DESAIX, Louis-Charles-Antoine, (1768-1800), général

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DESAIX, Louis-Charles-Antoine, (1768-1800), général
Portrait de Louis-Charles-Antoine Desaix par André Dutertre
© CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris

Parmi les soixante généraux d’origine noble ayant servi dans les armées de la Révolution, Desaix tient le deuxième rang, juste après Bonaparte, pour ses qualités de commandant en chef.

« Il est rare et difficile de réunir toutes les qualités nécessaires à un grand général. Desaix possédait à un degré supérieur cet équilibre précieux entre l’esprit ou le talent et le caractère ou le courage » (Napoléon).
Malgré son ancienneté dans le grade de général de division, malgré son droit d’aînesse par l’âge et quoiqu’il fut général en chef, Louis-Charles-Antoine Desaix accepta avec ferveur et gratitude de devenir le second du général Bonaparte commandant en chef de l’armée d’Angleterre, convertie en armée d’Orient le 5 mars 1798. Pendant deux années, il fut le délégué à pleins pouvoirs du général en chef pour la Haute-Égypte. Et quand il reprit pied sur le sol de France, à Toulon, ce fut pour courir au combat auprès de « son général » jusqu’à contribuer par une charge héroïque à la victoire de Marengo, où il tomba mortellement blessé d’une balle au coeur le 14 juin 1800.
Plus proche par l’esprit de Vauvenargues et de Vigny que des maréchaux de l’Empire qu’il valut en art militaire, le général Desaix eut le rare privilège d’être l’ami de Bonaparte qui lui témoigna par écrit ses sentiments « avec une amitié que mon coeur, aujourd’hui connaissant trop profondément les hommes, n’a pour personne ». Seuls, par la suite, les généraux Duroc et Drouot deviendront les amis de l’Empereur.
Desaix s’était voué au chef qu’il admirait comme les chevaliers du Moyen-Age sacrifiaient tout à leur seigneur par idéal de conscience. Ce fut en Égypte de 1798 à 1800, qu’ils exercèrent ensemble leurs remarquables talents et que Desaix réalisa le rêve de sa vie.
D’une taille plutôt grande à l’époque, avec son abondante chevelure noire, sa moustache touffue qui cachait des cicatrices de blessures de guerre, ses grands yeux gris, Desaix avait l’air triste, mais ferme et bon. Sa vie fut d’une pièce, d’un fil tout aussi net que celui de son épée. Le devoir et le travail, telle fut sa droite ligne; se dévouer au service de la patrie, telle fut son ambition. Aucune ombre de cupidité, d’orgueil, de violence n’a terni sa figure militaire.
Louis-Charles-Antoine Desaix naquit au château de Saint-Hilaire à Ayat-sur-Sioule, le 17 août 1768, dans une noble et ancienne famille de tradition chrétienne et royaliste, originaire de Combrailles, connue depuis 1287 et dont les armoiries du XVe siècle portaient « d’argent à la bande de gueules chargée de trois coquilles d’or ». Du foyer qui abrita sa naissance, il ne subsiste que la terrasse et le jardin.
En 1474, son ancêtre paternel Jean des Ayes était écuyer, seigneur des Ayes, petit domaine sur la commune de Teilhet en Combrailles; puis par le mariage, en 1623, d’Annet des Ayes avec Silvaine de Brosson, la lignée reçut le fief de Veygoux, situé dans la paroisse de Charbonnières-les-Varennes (près de Volvic). Le manoir de Veygoux fut vendu en 1830, transformé en ferme, revendu et de nouveau transformé de telle sorte qu’il a perdu son visage d’antan. Le site reste charmant: un cirque, un ruisseau, des blocs de granit et de larges prairies à l’orient; ce fut le cadre de l’enfance du général Desaix.
Son grand-père Sylvain modifia l’orthographe du nom de « des Ayes » en « des Aix ». Son père Gilbert-Antoine, chevalier, seigneur de Veygoux épousa le 16 septembre 1758, sa cousine Amable de Beaufranchet, dont le frère Jacques de Beaufranchet, major général à Beauvaisis-infanterie avait été tué à Rosbach en 1757 après avoir épousé en 1755 Marie-Louise O’Murphy de Boisfailly, fille naturelle du roi Louis XV.

Napoléon a créé barons d’Empire cinq frères, cousins germains et neveu du Général Desaix, bien qu’aucun n’ait dépassé le grade de capitaine.

Il a tenu à ce que le souvenir de leur illustre parent figure dans les armoiries concédées par les Lettres patentes de 1808 et 1812, qui sont toutes écartelées de la même façon:
au I, d’argent à la bande de gueules, chargée de trois coquilles d’argent, qui provient de l’ancien blason de la famille des Aix, dont cependant les coquilles étaient d’or;
au II, de gueules, à l’épée haute montée d’argent et posée en pal, qui est le franc-quartier des barons militaires, à cette différence près que la lame de l’épée est de sable (noire) et non pas d’argent;
Au IV, d’azur, aux trois pyramides d’or, rangées en fasce, celle du milieu brochant sur les deux autres, et soutenues d’une terrasse de même.
Le III est laissée à discrétion pour différencier les diverses branches de la famille. On a représenté ici le quartier de Casimir-Marie (1801-1880) frère du général et de Annet-Gilbert-Antoine (1772-1815) son cousin-germain, qui est d’azur à deux quintefeuilles d’argent soutenus d’un croissant de même. Louis-Amable (1773-1835) autre frère du général et Louis-Jean (1790-1845), son neveu, portent: d’argent au lion rampant de gueules. Enfin, Gilbert-Antoine (1761-1833), autre cousin germain, a adopté: de gueules à la tour d’argent, soutenue de deux bâtons de même, croisés en sautoir.

Ses parents eurent quatre fils et une fille : Amable (1759-1801) qui s’allia à Marie-Thérèse de Neuville de l’Arboulerie (1770-1824), Gaspard (1761-1764), Françoise (1764-1816) qui épousa François Beker (1770-1840), général de division en 1806, comte de l’Empire en 1807 et investi du redoutable honneur en 1815 d’accompagner l’empereur Napoléon de Malmaison à l’île d’Aix, Louis-Charles-Antoine, et Louis-Amable (1773-1835) marié à Marie-Anne-Adélaïde Farjon des Charmes.
La famille était pauvre et vivait du maigre revenu de quelques terres. A sept ans Louis-Charles-Antoine entra comme pensionnaire boursier à l’École royale militaire d’Effiat, où son frère aîné l’avait précédé. Les Oratoriens de Riom y dispensaient une éducation virile à des fils de nobles, de gens de robe et de rôturiers: de longues courses à travers la campagne par tous les temps afin de fortifier le corps et pendant les haltes les leçons données par les maîtres pour cultiver l’esprit, des études en salle pour la lecture, pas de congé en cours d’année scolaire, des vêtements les mêmes pour tous en gros drap du pays et de solides principes pour se bien conduire. Louis-Charles-Antoine se distingua par sa vive intelligence et sa mémoire exceptionnelle, spécialement en histoire et en géographie. Il rêvait de servir dans la Royale et de découvrir le monde.
En 1783 alors qu’il avait quinze ans, son père mourut ; son frère était devenu officier à Beauvaisis-infanterie. Il fut affecté le 18 octobre, comme troisième sous-lieutenant en pied, sans appointement, à Bretagne-infanterie, dont le colonel était le comte de Crillon. Selon l’usage de l’époque, afin de se distinguer de son frère, il opta pour le nom de chevalier de Veygoux, et signa désormais Desaix de Veygoux.

Le 8 juillet 1784, le sous-lieutenant reçut un traitement alors qu’il était en garnison à Grenoble, d’où son régiment fut transféré à Briançon. A l’automne 1789, il obtint un congé de six mois pour revoir sa famille ; il avait 21 ans. On sait que pendant cette période d’initiation au métier des armes, il lut beaucoup, marquant d’un ex-libris les livres qu’il achetait pour constituer une bibliothèque. Par ailleurs il fut sollicité d’entrer dans la Franc-Maçonnerie mais refusa, témoignant ainsi de son indépendance de caractère.
En mars 1790, il quitta l’Auvergne et rejoignit le Bretagne-infanterie à Huningue. Après un bref séjour à Lucerne, il prit le commandement de la 6e compagnie du deuxième bataillon. Son régiment avait été créé en 1664 sous le vocable de Mazarin-français; il perdit son appellation de Bretagne-infanterie pour celle de 46e, qui par la suite fut honoré de compter dans ses rangs le fameux grenadier La Tour d’Auvergne. Alors que le deuxième bataillon était déplacé vers Strasbourg, le colonel Mathieu Dumas l’y choisit comme aide de camp.
Promu lieutenant le 24 novembre 1791, il passa quelques jours dans sa famille qui le complimenta de son épaulette d’or; mais sa mère et sa soeur lui reprochèrent de ne pas émigrer comme ses deux frères engagés dans l’armée des princes, puis dans celle de Condé (où ils servirent jusqu’en 1801). Il leur répondit d’une phrase « Je ne veux pas servir contre mon pays » et il alla prêter serment de fidélité à la Nation devant la municipalité de Clermont où il exerça quelques semaines les fonctions d’adjoint au commissaire des Guerres.
Revenu à Strasbourg, après avoir quitté l’Auvergne qu’il ne reverra plus, il fut promu capitaine le 23 mai 1792 et appelé comme aide de camp par le général Victor de Broglie, chef d’état-major de l’armée du Rhin.
Le 3 août 1792, il reçoit le baptême de feu et se fait remarquer devant Landau en capturant un prisonnier alors que l’armée se replie. Fervent de l’ordre, de la discipline, se portant à l’avant-garde, il écrit à sa soeur qui fut sa meilleure amie: « Un soldat sert son pays, il n’affiche pas ses opinions ». Néanmoins pour s’être solidarisé avec son chef qui a protesté contre la suspension du Roi, il est arrêté sur ordre des commissaires du peuple et emprisonné à Epinal pendant quarante-six jours.

Le comité révolutionnaire du district en profite pour faire procéder à la vente de ses meubles à Riom en prétextant qu’il est émigré. Desaix écrit au président: « Voudriez-vous que lorsqu’après avoir versé mon sang pour la république, lorsque couvert de blessures et d’infirmités, je viendrai au milieu de mes compatriotes jouir du repos, je ne puisse pas trouver un endroit pour reposer ma tête. Je serai donc réduit à venir vous demander la subsistance que vous m’auriez enlevée lorsque je perdais mes membres pour conserver les vôtres… Je m’en rapporte à votre justice. Des Aix de Veygoux, capitaine au 46e à Worms le 13 janvier 1793 ».
Le 25 octobre 1792, il avait été libéré sur ordre du ministre Carnot qui cherchait de bons officiers pour encadrer la levée en masse des citoyens. Nommé adjudant général par les représentants du peuple, il combat devant Lauterbourg (20 août 1793) où une balle lui traverse les joues ; sans pouvoir parler il continue du geste à commander son bataillon. Le lendemain toujours au combat, il est nommé général de brigade avec port de l’écharpe bleue. En septembre-octobre, à l’avant-garde, il chasse les Autrichiens par une vigoureuse contre-attaque dans la forêt de Bienwald. Nommé général de division le 20 octobre, il est suspendu le 13 novembre comme frère d’émigrés. Les commissaires venus pour l’arrêter en sont empêchés par les baïonnettes de ses soldats. Saint-Just, représentant en mission, le rétablit dans son grade. Le 2 décembre, au combat de Bertsheim il est blessé au talon et son cheval tué par un boulet. Le 27 décembre il s’empare de Lauterbourg, puis de Spire et s’arrête à Mannheim.

En novembre 1793, le curé constitutionnel de Charbonnières ayant dénoncé les siens comme parents d’émigrés, sa mère et sa soeur sont écrouées à Riom ; leur incarcération durera un an.
Dans une lettre à sa soeur il témoigne de sentiments fraternels, et filiaux envers sa mère, qui révèlent sa sensibilité et son grand coeur: « L’hiver approche et la campagne ne finit pas. Elle est bien dure… Je commande l’avant-garde… J’espère qu’avec un zèle sans borne et de la bravoure la fortune me sourira. Si la victoire me favorisait, j’en déposerais les couronnes entre les mains de maman… J’aime bien savoir ce qui t’arrive… Je désirerais apprendre que tu es gaie et contente… Tu sais que nous sommes destinés à passer notre vie ensemble. Une jeune épouse n’aurait peut-être pas pour ma mère tous les égards qu’exigent sa vertu et ses malheurs ».
Il paraît certain qu’à cette date il songeait à se marier. Son sentiment le portait vers Marguerite Le Normant; cette petite-fille de Louis XV était sa cousine par alliance; elle était la fille d’un second mariage de Marie-Louise O’Murphy de Boisfally avec François Nicolas Le Normant, seigneur de la Gravière. Elle avait le même âge que Louis-Antoine. Ils s’étaient connus dans leur enfance au château d’Ayat chez les Beaufranchet. Louis-Charles-Antoine lui écrira souvent de longues lettres d’ami fidèle.

Toute l’année 1794, Desaix se bat si bien qu’il est confirmé dans son grade de général de division le 2 septembre, à l’âge de 26 ans.

Il partage la vie et l’ordinaire du soldat, il visite les bivouacs de jour et de nuit: « Ce sont nos enfants » disait-il.
S’il est aimé de ses hommes qui, par les armes, ont montré qu’ils tenaient à le garder pour chef, son exemple et ses capacités militaires sont tels que les généraux en chef Pichegru, puis Moreau sollicitent son avis sur la stratégie à adopter. Sa prudence de montagnard et le contrôle de soi lui évitent d’accepter à trois reprises le commandement de l’armée du Rhin… qui avait conduit successivement dix généraux à la guillotine. Toutefois ses responsabilités sont lourdes, il commande cinq divisions en Haute-Alsace et est chargé de signer le 25 décembre 1795, un armistice avec le général Clairfayt.
En janvier 1796, il devient commandant en chef par intérim en l’absence de Moreau et le 24 juin, il s’empare de Kehl par une traversée du Rhin jugée impossible; il emporte les victoires de Radstadt et d’Ettlingen et sait maintenir en alerte pendant plusieurs mois les troupes de l’archiduc Charles qui ne peut ainsi intervenir sur le front d’Italie.
Son existence de soldat au combat l’aurait amené naturellement à chercher quelque repos auprès des femmes et notamment une compatriote vivant en Alsace dont il a été écrit qu’elle fut sa maîtresse et lui donna une fille, Marie-Rosine. Toutefois des inexactitudes flagrantes dans l’acte de naissance du 16 mars 1797 à Poussay (Vosges) conduisent à douter de cette supposition. En effet, la nommée Amélie Ferrériout entretenait alors plusieurs liaisons et semble avoir eu l’outrecuidance de déclarer le père de l’enfant sous plusieurs noms afin de compromettre celui qui était alors commandant de l’armée du Rhin.
Un argument essentiel s’oppose à cette interprétation. Dans la lettre du 11 juillet 1800 à Madame Desaix, Savary, aide de camp et homme de confiance de Desaix, a écrit: « La veille de sa mort il me dit: « Si je venais à mourir à la guerre, vous feriez deux parts égales de ma fortune: l’une pour ma soeur, l’autre pour ma mère. Que rien ne vous fasse changer cette disposition, vous manqueriez à ma mémoire » ». Quand on sait le sens de l’honneur et du devoir qui l’animait, on ne peut douter qu’il eût laissé quelque chose à Marie-Rosine si elle avait été sa fille.
Le 20 avril 1797 alors qu’il porte l’uniforme de commandant en chef, – bleu marine aux parements à feuilles de chêne d’or avec écharpe blanche -, il repasse le Rhin à Diersheim où il est blessé à la cuisse en chargeant à son habitude à la tête de ses troupes.

A Strasbourg sa convalescence dure trois mois. Afin de se remettre complètement il entreprend d’aller en Italie saluer Bonaparte dont la renommée l’attire et l’enthousiasme. Et comme il souhaite toujours apprendre, il prépare un circuit de plusieurs semaines afin de découvrir ce qui l’intéresse: Bâle, Lucerne, le Saint-Gothard, Lugano, Côme, Milan, Mantoue, Padoue, Trévise, Pordenone, Venise. Modestement vêtu en civil, accompagné de son aide de camp Rey et d’un domestique, il part le 19 juillet comme un voyageur ordinaire.
Dans son Journal, il décrit les torrents alpestres, la vallée du Tessin, le lac Majeur; il remarque en homme de la campagne les essences d’arbres, la qualité des prés, les espèces d’animaux de ferme, les modes de culture…; il donne sur les habitants des pays traversés des impressions vives, agrémentées de descriptions imagées: « Dans le Milanais les femmes sont coiffées de grands mouchoirs sur la tête, à Crémone elles portent des corsets lacés des deux côtés et assez largement ouvert par le haut…, les Italiens ne tiennent pas à la bonne chère autant que nous…, à Padoue le vin est mal préparé… ».
Devant les monuments, sa culture artistique lui permet de faire des commentaires historiques et techniques et l’on est étonné de ce qu’il a visité partout où il avait prévu une halte, des musées aux églises, des palais aux bibliothèques, des fontaines aux théâtres. Il fustige à l’occasion certains généraux qui se livrent au pillage, ce qui heurte son honnêteté.
Reçu par les chefs de nombreuses unités il se souviendra de ses contacts lorsqu’il lui faudra constituer le corps expéditionnaire d’Egypte. Il rencontre des personnalités civiles et de nombreux généraux.
Son Journal révèle l’homme droit, intransigeant sur l’honneur de l’officier, l’amateur éclairé d’oeuvres d’art, l’amoureux des beaux paysages, le connaisseur de l’Histoire, et aussi l’homme équilibré qui apprécie une bonne table, une auberge accueillante, les jolies femmes et qui sait profiter d’un voyage de convalescence pour se cultiver sans cesse.
A Venise, il a son premier contact avec la mer qui l’avait toujours attiré sans la connaître. De là, il gagne le quartier – général de l’armée d’Italie et à Passeriano, dans la maison d’été du doge Manin, il voit pour la première fois le général Bonaparte le 27 août 1797. La sympathie est spontanée et réciproque, l’entente immédiate. Il écrit : « J’ai enfin rencontré un grand homme… Vous ne pouvez avoir une idée de son caractère, de son esprit, de son génie. Je suis enchanté de l’avoir vu ».
Le vainqueur d’Italie est l’homme illustre selon Plutarque, que Desaix recherchait. Bonaparte est également séduit par sa politesse de gentilhomme, sa délicatesse de sentiments, son érudition, ses connaissances militaires et ses campagnes de guerre. Ils ont presque le même âge, ils appartiennent au même milieu; l’Auvergne et la Corse sont des provinces rudes aux traditions solides. Leurs familles sont chrétiennes et sans fortune. Voués dès leur enfance au service du Roi, ils se sont tous deux engagés dans la carrière des armes et ont reçu des leçons semblables à Brienne et à Effiat. L’un et l’autre ont l’amour de la patrie et de la gloire.
A Sainte-Hélène, Napoléon dictera ces lignes : « Nous nous serions toujours entendus par conformité d’éducation et de principes. Son talent était de tous les instants. Il avait le courage physique et le courage moral. Dévoué et fidèle, c’était un caractère à l’antique ».

Après l’entretien de Passeriano, Desaix ne dira plus que « le général » en parlant de Bonaparte ; et pourtant il porte l’écharpe blanche des généraux en chef comme lui, il est son ancien par l’âge, par le grade, par la conduite d’une armée au combat.
Le 2 septembre, Desaix quitte le quartier-général et demande de l’accompagner à Udine et à Trieste au chirurgien Larrey qui a relaté ce souvenir: « J’eus l’occasion de passer quelques jours avec ce grand capitaine qui m’avait honoré de son amitié à l’armée du Rhin. Il voyageait sans aucune marque de son grade avec un seul domestique ». Desaix continue son voyage par Trente, Innsbrück, Munich et Stuttgart en traversant des régions hostiles aux Français et rejoint son armée le 20 octobre à Hoffenburg.
Le traité de Campo-Formio avait été signé le 17 par le général Bonaparte, qui rentre à Paris sous les acclamations parisiennes. Les membres du Directoire qui gouverne la France, redoutant de perdre le pouvoir devant le général victorieux, lui confient le commandement de l’armée d’Angleterre: c’était donner satisfaction à l’opinion tout en l’éloignant de la capitale.
Avec Desaix, Bonaparte visite les ports de la Manche, se renseigne sur les conditions d’embarquement et conclut à la nécessité de reporter toute attaque en Angleterre à la belle saison ; en même temps il se propose pour préparer une expédition en Égypte, projet qu’il avait formé en Italie et révélé à Desaix à Passeriano.

Le Directoire ayant pris la décision de créer une aile gauche à l’armée d’Angleterre afin de ne pas révéler l’expédition prévue pour l’Égypte, Bonaparte en reçoit le commandement et charge Desaix d’aller à Civita-Vecchia constituer un convoi maritime.

Le général Desaix arrive à Rome le 2 avril 1798. Il est à la fois général en chef et amiral. Il montre la même énergie, la même compétence, la même ténacité que Bonaparte en France. Avec son chef d’état-major Donzelot, ses aides de camp Savary et Rapp, il choisit les unités aptes à participer à l’expédition: trois demi brigades d’infanterie, deux régiments de cavalerie dont le 7e hussards et le 20e dragons. A la demande de Bonaparte et pour ne pas accroître le nombre des bateaux de transport, un seul escadron emmènera ses chevaux et les autres cavaliers emporteront le harnachement, car il avait été avancé par la voie consulaire qu’on trouverait des chevaux sur place.
Le général Desaix déploie une intense activité à la mesure de ses hautes capacités et de son plaisir de réaliser son rêve de jeunesse. Il est content de tenir le rôle d’amiral et il écrit: « Je ne rêve que marine, je suis continuellement sur mon escadre de sept à huit petits bâtiments de guerre; tous les jours j’étudie et j’espère bientôt en conduire un et vous faire naviguer ». Cette phrase est extraite de la très longue lettre à une dame amie, dans laquelle il exprime l’importance qu’il attache à l’amitié : « Il est nécessaire pour ne pas devenir barbare de sentir les sensations douces et agréables de l’amitié… Il faut se savoir attaché à un coin du globe pour se guérir de l’envie de le parcourir en vagabond ». Abordant à une autre page l’éventualité de sa mort, il demande à son amie de lui consacrer << un petit monument, un myrthe et un laurier. Écrivez dessus : « Il ne vécut que pour l’amitié et pour la gloire>> ».
Le convoi de soixante navires et de sept mille hommes quitte Civita-Vecchia le 26 mai 1798. Le général Desaix est à bord de La Courageuse, l’unique frégate de sa flotte. Le savant Monge y est également ainsi que Donzelot, Rapp et Savary. Desaix a précisé la conduite à bord dans une instruction générale aux soldats et marins: l’alternance de viandes et de légumes dans les rations individuelles, l’interdiction d’allumer des feux, de fumer le cigare (seule la pipe à capuchon est autorisée sur le gaillard d’avant), l’obligation de se laver et de tenir propre les carrés…

Alors que depuis deux jours le convoi a jeté l’ancre en vue de Malte, l’escadre de Bonaparte est en vue le 9 juin. Desaix et Monge gagnent le vaisseau amiral L’Orient. Le Grand-maître de l’Ordre de Malte s’étant retranché derrière la convention n’autorisant que quatre navires à la fois pour le droit d’aiguade, le général Bonaparte, sur instruction du Directoire décide de s’emparer de l’île. A l’aube du 10 juin les troupes débarquent, et Desaix à la pointe Saint-Paul reçoit la capitulation du fort Rohan qu’il a investi.
Le Grand-maître tergiverse puis cède. Un armistice est signé transformé aussitôt en transaction dédommageant pécuniairement l’Ordre et ses chevaliers.
Desaix écrit : « Tout s’est terminé à la satisfaction générale ». Il avait retrouvé son condisciple Belgrand de Vaubois que Bonaparte nommera gouverneur militaire de l’île et le commandeur de Bosredon originaire des Combrailles, et qui par son attitude de patriote (« Le devoir des chevaliers de Malte est de combattre les Turcs, pas les Français ») pesa dans la reddition de von Hompesch.
Le 18 juin, la grande flotte lève l’ancre; Desaix est laissé à Malte pour régler les derniers problèmes; en ces deux journées il emploie quelque loisir à visiter l’île: sa prodigieuse mémoire lui sert de guide et il écrit une relation de son bref séjour. Puis il rejoint en mer l’armée d’Égypte.
Le 1er juillet, Desaix surveille le débarquement de sa division près d’Alexandrie, plage du Marabout où César avait mis pied à terre en l’an 48 de notre ère.
Après la prise de la cité, Desaix qui commandait en second est chargé de la mission la plus périlleuse: avancer dans le désert vers Damanhour et Ramanieh avec les brigades Friant et Belliard et trois régiments de cavalerie dont les deux tiers des cavaliers sont à pied portant leur harnachement sur le dos (car les Mamelouks ayant raflé tous les chevaux, il n’avait pas été possible d’en acheter à Alexandrie).

Le capitaine François écrit laconiquement dans son Journal : « Le jour, le soleil rendait le sol brûlant. Pas un nuage, pas un arbre dans cette immensité de sable. Nous mangions des fèves tirées de notre musette. Tous les puits étaient obstrués. Nous avions soif.
« La nuit, les Mamelouks rôdaient autour de nous et si quelqu’un s’attardait il était décapité ».
C’est ainsi que le général Mireur en parcourant les bivouacs fut assassiné, il était très aimé de la troupe pour avoir entonné le chant de l’armée du Rhin le 21 juin 1792 au banquet de recrutement à Marseille, de telle sorte que les jeunes appelés en firent leur marche militaire et qu’en arrivant à Paris leur chant devint l’hymne des Marseillais, puis la Marseillaise.
A la bataille des Pyramides, le 21 juillet, la division Desaix combat à l’avant-garde et mérite le bivouac de Roudah à l’ombre des sycomores.
Mourad-bey, l’un des deux chefs Mamelouks, avait fui en direction de la Haute-Égypte. Ayant reçu l’ordre de le poursuivre, Desaix embarque à Giseh les cinq mille hommes de sa division en direction de Memphis, la plus ancienne capitale de l’Égypte. Une trentaine de savants et d’artistes font partie du détachement. Outre l’expédition militaire, Desaix a en charge d’assurer la protection de la mission scientifique.

En raison de la période des grandes eaux du Nil d’août à octobre, la colonne s’installe dans la vaste oasis du Fayoum et découvre à la fois le mode de vie de ses habitants et les vestiges de l’ancienne civilisation, tel le temple dédié à Sobek, le dieu crocodile, il y a 4 000 ans.
Le 7 octobre 1797 a lieu la bataille de Sediman où Desaix ayant formé sa division en carrés défait les Mamelouks. Le 8 novembre, un deuxième combat à Medineh el Fayoun oblige Mourad-bey à s’enfuir vers le Sud.
Le général Desaix s’engage sur la piste des caravanes, rive gauche du Nil, ce fleuve qui a nourri les premières communautés de la civilisation d’Occident. Avec un renfort de cavalerie qui le rejoint en décembre, Desaix à sous ses ordres six mille hommes commandés par trois généraux: Louis Friant, Auguste Belliard et Nicolas Davout.
La première étape est Achmounein, l’antique Hermopolis; les Français y découvrent le temple de Thot (Hermès ou Mercure), dieu des médecins, des scribes, des voyageurs, datant du XIIIe siècle av. J.C., aujourd’hui dévasté.
Le jour de Noël 1798, la division arrive à Siout, un des grands marchés de l’Ancienne Égypte. Situé à l’endroit où la vallée est rétrécie par l’avancée du désert libyque, Siout est choisi par Desaix pour son quartier-général où il laisse un détachement. Dans le même temps que Bonaparte l’envisageait, son second a l’idée d’utiliser les dromadaires. Ainsi les soldats circulaient comme des cavaliers, mais en vue de l’ennemi descendaient de leurs montures, se formaient en carré, tiraient puis remontaient en selle et le poursuivaient dans sa fuite; avec les sacoches que le dromadaire portait, chaque cavalier avait pour dix jours de vivres et de munitions. Les dragons montés à dromadaire furent les ancêtres de nos compagnies méharistes.
A raison d’une moyenne de marche de 30 kms par jour, Desaix parvient le 29 décembre à Girgeh où il attend la flotille d’approvisionnement. Un territoire conquis n’est jamais complètement pacifié; à tout moment une bande de Mamelouks fonçait sur les détachements légers, puis se retirait aussi rapidement. Il fallait donc se déplacer en force pour faire face à toute attaque.
Le 21 janvier 1799, Desaix bat Mourad-bey à Samanhout et le poursuivant vers le Sud arrive à Denderah (Tentyris en grec). Devant le temple d’Hathor, déesse du soleil, c’est un cri d’admiration des savants et des soldats. Le doyen de la mission scientifique, Vivant Denon était le compagnon quotidien du général Desaix qui s’enthousiasmait devant les oeuvres d’art autant qu’il était sensible à la beauté des sites qu’il choisissait pour les bivouacs. Denon, qui ne cessait de dessiner, a indiqué dans son Journal les difficultés de son équipée: « Il y a dix heures que trois cents hommes sont à cheval; le général qui aime les arts est obligé de penser aussi à les loger et à les nourrir. Le dessinateur quitte à regret ce qu’il admire. Il est aussi bien las, il a faim, il bivouaque chaque nuit; depuis douze heures il est à cheval; par le désert et le soleil ses yeux sont douloureux et brûlants ». Mais l’exemple des chefs est communicatif et la découverte du zodiaque de Denderah réjouit les artistes et donne un sujet de méditation pour chacun ».
Desaix écrit : « Il n’y a plus de désert; avec son imagination on n’est jamais seul ». Et parvenant à Thébes le 26 janvier il s’émerveille devant les deux obélisques de Louksor : « Transportés à Paris ils seraient bien extraordinaires ». Trente ans plus tard Méhémet Ali fera don à la France de l’obélisque qui est place de la Concorde.
A Thébes, la « ville aux cent portes » selon Homère, capitale de l’Égypte de 1550 à 1200 av. J.C., les temples et tombeaux parsèment le sol sur une superficie considérable, rive gauche et rive droite du Nil large de plus d’un kilomètre en ce lieu. Par les dessins publiés dès 1809 dans la remarquable « Description de l’Égypte », on sait ce que les savants et soldats ont admiré.

Le 27 janvier, la division Desaix traverse Erment où le temple aujourd’hui disparu était dédié à Montou, dieu de la guerre. Le 28 janvier, elle est à Esneh (Latopolis) où les poissons étaient sacrés et ensevelis dans une nécropole. Desaix examine avec Denon les scènes de chasse gravées sur les colonnes du temple de Khnoun.
Puis Desaix fait étape à Edfou et s’arrête devant les deux énormes pylônes du grand temple d’Horus, le mieux conservé d’Égypte. Il passe à Silsileh où la vallée devient étroite avec ses falaises escarpées creusées de tombeaux. Le Nil y est moins large. Le corps expéditionnaire le franchit et remonte par la rive droite vers Kom Ombo sur un promontoire.
Le 2 février 1799, le général Desaix arrive à Assouan, la dernière ville de Haute-Égypte, située avant la première cataracte. Assouan était alors une bourgade de maisons voûtées et crépies de limon noir pour les rendre fraîches, avec un caravansérail sur la piste.
A 8 kms au Sud, l’île de Philaë marqua à la fois le terme et le sommet de l’expédition. L’emblème de la République y fut planté sur la plus haute roche, saluée par un feu de mousqueterie et le souvenir du passage de la division fut gravé dans la pierre: « Le 13 pluviôse an VII de la République le général Desaix est arrivé au-delà des cataractes du Nil avec les généraux Davout, Friant, Belliard, Donzelot et les membres de la mission scientifique: Denon, Girard, Villiers-du-Terrage, Geoffroy Saint-Hilaire, Jomard, Jollois, Malus, Dutertre… ».
Huit mois après avoir touché terre à Alexandrie, sur 800 kms de parcours la Haute-Égypte était conquise, 1800 ans après les Romains et la mission scientifique avait accompli le travail prescrit par le général Bonaparte.
Il est intéressant de lire la préface du mathématicien Fourrier dans la monumentale « Description de l’Égypte: « On allait tantôt à cheval tantôt en barque. On levait les plans, on dessinait les paysages, les édifices, on mesurait les dimensions des monuments et des ornements. On imitait fidèlement les tableaux peints et sculptés et les caractères hiéroglyphiques. On étudiait la nature des matériaux, les procédés de construction, les matériaux utilisés. On mesurait la vitesse du fleuve, l’exhaussement du sol, l’observation du ciel. On formait des collections précieuses destinées à l’étude des animaux, des minéraux, des plantes. On réunissait tous les éléments propres à faire connaître les cultures, l’industrie, les moeurs et la condition politique des habitants…
« Tout ce travail était exécuté à la fois. Chacun communiquait aux autres ses réflexions. Cet heureux et rare concours facilitait les découvertes… ».
Geoffroy Saint-Hilaire, le naturaliste, cherchait les raisons pour lesquelles l’autruche ne peut voler, Redouté peignait les poissons trouvés dans le Nil, Malus travaillait sur la polarisation de la lumière, certains ramassaient des plantes, d’autres des cailloux. Les uns étudiaient la vie des Bédouins, les autres mesuraient les surfaces, les hauteurs des monuments. Enfin tous dessinaient ce qu’ils voyaient et qui constituent les neuf cents planches des quatorze volumes de la « Description de l’Égypte », véritable encyclopédie.

Cette campagne en Haute-Égypte fut unique en son genre et c’est le grand mérite du général Desaix de l’avoir conduite et réussie. Concilier le temps nécessaire aux relevés scientifiques et artistiques avec les impératifs militaires dévoilent les qualités exceptionnelles du chef du corps expéditionnaire.

Il réalisa en outre la pacification du pays par des mesures exemplaires. On connaît ses talents de général en chef, on ignorait l’excellent administrateur, d’une parfaite probité, animé d’un souci d’équité qui le fit surnommer le « sultan juste ». Conformément aux instructions de Bonaparte de ne pas asservir l’Indigène ni de le flatter par des privilèges, il pensait à créer une classe de petits propriétaires en distribuant la terre à ceux qui apportaient leur aide.
Il avait appris l’arabe pour parler aux autochtones et l’on a retrouvé la méthode de Volney qu’il utilisa. Il ne condamnait qu’après avoir rendu la justice lui-même. Il savait tempérer les horreurs de la guerre par des traits de générosité et de grandeur d’âme. Il adorait l’Égypte que sa grande culture lui avait révélée dans son histoire, ses arts, ses techniques qu’il étudiait aux côtés des savants. Il avait inspiré aux soldats, aux scientifiques aux populations un sentiment unanime d’attachement et d’admiration.
Un demi siècle plus tard, au cours d’un dîner, le 3 décembre 1845, le maréchal de Castellane relatera que Soliman pacha, officier français devenu général égyptien, lui avait déclaré: « La mémoire de l’Empereur est partout respectée en Égypte et le général Desaix y est toujours fort estimé ».
Au plan militaire, la tâche du général Desaix ne fut pas facile. Il avait affaire à un ennemi différent des Autrichiens ou des Prussiens sur le Rhin. Mourad-bey utilisait la tactique de foncer à l’improviste puis de se retirer aussi vite, ce qui ménageait ses effectifs; les Mamelouks étaient avant tout des guerriers qui combattaient avec le courage des fanatiques. Lorsque la division parvint aux cataractes, Mourad-bey avait disparu ; il s’était retiré plus au Sud, mais il avait l’idée de tenter un retour par le désert pour prendre position sur les arrières de la division.

Desaix en fut informé. Il avait su organiser un service de renseignements adapté au pays: il utilisait les services des Bédouins nomades et donc observateurs.
Et pour les instructions à transmettre aux postes échelonnés le long du Nil il se servait des fellahs. Il est rapporté que se trouvant à Philaë et désireux d’annoncer à Siout son arrivée prochaine, il remit une lettre à un paysan égyptien; celui-ci joignit deux bottes de papyrus sur lesquelles il s’assit à la turque avec à ses côtés sa pipe, quelques dattes, une lance pour se défendre des crocodiles et une petite rame et on le vit s’éloigner de la berge et descendre le Nil sans effort.
Desaix avait introduit dans son état-major des « boîtes portatives » contenant des cartes collées sur carton et sur lesquelles au moyen d’épingles à tête de couleur, il savait chaque jour l’exacte position des troupes ennemies. Ce procédé, que lui indiquera Savary sera utilisé par Napoléon dans ses campagnes ultérieures.
Savary, qui fut l’aide de camp de Desaix et deviendra celui de Napoléon après Marengo, comme Rapp le futur gouverneur de Strasbourg, apportaient à leur chef un dévouement total dont ne s’étonne pas le général baron Thiébault, pourtant non suspect de bienveillance envers quiconque, qui a écrit : « Sa conversation était instructive, il avait avec profusion l’intelligence prête à tous les sujets ; sa franchise et ses bontés le faisaient aimer de ses aides de camp ».
Il sut même gagner à sa cause le copte Yacoub qui était chargé des finances chez un émir. Admirateur de Desaix, il obtint d’entrer dans son état-major où il observa, questionna et nota, puis un jour proposa de créer une brigade copte. Les deux mille hommes qu’il recruta furent habillés à la française, moins le chapeau de cuir remplacé par un bonnet en peau de mouton : ce sera le noyau de la future armée de Méhémet Ali. Quant à Yacoub, promu général, il s’embarqua pour la France avec quelques coptes qui se battront dans la Grande Armée jusqu’en Russie. Yacoub mourra sur le bateau et sera inhumé à Marseille.
Desaix lui avait probablement donné l’idée puisque dans une note « au général » il avait soumis à Bonaparte le projet de recruter des troupes indigènes constituées de jeunes mamelouks orphelins, de noirs soudanais et de volontaires égyptiens à qui serait donnée une instruction militaire par des cadres français; il ajoutait que pour l’habillement il fallait se conformer aux manières orientales et supprimer chapeau et culottes étroites, ce qui sera plus tard l’uniforme des zouaves de notre armée.
Le retour de Philaë vers Le Caire fut un va-et-vient constant le long du Nil. A El Kab les Mamelouks revenus par le désert furent dispersés. Le 15 février, Desaix repassait à Esneh, puis remonta vers Kous, puis redescendit vers Siout. Le général Belliard quittait Assouan et rencontrait les Mamelouks le 8 mars à Khaft où le combat au corps-à-corps dura deux jours et fut victorieux.

Outre l’expédition vers les cataractes, Desaix avait reçu mission de Bonaparte d’occuper le port de Koseir sur la mer Rouge par où les Mamelouks recevaient des armes en échange du blé qu’ils exportaient.
Le 2 avril 1799, il arrête les Mamelouks dans le défilé de Byr el Bar. Là, afin de se rendre compte sur place de la situation, son intrépidité lui fait courir le risque d’être tué lors d’une reconnaissance avancée à cheval.
Ce fut au général Belliard qu’il confia le raid sur Koseir, à 150 kms de désert, avec cinq cents cavaliers sur dromadaires et quelques civils dont Vivant Denon. Belliard s’empara du fort le 29 mai et du port protégé par un banc de corail où des bateaux anglais débarquaient du matériel et des munitions. Donzelot y fut laissé avec deux compagnies de la 21e légère pour fermer aux Mamelouks l’accès à la mer Rouge.

Quant à la fin du mois de juillet 1799 le général Bonaparte remporte la victoire d’Aboukir sur les Anglo-Turcs, le général Desaix put lui rendre compte du succès de sa mission en Haute-Égypte et sur la mer Rouge.

Bonaparte aurait bien voulu lui confier le commandement de l’armée, mais il déplorait la susceptibilité de Kléber et craignait de susciter des dissensions ; il préféra charger Desaix d’assurer la protection d’une seconde campagne de découvertes en Haute-Égypte et lui écrivit avant de partir : « Je vous envoie, citoyen général un sabre sur lequel j’ai fait graver « conquête de la Haute-Égypte ». Voyez-y une preuve de mon estime et de l’amitié que je vous ai vouée ».
Desaix reprit la piste des caravanes. Il avait appris que Mourad-bey était revenu à Giseh revoir son palais, qu’il regrettait cette guerre où il avait perdu ses meilleurs Mamelouks et qu’il s’était réfugié au Fayoum. Le 9 octobre, sur le canal Yousef qui est un bras du Nil, près de Sediman, les Mamelouks furent écrasés et Desaix proposa à leur chef de devenir l’allié de la France. Les deux hommes s’estimaient. Mourad-bey jura amitié et fidélité; il succéda à Desaix dans le gouvernement de la Haute-Egypte où il assura la sécurité de la mission scientifique jusqu’à sa mort de la peste en 1801. Le 31 octobre 1799, Desaix fut appelé au Caire par Kléber devenu commandant du corps expéditionnaire. Il fallait arrêter les Turcs débarqués à Damiette. Desaix avec cent cinquante dragons à dromadaire réussit à aider la garnison assiégée qui obligea les Turcs au repli.

Bonaparte aurait bien voulu lui confier le commandement de l’armée, mais il déplorait la susceptibilité de Kléber et craignait de susciter des dissensions; il préféra charger Desaix d’assurer la protection d’une seconde campagne de découvertes en Haute-Égypte et lui écrivit avant de partir: « Je vous envoie, citoyen général un sabre sur lequel j’ai fait graver « conquête de la Haute-Égypte ». Voyez-y une preuve de mon estime et de l’amitié que je vous ai vouée ».
Desaix reprit la piste des caravanes. Il avait appris que Mourad-bey était revenu à Giseh revoir son palais, qu’il regrettait cette guerre où il avait perdu ses meilleurs Mamelouks et qu’il s’était réfugié au Fayoum. Le 9 octobre, sur le canal Yousef qui est un bras du Nil, près de Sediman, les Mamelouks furent écrasés et Desaix proposa à leur chef de devenir l’allié de la France. Les deux hommes s’estimaient. Mourad-bey jura amitié et fidélité ; il succéda à Desaix dans le gouvernement de la Haute-Egypte où il assura la sécurité de la mission scientifique jusqu’à sa mort de la peste en 1801. Le 31 octobre 1799, Desaix fut appelé au Caire par Kléber devenu commandant du corps expéditionnaire. Il fallait arrêter les Turcs débarqués à Damiette. Desaix avec cent cinquante dragons à dromadaire réussit à aider la garnison assiégée qui obligea les Turcs au repli.

Au retour, Desaix pensait qu’il allait alors rejoindre « son » général comme il le lui avait prescrit, mais Kléber avait une autre idée : non sans perfidie il l’envoya le 11 janvier 1800 à El Arich afin de négocier un armistice. Le désir de Kléber était de rentrer, mais il avait peur de Bonaparte; en chargeant Desaix de cette mission qui allait interrompre deux années d’efforts, Kléber exauçait son vœu tout en compromettant Desaix dans l’esprit du Premier Consul.
Et en effet Bonaparte écrira à Desaix : « J’ai reçu il y a deux mois la capitulation d’El Arich, je n’y fais aucune objection puisque vous l’avez signée ». Desaix répondra « Certes nous pouvions garder l’Égypte. Mais Kléber ne voulait plus y rester. Le lot d’un soldat est d’obéir à son chef, ce que j’ai fait ».
Kléber poursuivant ses manoeuvres et en se couvrant de la demande de Bonaparte, chargea Desaix de porter au gouvernement la convention d’El Arich qui comportait l’évacuation des troupes d’Égypte.
Le 3 mars 1800, le général Desaix accompagné de Davout embarqua sur un navire marchand. A large d’Hyères le bateau fut intercepté par l’amira anglais Keith qui, au mépris des termes de la convention signée, le retint prisonnier à Livourne. Relâché le 29 avril 1800, il fut astreint à la quarantaine sanitaire en débarquant à Toulon.
Le 5 mai il écrivit à « son » général une lettre fort digne qui expose l’attitude de Kléber cause du retard de son départ, la traversée par la tempête, l’arraisonnement par la flotte anglaise, l’internement dans le lazaret de Livourne, la quarantaine qu’il subit à Toulon et sa volonté de rejoindre son chef : « Oui, mon général, je désire vivement faire la guerre, mais de préférence aux Anglais pour leur insolence, leur manque de parole et leurs mauvais traitements… Quelque grade que vous me donniez je serai content; je serai avec le même plaisir, volontaire ou général. Je désire connaître votre décision afin de ne pas perdre un instant pour entrer en campagne. Un jour qui n’est pas bien employé est un jour perdu. Je vous salue respectueusement.
Desaix »

Le Premier Consul lui répondit de Lausanne le 14 mai : « Enfin vous voilà arrivé, mon cher Desaix, une bonne nouvelle pour la République et plus spécialement pour moi qui vous ai voué toute l’estime due aux hommes de votre talent avec une amitié que mon coeur, aujourd’hui connaissant trop profondément les hommes, n’a pour personne.
Venez le plus vite que vous le pourrez me rejoindre où je serai.
Bonaparte »
C’est le seul échange de lettres d’amitié sincère dans la correspondance de Napoléon.

Le 7 juin, Desaix qui a remonté les vallées du Rhône et de l’Isère passe le col du Saint-Bernard, descend par la Tarentaise, repousse une attaque de brigands à San-Germano et le 11 juin rejoint « son » général à Stradella. Ils conversent toute la nuit. A son secrétaire Bourrienne qui montre quelque étonnement, Bonaparte répond: « Oui, j’ai été longtemps avec lui. Je l’estime. A mon retour à Paris je le fais ministre de la Guerre. Il sera toujours mon second et mon ami ».
Dans la journée du 12, Desaix va prendre le commandement des deux divisions que Bonaparte envoyait en renfort au général Suchet vers Novi. Le 14 juin, il se dispose à franchir une petite rivière pour mieux surveiller la route de Gênes quand il entend dans le lointain une vive canonnade. Il arrête le mouvement de ses troupes et à brides abattues rejoint Bonaparte à Marengo. La bataille tournait au désavantage des Français. Desaix dit : « Il n’est que trois heures, il reste encore le temps de l’emporter ». Il revient vers ses régiments, prend la tête de la 9e brigade d’infanterie légère et ordonne la charge contre les Autrichiens. En passant à Vigna Santa une balle en plein coeur le fait tomber de cheval. Le général Desaix mourut ainsi à trente-deux ans alors que ce même 14 juin Kléber était assassiné par un fanatique.
« Mes deux lieutenants d’Égypte, Desaix et Kléber tués le même jour, à la même heure, quelle singularité !
Desaix aurait été le premier général de nos armées. Il a eu a Marengo le pressentiment de sa fin. Je le voyais sombre, je descendis de cheval et lui dis: Asseyons-nous un moment sur l’herbe. A ce moment il me dit: Apres une si longue absence les boulets de l’ennemi me reconnaîtront-ils? »
Dans la nuit du 14 juin, Savary découvre son chef le corps dépouillé de ses vêtements, l’enveloppe dans un manteau et à dos de cheval le porte à Torre di Garofolo. Un escadron du 12e chasseurs prend le relais et l’escorte jusqu’au couvent de San-Angelo à Milan.

Louis-Charles-Antoine Desaix n’avait reçu de « son » général qu’un poignard et un sabre d’honneur en récompense de ses mérites. Et pourtant le général Bonaparte avait formé le projet de l’unir à Hortense de Beauharnais, tant il avait apprécié ses qualités.

Quelques années plus tard il l’aurait fait duc de Kehl, prince de Marengo … et ce furent son frère cadet Louis-Amable et le fils de son frère aîné Louis-Jean qui devinrent baron de l’Empire; Louis-Jean (1790-1845) deviendra maréchal de camp en 1835.
Le 18 juin 1805, Napoléon fit transporter la dépouille de Desaix, de Milan à l’hospice du Grand Saint-Bernard en Suisse. Sur le tombeau il devait être inscrit: « Le tombeau de Desaix aura les Alpes pour piédestal et pour gardiens les moines du Saint-Bernard. Napoléon ».
Cette mention n’y fut jamais gravée. Le sarcophage sculpté par J.B. Moitte en 1805, orné d’un bas-relief représentant la mort de Desaix à Marengo entre deux pilastres symbolisant le Rhin et le Nil, a été déplacé deux fois, en 1829 et en 1979, pour être aujourd’hui dans le hall de l’hospice.
La statue en bronze de la place des Victoires à Paris, inaugurée en 1800 par le Premier Consul a été fondue, – honneur posthume avec celle de Napoléon -, pour forger Henri IV à cheval sous le Restauration, et à son emplacement fut érigée la statue équestre de Louis XIV.

La fontaine de la place Dauphine à Paris, inaugurée le 14 juin 1803 par le Premier Consul, fut enlevée et entreposée sous la Troisième République jusqu’à ce que la municipalité de Riom la réclamât en 1906.
Le quai de la Seine auquel Napoléon avait donné le nom de Desaix, fut débaptisé par la République qui limita la renommée de ce grand capitaine à une petite rue du XVe arrondissement.
Le général Desaix n’est plus présent à Paris que par une statuette au dessus d’un des guichets du Louvre!
En province, le monument en forme de tombeau élevé en 1857 sur l’île des épis face à Kehl, sa première grande victoire, a été déposé entre 1940 et 1944, restauré abusivement et replacé au centre d’un parcage de voitures.
A Clermont-Ferrand, la belle statue du général Desaix à cheval, conçue par Antoine Moine, n’a pu être réalisée par insuffisance des crédits accordés par le Conseil général du Puy-de-Dôme qui, au rabais, lui préféra la médiocre statue en pied de la place de Jaude en 1848.
Seul n’a pas été détruit ni déplacé le monument érigé à Ayat-sur-Sioule en 1890, constitué d’une pyramide entourée de quatre canons de bronze.
De leurs morts illustres les Grecs faisaient des héros qui, comme tels, étaient l’objet d’un culte. Les Latins honoraient les mânes des ancêtres et le génie des hommes supérieurs à qui ils élevaient des monuments.

Auteur : Jacques Juillet
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 363
Mois : février
Année : 1989
Pages : 2-13

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► À voir : le buste de Desaix par Joseph Chinard.

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