L’industrie du coton

Auteur(s) : THÉPOT André
Partager
L’industrie du coton
Liévin Bauwens. (B.N. Cab. Est.).

« Depuis que le fabricant Bauwens a introduit d’Angleterre à Gand les mule-jennies, et depuis qu’aucun produit manufacturé anglais n’est plus autorisé à pénétrer en France, on voit maintenant la moitié de l’Empire français envahie par les fabriques de coton en nombre toujours croissant ».
En ces termes l’Allemand de Hambourg, Philippe André Nemnich caractérisait l’importance de l’industrie cotonnière de la France napoléonienne en 1809. En effet, ce n’est pas un des moindres paradoxes de l’économie française sous l’Empire que cet essor de l’industrie du coton au moment où les guerres et le Blocus rendaient si difficile l’importation des matières premières. Malgré les obstacles, le Blocus ne tarit cependant jamais entièrement l’approvisionnement en coton. Celui-ci parvenait difficilement d’Amérique, mais une certaine quantité arrivait cependant d’Orient à travers les Balkans et la Méditerranée orientale pour le plus grand profit des commerçants grecs.
De ce fait, l’industrie textile évita une famine complète du coton mais subit un ralentissement dans un développement, que l’élargissement des frontières et la suppression de la concurrence britannique auraient pu rendre considérable.

La modernisation

A l’avènement de l’Empereur, l’industrie cotonnière française était loin d’avoir atteint le niveau de l’industrie anglaise : retard technique et faiblesse du capital avaient concouru à cette infériorité. Alors que l’Angleterre avait adopté des métiers à tisser et à filer perfectionnés, les seules machines que connaissaient les Français furent les mule-jennies. D’autre part, la majorité des machines étaient encore actionnées par la traction animale ou l’énergie hydraulique : bien rares étaient les manufactures équipées comme en Alsace d’une machine à vapeur.
Comme il l’avait fait pour la laine, le gouvernement impérial chercha à encourager la diffusion des techniques nouvelles. Certes, Napoléon reprochait à cette activité industrielle de prendre sa matière première en dehors de la France et pour cette raison il fit plus d’efforts en faveur de la laine, du lin ou de la soie. On tenta bien d’acclimater le coton dans l’Empire, dans le Midi de la France et en Italie, mais les résultats furent médiocres. Jamais l’Empire ne put se suffire à lui-même ; il fallut donc se résigner à utiliser les fibres venues du Brésil, des Antilles et du Moyen-Orient.
Le gouvernement impérial, sous l’influence de Chaptal, chercha à favoriser le progrès technique.
Dès 1802, la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale organisa un concours pour la réalisation d’une machine à filer le coton susceptible d’égaler les techniques britanniques. Ce fut Bauwens qui remporta le prix. Pour favoriser la diffusion des innovations techniques, Napoléon commanda des assortiments de machines à Bauwens pour le Conservatoire des Arts et Métiers, pour l’Hospice de Lyon et pour Amiens. A son passage à Troyes, en l’an XIII, il accorda dix primes « pour la construction d’assortiments de machines à filer le coton ». En 1806, ce fut l’Ecole de Compiègne qui reçut un assortiment construit par Mollard et l’année suivante deux autres furent commandés au mécanicien Calla au profit des villes de Lyon et de Bourg ; le fabricant choisi comme bénéficiaire par ces municipalités devait entretenir les machines et former des élèves pris dans les hospices environnants.

Les barrières douanières

J.-B. Collin, Comte de Sussy, Directeur Général des Douanes (Musée de Versailles).Non moins favorable à l’industrie cotonnière fut la protection douanière dont elle bénéficia très tôt. En effet, dès la signature de la paix d’Amiens, les industriels du coton s’étaient aperçus du danger que constituait pour eux la concurrence anglaise. Aussi, dès la rupture de la paix réclament-ils des mesures contre les produits anglais. Le décret du 1er messidor an XI (20 juin 1803), qui interdisait toutes marchandises venant directement ou indirectement d’Angleterre, semblait combler tous leurs voeux. Et pourtant tous les industriels du coton ne s’estimaient pas satisfaits. Les filateurs déclaraient que la seule interdiction des toiles de coton anglaises n’empêchait pas l’entrée des produits anglais par l’intermédiaire des négociants neutres. Bien des tissus entraient en France après un séjour en Allemagne ou en Suisse : c’est ce que disait le fabricant de mousselines Caquet, de Tarare, qui écrivait : « Par son arrêté du 1er messidor, le gouvernement a défendu l’introduction des marchandises de fabrique anglaise. Pour l’intérêt public, je crois devoir vous prévenir que cet arrêté est sans effet. Les marchandises entrent toutes sous le nom de suisses, avec des certificats d’origine ». C’est pourquoi tous les produits de l’industrie cotonnière devaient être interdits, quelle que fut l’origine déclarée. Et dès le 26 messidor (5 juillet 1803) Bauwens écrit au ministre de l’Intérieur pour réclamer la prohibition : « Otons à l’ennemi le moyen de pomper notre or ; arrachons notre industrie à sa tutelle. Ce ne sera point un effort ; l’Espagne et l’Autriche prohibent toute étoffe de coton étrangère, en Prusse elles paient trente, en Russie quarante pour cent à l’entrée ». Il estime que les droits mis sur les cotonnades sont trop bas : « Que cet abus cesse, que le gouvernement prenne les moyens de notre industrie en considération et le grand coup est porté à l’Angleterre ». Les mémoires de filateurs français se multiplièrent. Et le ministère de l’Intérieur, cédant à leurs instances, fit signer par Bonaparte le 6 brumaire an XII (29 octobre 1803) un arrêté qui frappait les toiles de coton et mousselines étrangères d’un droit d’entrée « d’autant de sous par mètre carré qu’il y a de mètres au kilogramme ».

Mais il faut souligner qu’à l’intérieur de l’industrie cotonnière les intérêts des différents fabricants divergèrent très vite. Par exemple les fabricants de toiles peintes furent les premiers à protester contre la prohibition des fils et des tissus de coton, qui les empêchait de se procurer les tissus au meilleur compte et compromettait ainsi les exportations très importantes de cette branche d’industrie. De même l’industrie du tissage chercha à sauvegarder ses propres intérêts : elle approuva certes la prohibition des toiles étrangères, qui éloignait une concurrence dangereuse, mais fut beaucoup plus réticente en ce qui concernait les fils, surtout les plus fins que les Français avaient du mal à fournir. Par exemple, les fabricants de mousselines de Tarare firent une pétition réclamant la possibilité d’importer de nouveau de Suisse les fils fins dont ils avaient besoin.
Au contraire les filateurs, se disant capables de fournir tous les articles dont les autres fabricants avaient besoin, réclamaient une prohibition totale et multipliaient les pétitions au Conseil du Commerce. Et leurs plaintes ne diminuèrent pas lorsque le Ministère de l’Intérieur doubla le 18 septembre 1805 les droits pesant sur les toiles et mousselines. Elles redoublèrent même en 1806 à la faveur de la crise qui sévit alors : c’est ainsi que le 8 janvier les manufacturiers normands de la Seine-Inférieure et de l’Eure non seulement réclamèrent une prohibition complète des produits anglais mais en plus se firent fort de remplacer à eux seuls les trois cinquièmes des pièces de toiles que fournissait le commerce anglais. Les protestations n’allaient pas sans un certain chantage ; les fabricants de Tourcoing déclaraient qu’ils allaient être bientôt obligés d’abandonner leurs métiers et de mettre ainsi de nombreux ouvriers au chômage.

Devant une telle situation l’Empereur dut intervenir personnellement. Au début de février 1806 il fit venir les principaux fabricants d’articles de coton et constata les divergences profondes entre filateurs et fabricants d’indiennes, en particulier entre Oberkampf et Richard Lenoir. Celui-ci se vantant de pouvoir remplacer entièrement les Anglais dans la fourniture de toiles ; celui-là mettant en doute les capacités de production de la filature et du tissage français. De cette confrontation sortit le décret du 22 février 1806 qui tentait de contenter tout le monde et bien entendu fit beaucoup de mécontents.
Le décret prohibait d’abord l’importation des toiles de coton blanches et peintes ainsi que des mousselines – ce qui ne faisait que partiellement l’affaire des indienneurs privés de toiles bon marché. Sur les fils le décret imposa un droit de 7 francs par kilogramme, droit qui était prohibitif pour les fils grossiers (ce qui arrangeait les filateurs français), mais qui permettait cependant aux fabricants de mousselines, ceux de Tarare en particulier, de s’approvisionner en fils fins. Enfin, pour la plus grande fureur des filateurs, le coton brut fut frappé à l’entrée d’un droit de 60 francs par quintal. Il semble bien que cette dernière mesure ait été prise pour de simples raisons financières, l’Empereur voulant compenser ainsi les pertes ressenties par l’administration des douanes du fait de la prohibition des toiles. Sous cette législation les approvisionnements en coton se poursuivirent tant bien que mal, même après le décret de Berlin, en particulier grâce aux navires neutres, portugais et surtout américains. En 1807 les industriels français recevaient encore 126000 balles de coton ; sur ce chiffre, 40 000 provenaient du Brésil, 36 000 des Etats-Unis, 40000 du Levant et 10000 seulement de Naples et d’Espagne. Mais la situation allait être considérablement aggravée la même année par les Ordres en Conseil britanniques du 11 novembre 1807 et les mesures françaises du 23 novembre et du 17 décembre.

Désormais, parce que ses intérêts dépendaient du commerce maritime, l’industrie du coton se trouvait ne plus correspondre aux intérêts nationaux tels que les concevait l’Empereur. Dès le 6 septembre 1807 celui-ci déclarait en Conseil d’Administration des finances : « La France sera toujours obligée de tirer cette denrée de l’étranger, attendu que nos colonies actuelles ne nous en fournissent pas une valeur de deux millions. Les fabriques de coton et de toiles peintes se sont considérablement multipliées. Le succès de cette branche d’entreprise, loin de rendre moins sensible la défaveur que nous éprouvons dans la balance du commerce, tend encore à l’aggraver en ce qu’il a rendu l’usage et la consommation des tissus de coton plus considérable en les mettant à la portée de tout le monde ». Et l’Empereur se demandait en conclusion s’il ne serait pas utile de prendre des mesures pour restreindre la fabrication et la consommation au lieu de les étendre. Mais il faut reconnaître que tous les essais pour substituer une autre fibre au coton n’eurent aucun succès. Et de ce fait les cours du coton ne cessèrent de monter durant les années 1807 et 1808, alors que les importations régulières tombaient de 12 à 4 millions de kilos. Les fabricants en sont de plus en plus réduits au coton venu du Levant : coton de mauvaise qualité, aux fibres courtes, dont la livre coûte ce que coûte aux filateurs anglais un kilo de la plus belle qualité brésilienne. De nombreux établissements sont obligés de fermer leurs portes : un rapport du Préfet de police montre qu’entre le 1er mai et le 1er novembre 1808 le nombre de broches à filer en activité dans la région parisienne tombe de 133 448 à 88 066 et que le nombre des métiers à tisser se réduit de 2 090 à 1 344.
Le décret du 3 juillet, instaurant un système de licence apportera un soulagement à l’asphyxie progressive qui menaçait l’industrie du coton.

La vogue du coton

Oberkampf. (B.N. Cab. Est.).Malgré toutes ces difficultés, l’industrie du coton s’était maintenue grâce à l’extraordinaire engouement dont bénéficiaient ses tissus : nankins, basins, crépons et indiennes. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon raconte qu’il avait envisagé un moment de proscrire l’usage du coton en France pour mieux soutenir les batistes et les linons des villes de Flandres, mais que l’impératrice Joséphine s’était révoltée. « Elle avait poussé les hauts cris, il avait fallu y renoncer». Et dans son rapport à l’Exposition de 1806 Costaz déclarait au sujet de cette mode : « Les femmes ne s’habillent presqu’avec des étoffes dont cette matière est le principe, les hommes en consomment beaucoup pour les gilets, cravates et habillements du matin ; on s’en sert jour les rideaux de croisée et de lit : on en lait des couvertures, des bas, des bonnets, des mouchoirs, des chemises et des draps ».
Le succès avait été tel que partout des fabriques de coton s’étaient créées. Entre 1806 et 1808 surtout l’élan de création fut partout général : ainsi durant cette période 61 fabriques apparurent dans la région du Nord et le nombre des métiers passa de 4 600 à 5 231. La mode fut aussi responsable du développement de la bonneterie. Dans le Nord, la statistique de 1806 nous montre que le coton, qui représentait seulement le cinquième des matières premières utilisées dans la bonneterie en 1789, constituait les 7/8 de la fabrication en 1806.

A vrai dire l’industrie cotonnière avait progressé très inégalement suivant les secteurs. A la différence de l’Angleterre, où l’industrie moderne s’était développée dans la filature avant de descendre vers les stades plus élaborés, l’expansion commença en France d’abord par l’indiennage et le tissage avant d’atteindre la filature. Mais la Révolution avait beaucoup entravé la fabrication des indiennes par suite de la fermeture des marchés extérieurs: la production avait beaucoup baissé aussi bien à Paris qu’en Alsace. C’est ainsi qu’Oberkampf avait dû, jusqu’en 1801, verser à ses associés des indemnités pour compenser l’insuffisance des bénéfices. Mais avec le retour à la stabilité politique, le goût du luxe était réapparu. Grâce aux perfectionnements techniques (le blanchiment par le chlore, l’impression au moyen de rouleaux de cuivre), le prix des étoffes était devenu plus accessible et l’élargissement du marché continental avait permis de décupler les exportations françaises entre 1806 et 1810. Alors qu’Oberkampf n’avait gagné que 9 millions en 25 ans d’Ancien Régime, ses bénéfices nets dépassèrent sous l’Empire un demi-million par an au début, pour atteindre un million en 1804 puis 1 390 000 francs en 1805.
Pendant longtemps, l’indiennerie avait prospéré sans que les industries primaires se fussent développées en proportion : l’Alsace par exemple conserva entre 1806 et 1810 six à huit mille rouets pour assurer une partie de ses approvisionnements en fil ; en 1813 encore cette région ne fournissait que 22 % des toiles qui y étaient imprimées.
Seules les importations de toiles et de filés venaient suppléer à cette pénurie. Aussi le rétablissement de la prohibition en 1806 fut-il catastrophique : Oberkampf, qui imprimait 1 056 000 aunes en 1805, en réalisa à peine 560 000 en moyenne de 1806 à 1809. Dans ces conditions, la nécessité de s’approvisionner à tout prix fit rechercher partout les stocks existants, puis après l’épuisement de ceux-ci dans l’été 1809, pratiquer la contrebande ; mais à partir de l’hiver 1809-10 celle-ci fut de plus en plus difficile ; les fabriques d’indiennes végétèrent alors jusqu’à la fin de l’Empire.

Le tissage était sous l’Empire beaucoup plus dispersé. On le trouvait aussi bien à Paris qu’en Normandie, dans la région de Saint-Quentin ou d’Amiens que dans le Beaujolais. Et il faut bien reconnaître que le plus souvent le tissage n’était pas pratiqué en unités de production concentrée. Le tissage, sauf peut-être dans le Nord, était encore en grande partie une industrie rurale contrôlée par des négociants.
La filature fut peut-être le secteur qui progressa le plus sous l’Empire. Pourtant il ne faut pas en exagérer la modernité : à la fin de 1806 les filatures franco-belges ne disposaient que de 6 machines à vapeur. Les rendements des broches étaient bien loin d’atteindre ceux des manufactures anglaises. Un prisonnier civil anglais, Geffroy Hards, dans un rapport au ministre de l’Intérieur, fait un tableau assez sombre de l’industrie française : « On a établi des fabriques dans des locaux mal choisis. On fait travailler au bras la plupart des machines et, dans quelques endroits, comme une amélioration, on fait aller des machines par manège, le plus mauvais et le plus coûteux de tous les moteurs. Il y a des secousses à chaque instant, le mouvement n’est jamais régulier, jamais continu, la force nécessairement très bornée et les tambours et poulies hors de proportion. Je connais une fabrique par exemple où on a huit chevaux dont la nourriture à elle seule coûte, à trente sols par cheval, 3.744 francs par an. Cette fabrique n’a jamais fait 500 livres de fil par semaine et on file tout à la main».
Mais s’ils étaient en retard en ce qui concernait la motorisation de leurs installations, les filateurs français firent cependant de grands progrès dans l’élaboration de fils de plus en plus fins et de plus en plus solides : alors qu’en 1806 ils ne pouvaient fournir qu’un fil atteignant en finesse le numéro 60, à l’exposition de 1810 certains présentaient au jury des fils dont les numéros oscillaient entre 120 et 200. Et la production des filés mécaniques quadrupla entre 1806 et 1860. L’expansion en France de la filature mécanique sous l’Empire fut la première expérience de grande industrie capitaliste.

Les grands industriels cotonniers

Dans ce domaine, qui n’allait pas tarder à devenir le secteur de pointe de l’économie française, des personnalités remarquables se révélèrent sous l’Empire. Citons d’abord Liévin Bauwens (1769-1822) : ce fils de tanneur travailla d’abord à Gand dans la fabrique paternelle, puis dans la succursale installée à Paris dans le couvent des Bonshommes. Pour perfectionner ses fabrications, il fit plusieurs voyages en Angleterre dans le but de surprendre les secrets des tanneurs anglais. Il y découvrit en même temps la puissance de l’industrie cotonnière et introduisit en France les mule-jennies, les navettes volantes et les machines à imprimer. Ses installations de filature à Passy furent considérées comme des modèles : elles reçurent en 1810 la visite de l’Empereur qui décora sur le champs Bauwens en gage de satisfaction.

Oberkampf fut lui aussi une des illustrations du monde industriel impérial. Bavarois d’origine, il s’était installé en France dès avant la Révolution, pour fonder en 1760 à Jouy-en-Josas la première manufacture française de toiles peintes. Dans cet établissement, un prisonnier de guerre anglais, Robert Hendry, découvrit avec Widmer le moyen de remplacer la traditionnelle teinture « à la réserve » par l’emploi de rongeants qui enlevaient sur les tissus les couleurs qu’on y avait appliquées. L’établissement de Jouy prit progressivement de l’extension : en 1805, Oberkampf employait 1 322 personnes, imprimait 1 725 000 aunes de tissus et faisait des bénéfices dépassant 1 650 000 francs. L’établissement était alors à son apogée et Napoléon lui rendit visite le 20 juin 1806. Mais ensuite les difficultés étaient apparues : en septembre 1807, notre industriel avait acheté à Lisbonne 3 500 balles de coton dont il espérait tirer un grand bénéfice. Malheureusement pour lui, l’insurrection d’Espagne empêchant tout transport, ruina la spéculation. Pour éviter la catastrophe, Oberkampf dut solliciter un emprunt important. Ses affaires reprirent quelque peu à la faveur de la Paix de Vienne, mais en 1810 elles sombrèrent dans un marasme qui persista jusqu’à sa mort en 1815.

Mais le plus grand artisan de l’essor de l’industrie cotonnière sous l’Empire fut sans conteste François Richard Lenoir (1765-1839). Ce fils de paysans avait fait tous les métiers : il avait été successivement apprenti, garçon de café, marchand de toiles, courtier en bijoux, spéculateur en biens nationaux, avant d’ouvrir, avec Lenoir Dufresne, un magasin de draps dans la rue Montorgueil. Ses innovations commerciales (la vente à prix fixes avec possibilité de se faire rembourser) lui valurent un grand succès et en six mois les bénéfices avaient dépassé ses espérances. Au commerce il joignit alors la fabrication : il mit sur pied un tissage et une filature avec l’aide d’ouvriers anglais. Puis, les locaux devenant trop étroits, il transporta ses établissements dans l’ancien couvent du Bon Secours, rue de Charonne. Et petit à petit il augmenta l’importance de son entreprise. Des ateliers furent créés successivement à Alençon (1800), Séez (1802), Laigle (1806), puis à Mortange et Aunay près de Caen. En 1810, à la mort de son associé, Richard se trouvait à la tête d’un vaste empire industriel groupant 12 800 ouvriers. Mais la crise apparut en 1811 ; Richard Lenoir dut solliciter plusieurs fois l’aide du gouvernement. Ces prêts successifs atteignirent finalement la somme considérable de 1 500 000 francs. Richard avait en fait lié son destin à celui de l’Empire : à la tête d’une légion de la garde nationale il essaya d’organiser la résistance en 1814. La chute de l’Empire ouvrant le marché français aux produits anglais ruina ses établissements.
Le sort de Richard Lenoir fut un peu celui de toute l’industrie cotonnière : bien rares furent les manufacturiers qui purent résister sans dommage à la concurrence anglaise après 1815. Cependant l’effort poursuivi sous l’Empire ne fut pas vain ; l’industrie cotonnière reprit plus tard son essor pour devenir pendant presque tout le XIXe siècle la première industrie française.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
257
Numéro de page :
4-8
Mois de publication :
janvire
Année de publication :
1971
Année début :
1799
Année fin :
1815
Partager