La guerre de 1870 et la chute de Napoléon III

Au lycée
IIe République / 2nd Empire
Partager

Le Second Empire fut englouti par la défaite militaire de 1870. Le désastre aboutit au déchirement de la nation, avec la Commune et l’annexion de l’Alsace-Moselle. Mais aujourd’hui, la République n’a plus besoin de charger du poids de la propagande l’analyse de la responsabilité impériale dans le conflit franco-prussien. Les historiens sont donc moins sévères avec l’Empereur et tentent de mieux comprendre ce qui l’a conduit à accepter d’en découdre avec la puissance européenne montante.

Inscrite à son passif, la guerre de 1870 illustre l’incapacité de Napoléon III à rester maître du pouvoir et de ses décisions au milieu des luttes intestines au sein de son gouvernement et face à l’habileté manœuvrière de Bismarck.

I — Un Empire fort et fragile
II – L’inévitable conflit
III — La marche vers la guerre
IV — Napoléon III voulait-il la guerre ?
V — La débâcle
VI – L’exil et la mort de Napoléon III

La guerre de 1870 et la chute de Napoléon III
Napoléon III et Bismarck le matin après la bataille de Sedan le 2 septembre 1870, d'après W. Camphausen, anonyme © Wikicommons

I – Un Empire fort et fragile

En 1870, Napoléon III avait beaucoup changé. A 62 ans, il était devenu un « vieillard valétudinaire » (L. Girard). Rongé par la maladie de la pierre qui lui causait d’atroces douleurs, était-il encore apte à gouverner ? Sans doute aurait-il pu passer le flambeau à une régence préparant l’avènement du prince impérial. Eugénie révéla plus tard que l’abdication du couple en faveur de « Napoléon IV » avait été fixée à l’année 1874. Mais pour l’heure, l’Empereur savait que son régime tenait surtout par sa personne et qu’il était le meilleur arbitre des luttes internes entre les progressistes et les conservateurs. Il préférait souffrir en silence, combattre la douleur avec de l’opium et tenter de garder le contrôle des choix politiques lors des périodes d’accalmie. Laisser le pouvoir à l’impératrice aurait été un coup d’arrêt à la marche des réformes. Or, celles-ci étaient devenues indispensables. Les élections de 1869 avaient confirmé la progression des républicains. Rares étaient les grandes villes qui ne leur avaient pas offert la majorité de leurs suffrages. L’expansion économique avait apporté la prospérité à une partie seulement de la population. Elle avait aussi augmenté le nombre des ouvriers, catégorie très perméable aux idées républicaines. Il fallait donc réformer pour ne pas perdre le soutien du peuple. Pour cela, il fallait autant convaincre qu’impulser, avancer que maîtriser le rythme des progrès. Napoléon III était convaincu que l’Empire ne se maintiendrait qu’en se réformant. Il fallait inscrire solennellement dans la marche du régime cette volonté d’amendement. C’est un des sens qu’il faut donner à l’appel au peuple de 1870. Napoléon III utilisait une recette traditionnelle du bonapartisme pour retremper sa légitimité et lancer un double avertissement. Aux partisans du parlementarisme, il rappelait que le cœur du pouvoir et de la confiance populaire était aux Tuileries. Au parti de l’ordre, il signifiait que les réformes étaient irréversibles et les constitutionnalisait. Quant à l’installation d’Ollivier à la tête du gouvernement, le risque pouvait être maîtrisé : l’ancien opposant préparait son ralliement sincère à l’Empire depuis de nombreux mois. Fin politique, sa pratique visait aussi à rassurer les plus conservateurs (arrestation de Rochefort après les obsèques de Victor Noir, intervention de la troupe contre des grévistes, etc.).

En mai 1870, l’Empereur « retrouva son chiffre ». Avec 7 300 000 oui, le peuple confirmait son adhésion à sa personne. Partout, les scores obtenus par les candidats officiels en 1869 étaient améliorés, même si les villes boudaient. Ce plébiscite fut un triomphe. Le soutien de la nation à Napoléon III pouvait être considéré comme réel tant la participation avait été forte et les conditions de déroulement du scrutin régulières.

L’Empire renforcé pouvait dès lors « mourir sous les acclamations ».

II – L’inévitable conflit

Dans un numéro fameux de la Revue d’Histoire moderne et contemporaine sur l’historiographie du Second Empire (1974), Maurice Paz citait, au sujet de la guerre de 1870, une phrase de Montesquieu : « Le véritable auteur de la guerre n’est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire. » [Note de l’éditeur : cette phrase, faussement attribuée à Montesquieu serait de historien François-Auguste Mignet (1796-1884) – correction octobre 2022] Ce faisant, il rappelait que le conflit franco-prussien était inévitable depuis Sadowa et que le chancelier Otto von Bismarck fit tout pour qu’il survienne.

Depuis 1866 et l’écrasement de l’Autriche, deux puissances continentales se disputaient la primauté européenne : la France et la Prusse. La première entendait conserver une place retrouvée suite à la guerre de Crimée. La seconde avait un objectif plus dynamique : réaliser, autour de sa couronne, l’unité allemande. Pour y parvenir, rien ne valait un conflit armé qui serait d’autant plus fédérateur qu’il mettrait au prise la nation germanique et un de ses ennemis traditionnels. Dans toute l’Allemagne, « Napoléon III (était) l’héritier de Napoléon Ier, écrit François Roth, le spécialiste de la guerre de 70. Pour cette raison, il (était) depuis longtemps très impopulaire et on (pensait) que la nation française, orgueilleuse et légère, (avait) besoin d’une bonne leçon ». Dès le rétablissement de l’Empire, le roi de Prusse avait montré sa défiance vis-à-vis de la France. En 1852, Frédéric-Guillaume, prédécesseur de Guillaume Ier, avait proposé aux alliés de 1815 une alliance défensive pour contrer le successeur de Napoléon Ier. Ni la Russie, ni l’Angleterre, ni l’Autriche ne l’avaient suivi. Bismarck encouragea le ressentiment anti-français, attisé par la politique des « pourboires » : il fallait, laissait-il entendre, faire barrage aux ambitions françaises sur la rive gauche du Rhin. Dans ses Souvenirs, Bismarck confessa : « Je regardais la guerre comme une nécessité. » Dès 1868, le chancelier déclara à ses proches que le conflit était imminent. La victoire (qu’il jugeait certaine) favoriserait l’unité. Pour réussir la première phase de son entreprise, Bismarck devait isoler la France. Il fallait donc que la Prusse se rapproche de la Russie et qu’elle neutralise l’Autriche et l’Angleterre. Sur ce point, il n’eut guère à forcer le destin. La politique française le servit autant que si elle avait été menée de Berlin.

Napoléon III n’ignorait pas les intentions de Bismarck et de Guillaume Ier. Mais, depuis plusieurs années, sa santé fragile et sa mélancolie, ajoutées au sentiment de puissance qu’avaient donné les succès extérieurs, l’avaient entraîné à commettre des erreurs. L’Angleterre ne pardonna pas les revendications territoriales. L’Italie ne souhaita pas mettre en péril sa jeune unité pour secourir un allié qui l’avait déçue dans le passé. La Russie n’oublia pas la défiance française au moment de la crise polonaise. L’Autriche, malgré le sort de l’empereur Maximilien du Mexique, aurait pu avoir une attitude de soutien mais elle avait besoin de paix pour réussir les réformes intérieures entreprises avec la création de la double couronne austro-hongroise (1867). En dix ans, Napoléon III changea huit fois de ministre des Affaires étrangères (contre deux fois seulement entre 1852 et 1860), preuve de l’instabilité de ses convictions.

En 1868, sentant l’affrontement avec la Prusse approcher, l’Empereur autorisa le maréchal Niel à proposer une vaste réforme de l’armée française. Le ministre de la Guerre proposa de réorganiser l’armée de ligne et de la doubler d’une garde mobile où serviraient les exemptés et les remplacés. Il suggéra de descendre de sept à cinq ans la durée du service tout en le complétant d’un temps prolongé dans la réserve et en rendant plus difficile le remplacement. Les protestations des notables et la grogne de la paysannerie encouragèrent le Corps législatif à défigurer le projet et, en résumé, à conserver l’ancienne organisation. « Nous sommes obligés de voter la loi puisque l’Empereur le veut, déclara un député, mais nous l’arrangerons de telle façon qu’elle ne pourra pas servir. » L’armée française ne fut donc que peu modernisée : elle conserva les caractéristiques générales de celle du Premier Empire. A la mort de Niel (août 1869), son successeur au ministère de la Guerre, le maréchal Lebœuf, renonça même à donner une existence réelle à la garde mobile. Napoléon III avait laissé passer l’occasion de mettre à niveau son instrument militaire. Il le regretta l’année suivante.

III — La marche vers la guerre

Le succès du plébiscite de 1870 ennuya Bismarck. Le régime de Napoléon III en sortait renforcé et la nomination du duc de Gramont au ministère des Affaires étrangères signifiait que la France privilégierait l’alliance autrichienne. En effet, Gramont avait été ambassadeur à Vienne et n’avait jamais caché son hostilité à la Prusse. Il fallait donc que le conflit éclate le plus vite possible. Il manquait un prétexte. Il arriva bientôt et le chancelier montra, à cette occasion, son génie diplomatique.

En Espagne, la reine Isabelle II avait été chassée par le maréchal Prim et le trône était vacant. Le 3 juillet 1870, le prince Léopold de Hohenzollern, lointain cousin du roi de Prusse, accepta de poser sa candidature à la couronne d’Espagne. A Paris, l’opinion et la presse s’enflammèrent : il ne pouvait être question de laisser « se reconstituer l’empire de Charles Quint » et de laisser la puissance germanique « encercler » l’Empire. En Europe, la façon dont la candidature de Léopold avait été préparée par le cabinet prussien fut critiquée et on considéra, notamment à Londres, que les griefs des Français étaient légitimes. Le 6 juillet, Gramont déclara au Corps législatif que la candidature était une menace et que, si elle n’était pas retirée, le gouvernement était prêt « à faire son devoir, sans hésitation et sans faiblesse ». L’ambassadeur de France en Prusse, Benedetti fut envoyé auprès de Guillaume Ier, qui prenait les eaux à Ems, pour obtenir le retrait de la candidature Hohenzollern. Le 12 juillet, ce fut chose faite. La crise semblait s’apaiser. C’était sans compter sur Bismarck et sur l’entêtement de la partie conservatrice de l’entourage de Napoléon III. Gramont demanda, en effet, une déclaration solennelle du roi de Prusse précisant qu’il assurait le renoncement définitif de Léopold. Le 13 juillet, sans impolitesse, mais fermement, Guillaume refusa de donner cette garantie supplémentaire. Bismarck donna une large publicité à ce refus et la compléta par la diffusion d’un communiqué (la fameuse « dépêche d’Ems ») dans lequel il écrivit notamment : « Sa Majesté a refusé de recevoir encore l’Ambassadeur et lui a fait dire par l’aide de camp de service qu’Elle n’avait plus rien à lui communiquer. » C’était, confia plus tard le chancelier, produire « sur le taureau gaulois l’effet du drapeau rouge ». A Paris, la dépêche fut interprétée comme une insoutenable provocation. Le 15 juillet, les crédits militaires furent votés par le Corps législatif. Le 19 juillet, la France déclara la guerre à la Prusse, en position d’agresseur, ce qui la coupa du reste de l’Europe. À la chambre, Émile Ollivier, le pacifiste, prononça un discours qui lui fut injustement reproché par les historiens républicains. Parlant de la guerre, il affirma que lui et ses collègues du gouvernement l’acceptaient « d’un cœur léger, je veux dire d’un cœur que le remords n’alourdit pas (car) cette guerre que nous faisons, nous la subissons ». On ressortit plus tard le mot maladroit (« cœur léger ») de son contexte pour accabler le ministre.

IV — Napoléon III voulait-il la guerre ?

L’attitude de Napoléon III lors de la montée des tensions entre la France et la Prusse montre que l’Empereur ne voulait pas la guerre. La princesse de Metternich le sentit « effrayé » lorsque le conflit devint inévitable. Il connaissait la machine militaire prussienne (grâce aux rapports que lui avait adressés le colonel français Stoffel) et les défauts de sa propre armée, insuffisamment réorganisée par la loi Niel. Il avait été choqué par les pénibles scènes des batailles d’Italie. Enfin, il était informé de son état de santé et de la nature de son mal, ne serait-ce que par les crises violentes qu’il devait surmonter. Il venait de refuser une opération risquée, la seule qui ait eu quelque chance de le guérir. Malheureusement, Napoléon III se laissa convaincre par son entourage et entraîner par l’opinion publique qui voulait la guerre.

Pour les bonapartistes « autoritaires » (Rouher, Cassagnac, David, Duvernois, etc.), la guerre serait une bonne occasion de reprendre le pays en main. C’est pourquoi ils firent tout pour placer Napoléon III sur le chemin du conflit. L’impératrice les y aida à sa mesure — qui était grande. Pour elle, le trône de son fils ne pouvait être garanti que par un régime fort. Pendant la crise de juillet 1870, l’ambassadeur d’Autriche, Metternich, télégraphia à son gouvernement : « J’ai trouvé l’impératrice tellement montée en faveur de la guerre que je n’ai pas pu m’empêcher de la plaisanter un peu. »

Les conservateurs voyaient dans la guerre une occasion de se débarrasser d’Émile Ollivier, pacifiste dans l’âme et trop libéral à leur goût. Au Corps législatif, ceux qu’on appelait les « mamelucks », les hommes les plus à droite, hurlèrent à la guerre. Gramont leur céda et trompa Napoléon III en le poussant à exiger un engagement formel de Guillaume Ier de renoncer à tout jamais aux prétentions des Hohenzollern sur la couronne espagnole.

Quant à la dépêche d’Ems, une simple dépêche d’agence de presse, elle fut considérée comme insultante avant même que le gouvernement en ait obtenu une copie officielle. Ce sont des articles de la presse étrangère qui fondèrent l’exaspération des « patriotes » désireux d’en découdre. L’ambassadeur Benedetti, présent à Paris, ne fut même pas reçu par le conseil des ministres du 15 juillet 1870 pour apporter son témoignage sur l’affaire de « l’aide de camp de service ». Il fit tout pourtant pour se faire entendre. On se contenta du rapport d’un tiers qui l’interrogea brièvement. Lors de cette réunion du gouvernement, l’Empereur se prononça d’abord clairement contre la guerre puis, petit à petit, il se laissa fléchir, avant de donner son aval aux menées de Gramont. Napoléon III avait espéré la réunion d’un congrès européen pour régler le différend. L’impératrice, les militaires et les adversaires d’Ollivier avaient réussi à lui faire changer d’avis.

Manœuvrée par les partisans du conflit, la presse (à l’exception de quelques titres orléanistes et républicains modérés) emboucha les trompettes de l’orgueil national outragé. Au milieu de mille articles et chroniques, citons l’appel intéressé de Cassagnac dans Le Pays (« Le gouvernement de Napoléon III doit à celui de Napoléon IV d’enlever sur son chemin toutes les pierres qui pourraient le faire trébucher ») ou les fanfaronnades de Girardin demandant qu’on force « à coup de crosses » les Prussiens à accepter le combat. Les appels à la guerre des gazettes ne restèrent pas sans effet sur le peuple. À l’annonce de la dépêche d’Ems, les boulevards se couvrirent de monde chantant La Marseillaise et voulant se rendre À Berlin !.

Si Napoléon III ne voulut pas la guerre, il s’y laissa mener. Son état de santé et sa volonté déclinante l’empêchèrent de gérer l’affaire franco-prussienne avec sa clairvoyance du temps passé. Il avait trouvé en Bismarck plus patient et plus rusé que lui.

V — La débâcle

La guerre impériale fut de courte durée. Napoléon III avait, par devoir et nécessité politique, décidé de prendre le commandement de l’armée. Accompagné du prince impérial, il quitta Saint-Cloud pour Metz, le 28 juillet 1870. Physiquement et techniquement incapable de diriger la manœuvre, il ne fut qu’un spectateur impuissant de la déroute. Il ne put non plus avoir de prise sur les événements parisiens. Mise en œuvre in extremis du régime parlementaire, le ministère Ollivier fut renversé le 9 août. Le « vainqueur de Pékin », le général Cousin-Montauban, comte de Palikao, et une cohorte de bonapartistes autoritaires le remplacèrent. Leurs efforts pour alerter et convaincre d’autres puissances d’entrer dans le conflit furent vains. En Alsace et en Lorraine, l’armée française ne connut que des défaites : Spicheren, Woerth, Nancy, Borny, Rezonville, Saint-Privat, etc. Napoléon III décida de reformer une armée à Châlons. L’impératrice lui déconseilla de rentrer à Paris et il prit la direction du Nord en longeant la Meuse. Le 1er septembre, son armée était encerclée à Sedan. Après plusieurs tentatives infructueuses, l’Empereur décida d’arrêter l’effusion de sang et se rendit aux Prussiens, avec 84 000 hommes.

Le 3 septembre 1870, la capitulation de Sedan fut connue à Paris. Le lendemain 4 septembre, après l’invasion du Palais-Bourbon par la foule, l’impératrice quitta la capitale sans abdiquer. Le général Trochu, un orléaniste nommé gouverneur de la capitale par Napoléon III trois semaines plus tôt, prit la tête d’un « gouvernement de la Défense nationale » après que, à l’Hôtel de Ville, Gambetta eut proclamé la République.

Combat à Balan ou la dernière cartouche, 1870, par Alphonse Neuville, 1873
© RMN-Grand Palais, Maison de la dernière cartouche-Bazeilles, Hervé Lewandowski

VI – L’exil et la mort de Napoléon III

Après sa reddition de Sedan, Napoléon III fut détenu pendant six mois, avec tous les égards dus à un souverain, au château de Wilhemshôhe, près de Cassel. Il n’y eut rien de semblable, dans cette première partie de son nouvel exil, à la dure captivité qu’avait connue son oncle à Sainte-Hélène. Sa santé s’améliora même grâce à ce repos forcé. Il crut longtemps que le peuple de France lui gardait son affection et que, une fois la paix revenue, il accepterait son retour aux affaires. La débâcle, la paix de Francfort et la Commune lui enlevèrent ses dernières illusions.

Le pouvoir échappait aux Bonaparte rendus responsables par le gouvernement provisoire de tous les malheurs de la nation. De son côté, la Prusse tenta de se servir de l’Empereur. Celui-ci refusa l’offre de paix faite par Bismarck en échange de cessions de territoires. Fin août 1870, le chancelier avait commencé à parler ouvertement de l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Il laissa entendre que l’armée de Bazaine, bloquée dans Metz, pourrait être mise à la disposition de Napoléon III pour marcher sur Paris et reprendre le pouvoir. Dans sa correspondance avec Eugénie, qui avait pu gagner l’Angleterre, le prisonnier de Cassel avait bien spécifié que rien ne devait être fait qui puisse laisser supposer que la dynastie passait à ses yeux avant le pays. La capitulation de Metz fut un rude coup porté aux espoirs de la famille impériale. La plupart des projets imaginés ensuite par ses partisans s’avérèrent impraticables, notamment en raison des désaccords profonds qui divisaient les entourages de l’Empereur et d’Eugénie.

En mars 1871, Napoléon III prit la route de l’Angleterre, son exil habituel, serait-on tenté d’écrire. Quittant Cassel, il apprit les débuts de la Commune et fut renforcé dans sa conviction que l’anarchie menaçait la France et qu’il serait, le moment venu, le recours vers lequel le pays se tournerait. Il rejoignit l’impératrice et le prince impérial à Chislehurst, petit village de la grande banlieue de Londres, où des amis de Miss Howard avaient mis une maison de campagne à leur disposition. Là, entouré d’une suite légère mais brillante (vingt confidents et une trentaine de domestiques), on tenta de recréer l’ambiance et l’étiquette des Tuileries. La reine Victoria ne ménagea pas ses efforts pour que la famille impériale française jouisse de confort et de considération. Elle rendit plusieurs fois visite à ses « cousins ».

Dans l’espoir de voir un jour sa dynastie restaurée, Napoléon III continuait à écrire, à recevoir et à se confier, pour justifier ses actes passés comme pour préparer la restauration. Il reçut, au début de son séjour, plusieurs milliers de lettres de soutien par semaine. Il prenait un soin particulier à l’éducation du prince impérial, à présent âgé de quinze ans.

En France, l’armistice avait été signé le 28 janvier 1871. Aux élections de février, organisées sous le contrôle de l’occupant prussien, une vingtaine de députés bonapartistes étaient entrés à la chambre, siégeant à Bordeaux. Les abstentions avaient été nombreuses, ce qui avait sans doute désavantagé le parti de l’Empereur. Mais la vraie question posée lors de ces élections était celle de la poursuite de la guerre. En choisissant les conservateurs et en éliminant une partie des républicains, l’électorat avait voté pour la paix. Le nouveau « parti de l’ordre », dominé par les royalistes, avait fait adopter la déchéance de Napoléon III, le 1er mars, par 760 voix contre 5. Le 6 mars, l’Empereur publia une « proclamation au peuple français » dans laquelle il proposait un appel au peuple pour trancher la question des institutions et du régime. Jérôme-Napoléon et Rouher commencèrent à organiser un semblant de parti bonapartiste, alors que les journaux et brochures favorables à l’Empire reprenaient leur parution. Leur premier objectif fut de faire oublier, autant que possible, la débâcle de 1870, soit en accusant les hommes à présent au pouvoir d’avoir appuyé le parti de la guerre, soit en réhabilitant l’œuvre du règne. Mais les nouvelles de France n’étaient pas bonnes. M. Thiers avait réussi à réprimer — et avec quelle vigueur ! — la Commune et c’étaient à présent les Bourbons qui espéraient reprendre le trône de Charles X, pour les légitimistes, de Louis-Philippe, pour les orléanistes. En novembre 1872, Thiers fit savoir que sa préférence allait à la République.

On échafauda encore des plans de retour à Paris. Depuis Prangins, propriété suisse de Napoléon-Jérôme qui, avec Fleury, était plus actif que jamais, Napoléon III pourrait prendre la tête d’un régiment de dragons et, comme son oncle au retour de l’île d’Elbe, remonter vers Paris, entraînant les garnisons sur son passage. Il semble que l’opération ait été prévue pour mars 1873. Mais, avant tout autre projet, l’Empereur devait penser à sa santé, une nouvelle fois déclinante.

La reine Victoria mit son médecin à la disposition de Napoléon III. Un grand spécialiste des maladies de la vessie le rejoignit et tous deux décidèrent d’opérer pour broyer et expulser la pierre qui faisait tant souffrir leur patient. Une première opération eut lieu le 2 janvier 1873, et une seconde, quatre jours plus tard. Le 9 janvier, alors qu’une troisième intervention devait avoir lieu, Napoléon III sombra dans le coma et mourut.

Le 15 janvier 1873, les funérailles du dernier empereur réunirent plusieurs milliers de Français qui avaient traversé la Manche. En 1888, le corps de Napoléon III fut transféré dans l’église de Farnborough, construite sur les ordres d’Eugénie. On plaça à côté de la sienne la tombe du prince impérial, mort sous l’uniforme anglais au Zoulouland, en 1879. L’impératrice les rejoignit en 1920. A ce moment, les déchirements du parti bonapartiste et le triomphe de la République avaient rendu impossible toute nouvelle restauration impériale.

Auteur : Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon, extrait de Napoléon III, Que Sais-Je ?, 1995

► À lire sur napoleon.org : « La politique extérieure de Napoléon III« , par Thierry Lentz

► À consulter sur napoleon.org : la chronologie du règne de Napoléon III

► À lire, la biographie de Napoléon III. La modernité inachevée, par Thierry Lentz, parue en 2022, coédition Perrin, Bibliothèque nationale de France

mise en ligne février 2020 ; correction et ajout de référence octobre 2022

Partager