Une chronique de Christian Christoff : la dotation Wellington

Auteur(s) : CHRISTOFF Christian
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Du temps du Premier Empire, Napoléon créa, en 1808, une institution nommée  majorat  afin  de  récompenser  les  maréchaux,  préfets, officiers  civils  et  militaires  et  autres  de  ses  sujets  qui  se  seraient  distingués  au  service  de  l’État. Ainsi,  l’Empereur  distribua  des  titres,  créant  une  noblesse  d’empire. Ces  titres  furent  dotés  de  terres  prélevées  du  Domaine  extraordinaire,  conquises  à  l’étranger  ou  confisquées  par  l’État. S’inspirant  de  cette  formule, le souverain  des  Pays-Bas Guillaume  Ier voulut  récompenser, peu  après  la bataille de Waterloo,  le  duc  de  Wellington  d’avoir « sauvé »  son  « nouveau » royaume (ratifié par le Congrès de Vienne, le 9 juin 1815). 

Une chronique de Christian Christoff : la dotation Wellington

Le 8 juillet 1815, Guillaume octroya au Duc le titre de Prince  de  Waterloo, transmissible  par  primo géniture  masculine. Ultérieurement, les  États  généraux  des  Pays – Bas,  par  arrêté –loi  du  29  septembre  1815, lui  conférèrent  irrévocablement  et  à  perpétuité – ainsi  qu’à  ses  héritiers  légitimes  au  titre – la  possession  de  1 083  ha  de  bois  domaniaux  confisqués  aux  ecclésiastiques à la Révolution. Cette possession devait  lui  assurer  un  revenu  annuel  confortable  pour  mener  une  vie  conforme  à  son  rang. Elle  forma  la  dotation  Wellington, soumise  au  principe  juridique  du  majorat  napoléonien.

Ces  terres  se  situent  entre  la  ville  de  Nivelles  et  le  lieu-dit  des  Quatre-Bras,  au  sud  de  Bruxelles. Le  sol  du  champ  de  bataille  n’a  pas  été  retenu  car  il était  la  propriété  de  fermiers  locaux. Lors  du  défrichement  des  bois,  demandé  par  le  Duc  en  1817,  ce  dernier  reçut  une  rente  « publique »,  convertie  plus  tard (1988) en pleine  propriété  de  25 ha, prélevés  sur  la  dotation.

Juridiquement, le  majorat  est  une propriété  assortie  de  deux  restrictions :

– d’une  part,  cette  propriété  est  inaliénable :  le  titulaire  devait avoir des revenus  stables   mais  non  spéculer   sur  le  bien  lui-même. Il ne pouvait  donc  faire  saisir la propriété, ni  l’hypothéquer  ni  la  vendre  pour  payer  ses  impôts.

– d’autre  part,  cette  propriété  s’éteint  avec  l’extinction  du   titre  (ici,  Prince de Waterloo) auquel  elle  est  attachée,  ce  qui  entraîne  dans  cette  hypothèse  le  droit  de  retour du bien  au  Domaine  extraordinaire,  à  l’État. Mais la succession par primogéniture  masculine n’a  pas  toujours  été  dévolue  au  descendant direct. Une interprétation  « large »  du  principe  a  été  privilégiée.

Le majorat n’est  pas  un  usufruit, et c’est  par  erreur  que  le  droit  du  titulaire  fut  souvent  assimilé  dans  le  passé  à  un  usufruit.  Cette  confusion  est  née  sans  doute  du  fait  que,  pour  le  paiement  des  droits  de  succession,  le  duc  de  Wellington  est  assimilé  à  un  usufruitier, ne pouvant pas vendre le  bien  et  jouissant  exclusivement  des  revenus  de  la  dotation.  Pour  le  reste,  il  paie,  comme  tout  citoyen,  ses  impôts  sur  les  revenus,  et  ne  coûte  rien  à  l’État  belge.

Lors  du  passage  à  l’indépendance  en  1830, la  Belgique  a  repris  ces  dispositions  à  l’égard  du  Duc,  d’autant qu’à  l’époque  il était  Premier  Ministre  de  Grande-Bretagne, elle-même garante  de l’indépendance du  pays. De plus, en 1831, Léopold  de  Saxe-Cobourg  Gotha,  apparenté  à  la  famille   royale  britannique,  devint  le roi  des  Belges. Ceci  renforça  l’existence  de  la  dotation  dans  le  cadre  de  la  nouvelle  constitution  belge  qui  adopta  l’anoblissement  sans  pour  autant  qu’il  y  ait  privilège  rattaché  au  titre. Bref ! Aujourd’hui  encore,  le  titre  de  prince  de  Waterloo  et  la  dotation  Wellington  sont  légalement  le  seul  majorat  en  Belgique  hérité  des  Pays-Bas.

Actuellement,  des  83  exploitations  agricoles  établies  sur  ses  terres, le  Duc  touche la  somme  moyenne  de  125 000 €  par  an  en  fermages,  baux  et  droits  de  chasse. Ces  revenus  sont  considérés  comme  un  usufruit  et  imposés  annuellement. Par  ailleurs, en  cas  de  changement  de  titulaire  au  sein  de  la  famille  Wellington,  l’héritier   paie  à  l’état  belge  des  droits  de  succession,  comme  non–résident,  pouvant  aller  jusqu’à  60 %. Mais  comme  il  ne  peut  pas  disposer  librement  de  son  bien  il  se  voit  dans  la  nécessité  d’emprunter  pour  faire  face  à  ses  obligations.

La  dotation  « protège »  les  terres  contre  tout  envahissement  résidentiel  ou  industriel,  ce  qui  plaît  aux  protecteurs  de  la  nature  et  aux  fermiers. C’est  peut-être  aussi  la  raison  pour  laquelle  personne  ne  soulève  la  question  du  rachat  de  ces  terres  par  l’État belge, rachat  qui  se  chiffrerait  actuellement  à  plus  de  120  millions  d’euros.

Christian Christoff, guide thématique 1815-Waterloo

mai 2018

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