GAUDIN, Martin-Michel-Charles (1756-1841) ministre des Finances, duc de Gaëte

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Les débuts de carrière sous l’Ancien Régime

Celui qui devait être le ministre des Finances du Consulat et de l'Empire du 11 novembre 1799 (20 brumaire an VIII) au 1er avril 1814 et du 20 mars au 22 juin 1815, est né à Saint-Denis, près de Paris, le 16 janvier 1756. Il était le fils de Charles Gaudin, avocat au Parlement de Paris et de Louise-Suzanne Ragot, son épouse.
 
Ayant fait de brillantes études au collège Louis-le-Grand et un peu de droit, il entre en 1773, comme surnuméraire dans les services de l'administration des finances ; en 1777, à vingt et un ans, il est nommé « premier commis » (c'est-à-dire chef de division) à la tête du département des impôts directs (taille et capitation).
 
En 1791, Louis XVI le nomme à la Trésorerie Nationale en qualité de commissaire, où il remplit sa tâche avec beaucoup de talent et de courage. Il n'hésite pas à s'opposer au paiement de traites frauduleuses émises par le général Dumouriez, alors tout puissant ; ensuite, face à Robespierre il sauve, avec l'aide de Cambon, la vie des 48 receveurs-généraux des Finances, que la Convention voulait conduire à l'échafaud, dans la même charrette que celle des fermiers-généraux.
 
Démissionnaire de sa charge de commissaire en juin 1795, Gaudin se retire dans sa propriété, à Vic-sur-Aisne, près de Soissons. En novembre, le Directoire le nomme ministre des Finances. Il refuse, répondant à Sieyès : « la faiblesse du pouvoir est trop grande. Les esprits ne sont pas prêts. Là où il n'y a ni finances, ni moyens d'en faire, un ministre est inutile. » En mai 1799, il oppose un nouveau refus. Toutefois, il accepte le poste de « commissaire général des Postes aux lettres et aux chevaux », où, manifestement, il fallait remettre de l'ordre.

Ministre des Finances sous le Consulat : la confiance de Bonaparte

Le 18 Brumaire et le Consulat vont orienter sa destinée. Dès le soir du 19 Brumaire an VIII (10 novembre 1799), Sieyès, consul provisoire, le convoque au Palais du Luxembourg. Gaudin raconte : à peine introduit, « je vis Sieyès venir à moi, en me disant : « Eh bien ! vous m'avez refusé il y a six mois !… » – « Eh bien ! répondis-je, j'accepte aujourd'hui ». – « je vous reconnais là, répliqua-t-il, en me tendant la main. Entrez là, vous y trouverez le Général ».
 
« Je trouvais en effet un personnage qui ne m'étais connu que par la haute renommée qu'il s'était déjà acquise : d'une taille peu élevée, vêtu d'une redingote grise, extrêmement maigre, le tient jaune, l'oeil de l'aigle, les mouvements vifs et animés. Il donnait, lorsque j'entrai, des ordres au commandant de la garde. Après que celui-ci se fut retiré, il vint à moi de l'air le plus généreux. « Vous avez, me dit-il, longtemps travaillé dans les finances ? « . – « Pendant vingt ans Général ! ». – « Nous avons grand besoin de votre secours et j'y compte. Allons, prêtez serment, nous sommes pressés ».
 
Cette formalité remplie, il ajouta : « Le dernier ministre du Directoire va être informé de votre nomination. Rendez-vous dans deux heures au ministère pour en prendre possession et donnez-nous, le plus tôt que vous le pourrez, un rapport sur notre situation, en même temps que sur les mesures à prendre pour rétablir le service qui manque partout. Venez me voir cette nuit à ma maison de la rue de la Victoire : nous causerons plus amplement de nos affaires… ».

Premières mesures du ministre Gaudin

En l'an VIII, Gaudin est un ministre des Finances à part entière puisqu'il cumule le Budget (Recettes), et la Trésorerie (Dépenses). Mais dès le début de l'an X, le Premier consul décide de scinder le ministère : Gaudin ne garde que les Finances (Budget et Recettes), les dépenses étant désormais de la compétence d'un ministre du Trésor Public confié à Barbé-Marbois (27 septembre 1801), puis à Mollien (27 janvier 1806). Bien qu'il n'approuve pas cette partition, Gaudin ne paraît pas en avoir conçu d'amertume, le domaine d'activité qui lui restait étant déjà considérable.
 
Lors de sa prise de fonction initiale, Gaudin a 44 ans. De petite taille, bien proportionné, plein de dignité, il porteles cheveux frisés et poudrés, comme avant la Révolution. Il est un parfait « commis » des Finances, compétent, travilleur, intègre, ponctuel, pratique et ordonné. Il n'a rien d'un idéologue, ni même d'un théoricien. Il se contente modestement d'être au service de l'Etat. Bonaparte avait de lui : « Il sait les choses. » Or, quand il disait d'un homme « il sait les choses », « il parle en homme qui sait son affaire », c'est qu'il avait apprécié les qualités de l'intéressé.
 
Comme l'observe Vandal : « Le ministre des Finances Gaudin, formé à l'école des grands commis d'Ancien Régime dont il conservait les moeurs, soigné, propret, fuyant les distractions, célibataire endurci, l'air fonctionnaire, vivait dans son bureau et se confinait dans sa partie. C'était un instrument parfait aux mains d'un chef d'Etat de grand caractère. » (Vandal : L'avènement de Bonaparte, Plon, 1907, t.2, p. 177)
 
Gaudin qui restera ministrejusqu'en 1814, appliquait fidèlement les instructions de Napoléon. de son côté, Napoléon reconnaissait chez Gaudin, sa compétence technique et son aptitude à faire la synthèse entre les systèmes de l'Ancien Régime et de la Révolution. Il le soutenait et l'encourageait. En germinal an VIII, le Premier consul lui écrivait : « C'est parce que nos besoins sont grands et notre position délicate que vos alents, votre probité et votre zèle pour le bien public sont nécessaires. Vous avez déjà beaucoup fait. Il vous reste sans doute bien des obstacles à franchir… Il faut que tout le bien qui reste à faire soit fait sous votre ministère. Je n'ai pas besoin de vous parler de la confiance et de l'estime sentie que j'ai pour vous ».
 
En effet dès sa nomination, Gaudin s'était attelé à sa tâche. En ce qui concerne les contributions directes, il place, en moins de six semaines, dans chaque département, un directeur et un inspecteur des impôts, dans chaque arrondissement, un contrôleur et, désormais, les collecteurs d'impôts sont remplacés par des percepteurs. Progressivement étendu au Grand Empire, le système assurera le rentrée régulière de 400 millions par an.

Des ressources provisoires sont dégagées (rachat des rentes foncières appartenant à l'Etat, vente de biens nationaux à Paris, des marais salants de l'Ouest et du Midi) et il obtient l'aide des banquiers. Sa méthode tend à « ranimer la confiance, avec laquelle tout est possible » (ses Mémoires, t. 1, p. 202).

La Banque de France (loi du 26 brumaire an VIII – 17 novembre 1799) (1), la Caisse d'amortissement de la dette (loi du 6 frimaire an VIII – 27 novembre 1799) (2) et, plus tard, la Cour des comptes (loi du 16 septembre 1807) (3) sont créées.
 
Pour assurer la répartition des impôts fonciers entre les départements et les propriétaires, Gaudin généralise la confection d'un cadastre, une opération gigantesque (arrêté du 11 messidor an X – 30 juin 1802), « inutilement réclamée, disait-il, pendant des siècles et qui ne pouvait appartenir qu'au siècle de Napoléon ».
 
Ses efforts portent aussi sur les impôts indirects (enregistrement, timbre, douanes, cartes à jouer, métaux précieux, tabac, sel, boissons…), dont il soutenait fermement le principe, et il organise leur perception sur le modèle des impôts directs.

Dans son Rapport sur l'Administration des Finances de 1808, il souligne avec une légitime fierté que « la France offre l'exemple unique, parmi les grands Etats, d'une recette de plus de 800 millions qui se fait régulièrement, sans qu'il soit besoin d'avoir recours à aucun signe fictif » (4) (5).

Le franc

D'autre part, après de laborieuses discussions entre experts, la loi du 17 germinal an XI (7 avril 1803) avait défini l'unité monétaire, le franc (couramment appelé « franc de germinal » ou, en abrégé, « franc germinal »). La loi définit le franc par un poids d'argent, mais établissait un rapport fixe entre l'or et l'argent, système préconisé par Gaudin. C'est ainsi que le franc était considéré comme se rapportant au franc or d'un poids de 10/31 de gramme au titre de 0,900, soit 10/31 = 0,3  225 g. Et Crétet, futur gouverneur de la Banque de France, déclarait : « L'Europe sera forcée d'adopter ce système sublime ». Effectivement, la Suisse, l'italie et la Belgique s'alignèrent (et, par la suite, ces pays conclurent, avec la France, la convention de 1865 dite de l'Union latine) (6) (7) (8).
 
Ultérieurement, Napoléon charge Gaudin de deux missions importantes : en 1805, il se rend à Gênes pour organiser l'administration financière de ce territoire nouvellement réuni à l'Empire ; en 1811, il remplit une mission semblable en Hollande et dans les villes hanséatiques.

Titres et gratifications

Le ministre Gaudin bénéficie de la confiance de Napoléon. Il travaille directement avec lui et Gaudin a raconté qu'ils avaient préparé le budget, dans un cabinet de l'Empereur, alors qu'après minuit et, par deux fois, Joséphine avait fait dire à Napoléon qu'il était attendu au bal que donnait le ministre de la Marine.
 
Outre son traitement, Gaudin reçoit de Napoléon une gratification annuelle de 100 000 francs.
 
Grand officier de la Légion d'honneur le 15 messidor an XII (4 juillet 1804), puis Grand Aigle lors de la promotiondu 13 pluviôse an XIII (2 février 1805), Gaudin est fait comte d el'Empire (26 avril 1808), puis duc de Gaëte (15 août 1809), avec des dotations en Wesphalie et Hanovre, au royaume de Naples et en Illyrie.
 
A la fin de 1811, il exprime ses craintes sur la camapgne de Russie qui se prépare, mais l'Empereur le rassure : « L'Europe paiera ». Or, au lieu de cela, la Grande Armée ne revient qu'avec 2 millions-or sur 110 millions emportés…

Les Cent-Jours

En 1814, le duc de Gaëte demeure fidèle à l'Empire jusqu'au dernier moment puisqu'il fait partie du groupe restreint qui accompagne l'Impératrice Marie-Louise à Blois.
 
Lors du retour de l'Ile d'Elbe, Napoléon lui rend le ministère dees Finances et le nomme à la Chambre des pairs (3 juin 1815). Après Waterloo, il quitte définitivement son ministère le 7 juillet 1815.
 
A Sainte-Hélène, Napoléon lui a rendu hommage : « Tout ce qu'il est possible de faire en peu de jours pour détruire les abus d'un régime vicieux et remettre en honneur les principes du crédit et de la modération, le ministre Gaudin le fit.  C'était un administrateur de probité et d'ordre, qui savait se rendre agréable à ses subordonnés, marchant doucement mais sûrement. Tout ce qu'il fit et proposa dans ces premiers moments, il l'a maintenu et perfectionné pendant quinze années d'une sage administration. Jamais il n'est revenu sur aucune mesure, parce que ses connaissances étaient positives et le fruit d'une longue expérience ». (A. Palluel, Dictionnaire de l'Empereir, Plon, 1969, p. 526)
 
Napoléon a dit aussi que Gaudin était « une forteresse contre la corruption ».

Après 1815

Sous la Seconde Restauration, le département de l'Aisne l'envoie, en août 1815, à la Chambre des députés, où il restera jusqu'en 1819. Siègeant dans les rangs de l'opposition libérale, il répond aux attaques dont il fait l'objet ; il défend sa gestion et les réformes réalisées sous son ministère.
 
En avril 1820, il accepte le poste, très rémunérateur, de directeur de la Banque de France et l'occupe jusqu'en 1834.
 
En 1826, il publie les Mémoires, souvenirs, opinions et écrits du duc de Gaëte (2 vol.), essentiellement d'ordre technique, et, en 1834, un Supplément à ces Mémoires.
 
Longtemps célibataire, en dépit de l'insistance de Napoléon qui aurait voulu le marier, le duc de Gaëte avait épousé en 1822, Anna Summaripa (1776-1855), née à Naxos (Grèce), divorcée ou veuve d'un homonyme, Emile Gaudin de Feurs, diplomate à Constantinople, puis membre et secrétaire du Tribunat, enfin inspecteur du cadastre. Gaudin adopta la fille de son épouse, Athénaïs-Laure Gaudin de Feurs, et celle-ci épousera le marquis Ernest-Stanislas de Girardin, député de la Charente sous la Monarchie de Juillet et sénateur sous le Second Empire.
 
Martin-Michel-Charles Gaudin, duc de Gaëte, est mort à Gennevilliers, près de Paris, le 5 novembre 1841, à l'âge de 85 ans. Il est inhumé au cimetière de l'Est, dit du Père-Lachaise, 27e division (voir le Répertoire mondial des Souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p. 301). (9)


Auteur : Marc Allégret
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro : 399
Pages : 41-42

Notes

(1) Sur la création de la Banque de France, voir Pierre Daudignon, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 273, janvier 1974.
(2) Sur la création de la Caisse d'amortissement de la dette, voir Jean-Pierre Allinne, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 273, janvier 1974.
(3) Sur la Cour des comptes, voir Mme Piquet-Marchal, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 273, janvier 1974.
(4) En 1812, le budget de l'Empire dépassera le milliard (1 030 millions)
(5) Sur le financement particulier des dépenses de la guerre, voir J. Wolff, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 397.
(6) Sur le franc germinal, voir les études de J.S. Weydert, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 273, janvier 1974 / Guy Thuillier : Revue de l'Institut Napoléon, n° 131, 1975, p. 73 / Jean-Marie Darnis : La Monnaie de Paris 1795-1826, Ed. Société de sauvegarde du château de Pont-de-Briques, 1988, p. 200.
(7) En France, ce système a duré jusqu'à la loi du 25 juin 1928, qui a mis fin au régime spécial de guere établi le 5 août 1914 et remplacé le franc-or germinal par le franc-or dit Poincaré, celui-ci étant constitué par 65,6 milligrammes d'or au titre de 0,900, soit 0,0655 g (par rapport au franc-germinal, la dévaluation était de 80%)
(8) Actuellement, les parités fixes des monnaies par rapport à l'or (accords de Bretton Woods de juillet 1944) ont été abandonnées : depuis le 1er avril 1978, le rôle officiel de l'or est remplacé par un autre système, celui des Droits de tirage spéciaux (DTS), tels que définis par le Fonds Monétaire International (FMI).
(9) Autres sources : François Latour, Le grand argentier de Napoléon, Gaudin, duc de Gaëte, éd. du Scorpion, 1962 ; Arthur Conte, Le 1er janvier 1800, Ed. Olivier Orban, 1990, p. 188 s. ; Gaudin, par M. Bruguière : Dictionnaire Napoléon, 1ère éd. p. 783 ; J. Daudignon, Les auxiliaires de la politique financière de l'Empereur, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 273, p. 6 ; V. Bourrel : Napoléon et la Cour des comptes, Revue du Souvenir Napoléonien, n° 259, juillet 1971, p. 18 ; Michaud : Biographie universelle, t. 16, p. 16 ; Roman d'Amat, Dictionnaire de biographie française, t. 15, p. 704, notice Gaudin par J. Valynseele ; Gaudin in Napoléon Rencontre, 1969, t. 3, p. 173 ; Benoît Yvert : Dictionnaire des ministres, Perrin, 1991, Gaudin, p. 59.

 


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