Une chronique de François Houdecek : « 1824. Un rapport public s’intéressa pour la première fois à la responsabilité humaine dans le changement climatique »

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Aujourd’hui, l’activité humaine est rendue responsable au premier chef des dérèglements climatiques que nous pouvons connaître et tous les gouvernements ou presque tentent d’agir pour sauver la planète. La prise de conscience par les pouvoirs publics d’une possible influence néfaste de l’homme sur le climat n’est en réalité pas chose nouvelle. On peut sans doute la dater des années 1821-1824, période au cours de laquelle la Seconde Restauration s’interrogea très officiellement sur les dérèglements climatiques constatés quelques années auparavant.

Une chronique de François Houdecek : « 1824. Un rapport public s’intéressa pour la première fois à la responsabilité humaine dans le changement climatique »
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

L’éruption en avril 1815 du volcan indonésien Tambora entraîna sur la planète de graves troubles climatiques. Les relevés modernes estiment ainsi que les températures chutèrent de – 0,5 à -1° en moyenne pour l’hémisphère nord. L’observatoire de Paris releva en juillet 1816 : 6 jours de pluie, 20 jours de ciel couvert pour seulement 5 jours de beau temps. Dans des économies et des populations totalement dépendantes de l’agriculture, un accident climatique de cette ampleur fut dévastateur. De la Chine à l’Europe, les conséquences sur les récoltes furent terribles et entraînèrent des émeutes de la faim. Les conséquences sur les marchés céréaliers se firent sentir jusqu’en 1817, année de récoltes plus abondantes.

Dans de nombreux pays, cet évènement climatique entraîna des questionnements et des publications scientifiques et politiques autour du changement climatique. En France ces problèmes s’ajoutèrent à des questions présentes depuis le XVIe siècle autour du rôle des forêts dans le cycle du climat. En Europe comme dans l’Hexagone, on pensait alors qu’elles jouaient un rôle majeur dans le cycle de l’eau, et par extension qu’elles influaient in fine sur le climat. Une surabondance de la sylve était notamment considérée comme l’assurance d’un climat humide. Une mauvaise gestion du couvert forestier, voire une déforestation trop poussée, était selon les connaissances de l’époque l’assurance d’un dérèglement climatique, et donc de mauvaises récoltes.

Partant, les Révolutionnaires imputèrent celles des années 1788-1789, à la mauvaise gestion des forêts par l’Ancien Régime et son système féodal. Afin de ramener de l’ordre au sein des forêts françaises, ils eurent alors l’idée de nationaliser les forêts pensant ainsi maîtriser le climat par l’administration directe des domaines boisés, et ainsi ramener la prospérité. Sous la Restauration, les Ultras accusèrent à leur tour la Révolution et son laisser-faire dans la gestion forestière, coupable selon eux de nouveaux dérèglements climatiques. Pour financer la guerre et combler les dettes, on avait coupé beaucoup de bois sous le Premier Empire comme sous le règne de Louis XVIII, ce qui raviva les inquiétudes et commença à nourrir certains discours apocalyptiques autour du climat.

Et ce d’autant plus qu’à l’hiver 1819-1820, une vague de froid, qui paraissait sans précédent, fit geler la Seine, et dans le sud mourir oliviers et figuiers en nombre, menaçant toute l’économie de la Provence. Afin de répondre aux questions de plus en plus nombreuses que causa cette situation, l’État fit ce qu’il fait encore aujourd’hui… commander une enquête et un rapport !

Fin avril 1821, par la circulaire n° 18, le ministre de l’Intérieur Jérôme Siméon interrogea les préfets de France sur l’évolution du « système météorologique » des départements, et l’évolution de leurs forêts depuis 1789. La date n’était évidemment pas anodine puisqu’elle laissait entendre que la Révolution comme « l’interrègne impérial » était clairement responsable des problèmes climatiques, et ce avant même la conclusion de l’enquête !

60 préfets sur 86 répondirent aux questions de Siméon. Des réponses fournies par les maires, les propriétaires terriens, des sociétés savantes, etc., n’émergea aucune cause très identifiée. En l’absence de relevé généralisé et précis des observations météorologiques (souligné dans les réponses) ce fut souvent le ressenti global des rédacteurs, et des personnes interrogées, qui prévalut. D’autant qu’il y avait presque autant de théories que de réponses quant à l’étendue spatiale des changements en cours… Était-ce les déboisements mondiaux, ou ceux des montagnes et forêts françaises qui influaient sur le cours de la météo ? Était-ce la faute au désordre régnant parmi les glaces du pôle Nord ? Devait-on chercher du côté des phénomènes telluriques ou astronomiques ? Malgré toutes ces interrogations aussi diverses que nombreuses, les rapports mirent néanmoins en évidence trois tendances : les variations climatiques paraissaient désormais nombreuses, les températures échappaient de plus en plus aux normes admises, et le cycle de l’eau inquiétait.

Un rapport de synthèse fut rendu en 1824 au ministre. Il déplorait un afflux de « théories vagues » et d’opinions laconiques dont on ne pouvait tirer aucune certitude scientifique dans un sens ou dans l’autre. Seul émergeait le problème du déboisement qui avait été souligné bien avant l’enquête. Devant ces résultats décevants, les réponses préfectorales ainsi que le rapport final furent rapidement oubliés.

Fort heureusement, tout le dossier fut versé aux Archives Nationales, là où il fut redécouvert par les historiens Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher (Les révoltes du ciel, Paris, Seuil, 2020). Les deux chercheurs ont raison de souligner le caractère exceptionnel de ces documents qui constituent la première prise en compte officielle d’un changement climatique d’origine anthropique par un gouvernement… lequel est Français ! Étayé par la théorie du cycle de l’eau et les ressentis empiriques, le concept même de changement climatique est donc né il y a exactement deux cents ans au sein de l’administration royale.

François Houdecek, responsable des projets spéciaux à la Fondation Napoléon (1er mars 2024)

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