Le congrès de Vienne : trois idées courantes révisées par Stella Ghervas (2015)

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Stella Ghervas est chercheur invité au Centre de l’Université de Harvard pour les études européennes. Son livre majeur, Réinventer la tradition: Alexandre Stourdza et l’Europe de la Sainte-Alliance (Prix Guizot de l’Académie française en 2009), explore le climat intellectuel et les conceptions politiques de l’époque du congrès de Vienne.

Elle a accepté de revenir sur trois idées courantes sur le congrès de Vienne avec napoleon.org… Propos recueillis en février 2015

Le congrès de Vienne : trois idées courantes révisées par Stella Ghervas (2015)
Le gâteau des rois tiré au Congrès de Vienne en 1815
© BnF, Gallica (identifiant ark:/12148/btv1b6954647z)

« Le congrès de Vienne est celui d’alliés dont le seul dénominateur commun est leur ennemi, Napoléon. »

Oui, Napoléon a effectivement obligé les grandes puissances de l’Europe à s’allier contre lui. Mais cette alliance a débouché sur une autre forme de solidarité.
Au congrès de Vienne, il s’agit de construire un nouvel ordre européen durable. Les grandes puissances ont voulu mettre fin à la fois à l’hégémonie de Napoléon, et au « système de la guerre » du XVIIIe siècle, qui avait été traditionnellement fondé sur une opposition entre deux alliances militaires (connues sous le nom d’« équilibre du pouvoir »). Dans les années qui ont suivi, il y a eu un « système de la paix » en Europe, qui n’était plus formé que d’un seul bloc politique avec pour principe l’« équilibre de la négociation ». C’était un système de coopération entre grandes puissances, plutôt que de concurrence. Cette situation assez inédite a duré bon an mal an jusqu’à l’éclatement de la guerre de Crimée en 1853.

« Le congrès est une fête vaine de monarques d’Ancien Régime, qui se partagent l’Europe. »

<i>Le congrès s'amuse</i>, Gravure de Forceval, XIXe s. © BNFCe sont les images d’Épinal que les livres d’histoire nous ont laissées. Les festivités qui entourent le congrès de Vienne font partie des moeurs diplomatiques ; c’était l’habitude de fêter les traités de paix. En revanche, le congrès de Vienne débouche bien sur un directoire de grandes puissances (la Russie, l’Autriche, le Royaume-Uni et la Prusse) qui gouverne l’ordre européen.
D’ailleurs, les monarques sont des gens du XIXe siècle ; ils sont tous inspirés peu ou prou par les Lumières. Ils sont également des conservateurs, dans le sens qu’ils rejettent l’interprétation radicale des Lumières, qui est celle de la Révolution française.  En France, il y a bien une frange politique qui voudrait un retour partiel à l’Ancien Régime, et notamment à la monarchie absolue (ce qu’on appelle les ultraroyalistes), mais ce n’est qu’une branche des milieux conservateurs.

« Le congrès de Vienne est complètement passé à côté des aspirations nationales prêtes à s’épanouir en ce début XIXe. »

<i>La barricade</i>, Ernest Meissonier, 1848 © Musée d'OrsayC’est exact, le congrès de Vienne a effacé des états de la carte et a donné des territoires supplémentaires aux grandes puissances. Plusieurs peuples soumis à une de ces grandes puissances n’ont pas réussi à obtenir l’indépendance. Mais le problème est bien plus vaste. Il y a eu des révolutions même dans des États indépendants comme l’Espagne ou la France, ou encore dans des colonies d’Amérique latine. Tous ces troubles ont un point commun : les monarques ont refusé d’honorer les aspirations populaires à la représentation politique.


Stella Ghervas termine actuellement un livre intitulé Conquérir la paix: des Lumières à l’Union européenne pour la Harvard University Press, dans lequel elle examine comment la réflexion sur la guerre et la paix s’est cristallisée autour d’une définition politique de l’Europe, sur la longue durée. En parallèle, elle travaille sur une histoire transnationale de la région de la mer Noire, de l’expansion russe au XVIIIe siècle à nos jours.

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