1838) dans les années cinquante a permis à R. Limouzin-Lamothe d'entamer une étude sur des documents auxquels les historiens n'avaient pas eu accès jusque-là. Trois articles ont suivi. Dans le premier,  » La rétractation de Talleyrand « , Revue d'histoire de l'Église de France, 40 (1954), pp. 229-241, l'auteur raconte l'histoire des négociations concernant le texte même de la rétractation et qui prouvent que Mgr de Quelen a fait son possible pour obtenir un texte précis de Talleyrand et que le prince a coopéré de bonne foi avec l'Église. L'auteur semble avoir changé d'avis quelques années plus tard pourtant, quand il a publié  » Mgr de Quelen et la conversion de Talleyrand. Documents inédits « , Bulletin de littérature ecclésiastique, 3 (1957), pp. 151-172 ; et  » Mgr de Quelen et la conversion de Talleyrand. Documents inédits (suite) « , Bulletin de littérature ecclésiastique, 59 (1958), pp. 73-94. Dans ces deux articles, il tire la conclusion que Talleyrand a simplement signé la rétractation qui lui aurait été de toute façon imposée.
 
Les  » trahisons  » de Talleyrand
 
Pieter Geyl fait remarquer que, dans l'ensemble, les historiens français sont incapables de regarder Talleyrand comme un homme d'État et qu'on le juge dans le contexte de sa trahison de Napoléon. Dard est probablement le premier avocat de cette idée et il accuse Talleyrand, non seulement d'avoir vendu Napoléon, mais aussi d'avoir vendu la France. Il est intéressant de noter comment les notions de Napoléon et de la France sont souvent confondues par ces historiens comme si l'un incarnait l'autre. Louis Madelin,  » Talleyrand trahissait son maître « , Historia 143 (1958), pp. 389-394, est un autre chercheur qui considérait Talleyrand comme criminel pour son rôle à Erfurt (17). Edouard Aujay, Talleyrand (Paris, 1946), voit en Talleyrand rien moins que la somme de toute une série de mauvaises actions motivées par le profit. Selon Aujay, le prince s'est expressément construit une personnalité ambiguë pour confondre l'histoire, mais il est à court d'explication sur les raisons qui auraient conduit Talleyrand à se comporter ainsi. Dans un compte rendu de trois biographes de Talleyrand (Brinton, Dard, Saint-Aulaire) et un article (Wendorf), Georges Lefebvre,  » Dard, Napoléon et Talleyrand « , Annales historiques de la Révolution française, 16 (1933), pp. 268-272, profite de l'occasion pour condamner Talleyrand comme traître et comme médiocre diplomate. Engenii Viktorovich Tarlé, Talleiran (Moscou, 1948) est un autre historien qui croit que Talleyrand a trahi son gouvernement pour des motifs égoïstes.
À l'inverse, un certain nombre de tentatives ont été faites pour contrer l'image d'un Talleyrand intéressé et résolu à faire progresser sa propre carrière en avançant l'idée qu'il travaillait pour la France. J. Marriot,  » Talleyrand: The prince of diplomats », Cornhill Magazine, 74 (1933), pp. 129-138, a conclu que, bien que Talleyrand ait été impudemment corrompu, il a toujours travaillé pour la France dont il n'a jamais trahi les intérêts. Franz Blei, Talleyrand (Berlin, 1935), est un des premiers historiens de ce siècle à essayer de réhabiliter Talleyrand avec l'argument que la moralité, en ce qui concerne les affaires d'État, est une considération purement relative (18). Le biographe, Serge Fleury, Talleyrand. Maître souverain de la diplomatie (Montréal, 1942), est le seul Canadien à avoir contribué à la littérature sur le sujet avec une tentative quelque peu naïve de réhabilitation qui ne convainc qu'à moitié, car son ouvrage n'est pas fondé sur des recherches originales. L'auteur est convaincu que Talleyrand n'a jamais cessé de penser à son pays. Paul Lesourd,  » Plaidoyer pour Talleyrand « , Revue générale belge, 91 (1954), pp. 427-439, a tenté une autre réhabilitation dans les années cinquante en le présentant comme un des plus grands serviteurs de la France. Barbara Norman Makanowitzky, déjà citée, adopte une vue plus indulgente de la trahison de Talleyrand en avançant la théorie qu'il  » [Talleyrand] croyait que l'intérêt de la France était aussi l'intérêt de l'Europe « . Ces efforts font partie d'une tendance récente et favorable à Talleyrand que Jean Tulard et Jeffrey Haight ont signalée, bien que Haight ait fait remarquer dans son analyse de la littérature historique que les critiques de Talleyrand ont souvent été fondées sur une vue pessimiste de la politique dans le monde moderne (19).
Parmi les oeuvres qui méritent d'être mentionnées brièvement figurent celles de Jacques Dyssord, Les belles amies de M. de Talleyrand (Paris, 1942), une biographie populaire sans aucun mérite historique et avec un titre trompeur (20) ; celle de Jules Bertaut, Talleyrand (Lyon, 1945), qui manque d'inspiration et qui est dans la tradition de Saint-Aulaire, sans notes et sans bibliographie ; Louis Madelin, Talleyrand (Paris, 1944), qui le dépeint comme un homme d'État brillant mais destructeur et il en conclut qu'il fut un facteur important dans la chute de Napoléon ; Jean Savant, Talleyrand (Paris, 1960), qui est une des attaques les plus violentes jamais écrites contre lui. Savant tient Talleyrand pour littéralement responsable de tous les malheurs de la France depuis 1789 dans une interprétation très personnelle de l'histoire qui est presque absurde ; et le livre de Casimir Carrère, Talleyrand amoureux (Paris, 1975) qui, bien que relevant de l'histoire populaire, réussit à éclairer une histoire tant de fois racontée. L'approche de Carrère est systématique et professionnelle et ses recherches minutieuses dans les archives locales et familiales ont été couronnées de succès.
En ce qui concerne une interprétation marxiste – pour ce que cela vaut aujourd'hui depuis le déclin de la méthodologie marxiste – on peut consulter le livre de Eugenii Viktorovich Tarlé cité ci-dessus. Tarlé traite Talleyrand comme un bourgeois au service des intérêts de sa classe, et bien que son livre soit le seul à traiter des relations entre Talleyrand et Alexandre Ier d'une manière sérieuse, il le fait insuffisamment. Sa seule qualité est de contenir des extraits de documents restés inédits jusque-là. On peut également consulter la thèse de Joseph Edward Krok,  » Talleyrand and the Foreign Policy thought of Alexander I: The Nature of Talleyrand's Influence, 1807-1815  » (Université de Pennsylvania State, 1975), qui examine l'impact de Talleyrand sur la pensée d'Alexandre. Le manque de sources primaires fait que ce travail est beaucoup trop spéculatif et que les conclusions sont beaucoup trop vagues ( » Talleyrand aurait parfois eu une  » une influence  » sur Alexandre  » qui était  » importante de temps en temps « ).
 
La personnalité de Talleyrand
 
Il existe bien un certain nombre d'études psychologiques, mais aucune n'offre une explication valable sur les motivations de Talleyrand et sur son caractère. Deux essais de Edmund Bergler,  » Talleyrand. Ein Beitrag zur Psychologie des Zynikers « , et  » Napoleon und Talleyrand. Ein Beitrag zur weltgeschichtlichen Wirkung des unbewubten Strafbedürfnisses « , dans Talleyrand. Napoleon. Stendhal. Grabbe. Psychoanalytisch-biographische Essays (Vienna, 1935), sont fondés sur des affirmations historiques incorrectes et une compréhension imparfaite de la période. Le livre de Paul Lesourd, L'âme de Talleyrand (Paris, 1942), qui devait nous fournir une explication psychologique n'est rien moins qu'un exposé des vues personnelles de l'auteur qui dépend beaucoup de Saint-Aulaire et des Mémoires de Talleyrand. René Laforgue, Talleyrand, l'homme de la France : Essai psychanalytique sur la personnalité collective française (Genève, 1947), est un méli-mélo d'idées qui est loin de satisfaire aux normes psycho-historiques en vigueur aujourd'hui.
 
Talleyrand et les femmes
 
Une tentative, plus sérieuse que celles de la plupart des biographies sur Talleyrand, d'en venir au fond du problème posé par son caractère ambigu en examinant ses relations avec les femmes est celle de Michel Missoffe, Le coeur secret de Talleyrand (Paris, 1956). Plus important encore, Missoffe fut un des premiers à faire remarquer que la légende sur l'enfance de Talleyrand, qu'il aurait passé dans la plus grande gêne, est totalement sans fondement. Il l'exonère, jusqu'à un certain point, de l'accusation de vénalité. Beaucoup de biographes ont tendance à confondre la vie privée de Talleyrand et la vie politique pour condamner ses méthodes diplomatiques en général. Dans ces ouvrages, ses aventures amoureuses sont la plupart du temps romancées et sont utilisées par ces auteurs pour démontrer la duplicité du diplomate. Parmi eux, Jacques Audiberti,  » Faire marcher les femmes  » dans Jacques de Lacretelle et al. Talleyrand (Paris, 1964), pp. 173-194, évoque la vie sentimentale de Talleyrand qui aurait dit :  » Qu'est-ce que la politique, sinon les femmes  » ; Pierre Audiat,  » Talleyrand séducteur « , Revue de Paris (1956), pp. 151-157, engage une discussion peu intéressante sur la capacité de Talleyrand de séduire et d'enchanter, non seulement les femmes mais tous ceux qui eurent affaire à lui ; André Castelot,  » Talleyrand et les femmes « , Historia 413 (1981), pp. 52-61, est un récit divertissant sur quelques-unes de ses conquêtes.
La seule biographie sur la duchesse de Courlande, ancienne maîtresse et mère de la compagne avec qui Talleyrand allait passer ses dernières années, traite quelques aspects de la fin de sa vie : Louis Arrigon, Une amie de Talleyrand. La duchesse de Courlande, 1761-1821 (Paris, 1945). Beaucoup plus populaire auprès des biographes est la duchesse de Dino, fille de la duchesse de Courlande et femme du neveu de Talleyrand, Edmond de Périgord. La première tentative d'écrire sa biographie, et qui est assez réussie, est celle de Marie von Bunsen, Talleyrands Nichte, die Herzogin von Sagan (Stuttgart, Berlin, 1935). L'auteur n'a pas fait usage, toutefois, des archives du château de Sagan qui contenait une correspondance volumineuse entre Talleyrand et la duchesse de Dino. Le meilleur ouvrage sur le sujet fut celui de Françoise de Bernardy, Le dernier amour de Talleyrand. La duchesse de Dino (1793-1862) (Paris, 1956) (21), jusqu'à ce qu'il soit surpassé par l'ouvrage de Philip Ziegler, The Duchess of Dino (London, 1962). Un article par Arrigon,  » La Duchesse de Dino et les dernières années de Talleyrand « , Revue des Deux Mondes, 6 (1955), pp. 251-266 ; 7 (1955), pp. 507-520, est basé sur des mémoires contemporains, de la correspondance publiée et des sources secondaires ; et un autre de Edouard Vellay,  » La duchesse de Dino a-t-elle été la maîtresse de Talleyrand ?  » Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 93 (1958), pp. 1123-1125, se demande si la duchesse était en réalité la maîtresse de Talleyrand et est assez utile dans la mesure où il résume l'historiographie sur le sujet.
Étant donné le peu d'importance qu'elle a joué dans l'histoire, le nombre est trop élevé d'ouvrages consacrés à la femme de Talleyrand, Mme Grand, dont la plupart sont décevants. Les historiens semblent avoir autant succombé aux charmes de sa beauté que Talleyrand lui-même. On peut négliger un livre en anglais : Annette Joelson, Courtisan Princess. Catherine Grand, Princesse de Talleyrand (Londres, 1937, réédité en 1966). Plus nombreux sont les articles :
– Lacour-Gayet étant le premier avec  » À propos du mariage de Talleyrand « , Revue politique et littéraire (revue bleue), 7 (1926), pp. 197-201, mais cet article est limité à une discussion sur l'acte de mariage et à une description de M. Grand, l'ex-mari de Catherine.
– Yvonne Robert Gaebelé,  » Des Plages du Coromandel aux Salons du Consulat et de l'Empire (Vie de la Princesse de Talleyrand) « , Revue historique de l'Inde française, 7 (1948), pp. 1-115, est une longue étude basée sur les sources d'archives et des mémoires contemporains.
– M. G. Coolen,  » Madame Grand et Talleyrand « , Bulletin trimestriel de la Société académique des antiquaires de la Morinie, 17 (1950), pp. 321-330, a reproduit des lettres de Talleyrand suppliant Barras de libérer Mme Grand.
– Bernard Nabonne,  » M. de Talleyrand et sa fiancée « , Miroir de l'Histoire, 11 (1950), pp. 80-84, avance l'idée que, loin d'être inconséquente comme le pensent la grande majorité des historiens, Mme Grand était une espionne à la solde de l'Angleterre ! Il suggère que Talleyrand était aussi en correspondance secrète avec l'Angleterre dès l'époque du Directoire et reproduit une lettre écrite par Mme Grand adressée à un ami au cabinet de Saint-James et tombée entre les mains de La Révellière-Lépeaux. L'argument et la preuve sont, toutefois, un peu minces.
– Le vicomte de Reiset,  » Le roman de la Princesse de Talleyrand « , Historia, 78 (1953), pp. 548-556, tente de rectifier l'image populaire de la fille sans cervelle.
– Sylvain Bonmariage,  » La Princesse de Bénévent « , Aux carrefours de l'histoire, 17 (1959), pp. 103-105, ne présente pas d'intérêt particulier.
– Léon Noël,  » Les deux mariages de Talleyrand « , Revue des Deux Mondes, 6 (1960), pp. 239-258, examine les complications avec l'Église catholique étant donné qu'à son mariage Talleyrand était encore officiellement évêque. Noël est le premier à avoir découvert les documents qui prouvent sans aucun doute que le mariage a eu lieu à la maison du maire de Monceau, à cette époque petit village en dehors de Paris.
– Michel Gaudart,  » Duchesse de Talleyrand-Périgord, Princesse de Bénévent. Créole des Indes « , Héraldique et Généalogique, 11 (1969), pp. 26-27, retrace sa généalogie.
– Et enfin Pierre Viguié,  » Le mariage de Talleyrand « , Revue de Paris, 3 (1970), pp. 113-122, n'a pas d'intérêt particulier.
 
Les enfants de Talleyrand
 
Un certain nombre d'études ont été menées sur les enfants que Talleyrand aurait engendrés, ce qui semble avoir été une des préoccupations majeures des historiens français. Des doutes pèsent sur l'origine paternelle de quatre enfants : Charlotte, sa fille adoptive, Charles de Flahaut, le peintre Eugène Delacroix et Pauline de Périgord, fille de la duchesse de Dino. Aujourd'hui, il semble certain que Talleyrand était le père de Charles de Flahaut, mais il n'y a rien de concluant sur l'origine des trois autres enfants. Dans un travail consacré à la vie privée de Talleyrand, Jacques Vivent, La vie privée de Talleyrand (Paris, 1940), a collectionné et évalué les preuves sur la question.
– Michel Missoffe,  » Charlotte la mystérieuse et Talleyrand « , Revue des Deux Mondes (1951), pp. 331-340, tente de résoudre la question de la paternité de Charlotte et il conclut qu'elle était la fille du chevalier de Coigny et de Mme Beaugeard (née Catherine d'Hugues), donc un enfant illégitime. M, me Grand, incapable d'avoir des enfants elle-même, aurait voulu adopter une fille d'une  » f, ,, a,, , m, ille distinguée  » et se serait arrangée pour adopter cette fille. Michel Poniatowski, en revanche croit que l'enfant est bien de Talleyrand (22).
– Louis Hastier,  » La fille adoptive de Talleyrand « , Miroir de l'Histoire, 51 (1954), pp. 462-468, est une discussion désuète, et peu concluante sur les origines de Charlotte.
– Flavien Bonnet-Roy,  » En marge de l'histoire de Talleyrand « , Bulletin Médical, 42 (1928), pp. 1108-1109, a écrit un article sur la tumeur des testicules de Charles Delacroix et, indirectement, sur la paternité d'Eugène Delacroix.
– C. Bell,  » Was Talleyrand Delacroix's Father? « , The New Statesman, 33 (1929), pp. 576-577, est écrit dans le même esprit mais la discussion est peu concluante.
– Léon Noël a consacré deux articles à la question de la paternité de Delacroix :  » Eugène Delacroix et Talleyrand « , Les Œuvres Libres, 213 (1964), pp. 57-74 ; et  » Delacroix était-il le fils de Talleyrand ? « , Historia 321 (1973), pp. 57-65, et il en conclut qu'il n'y a aucune preuve que Talleyrand fût le père du peintre.
– Émile Dard,  » Trois générations : Talleyrand, Flahaut, Morny « , Revue des Deux Mondes, 46 (1938), pp. 341-365, 615-629, est une description de Charles de Flahaut et de Morny.
Il existe également un livre de Françoise de Bernardy, Charles de Flahaut (Paris, 1954), biographe populaire.
 
En conclusion
 
Voilà donc l'état de l'historiographe talleyrandienne à ce jour. On en garde l'impression qu'il reste encore beaucoup à faire. Non seulement la littérature sur Talleyrand n'est pas comparable avec celle sur un homme d'État comme Metternich (même si l'influence de Metternich a été plus grande), mais les archives restent encore à exploiter pleinement. Le plus important est qu'on attend un biographe qui saurait présenter un portrait plus équilibré, plus objectif, et qui expliquerait les motifs de Talleyrand en termes d'idéologie politique et en termes de motivations personnelles. Une psycho-biographie qui intégrerait la personnalité et la vie de Talleyrand dans la société de son temps serait très utile, quoiqu'entreprise complexe et difficile.
Les choses étant ce qu'elles sont, Talleyrand a inspiré beaucoup plus de biographes de la « petite histoire » que d'universitaires, ce qui est regrettable. Certes, de nombreux aspects de la vie de Talleyrand, comme sa carrière ecclésiastique et son exil en Amérique, ont été examinés à fond et dans certains cas, en ce qui concerne ses enfants par exemple, ont été étudiés beaucoup trop souvent. Mais la découverte la plus surprenante pour nous est que peu d'historiens sont allés dans les archives  » se salir les mains  » pour étudier de façon satisfaisante le rôle de Talleyrand comme ministre des Affaires étrangères à l'époque révolutionnaire et napoléonienne. On ne sait toujours pas avec assurance jusqu'à quel point il aurait pu influencer la direction de la politique étrangère, s'il a eu un contrôle véritable sur le ministère et quelles étaient les relations entre le ministre et le Directoire, entre, le ministre et Napoléon, et comment ils  » fonctionnaient  » ensemble. Si Talleyrand n'a pas d'influence sur les événements, dans ce cas, il serait utile de regarder de plus près le processus entourant les prises de décisions au sein du gouvernement. Whitcomb cité ci-dessus nous fournit d'abondantes preuves sur la détérioration du ministère pendant l'époque napoléonienne, mais on ne peut que faire des conjectures sur la contribution exacte des successeurs de Talleyrand dans la transformation du ministère des Affaires étrangères en  » un auxiliaire de la Grande Armée et une branche de l'intelligence militaire  » (23). Il serait aussi utile de savoir si Talleyrand était travailleur et consciencieux, comme le suggère l'étude de sa jeunesse par Greenbaum, et à quel point l'image du paresseux coureur de jupons est due à Talleyrand promuant une image fausse de lui-même. Si c'est le cas, il reste à en expliquer les raisons. De la même façon, malgré l'intérêt qu'on a montré envers le rôle de Talleyrand au Congrès de Vienne, il n'existe pas d'études convenables sur cet aspect de sa vie et une réévaluation pourrait en valoir la peine. On peut dire la même chose pour la période 1814-1815 quand Talleyrand et Fouché gouvernaient le pays, aussi bien que pour la période de son ambassade à Londres entre 1830 et 1834 quand il était de fait ministre des Affaires étrangères.
Quand des études plus approfondies auront été conduites, saurons-nous le véritable impact qu'a pu avoir Talleyrand sur la politique en Europe? Ce ne sont que des suggestions qui soulignent des lacunes dans l'histoire de la carrière de cet homme extraordinaire. Il y a sans doute d'autres aspects auxquels nous n'avons pas pensé. Mais une chose est certaine, toute recherche future sur Talleyrand doit se faire à partir des archives.

Notes

(1) Pieter Geyl, " The French Historians and Talleyrand ", dans Debates with Historians (Londres, 1955), pp. 198-209. Une bibliographie complète sur Talleyrand se trouve dans Philip G. Dwyer, Charles-Maurice de Talleyrand, 1754-1838: A Bibliography (Westport, 1996). Une tentative d'étude bibliographique antérieure sur Talleyrand a été faite : Czeslaw Nanke, " Na marginesie najnowszych monografij o Talleyrandzie " [Une note sur des publications récentes sur Talleyrand], Kwartalnik historyczny, 51 (1937), qui traite d'une partie des ouvrages jusqu'en 1930.
(2) Georges Lacour-Gayet, Talleyrand, 1754-1838 (Paris, 1928-1934). Nouvelle édition en 3 vol. chez Payot, en 1930, 1946, 1979 et encore en 1991, cette dernière avec une préface de François Furet.
(3) Il suffit de jeter un coup d'oeil sur l'article de Paul Schroeder, " Metternich Studies since 1925 ", Journal of Modern History, 33 (1962), pp. 237-266, pour se rendre compte de l'abîme qui sépare le genre de production érudite qu'un homme comme Metternich a généré par rapport à Talleyrand. Certes, l'impact de Metternich sur la politique en Europe après Napoléon a été bien plus grand et il y a beaucoup plus de sources primaires à partir desquelles l'historien peut travailler du fait qu'il a occupé sa fonction pendant un temps très long, mais il subsiste encore des lacunes flagrantes en ce qui concerne les études sur Talleyrand.
(4) Les exceptions sont Aulard et Sorel qui ont chacun écrit des articles sur lui et, bien sûr, Madelin qui lui a consacré un livre. Ni Soboul, Mathiez, Thiry ou Lefebvre n'ont daigné écrire sur son rôle pendant la Révolution et l'Empire.
(5) Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, 6, p. 340. Cf. Jean Tulard, " Talleyrand, prince des diplomates ou " diable boiteux " " ? L'Histoire 108 (1988), qui émet des doutes sur la crédibilité de Talleyrand comme diplomate ; voir aussi Edward A. Whitcomb, Napoleon's Diplomatic Service (Durham, N.C., 1979), pp. 129-132.
(6) Guglielmo Ferrero, Riconstruzione. Talleyrand a Vienna (1814-1815) (Milan, 1941), en est un exemple.
(7) On pourrait aussi ajouter le catalogue de l'exposition sur Talleyrand qui a eu lieu pendant les célébrations du bicentenaire de la Révolution, Talleyrand-Périgord, 1789-1799 (Madrid, 1989). Le texte, qui est de Poniatowski, accompagne une intéressante iconographie.
(8) Louis Madelin, " Les hommes de la Révolution. III. Talleyrand révolutionnaire ", Revue hebdomadaire, 6 (1928), pp. 183-209.
(9) Alfred Fabre-Luce (publié aussi sous le pseudonyme de Jacques Sindral), Talleyrand (Paris, 1926).
(10) Auguste-Félix-Charles de Beaupoil de Saint-Aulaire, Talleyrand (Paris, 1936).
(11) Whitcomb, Napoleon's Diplomatic Service, 132.
(12) Georges Pallain, Correspondance diplomatique de Talleyrand. Le ministère Talleyrand sous le Directoire (Paris, 1891) ; et Correspondance diplomatique de Talleyrand. La mission de Talleyrand à Londres en 1792 (Paris, 1887) ; Pierre Bertrand, Lettres inédites de Talleyrand à Napoléon, 1800-1809 (Paris, 1889). Ce dernier volume a été réédité en 1967 et de nouveau en 1989 (Éd. Jean de Bonnot). Cette maison a oublié de mentionner, toutefois, que c'était une réédition de l'ouvrage de Bertrand et, ce qui est impardonnable, en a omis l'introduction. De nombreuses dépêches diplomatiques écrites ou signées de la main de Talleyrand se trouvent dans des compilations variées, toutes publiées avant 1905. Cf. notre bibliographie pour plus de détails.
(13) Une bonne nouvelle concernant les archives du château de Sagan, anciennement en Silésie, nous est parvenue récemment. Pendant de nombreuses années, on a cru ces archives détruites ou enlevées par les forces soviétiques à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Elles ont apparemment refait surface et se trouveraient maintenant aux archives municipales de Zielona Góra, en Pologne.
(14) Maurice Schumann, " Talleyrand et l'Allemagne ", Annales du centre universitaire méditerranéen, 18 (1964-65), pp. 43-62. Cf. son article " Le Pondérateur de l'équilibre ou Talleyrand et sa politique ", dans Jacques de Lacretelle, et al. Talleyrand (Paris, 1964), pp. 243-277.
(15) Comte Joseph de Haussonville, " Le Congrès de Vienne, l'Empereur Alexandre et le Prince de Talleyrand. Le traité du 3 janvier 1815 ", Revue des Deux Mondes, 39 (1862), pp. 332-383. Haussonville a fondé sa discussion sur le Congrès de Vienne sur la correspondance inédite de Talleyrand et Louis XVIII. En substance, c'est une vue favorable du rôle de Talleyrand au Congrès qui contredit l'opinion que Thiers aurait grandement exagéré la manière dont Talleyrand aurait pu imposer sa volonté sur l'Europe à travers une alliance avec la Russie et la Prusse.
(16) Yves Guyot, " The Great Mistake of Talleyrand and Lord Castlereagh at the Vienna Congress ", Nineteenth Century, 78 (1915), pp. 52-57. Guyot a condamné Talleyrand pour sa position vis-à-vis des États du Rhin ; Paul Reynaud, " Talleyrand et le problème de la sécurité ", Revue hebdomadaire, 6 (1923), pp. 607-615 ; et 7 (1923), pp. 92-98. Reynaud, qui était député à la Chambre bleue après la Première guerre mondiale, écrivit cet article comme réponse à Herriot, un homme politique de gauche, qui avait établi un parallèle entre la politique de Talleyrand et la position de la France après la guerre à titre d'exemple de la façon de résoudre le " problème allemand " (autrement dit, Talleyrand/Herriot représentaient la tradition libérale tandis que Napoléon/Poincaré représentaient la voie de l'inflexibilité). Reynaud croyait que l'intervention de
Talleyrand à Vienne avait nui à la France ; Georges Grosjean : " L'erreur de 1815 ", Revue bleue politique et littéraire, 1 (1929), pp. 9-15 qui est du verbiage patriotique sur les soi-disant erreurs qu'aurait commises Talleyrand.
(17) Ce thème est relativement constant dans son livre Talleyrand (Paris, 1944).
(18) Traduit en français par René Lobstein, Talleyrand, homme d'État (Paris, 1935).
(19) Jeffrey Haight, " Talleyrand and History " (Université de Rochester, 1968), 241 : Tulard, " Talleyrand, prince des diplomates ".
(20) Dyssord est un pseudonyme pour Edouard-Jacques-Marie-Joseph Moreau de Bellaing.
(21) Réédité par Perrin en 1965.
(22) Poniatowski, Talleyrand et le Consulat, 438.
(23) C'est de cette façon que Paul Schroeder décrit l'activité du ministère dans " Napoleon's Foreign Policy ", Journal of Military History, 54 (1990), p. 156.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
409
Numéro de page :
5-27
Mois de publication :
sept.-oct.
Année de publication :
1996
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