Napoléon et le négoce

Auteur(s) : CONQUET André
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Après « Napoléon et l’Industrie » (janvier 1970), « Les Banquiers sous Napoléon » (juillet 1974), voici « Napoléon et le Négoce ».
Ainsi, la trilogie est-elle complète, nous nous réjouissons, pour notre part, que soit ainsi réparé un oubli trop fréquent.

C’est, en effet, une tradition gouvernementale bien établie depuis toujours que de se déclarer en faveur du commerce, autre chose d’en faire la démonstration ! Sous la monarchie, les rois n’y ont pas manqué. Louis XIV en décidant d’instituer auprès de lui un Conseil de Commerce, en 1700, affirme, par exemple, « qu’il a connu dans tous les temps de quelle importance il était au bien de l’Etat de favoriser et de protéger le Commerce de ses sujets » et que « voulant plus que jamais accorder une protection particulière au commerce, marquer l’estime qu’il fait des bons marchands et négociants de son Royaume », il a cru que « rien ne serait plus capable de produire cet effet que de former un Conseil de Commerce, etc. » (1). On trouverait chez ses successeurs des déclarations du même ordre.
Sous l’Empire, la tradition continue. A l’occasion de la première présentation du Code de Commerce au Corps Législatif, les députés entendront d’un des conseillers d’Etat (2), rapporteur, cette apologie enthousiaste : « Le commerce qui, par la distribution du travail, combat l’oisiveté corruptrice des moeurs, qui encourage l’industrie en fournissant les matières premières aux manufactures et en procurant la vente de leurs produits; qui fait prospérer l’agriculture, en activant la reproduction par la consommation; qui a créé la navigation par qui le monde s’est agrandi; qui a porté la civilisation dans toutes les parties du globe et lié l’une à l’autre toutes les nations de la terre… ». On retrouve ici tous les arguments habituels.
Et cependant, si l’Empereur était, en général, bien disposé pour les industriels, il était en défiance, on le sait, envers les financiers et surtout envers les commerçants. En cela, il était bien un homme du XVIIIe siècle, ayant étudié les théories des physiocrates. Peut-être aussi avait-il quelque peine, en jugeant en bloc les commerçants, à oublier les entrepreneurs et les fournisseurs des armées qu’il avait connus sous le Directoire. En retraçant l’histoire de la Restauration, après la tourmente révolutionnaire, des Chambres de Commerce sous le Consulat et l’Empire, nous voudrions montrer que Napoléon savait reconnaître le bien-fondé politique du projet qu’on lui présentait, sans abandonner pour autant dans l’intime de lui-même, ses réactions instinctives. Divers textes, cités ci-après, en donneront la preuve.
En acceptant les suggestions de Chaptal, en faveur du rétablissement des Chambres, l’Empereur a été, après Louis XIV, celui qui a le plus fait pour les compagnies consulaires françaises. Il a été un maillon déterminant dans la longue chaîne de leur histoire. Les cent-cinquante-deux Chambres de Commerce et d’Industrie, qui exercent aujourd’hui leur activité sur le territoire national, en sont bien conscientes.
Bien plus, on peut le dire, qu’en en établissant dans certains départements « annexés », en Allemagne et en
Italie en particulier, il est à l’origine de leur multiplication ultérieure dans ces mêmes pays, et du même coup, de la parenté qui existe au sein de la Communauté Européenne, entre les Chambres d’inspiration napoléonienne et… les autres!
Il nous a semblé que, dans ce numéro, consacré au Négoce, prendre comme exemple le rétablissement des Chambres de Commerce, était encore le meilleur moyen de montrer que l’Empereur reconnaissait politiquement l’intérêt de celles-ci et l’importance de celui-là pour l’économie du pays.

Rappel historique : les chambres de commerce sous l’Ancien Régime

Onze Chambres existaient à la fin de l’Ancien Régime. Marseille, la doyenne, dont l’origine remontait à 1599. Dunkerque avait été créée cent ans plus tard, en 1700, quelques mois avant que fut institué, par Arrêt du Conseil d’Etat, le 29 juin 1700, le Conseil du Commerce dont une des premières décisions allait être de demander au Roi la création de Chambres particulières de Commerce dans un certain nombre de « villes marchandes» du Royaume : à Bayonne, Bordeaux, La Rochelle et Rouen, quatre ports qui, s’ajoutant aux deux premiers, marquaient la volonté royale de favoriser le commerce maritime. A Lille, Lyon, Montpellier et Toulouse, quatre villes de l’intérieur. Leur création s’était échelonnée de 1702 (Lyon) à 1726 (Bayonne). La plus jeune Compagnie datait de 1761, celle d’Amiens, la première à avoir accepté des industriels « fabricants » en son sein; non sans mal, on s’en souvient peut-être.
Paris n’avait pas de Chambre de Commerce, mais une organisation représentative très puissante, les Six Corps, et de plus deux députés au Conseil du Commerce alors que les autres Chambres ne pouvaient en déléguer qu’un.
Les idées nouvelles faisant leur chemin, curieusement c’est de Picardie, la région de la dernière Chambre instituée, que vint la première alerte : le Conseil Général de la Somme demanda la suppression de la Chambre d’Amiens en 1790. La deuxième alerte fut le commencement de la fin. En votant la loi dite Le Chapelier, qui interdisait toutes associations, les Constituants estimèrent le 14 juin 1791, que «les corps administratifs établis dans les villes principales suffiraient à tout, pour le commerce, comme pour les autres classes de citoyens».
Des objections pertinentes furent opposées à ces vues simplistes.
Le Chapelier se laissa convaincre et finalement c’est sur sa proposition qu’on exclut les Chambres de Commerce des associations visées primitivement. Ce n’était, hélas ! qu’un répit. Le Comité de l’Agriculture et du Commerce déposait, en effet, sur le bureau de l’Assemblée, un nouveau rapport qui réclamait, cette fois-ci, la suppression pure et simple des Compagnies Consulaires, en des termes très précis : « L’existence des Chambres de Commerce blesse maintenant les principes de la Constitution qui a proscrit les Corporations. Il faut donc anéantir (3) ces administrations particulières pour les faire rentrer dans l’administration générale; d’ailleurs, tout le bien qu’elles pouvaient faire pourra s’opérer d’une manière plus efficace (!) par la faculté accordée à tous les citoyens, soit négociants ou autres, de se réunir en assemblées, en observant les formes constitutionnelles, pour délibérer et constater leurs voeux sur l’amélioration de quelques branches d’une industrie locale ou d’une utilité générale pour la France». C’était on ne peut plus clair ! On verra plus loin que Frochot mettra en avant des arguments identiques pour refuser, comme Préfet de Paris, la création d’une Chambre de Commerce dans la capitale, dont il sera plus tard, pourtant, le premier Président.
Dans ces conditions, les Chambres n’en avaient plus pour très longtemps. Effectivement, le 27 septembre 1791, à quelques jours de la dissolution de la Constituante, et au nom du Comité qualifié, le Citoyen Goudard, député du Tiers-Etat de la Sénéchaussée de Lyon, monta à la tribune, devant quelques députés qui ne pouvaient s’arracher aux charmes de la capitale (4) et, après quelques débats, obtint la suppression des Chambres. Mis en forme, le décret adopté comportait, en son article 1er, la formulation suivante : «Toutes les Chambres qui existent dans le Royaume sous quelques titres et dénominations, qu’elles aient été créées ou formées, sont supprimées à compter du présent décret ».
Pour la petite histoire, il faut savoir que l’honorable député du Tiers était un industriel lyonnais qui avait été porté à la Constituante par la confiance de ses cent cinquante voisins de quartier. Quelques mois après, devant le travail et la présence qui lui étaient demandés à Versailles et dans la capitale, il demanda à être relevé de ses fonctions, le 2 septembre 1789 très exactement. Ses compatriotes furent consultés et refusèrent d’accéder à sa demande. S’ils avaient accepté, le cours de notre histoire eût peut-être été changé !
Quant à Le Chapelier, il ne profita pas longtemps de sa jeune gloire. Il disparut très vite dans la tourmente et fut guillotiné le 22 avril 1794.

Pourquoi leur rétablissement sous le Consulat ?

Certes, il y a eu l’heureuse conjonction de situations politiques et conjoncturelles, et aussi de relations de personnes qui les a fait renaître. Le Premier Consul avait apprécié Chaptal dans les séances du Conseil d’Etat qu’il présidait. Il avait été frappé par son expérience de savant, de professeur célèbre, auteur de nombreux traités, d’industriel et de négociant : Chaptal était, en effet, tout cela à la fois ! Mais il était aussi ami d’enfance de Cambacérès, Montpelliérain comme lui. Lebrun avait été le secrétaire du Chancelier Maupeou dont il avait rédigé les ordonnances quand celui-ci avait voulu briser les Parlements et leurs privilèges. Le troisième Consul avait connu le rôle joué par les Chambres de Commerce de la fin du régime de Louis XVI, singulièrement dans les ports. On peut légitimement penser que Chaptal trouva chez les deux hommes des appuis.
Mais désireux d’entrer plus à fond dans les raisons qui ont poussé le Consulat, non seulement à rétablir nos Compagnies, là où elles existaient dans le Royaume avant 1791, mais encore à en créer d’autres, en fait onze, en d’autres villes et même dans les territoires conquis par les armées de la République, nous voudrions proposer encore deux sortes d’explications.

La première relève de cet incoercible besoin qu’avait l’Empereur de questionner, qui survivra d’ailleurs, à ses facultés mentales quand celles-ci s’épuiseront peu à peu dans l’étouffante captivité de Sainte-Hélène. On s’en rend parfaitement compte à la lecture des Mémoires de Gourgaud.
Or on sait que questionner est un moyen puissant de connaissance. Pour bien comprendre une question, pousser davantage un interlocuteur dans ses retranchements, pour clarifier une discussion, il faut questionner ! Les animateurs de réunion le savent bien, à qui l’on apprend le maniement des vieilles questions de Quintilien : Qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi ?
Les témoignages abondent sur cette passion « interrogatrice » de l’Empereur. Il avait la manie de demander « Combien de bateaux y a-t-il sur la rivière ? Combien de sacs de blé à la halle ? » Et toujours, il fallait lui dire un nombre certain. Les a-peu-près ne pouvaient pas le contenter. Or j’avais précisément le genre de mémoire le moins propre à lui donner cette satisfaction et la difficulté de répondre à ses questions précises me fit imaginer la confection d’un petit livret, avoue Pasquier, Préfet de Police ! » Et Chaptal de confirmer : «Il valait mieux mentir avec audace que de tarder à répondre. Je l’ai vu affecter une grande prédilection pour Regnaud de Saint-Jean-d’Angély parce que celui-ci répondait hardiment à toutes ses questions et n’aurait pas été embarrassé s’il lui avait demandé combien de millions de mouches se trouvaient en Europe, au mois d’août ».
Et j’imagine que, pour le jeune officier aux prises avec des problèmes qu’il ne connaissait pas: développement industriel, commerce extérieur, pratiques commerciales, rétablissement… des Chambres de Commerce, mentalités des négociants et des industriels – sur lesquelles il avait des idées préconçues – le meilleur moyen de s’y initier était de faire parler ceux qui les connaissaient. C’est ainsi qu’il « pompa» Chaptal et beaucoup d’autres et que, dans les nombreuses visites qu’il effectua, de 1801 à 1804, avec son ministre de l’Intérieur, il ne se privait pas de poser d’innombrables questions aux chefs de fabrique qu’il visitait au point de paraître extrêmement au fait des problèmes. Le récit suivant n’est certainement pas mensonger : Méchin, Préfet de Caen, connaissant son goût pour les détails, lui présenta les statistiques des dépenses, du revenu, du produit et du commerce dans le département. « C’est bon, dit l’Empereur, vous et moi ferons bien de l’esprit sur tout cela, demain au Conseil». Le lendemain, il étonna grandement les propriétaires du département par sa connaissance exacte du prix du cidre» (5).

La deuxième sorte d’explication, on peut la trouver dans l’ampleur du ministère de l’Intérieur que Chaptal avait en charge et qui lui donnait toutes les clés pour réussir son oeuvre de relèvement industriel et commercial. On lira en annexe 1 les attributions du ministère, qui étaient d’ailleurs celles de ses prédécesseurs depuis 1791: Roland de la Platière et François de Neufchâteau, entre autres. Chaptal était, de ce fait, le tuteur des communes de France, le chef des Préfets, l’ordonnateur des statistiques, l’initiateur des enquêtes départementales : tous moyens qui expliquent l’autorité avec laquelle il sut mener son oeuvre à bien et, par cette autorité et cette compétence acquises, continuer – quand il ne sera plus ministre, mais Sénateur et Président de la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale – à contrôler, épauler, susciter toutes les initiatives fécondes que l’on peut mettre à son actif. L’Empereur eut la sagesse de le laisser faire et de procéder par étapes, ainsi que nous allons le voir maintenant.
Sans doute, comprend-on mieux dès lors les raisons a priori peu évidentes qui ont été à la base du rétablissement de nos Chambres onze ans après leur suppression à la fin de septembre 1791.

Les étapes du rétablissement

Quand Chaptal entra au Conseil d’Etat, en 1800, il avait quarante-quatre ans. Par son brevet de nomination, il était chargé de l’Instruction Publique. Mais, Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, voulait garder ce portefeuille qui dépendait alors de son ministère (voir annexe I). Chaptal resta de ce fait simple ConseilIer d’Etat. Quand le Premier Consul se sépara de son frère en l’envoyant en Espagne, comme ambassadeur, le 7 novembre 1800, Chaptal fut nommé ministre de l’Intérieur par intérim, puis titulaire, en 1801, le 21 janvier. C’était pour lui un monde nouveau qu’il allait découvrir, et d’abord la personnalité du Premier Consul :
« Jeune encore, écrit-il dans ses Mémoires, et peu instruit dans les différentes parties de l’Administration. Il portait dans les discussions une clarté, une précision, une force de raison et une étendue de vues qui nous étonnaient. Plus jaloux de s’instruire que d’affecter un savoir que ses études militaires et son âge ne lui avaient pas permis d’acquérir, il demandait souvent la définition des mots, interrogeait sur ce qui existait avant son Gouvernement et après avoir solidement établi ses bases, il en déduisait des conséquences toujours favorables à l’état présent ». On saisit là, sur le vif, l’étonnement de l’homme mûr devant la révélation progressive – pour ainsi dire sous ses yeux – des qualités du jeune génie.
Au Conseil, Chaptal fut d’abord chargé de deux affaires très importantes : la préparation de la loi sur l’Administration Générale de la France. Il la rapporta devant le Corps Législatif avec le concours de Roederer. Elle nous régit encore dans ses grandes lignes. Le projet de loi sur l’instruction Publique par contre n’eut pas le même succès et ne rencontra pas l’agrément du Premier Consul qui avait d’autres idées sur l’Université.
Chimiste de talent, connu par ses Traités (6), administrateur de qualité, il avait fait ses preuves au Comité des Poudres quand il y avait été appelé par le Comité de Salut Publie ; industriel, enfin, avec ses usines de produits chimiques de La Paille, près de Montpellier dès 1782, des Ternes à Paris, depuis 1798, Chaptal avait une connaissance peu commune de la production industrielle, des marchés, des techniques commerciales, tout particulièrement de l’exportation dans le Bassin Méditerranéen. On conçoit qu’il ait eu à coeur dès que possible, de rétablir ces Compagnies Consulaires qu’il avait appréciées avant la tourmente révolutionnaire. Il avait certainement connu celle de Montpellier, celle de Toulouse, comme celle de Lyon. Elles dataient toutes des premières années du XVIIIe siècle. La description qu’il fera de l’activité de ces Chambres dans son Rapport aux Consuls est même le témoignage le plus précis du mode d’action de nos Compagnies sous l’Ancien Régime (voir annexe II).
Mais formé à l’expérience, désireux de s’assurer du bien-fondé de la décision qu’il allait proposer de prendre aux Consuls, Chaptal voulut procéder par étapes. Il commença par demander aux Préfets – dont il était le supérieur hiérarchique – d’instituer auprès d’eux des Conseils de Commerce (7). « Les Consuls connaissant tout l’intérêt que méritent le Commerce et les Manufactures désirent concourir efficacement à leur prospérité ». Il convient pour y parvenir de recueillir les connaissances locales et de s’aider des lumières de l’expérience, aussi convient-il d’établir dans les principales villes de commerce des conseils de commerce, composés de négociants et de manufacturiers les plus recommandables. « Vous m’adresserez, Citoyen Préfet, les noms de ces hommes utiles, vous me transmettrez leurs observations » (circulaire de floréal, an IX avril 1801).
L’arrêté qui suivit (14 prairial an IX – 3 juin 1801) était remarquablement laconique :
« Art. 2. – Le Conseil sera composé de négociants et de manufacturiers désignés par les Préfets et nommés par le ministre de l’Intérieur. Le nombre des membres du Conseil sera réglé par le ministre, sur la proposition du Préfet.
« Art. 3. – Le Conseil s’occupera de tout ce qui peut faire connaître l’état du commerce et des manufactures. Il correspondra directement avec le ministre de l’Intérieur ».

Tous les Mémoires qui parvinrent ainsi au ministre furent soumis à la discussion d’un Conseil Supérieur réuni par Chaptal, et où il invita également des représentants qualifiés des principales villes de commerce.
Les résultats de cette « expérience » s’étant révélés positifs, le ministre de l’Intérieur pouvait soumettre aux Conseils l’arrêté du 3 nivôse an XI. Il le fit précéder d’une sorte d’exposé des motifs, sous forme d’un Rapport aux Consuls, petit chef-d’oeuvre de clarté et de précision, un classique de la littérature consulaire. On le trouvera en annexe II. Mais il faut lire en entier, pensons-nous – et nous n’en avons pas souvent l’occasion – le texte de l’arrêté lui-même. Expédition en fut faite le 6 nivôse au ministre de l’Intérieur, chargé de l’exécution (c’est-à-dire Chaptal lui-même) et le 9 nivôse au Grand Juge, c’est-à-dire le ministre de la Justice. Ainsi se trouvait effacé le mauvais coup du 27 septembre 1791 !

Arrêté du 3 nivôse an XI

Extrait des Registres
des Délibérations des Consuls de la République
Les Consuls de la République
sur le rapport du ministre de l’Intérieur
Arrêtent :

Chapitre 1er
Formation des Chambres de Commerce

Art. 1er
Il sera établi des Chambres de Commerce dans les villes de Lyon, Rouen, Bordeaux, Marseille, Bruxelles, Anvers, Nantes, Dunkerque, Lille, Mayence, Nîmes, Avignon, Strasbourg, Turin, Montpellier, Genève, Bayonne, Toulouse, Tours, Carcassonne, Amiens, le Havre.
Art. 2
Les Chambres de Commerce seront composées de quinze commerçants dans les villes où la population excède 50 000 âmes et de neuf dans toutes celles où elle est au-dessous, indépendamment du Préfet qui en est membre-né et en a la présidence toutes les fois qu’il assiste aux séances.
Le Maire remplacera le Préfet dans les villes qui ne sont pas chefs-lieux de préfecture.
Art. 3
Nul ne pourra être reçu Membre de la Chambre de Commerce s’il n’a fait le commerce en personne au moins pendant dix ans.
Art. 4
Les fonctions attribuées aux Chambres de Commerce sont :
— de présenter des vues sur les moyens d’accroître la prospérité du commerce,
— de faire connaître au Gouvernement les causes qui en arrêtent les progrès,
— d’indiquer les ressources qu’on peut se procurer,
— de surveiller l’exécution des travaux publics relatifs au commerce, tels — par exemple – que le curage des ports, la navigation des rivières et l’exécution des lois et arrêtés concernent la contrebande.
Art. 5
Les Chambres de Commerce correspondent directement avec le ministre de l’Intérieur.
Art. 6
La première formation de chaque Chambre de Conmerce sera faite comme suit :
Les Préfets, et à leur défaut les Maires des villes qui ne sont pas chefs-lieux de préfecture, réuniront sous leur présidence de 40 à 60 commerçants des plus distingués de la ville qui procèderont par scrutin secret et à la pluralité absolue des suffrages à l’élection des membres qui doivent composer la Chambre.
Saint-Cloud, le 3 Nivôse, an XI
de la République une et indivisible
Art. 7
Les Membres de la Chambre seront renouvelés par tiers tous les ans ; les membres sortant pourront être réélus.
Pendant les deux premières années qui suivront la formation de la Chambre, le sort prononcera quels sont ceux qui doivent sortir.
Les remplacements se feront par la Chambre et à la pluralité absolue des suffrages. Art. 8
Toute nomination sera transmise au ministre de l’Intérieur pour recevoir son approbation.
Art. 9
Les Chambres présenteront au ministre de l’Intérieur l’état de leurs dépenses et proposeront les moyens de les acquitter.
Le ministre soumettra leurs demandes au Gouvernement.

Chapitre 2
Formation d’un Conseil Général du Commerce
Art. 10
Il y aura à Paris un Conseil Général du Commerce.
Ce Conseil sera établi près du ministre de l’Intérieur.
Art. 11
Les Membres du Conseil Général seront désignés par les Chambres de Commerce.
Chaque Chambre présentera deux sujets sur lesquels le Premier Consul en nommera quinze. Les quinze se réuniront à Paris une ou deux fois l’an.
Trois d’entre eux y seront toujours présents.
Nul ne pourra être élu s’il n’est en activité de commerce dans la ville qui fait la députation et si, au moment de sa nomination, il n’y est présent.
Art 12
Le ministre de l’Intérieur est chargé de l’exécution du présent arrêté.

Le Premier Consul
Signé : Bonaparte
Par le Premier Consul
Le Secrétaire d’Etat
Signé : Hugues B. Maret
Visa de Chaptal

Remarques sur l’arrêté de nivôse

1. On s’est peut-être rendu compte à la lecture, que La Rochelle qui possédait une Chambre de Commerce depuis 1719 ne figurait pas à l’article 1er. Est-ce en raison du marasme que connaissait le port à cette époque et qui durera ? « La survie des colonies et la continuation de la guerre portant un préjudice immense aux villes maritimes » déclare le Conseil général de la Charente Inférieure dans sa session de l’an XII. Est-ce en raison de l’opinion personnelle de Chaptal ou de l’avis que lui avait transmis le Préfet ? Toujours est-il que des représentants de La Rochelle firent valoir, auprès du ministre, l’ancienneté de leurs droits et qu’ils obtinrent, non seulement le rétablissement de leur Chambre, mais encore, car leur honneur avait été froissé, que ce rétablissement ne fit pas l’objet d’un arrêt spécial mais que La Rochelle fût réintégré dans la liste primitive du texte de nivôse. C’est pourquoi, sur la minute de l’arrêté, on peut lire un addendum qui indique que La Rochelle doit figurer sur la liste de l’article Ier. En fait, il fut nécessaire de prendre quand même un arrêté, mais l’honneur était sauf !

2. Sans doute a-t-on été frappé également de voir mentionnées sur cette même liste : Bruxelles, Anvers, Mayence, Turin, Genève. Du fait du « recul » de nos frontières jusqu’au Rhin, et de la reconnaissance par l’Autriche de la République Cisalpine, la France du Consulat comportait quelque 102 départements, tous administrés de la même manière. Bruxelles et Anvers eurent donc leur Chambre de Commerce. L’ancien Jacobin Jeanbon Saint-André, préfet de Mayence jusqu’à sa mort, présida la Chambre de cette ville. Et la situation fût la même à Genève, devenue française et à Turin en République Cisalpine annexée ! L’arrêt de nivôse a eu des conséquences imprévues… Nous en ressentons encore les effets, au sein de la Conférence Permanente des Chambres de Commerce et d’Industrie de la Communauté Européenne. Si le dialogue avec Allemands et Italiens est si simple, c’est que ces deux pays ont gardé pour leurs Chambres le statut napoléonien. Les Belges l’ont abandonné en 1874 pour adopter le statut en usage dans les pays anglo-saxons et scandinaves, c’est-à-dire un statut d’association privée. Quant aux Anglais, quand ils intégrèrent la Communauté des Six, ils se posèrent la question de savoir s’ils garderaient leur statut de droit privé ou adopteraient le nôtre. Ils optèrent pour le statu quo. Un journaliste d’un grand journal du soir de la capitale termina même l’enquête, qu’il avait menée en Europe sur ce point, par cette phrase qui voulait être drôle : « Il serait quand même contraire à la nature des choses qu’après avoir écrasé Napoléon à Waterloo, nous adoptions maintenant pour nos Chambres de Commerce un statut qui porte sa marque.-. ce qui serait implicitement reconnaître que c’est lui qui, maintenant, nous impose, au-delà de la tombe. sa volonté » (citation faite de mémoire…).

3. L’arrêté créait un Conseil Général du Commerce (8) pour respecter, semble-t-il, une tradition qui remontait à Louis XIV. Mais le Conseil du Commerce de celui-ci, auquel succéda un Bureau du Commerce, était très actif puisqu’il se réunissait avec un ordre toujours chargé, toutes les semaines (9).
Le Conseil de Bonaparte était de pure forme, puisque l’arrêté limitait son activité à une ou deux séances par an, et je ne sache pas qu’elles aient fait grand bruit ! Mais tel qu’il était constitué, il ne comprenait plus,
comme le vieux Conseil Royal, de représentants parisiens.

4. Le grand absent de l’arrêté de nivôse était, de fait, la ville (ou comme l’on disait) le Commerce de Paris, aussi convient-il de s’arrêter quelques instants sur cet inexplicable oubli.

Qui donc, à cette époque, était préfet de la Seine ? Un personnage que Louis Madelin décrit ainsi : « Un ancien notaire bourguignon, simple, bonhomme, probe, laborieux, très consciencieux, dispensé par ses qualités de toute servilité ». Nicolas Frochot, collaborateur de Mirabeau, avait été nommé par lui son exécuteur testamentaire. C’est, a écrit Sainte-Beuve, un des principaux titres que l’Empereur retint quand il fit de lui le titulaire de la première magistrature municipale de l’Empire. Il y accomplit, d’ailleurs, sans bruit une prodigieuse besogne.

Quand Chaptal lança l’enquête auprès des préfets qui devait aboutir à l’arrêté de nivôse, Frochot eut naturellement à répondre pour Paris. Son avis est à citer presqu’en entier et à rapprocher – comme nous le disions tout au début – des raisons exposées par Goudard pour demander la suppression des Chambres en 1791. A croire que l’honorable ami de Mirabeau n’avait abandonné aucune des idées et principes des Constituants !
« L’idée d’une réunion de négociants, s’occupant sans cesse des améliorations à réaliser pour le commerce, se présente d’abord sous l’aspect le plus favorable et semble devoir être accueillie à l’instant.
« Mais si l’on considère combien l’intérêt privé est aveugle et égoïste, on craindra que les Chambres de Commerce, composées d’une certaine classe de négociants, ne soient étrangères ou indifférentes pour tout ce qui ne sera pas de cette classe ; on craindra que des hommes uniquement occupés de négoce et ne regardant comme commerce que les actes faits par des marchands, ne sacrifient au bien être de cette classe de citoyens celui d’une autre classe non moins intéressante : les propriétaires agriculteurs. Enfin, on craindra que le commerce particulier d’une ville ou d’un département ne se trouve fréquemment en opposition avec le commerce d’une autre ville ou département et que ces intérêts locaux, présentés et soutenus avec chaleur par les différentes Chambres de Commerce ne produisent une lutte plus nuisible qu’utile au commerce lui-même.
« Mais aujourd’hui, sous un Gouvernement où sont appelées par représentation toutes les classes de la société, n’a-t-on pas dans le Tribunat, dans le Corps Législatif, dans le Conseil d’Etat, les meilleures de toutes les Chambres de Commerce puisqu’on y trouve une réunion d’hommes éclairés qui, voyant l’administration dans son système général comme dans ses rapports particuliers, peuvent maintenir un juste équilibre dans les diverses branches qui la composent.
« Dans tous les cas, si le Gouvernement se décidait à créer des Chambres de Commerce, il me semble que la mesure que vient de prendre le ministre en instituant un Conseil des Arts et du Commerce près de chaque préfecture (10) pourrait parfaitement remplir cette vue, au moins éviterait-on la complication des rouages, toujours fâcheuse en administration » (11).
On pourrait, avec ce texte, composer le parfait Petit Catéchisme des opposants aux Chambres de Commerce. Rien n’y manque ! Les intérêts d’une classe particulière ne vont-ils pas primer ceux des autres ? N’y aura-t-il pas rivalité des intérêts locaux au détriment de l’intérêt général ? Enfin, les Grands Corps de l’Etat ne sont-ils pas là pour définir les principes d’une saine politique ? Si, malgré toutes ces raisons, l’avis du préfet de la Seine n’est pas retenu, alors l’initiative de Chaptal de créer auprès de chaque préfecture des Conseils dont on peut maîtriser parfaitement la composition, est une solution de pis-aller !

Ce n’était donc pas l’enthousiasme du côté de Frochot. Et voilà que les Chambres sont rétablies pourtant sur tout le territoire de la République…
L’oubli fâcheux fait de Paris tient-il au fait que le Premier Consul avait retenu l’avis de son préfet ?
Ou avait-on pu penser qu’on ne pourrait reconduire pour la capitale – pour la défense des intérêts du négoce – un système inspiré de celui de l’Ancien Régime? Paris n’avait jamais eu de Chambre de Commerce, mais comme on l’a dit, une puissante organisation représentative, les Six Corps. Peut-être ! Mais il n’y avait plus de place, avec le mode de désignation envisagé pour les membres du Conseil général, pour des représentants parisiens.
C’est alors que le Président du Tribunal de Commerce, Vignon (12), prit sa plus belle plume pour démontrer – vigoureusement – l’erreur commise, en
s’adressant directement à Chaptal, dans une lettre courtoise mais ferme. Chaptal reconnu la valeur des arguments, les retint en totalité, en ajouta d’autres, dans l’avis qu’il transmit aux Consuls (13). C’est ainsi que, le 6 ventôse an XI (le 25 février 1803) la Chambre de Commerce de Paris fût créée.
Le Président, c’était la règle alors, était le Préfet, c’est-à-dire l’excellent Frochot qui dut, en lui-même, considérer qu’il se trouvait quand même dans une curieuse situation : présider une institution qu’il avait formellement déconseillée, et risquer de devoir présenter au Gouvernement les vues ou suggestions de négociants, avisés certes, mais incapables de percevoir l’intérêt général !…
Entre la lettre de Vignon et le rapport de Chaptal aux Consuls, il s’était écoulé 21 jours.

Le même jour, 6 ventôse an XI, était établie, par un arrêté analogue, une Chambre de Commerce à Saint-Malo. Dans l’arrêt du Conseil d’Etat de 1701 qui fixait les villes marchandes où devaient être établies des Chambres particulières de Commerce figuraient Nantes et Saint-Malo. Or, pendant tout l’Ancien Régime, Nantais et Malouins ne jugèrent pas opportuns d’obtempérer à l’invitation royale. Nantes se trouvait maintenant compris dans l’arrêté de nivôse avec tous les avantages que cela comportait. Les Malouins durent réfléchir assez vite et dépêchèrent sans tarder des avocats auprès de Chaptal qui leur donna satisfaction !

Par la suite, pendant la durée du régime impérial, d’autres Chambres furent instituées à :
– Orléans, arrêté du 7 floréal an XI (27 avril 1803) ;
– Nice, arrêté du 7 prairial an XI (27 mai 1803) ;
– Lorient, décret impérial du 30 septembre 1807 ;
– Dieppe, décret impérial du 7 février 1809 ;
– Metz, décret impérial du 19 mai 1815, pendant les Cent-Jours, sur le rapport de Carnot, ministre de l’Intérieur.

Le financement des chambres de commerce

 

L’article 9 du décret du 3 nivôse an XI – relatif au financement des Compagnies Consulaires – était singulièrement laconique. Il était ainsi rédigé :
« Les Chambres de Commerce présenteront au ministre de l’Intérieur l’état de leurs dépenses et proposeront les moyens de les acquitter.
« Le ministre de l’Intérieur soumettra leurs demandes au Gouvernement ».
Chaptal avait certainement en vue les modes de financement des Chambres de la Monarchie et les nombreux droits, singulièrement dans les Chambres portuaires, qui avaient été prévus à cette fin.
Rapidement, semble-t-il, le besoin se fit sentir d’une plus grande précision… C’est ainsi que le 23 septembre 1806 était pris un décret qui assimilait les dépenses des Chambres à celles des Bourses de Commerce. En voici le texte :
« Art. 1er. – Les dépenses relatives aux Chambres de Commerce seront assimilées à celles des Bourses de Commerce et acquittées comme elles, conformément à l’art. 4 de la loi du 28 ventôse an IX.
« Art. 2. – Les Chambres de Commerce auxquelles il a déjà été alloué, d’après notre autorisation, des revenus particuliers, continueront à en jouir comme par le passé.
« Art. 3. – Dans tous les cas, les dépenses des Chambres de Commerce seront réglées, chaque année. par notre ministre de l’Intérieur et il en sera rendu compte conformément aux dispositions prescrites par l’arrêté du 3 nivôse an XI ».
C’était une solution élégante trouvée par Chaptal.

La loi du 28 ventôse an XI (18 mars 1801) prévoyait en effet l’établissement de Bourses de Commerce. Elles pouvaient être créées par décret rendu sur la proposition du ministre de l’Intérieur qui avait préalablement recueilli les avis du Tribunal de Commerce, du Conseil Municipal et du Préfet.
L’article 4 de la loi précisait très clairement : « Les dépenses annuelles relatives à l’entretien et à la réparation des Bourses seront supportées par les banquiers, négociants et marchands ; en conséquence il pourra être levé une contribution proportionnelle sur le total de chaque patente de commerce de première et deuxième classes et sur celles d’agents de change et courtiers ».
Le principe du financement de nos Compagnies était ainsi trouvé ! Il nous régit encore, à quelques modalités près…
Ainsi s’explique le rapprochement opéré entre les Bourses et les Chambres. Dans la formule bien connue (!) qui figure sur les feuilles de patente et maintenant de taxe professionnelle : « … Contribution pour frais de Bourse et Chambre de Commerce… ».
Cette contribution a fait l’objet de nombreuses exégèses. De nombreux ressortissants savent ainsi où trouver ce que leur « coûte » leur Chambre de Commerce.
Beaucoup d’autres, oserait-on dire la majorité, seraient bien en peine de dire ce que recouvre cette formule sibylline. Mais combien en connaissent l’origine!

Les chambres consultatives de manufactures, fabriques, arts et métiers

Le nom de Chaptal est le plus généralement associé à celui du Premier Consul, quand il est parlé du rétablissement des Chambres de Commerce par l’arrêté du 3 nivôse an XI; on connaît beaucoup moins le rôle qu’il a joué dans la création de ces organismes nouveaux appelés Chambres consultatives de manufactures, fabriques, arts et métiers, dont pourtant nombre de Chambres de Commerce du XIXe siècle tirent leur origine. Il est temps de s’en expliquer.
Le ministre de l’Intérieur de Bonaparte connaissait trop, pour les avoir vécues- les difficultés, les contraintes des manufacturiers, des fabricants et des « artistes » – comme on disait alors – c’est-à-dire des artisans, pour ne pas essayer là aussi de remédier aux désordres de l’époque révolutionnaire. Cela faisait partie de ses soucis journaliers, au point qu’il a écrit dans ses Mémoires : « Pendant tout le temps qu’a duré mon ministère, je ne crois pas avoir passé une semaine sans aller visiter une fabrique ou un atelier ». Et dans son ouvrage, paru en 1809, il confiera encore : « S’il m’était permis de parler de moi, je dirais que j’ai vécu dans les ateliers et au milieu des artistes, pendant quarante ans ».
En bref, les organismes qui étaient prévus étaient consultatifs, ainsi que leur appellation le fait comprendre : leurs fonctions étaient de faire connaître les besoins et les moyens d’amélioration des manufactures, des fabriques et des arts et métiers. Ils sont cités, pour la première fois, dans une loi prise à l’initiative de Chaptal et soumis au Corps Législatif : c’est la Loi du 22 germinal an XI (12 avril 1803) qui était une loi de caractère nettement professionnel. Elle traitait dans son Titre 1er, des Chambres consultatives, mais abordait dans les titres suivants : la police des manufactures, fabriques et ateliers – des obligations entre les ouvriers et ceux qui les emploient, précisant les conditions de l’apprentissage – des marques et de leurs contrefaçons, enfin de la juridiction compétente pour les différends susceptibles de survenir entre ouvriers et patrons. L’exportation des produits français à l’étranger n’était pas oubliée puisque l’avis des Chambres consultatives pouvait être demandé à cette occasion.

Dans un second temps, un arrété dit 10 thermidor an XI (29 juillet 1803) organisait le fonctionnement des Chambres consultatives. Il ne faut pas oublier que cet arrêté s’appliquait également aux départements « annexés ». J’y ai vu faire allusion, encore récemment… en Belgique! La circulaire qui cette occasion Chaptal envoya aux Préfets est significative de l’esprit qu’il entendait qu’on donnât à l’application de cet arrêté. On y voit bien, en outre, comment les Chambres consultatives étaient prévues pour suppléer les Chambres de Commerce dans les petites localités et, de ce fait, les raisons pour lesquelles certaines de nos Chambres de Commerce en naîtront tout naturellement.

2e Division Ministère de l’Intérieur
Bureau des Arts et Manufactures
Envoi d’un arrêté relatif
à l’organisation des Chambres de manufactures, fabriques,
arts et métiers
Paris, le 12 Fructidor an XI
de la République Le ministre de l’Intérieur (30 avril 1803) au Préfet du département de ……..
Citoyen Préfet,
Le Gouvernement avait jeté dans la loi du 22 Germinal an XI le fondement d’une institution qui exercera la plus salutaire influence sur les progrès et la prospérité de notre industrie. Il vient d’y mettre le sceau, en déterminant par l’arrêté que je vous adresse l’organisation des Chambres consultatives de manufactures, fabriques, arts et métiers.
Composées de personnes recommandables par leurs lumières, leur expérience et bien au fait de la tenue des établissements industriels qui existent dans chaque localité, des manipulations et des procédés qui y sont en usage, de la nature des matières premières qu’ils emploient et des dieux qui les fournissent, des qualités qu’on recherche dans leurs produits et des débouchés qui en facilitent l’écoulement, les Chambres consultatives de manufactures rendront d’utiles et importants services. Elles sont appelées à faire connaître la situation et les besoins des fabriques, à indiquer les obstacles qui pourraient ralentir leurs travaux et les moyens de les écarter ; à proposer leurs vues sur les diverses améliorations qu’il paraîtra convenable de faire, sur les procédés nouveaux à adopter, sur les perfectionnements à introduire : leur sollicitude éclairée embrassera tout ce qui peut intéresser nos manufactures, tout ce qui est propre à les élever à un haut degré de perfection, à leur assurer la supériorité sur les fabriques étrangères ; leur devoir le plus cher sera d’attirer constamment sur elles l’attention, la bienveillance de l’autorité et elles la trouveront toujours disposée à prendre en considération leurs projets et leurs demandes.
Vous apprécierez, Citoyen Préfet, les avantages qu’une pareille institution doit procurer au département dont l’administration vous est confiée. Pour en faire jouir les villes manufacturières qu’il renferme, envoyez-moi l’état de celles que vous jugerez susceptibles de recevoir l’établissement d’une Chambre consultative. Je désire que cet état me parvienne avant le 1er Brumaire prochain, mon intention étant de provoquer, par un seul et même acte du Gouvernement, la création de toutes les Chambres de manufactures qu’il sera nécessaire de placer sur les divers points de la République.
Il serait utile, au moins quant à présent, de comprendre dans l’état que je vous demande les villes qui possèdent des Chambres de Commerce. Ces Chambres rempliront les fonctions attribuées aux Chambres de manufactures, conformément aux dispositions de l’article 4 de l’arrêté.
Je vous salue,
Chaptal

C’était bien signifier, au demeurant, que le Gouvernement, en rétablissant les Chambres de Commerce dans vingt-deux villes importantes de la République, entendait bien leur confier le soin de veiller à l’intérêt général de l’économie tout entière : commerce, sans doute, mais aussi industrie, tant il est vrai qu’il est difficile de les dissocier.
Chaptal demandait que les états préfectoraux lui parviennent avant le 1er brumaire prochain (23 octobre 1803). Il y eut sans doute quelque retard – le travail n’étant pas simple et nouveau pour les Préfets – car l’arrêté contenant le tableau des villes et bourgs où il sera établi des Chambres consultatives de manufactures, fabriques, arts et métiers ne parut que le 12 germinal an XII, c’est-à-dire le 2 avril 1804 (Moniteur du 1er floréal an XII). Nous l’avons reproduit en annexe IV (14) car nous pensons qu’il peut intéresser un certain nombre de personnes. En effet :
1. Certaines de ces Chambres consultatives sont devenues, par la suite, des Chambres de Commerce qui ont trouvé dans ces organismes des traditions et des archives (Moulins, Sedan, Rodez, Grenoble, Reims, Arras, etc.).
2. Dans certains départements, ce n’est pas la ville où avait été instituée la Chambre consultative qui a donné naissance à la Chambre de Commerce actuelle (ainsi dans l’Ain, Bourg a supplanté Nantua – dans le Jura, Lons-le-Saunier… Saint-Claude – dans la Manche, Cherbourg… Saint-Lô, etc.).
3. Cette liste, apparemment fastidieuse, permettrait à des chercheurs de reconstituer la France manufacturière et artisanale des premières années du XIe siècle.
4. Il pourrait être également intéressant de comparer les sièges des délégations actuelles de certaines Chambres de Commerce avec les villes de cette liste.

Opinions de Napoléon sur les industriels et les commerçants

Quand Chaptal donna volontairement sa démission à l’Empereur pour des raisons strictement… personnelles, en 1804, quelques mois avant le Sacre, il pouvait se féliciter d’avoir accompli au ministère de l’Intérieur une oeuvre considérable et par celle-ci le rétablissement des Chambres de Commerce.
Dans sa lettre de démission, il indiquait adroitement qu’il avait visé avant tout « la prospérité de nos arts et les progrès de notre industrie manufacturière », mais qu’il avait, du même coup, renoncé à des études qui lui étaient chères. En terminant, il suppliait l’Empereur de le rendre à ses premières occupations « aujourd’hui que par vos soins et par l’effet de votre constante sollicitude, tout est organisé dans l’administration ». C’était bien marquer que rien n’avait pu être fait sans l’accord du Chef de l’Etat.
Napoléon accusa réception de la lettre du 8 août 1804. Il nommait Chaptal Sénateur « dans ces fonctions éminentes, aujourd’hui, qui vous laisseront plus de temps à donner à vos travaux pour la prospérité de nos arts et les progrès de notre industrie manufacturière – (il reprenait les termes mêmes de la lettre) – vous continuerez à rendre d’utiles services à l’Etat et à moi ».
Quelques jours auparavant – le 27 juillet – dans une lettre datée de Pont-de-Briques, son PC près de Boulogne, il avertissait Cambacérès de son intention de nommer Champagny au ministère de l’Intérieur et il ajoutait – ce qui contredit l’opinion courante qu’il ne s’entendait pas avec Chaptal – : « Je n’ai rien à ajouter aux intentions que je vous ai communiquées avant mon départ, toutes en faveur de Chaptal. Je suis toujours disposé à faire tout ce qu’il peut désirer ».
Et de fait, il ne cessera, par la suite, de témoigner sa sollicitude à son ancien ministre de l’Intérieur qui sera à peine nommé Sénateur, élu Trésorier du Sénat, puis membre du Conseil du Commerce et des Manufactures. Ce Conseil composé de deux ministres (Intérieur et Affaires Etrangères) et du Directeur Général des Douanes ne comptait qu’une personne étrangère au Gouvernement : Chaptal. L’Empereur en présidait toutes les séances, tous les lundis, de une heure à six ou sept heures du soir !
En 1814, Chaptal sera envoyé à Lyon, en qualité de Commissaire extraordinaire, avec mission d’accélérer les levées de la conscription, l’équipement et l’armement des troupes, d’approvisionner la ville, d’organiser la Garde Nationale… Il a le maréchal Augereau sous ses ordres ! Ses qualités d’organisateur firent merveille : il réussit à nourrir la ville, à peu près cernée par les armées « alliées ». Quand il partit, il emporta « les regrets et les bénédictions des Lyonnais ». Pendant les Cent-Jours, Napoléon le rappellera auprès de lui. Il le nommera Directeur Général de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie, puis ministre d’Etat, quelques jours après – le 18 avril -, Pair de France, le 2 juin…
La tentation est donc grande de penser après cela que l’intimité de pensée entre l’Empereur et son ministre était telle – en ce qui concerne le Commerce et les Manufactures, et les Chambres de Commerce où se regroupaient les animateurs de ces deux secteurs vitaux de l’économie – que Napoléon partageait en tous points les idées de Chaptal!
Nous pensons qu’il convient d’être plus nuancé. Nous connaissons, en effet, les pensées de Chaptal, il a écrit suffisamment d’ouvrages pour que nous sachions à quoi nous en tenir à ce sujet.
Dans son dernier volume, publié en 1819, « De l’industrie française », il n’hésitait pas à affirmer résumant ainsi son expérience personnelle :
« L’action du Gouvernement doit se borner à faciliter les approvisionnements, à garantir la propriété, à ouvrir des débouchés aux produits fabriqués et à laisser la plus grande liberté à l’industrie. On peut se reposer sur le fabricant du soin de tout le reste… ».
Et plus loin, sur les monopoles et les régies d’Etat : « Le Gouvernement qui exploite pour son compte un genre quelconque d’industrie agit constamment contre ses intérêts et ceux de la Nation qui sont inséparables. Ses agents ne peuvent rivaliser d’économie avec les particuliers et les produits qu’ils livrent au commerce sont plus chers, sans être meilleurs ».
D’un autre côté, nous avons, sur l’opinion de l’Empereur à l’égard des Chambres de Commerce, au moins deux documents de première main (15).
Le premier a été visiblement inspiré à Champagny. le ministre qui avait succédé à Chaptal, ancien ambassadeur à Vienne et qui n’était ni savant, ni manufacturier. Il semble bien que, si Chaptal avait été encore là, jamais un tel document n’aurait vu le jour, au moins sous cette forme. On se souvient peut-être de l’histoire. En 1805, le ministre du Trésor, Barbé-Marbois, s’était laissé entraîner par d’habiles spéculateurs, dont le fameux Ouvrard, dans un projet d’importation de piastres… mexicaines. L’affaire avait mal tourné. Des bruits couraient, de plus en plus insinuants, sur un possible ébranlement de la Banque de France, obligée de faire face, du même coup, à des demandes de retraits importants. L’Empereur, dès son retour d’Austerlitz, convoqua les Régents, en révoqua certains et décida de donner un nouveau statut à la Banque, beaucoup moins libéral que le premier… Le vice-Président de la Chambre de Commerce de Paris, l’honorable Du Pont de Nemours, qui avait la plume et la parole faciles, publia immédiatement un libelle intitulé: « Sur la Banque de France, les causes de la crise qu’elle a éprouvée, les tristes effets qui en sont résultés et les moyens d’en prévenir le retour », – avec une théorie des Banques.
C’est, à vrai dire, un tiré à part du rapport fait sur le même sujet à la Chambre de Commerce de Paris. A peine imprimée, la brochure était sur le bureau de l’Empereur. La police de Fouché était bien faite. Napoléon chargea aussitôt Champagny d’intimer l’ordre à nos Compagnies de cesser ces pratiques. La circulaire du ministre est du 31 mars : je l’ai recopiée sur le registre des délibérations de la CCIP à la date du 9 avril de la même année. Le secrétaire de la Chambre de Commerce d’Orléans faisait le même et humiliant travail de copie, à peu près à la même date.
Elle est savoureuse, cette circulaire, à plus d’un titre. D’abord, parce que c’est le Président de la Chambre de Paris – Frochot – qui la reçoit. Or il est en même temps, on l’a vu, Préfet de la Seine. Ensuite, parce que l’Empereur pense visiblement que les Chambres n’ont pas à faire appel ainsi à l’opinion. Enfin, parce que, dans la pensée de Napoléon, les travaux des Chambres appartiennent en priorité à l’Administration…

La voici, à nouveau, dans son intégralité :

«A MM. les Membres des Chambres de Commerce,
« Sa Majesté l’Empereur me charge, Messieurs, de vous faire connaître qu’aucun écrit ou mémoire ne doit être imprimé, soit au nom collectif de la Chambre, soit au nom d’une Commission formée en son sein, sans son expresse autorisation.
« Les travaux des Chambres appartiennent à l’Administration. Ils ont atteint leur but lorsqu’ils lui sont soumis pour être appréciés par elle.
« C’est à l’autorité supérieure à juger des inconvénients et des avantages de leur publicité.
« La voix de l’impression, inutile en elle-même, est d’ailleurs la plus inconvenante pour faire parvenir à Sa Majesté des vues ou des représentations. Un mémoire imprimé par cela même qu’il est un appel à l’opinion n’en est plus un à l’autorité.
« Je vous invite à faire vôtres ces dispositions prescrites par Sa Majesté l’Empereur sur le registre de vos travaux et je vous renouvelle l’assurance de ma sincère estime… ».
La deuxième pièce est plus savoureuse encore. Elle a été dictée sous l’empire de la colère : on entend presque la respiration saccadée de l’Empereur en train de la fulminer. Le pauvre (!) Fouché avait cru bien faire de transmettre à Schoenbrunn les doléances des commerçants de Paris, suggérant que malgré le Blocus, on approvisionnât Paris en blé américain par les ports du Sud-Ouest… Les mots employés : le fatras, les bavardages d’économistes, les radotages de Du Pont de Nemours sont sans doute l’expression d’une pensée profonde, à ce titre bien intéressante de même que l’affirmation – en guise de conclusion – que quelques conversations avec des négociants capables valent mieux que des délibérés!
« J’ai reçu ce fatras que vous m’avez envoyé sur le commerce des blés et qui est tout à fait ridicule. C’est un bavardage d’économiste. Pour ce qui me regarde, je vous prie de ne pas m’envoyer de pareilles balivernes. Je n’ai pas besoin des radotages ni des leçons de M. Dupont de Nemours et de quelques négociants (Du Pont de Nemours avait alors 70 ans – Napoléon 39). Nous n’avons pas besoin des leçons des Chambres de Commerce. Des conversations avec quelques négociants instruits peuvent être utiles, mais les délibérés des Chambres sont toujours inutiles et ont de graves inconvénients.
« La Chambre de Commerce ne sait rien et ne bavarde que de préceptes. N’agitez pas l’esprit du commerce par de folles et intempestives discussions. Ils bavarderont beaucoup et ne diront rien que vaille : ils n’ont même pas les premières notions de la question ».
Signé : Napoléon.

La signature de ce billet incandescent devait être du même genre que celle que nous avons voulu reproduire.
En complément de ces appréciations flatteuses à l’égard de nos organisations représentatives, il y aurait lieu de faire état de ces affirmations sans nuances, relevées à plusieurs reprises par les intimes ou les confidents. On voudrait, ici, en faire seulement un petit florilège…
Chaptal, dans ses Mémoires, en cite quelques-unes : « Napoléon n’estimait pas les commerçants. Il disait que le commerce dessèche l’âme par une âpreté constante au gain et il ajoutait que le commerçant n’a ni foi… ni patrie ».
« Napoléon avait des idées un peu plus exactes de l’industrie manufacturière. Sous le rapport de l’utilité. il la plaçait immédiatement après l’industrie agricole. il disait souvent que le commerçant ne faisait que déplacer les objets mais que le manufacturier les mettait en oeuvre. Il ajoutait que le commerçant avec le secours d’un ou deux commis faisait un million de chiffre d’affaires et que le manufacturier nourrissait cinq à six cents familles en opérant avec une somme égale ».
« Les fournisseurs et les gens d’affaires sont le fléau d’une nation ». C’est sans doute cette gentillesse qui faisait dire à Pasquier, le Préfet de Police. que l’Empereur, en raison de l’état d’hostilité ou au moins de méfiance dans lequel il voulait toujours se placer à l’égard du commerce, s’obstinait à ne rien lui confier. Il était convaincu, en effet, qu’on ne pouvait éviter d’en être dupe et voulait, en conséquence, que toutes les opérations se fissent par voie de régie et par des agents de son Gouvernement (propos rapporté par M. Vox. op. cit.).
Sur la richesse, note Roederer, dans son Journal : « On ne peut faire un titre de la richesse : un riche est si souvent un fainéant sans mérite. Un riche négociant, même, ne l’est le plus souvent que par l’art de vendre plus cher ou de voler. Je ne veux pas prêcher la loi agraire, je veux même qu’il y ait des riches, car c’est l’unique moyen d’assurer l’existence des pauvres, mais je ne vois pas de titre à la considération dans la richesse ni à une distinction politique. Et, dans le temps présent, une telle distinction serait plus mal reçue encore que dans tout autre : la richesse est aujourd’hui le fruit du vol, de la rapine… ».
On pourrait enrichir le florilège, facilement. Mais il faut comprendre que Napoléon n’avait pas été formé à une meilleure compréhension du monde économique. Il avait la culture d’un homme du siècle des lumières où il n’était pas tellement bien porté d’être négociant ou… manufacturier. Il disait souvent que l’agriculture c’est « l’âme, la base première de l’Empire », comme Sully, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI! L’agriculture restait la principale activité économique et la propriété foncière la source essentielle de la richesse. Aussi n’est-il que plus surprenant que l’expérience du pouvoir. l’influence de certains de ses ministres lui aient fait prendre progressivement une autre vue des choses.
Il lui arrivait parfois d’avouer sincèrement son étonnement. En visite, un jour, au Havre avec Chaptal, il ordonna une réunion de négociants. Elle fut passionnante car on y discuta des plus grands intérêts du commerce. Un des intervenants (16) éclaira toutes les questions mises en discussion par la profondeur de ses vues. L’Empereur, m’avoua en sortant de l’assemblée, rapporte Chaptal, que « c’était la première fois qu’on l’avait convaincu que le commerce était une science » ! (Mes souvenirs sur Napoléon p. 373).
C’est donc le même homme qui eut souvent dans sa carrière ces jugements à l’emporte-pièces, sur l’industrie et le commerce. qui prit à coeur le développement de l’économie de son Empire, dans les conditions difficiles que l’on sait.
Tous les historiens l’ont noté. C’est Madelin qui remarque que lorsque la Paix d’Amiens fut rompue. les projets économiques de l’Empereur durent être revus. La guerre dans laquelle on entrait à nouveau n’allait pas sans avantages pour l’industrie qu’elle affranchissait d’une dangereuse concurrence. en même temps qu’elle lui ouvrait de plus en plus le continent. Et l’on assiste à une prodigieuse expansion : filatures de laine et de coton se multiplient, de Mulhouse à Roubaix. A Lyon, où les métiers s’étaient ralentis. pour 3 500 en exercice en 1800, 10 720 seront en mouvement huit ans après. Pendant la crise de 1806, l’Empereur pour éviter le chômage ordonne qu’on fasse sur le Trésor de larges avances aux industriels…

Un signe de la vitalité de l’industrie française sous l’Empire, c’est le succès tout nouveau de ces Expositions de produits industriels en des lieux prestigieux de la Capitale. « Inventées » par François de Neufchateau, elles seront reprises par Chaptal dans la Cour du Louvre en 1801 avec 229 exposants : les Consuls croisent le Sénat. les Grands Corps. En 1802, le succès est encore plus grand avec 540 stands où la foule se presse pour admirer les verriers de Saint-Gobain, les meubles de Jacob. les bronzes (le Thomyre, les porcelaines de Sèvres, les soieries de Lyon… Les crayons de Conté qui en vend pour plus de 4 000 francs par jour, la coutellerie de Thiers, les montres et horloges de Besançon ! La dernière exposition se tiendra en 1806 avec 1 422 producteurs venus des 104 départements d’alors, mais cette fois-ci crevant les Invalides. Pour les avoir lus et les avoir fait photocopier. je puis dire que les trois catalogues (les expositions (le 1801. 1802 et 1806 sont d’une lecture passionnante et permettent de « reconstituer » ce qu’était l’industrie française du début du XIXe siècle.
C’est encore l’Empereur qui soutient vigoureusement l’initiative de Chaptal, quand celui-ci créa la « Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale » en 1801. Il y souscrivit le premier par une généreuse contribution entraînant à sa suite Cambacérès, Lebrun, Laplace, Sieyès ; plus tard, en 1804, Murat, Gaudin, Portalis, Cuvier, Du Pont de Nemours, les banquiers Delessert, Récamier, des célébrités comme Oberkampf et bien d’autres. Cette Société encourageait les inventeurs astucieux, mettait au concours des machines ou des produits manufacturés dont notre économie avait besoin.
Elle se révéla un instrument de progrès efficace (17).
Et c’est toujours l’Empereur – friand de gestes spectaculaires – qui pour honorer les industriels hors du commun, aimait à épingler sur leur poitrine sa propre Croix de la Légion d’honneur : Oberkampf et Delessert, pour son pain de sucre, furent ainsi honorés. Le succès de l’exposition de 1806, dont on vient de parler, lui suggéra qu’il fut publié dans le Moniteur à côté du bulletin de victoire d’Iéna…

Annexe I : Attributions du ministre de l’Intérieur en l’an VIII

Le ministre de l’Intérieur est chargé de la correspondance avec les Préfets, de la surveillance administrative; du maintien des lois relatives aux Assemblées cantonales et électorales; du personnel, des nominations, suspensions et destitutions des préfectures, sous-préfectures et communes; de la comptabilité des départements et communes; des prisons, maisons d’arrêt, de justice et de réclusion ; des hôpitaux civils, des dépôts de mendicité, des établissements destinés aux sourds-muets et aux aveugles; des secours publics, établissements de bienfaisance; de la confection et l’entretien des routes, ports marchands, ponts, canaux et autres travaux publics; des mines, minières et carrières; de la navigation intérieure, du flottage, du halage; de l’agriculture, des sèchements et défrichements, du commerce, de l’industrie, des arts, des fabriques, des manufactures, des aciéries; des primes et encouragements; de l’instruction publique, des musées; des fêtes publiques; des poids et mesures ; de la formation des tableaux de population, d’économie politique et de statistiques; des produits territoriaux, des produits des pêches maritimes et de la balance du commerce; des sociétés savantes, des dépôts littéraires et des archives.
Extrait du Chapitre IX du Cérémonial de l’Empire Français, par L.I.P.**** à Paris, à la Librairie Economique, rue de la Harpe n° 117, ancien Collège d’Harcourt MDCCCV.
Annexe II : République française

Liberté
Egalité

Etablissement des Chambres de Commerce et formation d’un Conseil Général de Commerce
Paris, le 3 Nivôse an II de la République une et indivisible

RAPPORT
présenté aux Consuls de la République
par le ministre de l’Intérieur

Citoyens Consuls,
L’action du Gouvernement sur le commerce ne peut être éclairée que par l’exposé fidèle de l’état et des besoins du commerce sur chaque point de la République.
Mais comme tous ces besoins sont de tous les moments, comme tous les événements politiques et l’application des grands règlements d’administration en matière de douanes et de travaux publics agissent directement sur le commerce, comme les actes diplomatiques opèrent plus ou moins sur les localités : il est indispensable pour le Gouvernement d’avoir sur chaque place de quelque importance une réunion d’hommes éclairés qui lui transmettent à chaque instant leur opinion et leurs vues pour tout ce qui peut influer sur la prospérité du commerce.
C’est dans ces vues qu’à la fin du XVIIe siècle, il fut établi des Chambres de Commerce dans les principales villes de France.
Ces Chambres de Commerce furent créées surtout pour recueillir et faire parvenir au Gouvernement les besoins et les demandes du commerce. Elles furent même, dans plusieurs villes, investies d’une portion de l’administration : on leur assigna des fonds pour subvenir à leurs dépenses ; on organisa à Paris un Conseil de Commerce où se préparaient les projets d’édits et de règlements qu’on proposait au Conseil du Roi.
Ces institutions étaient sages; elles étaient populaires et conservatrices de tout ce qui peut intéresser la prospérité du commerce. La Révolution les a détruites et, avec elles, ont disparu cette surveillance de chaque jour, ces leçons de l’expérience, ces conseils donnés pour l’intérêt de chacun et les moyens féconds d’amélioration qui naissent de la reconnaissance des besoins et des ressources de chaque localité.
Un autre avantage résultant de cette institution était l’effet moral qu’elle produisait sur l’esprit des commerçants eux-mêmes : ils pouvaient se livrer à des projets d’amélioration alors qu’ils savaient que leurs idées seraient écoutées et discutées : ils pouvaient se plaindre des vexations et de tous les règlements contraires au bien du commerce, alors qu’ils avaient espoir d’être protégés et de faire rapporter toutes mesures désastreuses.
A peine le commerce a-t-il recommencé (sic) ses opérations qu’il a exprimé le désir de voir rétablir ses chambres. J’ai senti moi-même la nécessité d’organiser dans ces principales villes un centre de correspondance. Je n’ai espéré pouvoir parvenir à connaître l’état, les besoins et les ressources des places de commerce qu’en consultant ceux des négociants qui peuvent fournir les renseignements les plus sûrs.
Mais ces renseignements ne pouvaient pas n’être fournis par un seul: car, trop souvent, l’intérêt particulier trompe sur l’intérêt général ; et, plus souvent encore, l’individu qu’on consulte est-il tenté de proposer, comme généralement avantageuse, une mesure ou une direction qui ne tend qu’à favoriser des spéculations particulières.
J’ai donc invité les Préfets à réunir auprès d’eux, sous la dénomination de Conseil de Commerce, les négociants les plus instruits et, successivement, je leur ai soumis, pour avoir leur avis, toutes les grandes questions qui intéressent le comerce. Ces conseils ont successivement discuté le projet de loi fondamentale sur les fabriques, le Code du Commerce, la grande question des privilèges des douanes des traités de paix. Il est peu d’objets sur lesquels je n’ai fixé successivement l’attention des conseils et j’avoue que je n’ai eu qu’à m’applaudir de cette utile institution.
Tous les Mémoires qui me sont parvenus de ces Conseils ont été soumis à la discussion du Conseil Supérieur, établi auprès de moi, dans le sein duquel j’ai successivement appelé des Députés des principales villes de commerce et le résultat de ces délibérations a été mis sous les yeux des Consuls.
L’expérience de nos jours a donc prouvé que ces réunions de commerçants étaient très avantageuses. Aujourd’hui l’opinion du commerce se prononce de toutes parts pour que le Gouvernement perfectionne cette institution et je vais avoir l’honneur de vous soumettre ce que l’expérience, mon opinion et le voeu public présentent de plus utile en ce genre.
Salut et respect,
Signé : Chaptal.

Annexe Ill : 2e division du ministère de l’Intérieur

Bureau du Commerce

Etablissement d’une Chambre de Commerce à Paris
le 6 ventôse an XI de la République (25 février 1803)

RAPPORT
au Gouvernement de la République

Citoyens Consuls,
Votre arrêté du 3 Nivôse dernier qui établit des Chambres de Commerce dans vingt-deux villes manufacturières ou commerçantes de la République n’a point compris Paris au nombre de celles auxquelles le Gouvernement a jugé convenable d’accorder cette faveur.
Cependant, sous le double rapport de l’industrie commerciale
ou manufacturière, Paris occupe sans contredit le premier rang entre toutes les autres communes de la République : cette ville, par le grand nombre de capitalistes qu’elle renferme, par l’immense majorité de ses consommateurs, est nécessairement le centre auquel se rattachent presque toutes les spéculations commerciales. Elle seule, dans toute la France, possède un nombre infini de fabriques et manufactures qui font vivre plus de la moitié de la population. Comme place de commerce, elle fixe le change de la France avec l’étranger et par sa position topographique dans l’intérieur de la République, elle peut participer à toute espèce de commerce en devenant, ainsi qu’elle l’a fait, pendant tout le cours de la Révolution, l’intermédiaire nécessaire entre les départements méridionaux et septentrionaux et l’entrepôt respectif des productions agricoles ou industrielles de ces diverses contrées.
Depuis plus de douze années, Paris est sans administration de commerce, sans point de contact entre les différentes classes de négociants et de fabricants qui s’y trouvent. L’impossibilité de se réunir, de s’entendre pour présenter au Gouvernement le résultat de l’expérience et des lumières a souvent été un obstacle à la répression de certains abus qui se sont introduits dans quelques parties du Commerce. L’institution d’une Chambre de Commerce devient donc nécessaire à l’administration elle-même pour connaître les vues d’amélioration méditées par ceux que leurs connaissances personnelles mettent plus à portée d’en discuter et approfondir les motifs et les conséquences.
Paris possédait d’ailleurs autrefois l’équivalent de cette institution dans l’organisation des Six Corps qui, alors, se trouvait réunie aux attributions du Prévôt des Marchands et du Bureau de ville, et représentait les intérêts du commerce, toutes les fois que son concours était jugé nécessaire. Mais une considération plus importante encore en faveur de la demande que forme le Commerce de Paris par l’organe de ses principaux membres et par celui de son Tribunal de Commerce, se trouvent dans les changements opérés depuis la Révolution. De nouveaux genres d’industrie ont fait à Paris des progrès rapides, et ont donné lieu à des établissements riches et importants, soit dans son enceinte, soit dans ses environs. Le commerce n’a donc plus pour objet seulement de fournir à la consommation ordinaire de cette grande ville, faute encore qu’il alimente de matières premières les nombreux ateliers qu’elle renferme. Ce nouvel ordre de choses, qui est si utile d’encourager, donne à Paris les caractères et, par conséquent, les besoins des villes où il a été établi des Chambres de Commerce, telles que Nîmes, Amiens et Bruxelles, quoique sous tous les rapports ces dernières villes présentent bien moins d’importance que celle de Paris.
Tous les motifs se réunissent donc en faveur de la demande d’une Chambre de Commerce pour la Ville de Paris et j’ai, en conséquence, l’honneur, Citoyens Consuls, de vous proposer d’en établir une. Tel est l’objet du projet d’arrêté ci-joint que je soumets à votre approbation.
Salut et respect, Signé : Chaptal.

Annexe IV : Arrêté du 12 Germinal an XII

(2 avril 1804)
contenant
le tableau des villes et bourgs où il sera établi
des Chambres consultatives de manufactures, fabriques,
arts et métiers
(Bulletin 359 n° 3755 – Mon. du 1er Floréal an XII)

Art. 1er
Il sera établi des Chambres consultatives de manufactures, fabriques, arts et métiers dans les villes et bourgs désignés au tableau qui est joint au présent arrêté.
Art. 2
Elles seront organisées conformément aux dispositions de l’arrêté du 10 Thermidor an XI.
Tableau des villes et bourgs
dans lesquels il sera établi des Chambres consultatives
de manufactures, fabriques, arts et métiers
Ain (Nantua) ; Aisne (Saint-Quentin) ; Allier (Moulins) ; Ardèche (Annonay) ; Ardennes (Givet, Sedan, Rethel, Charleville (18), Mézières) ; Ariège (Foix) ; Aube (Troyes) ; Aude (Limoux, Chalabre) ; Aveyron (Rodès, Saint-Geniez, Saint-Affrique, Milhau) ; Bouches-du-Rhône (Tarascon, Aix) ; Calvados (Caen, Bayeux, Lisieux, Vire) ; Charente (Angoulême) ; Côtes du Nord (Loudéac, Quintin, Moncontour, Uzel) ; Creuse (Aubusson) ; Drôme (Valence, Romans, Montélimart, Crest) ; Doubs (Besançon) ; Eure (Louviers, Bernay, Pont-Audemer, Evreux) ; Eure-et-Loir (Nogentle-Rotrou) ; Finistère (Morlaix) ; Gard (Sommières, Saint-Hippolyte, Le Vigan) ; Golo (Bastia) ; Hérault (Bédarieux, Lodève, Clermont, Ganges) ; Ille-et-Vilaine (Rennes) ; Indre (Châteauroux, Issoudun); Isère (Grenoble, Vienne, Voyron); Jura (SaintClaude) ; Loir-et-Cher (Romorantin, Saint-Aignan) ; Loire (SaintEtienne, Roanne, Saint-Chamond) ; Haute-Loire (Le Puy, Issengeaux) ; Lot (Cahors, Moutauban) ; Lot-et-Garonne (Agen, Tonneins, Nérac) ; Lozère (Mende, Marvejols, La Canourgue) ; Maineet-Loire (Angers, Cholet, Saumur) ; Manche (Saint-Lô) ; Marne (Reims, Chalons, Suippe) ; Mayenne (Latal, Mayenne) ; Meurthe (Nancy) ; Meuse (Bar-sur-Ornain) ; Moselle (Metz) ; Nièvre (Nevers, La Charité, Cosne) ; Nord (Valenciennes, Tourcoing, Roubaix) ; Oise (Beauvais) ; Orne (Alençon, Laigle, Vimoutiers, Tinchebray) ; Pas-de-Calais (Arras, Saint-Omer) ; Puy-de-Dôme (Thiers, Ambert) ; Basses-Pyrénées (Pau, Nay, Orthès, Oloron) ; Hautes-Pyrénées (Tarbes, Bagnères); Bas-Rhin (Haguenau) ; Haut-Rhin (Mulhouse, Sainte-Marie-aux-Mines) ; Rhône (Tarare) ; Sarthe (Le Mans) ; Seine Inférieure (Elbeuf, Yvetot, Bolbec) ; Deux-Sèvres (Niort, Saint-Maixent) ; Somme (Abbeville) ; Tarn (Castres, Albi) ; Var (Draguignan, Brignolle) ; Vaucluse (Orange) ; Vienne (Poitiers) ; Haute-Vienne (Limoges) ; Vosges (Epinal, Mirecourt, Saint-Dié) ; Yonne (Sens).

Art. 3
Le ministre de l’Intérieur est chargé de l’exécution du présent arrêté.

Annexe V

Tableau des Chambres consultatives
établies dans les départements annexés
– En Belgique :
Département Villes
DYLE Louvain, Tirlemont, Nivelles ESCAUT Saint-Nicolas
JEMMAPES Mons, Tournai LYS Courtrai, Ypres
MEUSE INFERIEURE Maestricht, Venlo DEUX NETHES Hasselt, Vaels
Malines, Turnhout
OURTE Huy, Liège, Verviers
Malmidy, Eupen
SAMBRE et MEUSE Namur
– En Allemagne :
ROER Aix la Chapelle, Borcette
Storberg, Creveld
SARRE Trèves
– En Italie :
PO Carmagnole, Chieri
(Piémont)
Ciaveno, Pignerol (Piémont) SESIA Bielle (au n. d’Ivréa)

Notes

(1) Arrest du Conseil d'Etat du Roy, portant establissement du Conseil de Commerce du 29 juin 1700.
(2) J.F. Begouën, dont il sera parlé plus loin.
(3) On ne disait pas encore « liquider », qu'on emploiera seulement beaucoup plus tard.
(4) Les membres de l'Assemblée Constituante ne pouvaient pas être réélus.
(5) Cf. le livre passionnant de Maximilien Vox, un des personnages les plus attachants de notre temps. Il a particulièrement bien rendu, dans son petit livre sur Napoléon, les mécanismes singuliers de sa mémoire, de ses méthodes de travail et le profit qu'il aurait tiré de tous nos appareils d'enregistrement et d'émission. (Maximilien Vox - Napoléon - Edition du Seuil - 1959).
(6) Les trois volumes des Eléments de Chimie - (1790), le Traité des Salpêtres, l'Essai sur le Perfectionnement des Arts Chimique (1800), qui faisaient autorité et étaient traduits dans plusieurs langues.
(7) Officiellement des Conseils d'Agriculture Arts et Commerce.
(8) APCCI-Audin-Lyon. Cf. ci-dessous l'article sur Dominique Audibert, membre du Conseil Général du Commerce.
(9) Cf. André Conquet. Si les Chambres de Commerce m'étaient contées... - Tome II, pp. 9 et suivantes.
(10) C'est l'arrêté du 14 prairial an IX (3 juin 1801).
(11) Archives Nationales AFIV 1012. Texte communiqué par D. Suriano, archiviste de la C.C.I.P.
(12) Les Tribunaux de Commerce n'avaient pas été supprimés comme les Chambres de Commerce en 1791.
(13) Cf. annexe III.
(14) En soulignant toutes les villes où une Chambre de Commerce a été instituée par la suite et en mettant à part les Chambres consultatives des départements « annexés ».
(15) André Conquet. Cités dans Si les Chambres de Commerce m'étaient contées...- Tome I, pp. 24, 25. AP.CCI. Audin, Lyon.
(16) J.P. Begouën, Président du Tribunal de Commerce, puis Président de la Chambre de Commerce du Havre dont il sera parlé plus loin.
(17) La Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale, présidée par Chaptal de 1801 jusqu'en 1832... existe encore. Elle a son siège devant Saint-Germain-des-Prés, 44, rue de Rennes.
(18) Charleville et Mézières seront réunis pour la formation d'une seule et même chambre consultative.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
310
Numéro de page :
2-16
Mois de publication :
mars
Année de publication :
1980
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