Une chronique de Jacques Macé : Stefan Zweig et Napoléon Bonaparte ou Un caprice de Bonaparte

Auteur(s) : MACÉ Jacques
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Stefan Zweig, né à Vienne en 1881, est certainement l’un des plus grands écrivains de la première moitié du XXe siècle. Disciple de Romain Rolland, ami de Sigmund Freud et de Thomas Mann, il a été romancier, dramaturge, nouvelliste, historien,  philosophe. Marqué par la montée des totalitarismes entre les deux guerres mondiales, d’origine juive, il doit s’exiler en Grande-Bretagne, puis au Brésil où il se suicide en 1942, désespéré par l’effondrement de la civilisation européenne.

Une chronique de Jacques Macé : Stefan Zweig  et Napoléon Bonaparte ou <i>Un caprice de Bonaparte</i>
Jacques Macé © jubileimperial.fr

Dans les années 1920, à la fois épouvanté et fasciné par  Joseph Fouché, il lui a consacré une biographie qui est avant tout un portrait psychologique  de ce personnage  qu’il décrit «  traitre-né, misérable intrigant, nature de reptile, transfuge professionnel, âme basse de policier, pitoyable immoraliste», en lequel il voit le prototype de l’homme politique contemporain. Depuis cette publication en 1929, les nombreux biographes de Fouché, le dernier  étant Emmanuel de Waresquiel, ont redoublé de qualificatifs imagés (Fouché, les silences de la pieuvre, Emmanuel de Waresquiel, Tallandier, 2014. Pieuvre venant après chacal, hyène, fouine, tigre, serpent, renard. Un zoo à lui seul !) pour décrire la personnalité machiavélique et les actions de l’Oratorien devenu duc  d’Otrante,  dont la carrière ministérielle a traversé les régimes.

Zweig s’est ensuite consacré à une biographie de Marie-Antoinette alors qu’on aurait pu s’attendre de sa part à une étude sur Napoléon Bonaparte. Il va deux ans plus tard rencontrer celui-ci d’une manière surprenante : grâce à la liaison publique et tumultueuse du général en chef de l’Armée d’Egypte avec Pauline Fourès. Tous nos lecteurs connaissent bien sûr l’histoire de Bellilote, le coup de la carafe d’eau, ce qui s’en suit, l’abandon brutal de Pauline au Caire…  comme avait été abandonnée Désirée Clary. Informé par ses frères Joseph et Lucien du comportement de Joséphine en son absence, Bonapart aurait même été enclin, selon Bourrienne, à divorcer pour épouser sa Bellilote, dite aussi Cléopâtre ou Notre-Dame d’Orient, si elle tombait enceinte. Ce qui n’arriva pas ; « ce n’est pourtant pas de ma faute », disait-elle.

Près de vingt ans plus tard, le 5 mai 1817, Napoléon expliqua à Gourgaud qu’il avait trompé Joséphine pour la première fois durant la Seconde Campagne d’Italie, avec la Grassini, disant n’avoir pas eu le moindre temps libre durant la Première et oubliant l’épisode cairote. Cependant la mémoire lui revint le 24 mai pour évoquer, sur un ton plus amusé qu’ému, Bellilote, sa Cléopâtre.

Le lieutenant Jean Noël Fourès, estropié après s’être battu en duel avec un officier qui l’avait traité de cocu, rentra en France en 1801, tenta de renouer avec son ex-épouse qui, dédommagée financièrement, se plaint à son ancien amant d’être importunée par le mari dont elle avait été divorcée manu militari. Fourès fut prié de se retirer à Carcassonne avec une pension de réforme. Il ne retrouva un emploi de commissaire des guerres qu’en 1807, ce qui lui valut d’être à nouveau fait prisonnier par les Anglais, en Espagne cette fois. Revenons à Stefan Zweig.

Dans une pièce en trois actes intitulée Un caprice de Bonaparte, Zweig imagine que Fourès, revenu à Paris dès 1800, veut faire annuler son divorce prononcé au Caire d’une manière illégale, se venger du suborneur de son épouse et reconquérir celle-ci. Il se heurte à la justice consulaire et fait un scandale public. Bonaparte charge Fouché (le revoilà !) d’y mettre  fin en faisant enfermer Fourès à Bicêtre ou en l’envoyant au diable. Le ministre de la police va traiter l’affaire avec son habileté coutumière.

Les deux premiers actes de la pièce se déroulent au Caire et  mettent en scène sur le ton du vaudeville (l’époux, la femme, l’amant) les événements un peu croustillants qui ont fait entrer Bellilote dans la petite histoire (qui parfois détermine la grande !). Mais le troisième acte est traité d’une manière toute différente, en comédie dramatique dont Fourès est le personnage central. Face à Fouché, Fourès se livre à un violent réquisitoire contre la justice au service des puissants, le mépris de ceux-ci pour ceux qui ne sont rien, les abus du pouvoir et le culte du chef. Zweig place dans sa bouche des diatribes enflammées qui se heurtent à la placidité et à la malice de Fouché qui utilise Bellilote pour ramener Fourès à la raison.

Un caprice de Bonaparte  a  été représenté en Allemagne, Autriche, Hongrie au début des années 1930. Traduite en 1954, la pièce a été montée et jouée en tournée en 1967 par le Centre dramatique du Nord, jouée encore en 2003 dans un café-théâtre parisien. Puis oubliée à notre connaissance… Peut-être inspirera-t-elle encore un jour  un metteur en scène…

Les trois scènes finales (entre Fourès, Fouché et Bellilote) sont d’une grande force dramatique.  Vous pouvez les lire sur mon site Internet, et les compléter d’un condensé de l’affaire Bellilote.

Jacques Macé

Avril 2020

Jacques Macé est historien et administrateur de la Fondation Napoléon.

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