Document : Récit de Camerone, 30 avril 1863 (Mexique)

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Introduction

Camerone (30 avril 1863) est la bataille mythique des légionnaires. Il la commémorent chaque année. Elle incarne pour eux leur devise : »Legio patria nostra » et le sacrifice ultime de soi pour les autres.

Camerone c'est 65 légionnaires qui réussirent à résister plus d'une journée, jusqu'à l'assaut final, à l' attaque d'importantes troupes mexicaines.
 
 
A consulter ici le récit officiel par la Légion étrangère


Mais en voici aussi le récit (romancé) élaboré par Louis Noir à partir des témoignages des rares survivants et paru en 1867 :


Récit

« Ce jour-là on attendait un convoi d'argent considérable : trois millions de francs environ.
Jusqu'à Palo Verde, on ne rencontra pas un seul juariste ; le capitaine Danjou fit mettre sa à terre et ordonna à son monde de préparer le café. L'aube commençait à poindre […]
Soudain, le cri : « aux armes ! » retentit. En un instant tous sont sur pieds ; le café bouillant est renversé, les sacs sont bouclés, et la compagnie se range en bataille. Six cents cavaliers [juaristes menés par leur chef : Milan]débouchaient des rues de Palo Verde en face duquel nous étions établis. La situation était grave. Notre poignée d'hommes avaient dix lieues à faire sous le feu et les charges d'une cavalerie dix fois supérieure en nombre ; la compagnie se mit en défense […].

Les juaristes manoeuvrèrent pour se porter contre notre petite compagnie […] mais les légionnaires se jetèrent au milieu des broussailles qui s'étendaient à droite de la route ; ils se couvrirent d'une arrière garde de quelques tirailleurs adroits et ils battirent en retraite à travers champs […]. Milan  essaya en vain de se lancer contre la compagnie ; les chevaux se heurtaient aux buissons que nos fantassins tournaient facilement. De plus le feu de nos tireurs fit éprouver des pertes à l'ennemi, et on le vit disparaître avec l'intention évidente de nous couper la retraite un peu plus loin. […] La colonne française se dirigea sur Tamasone sans être inquiétée. […] Milan parut sur notre droite au moment où nous atteignions les maisons.

Le capitaine Danjou, espérant intimider l'ennemi et se dégager par un acte d'énergie, marcha contre les guérillas.

[…] quand ils (les juaristes) jugèrent suffisante la distance qui séparait notre colonne des maisons, ils firent  volte face, enveloppèrent la compagnie, lui coupant toute retraite, puis ils s'abattirent sur elle tous ensemble en poussant des cris sauvages. […]
Nos légionnaires étaient froidement formés en cercle ; les guérillas furent reçues par un feu nourri et bien dirigé ; ils s'arrêtèrent  à vingt pas des baïonnettes.[…] Les escadrons se replièrent.[…]

Le capitaine Danjou profita de ce premier succès pour escalader avec sa colonne un talus dominant la route ; puis se lança  sur le village, dispersant et chassant devant lui, dans les rues, les pelotons désorganisés qui s'opposaient à sa marche ; il gagna ainsi une sorte de ferme [hacienda]. Que l'on s'imagine une cour parfaitement carrée, chaque côté ayant soixante-trois mètres de long, un mur formant trois faces, un bâtiment formant la quatrième  face. La compagnie entra par la porte principale su bâtiment et s'en empara ; Milan, avec cent hommes qu'il avait  rallié et qu'il avait fait mettre à pied, pénétra en même temps dans la ferme par une petite porte basse à l'extrémité de l'aile droite. Par bonheur, cette aile ne communiquait avec la cour que par une fenêtre, tandis que la partie occupée par nous avait deux entrées sur cette cour ; si bien que nous pûmes y descendre, ce qui fut impossible à l'ennemi. Nos soldats se fractionnèrent en différents postes qui s'établirent aux entrées de chaque face et les défendirent ; une partie monta sur les toits.[…]

L'ennemi laissa ses meilleurs tireurs à la fenêtre de l'unique chambre de leur aile qui avait vue sur la cour ; ces hommes avaient mission de décimer les défenseurs des portes. Mais ceux-ci dirigèrent une fusillade qui juste et si nourrie contre cette fenêtre, que les juaristes n'osèrent s'y montrer […]

L'espace à défendre était si grand que les assaillants purent sans peine couronner les murs sur les points mal gardés ; de là ils déchargeaient leurs armes sur nous. On courait à eux et on les repoussait, mais ils reparaissaient ailleurs. Bientôt nous eûmes des blessés et des morts ; le capitaine Danjou fut tué presque au début. Le sous-lieutenant Villain prit le commandement. […] Jusqu'à midi les hommes de Milan furent maintenus à bonne distance ; malgré leur énorme supériorité, ils n'osent donner l'assaut. Tout à coup, le tambour bat ; les légionnaires croient à l'arrivée d'un secours : ils voient près de trois bataillons ennemis déboucher des rues devant la ferme. Cependant, les assiégés ne se laissent pas abattre, ils saluent ironiquement les forces nouvelles de l'ennemi par des hourahs de défi. […] Les juaristes, piqués par les appels insolents des nôtres, se lancent contre la ferme ; ils reçoivent à vingt, puis à dix pas, deux décharges sous lesquelles ils s'arrêtent, tourbillonnent et s'enfuient. Cinquante cadavres jonchent le sol […].

Deux brèches sont ouvertes à coups de pioche : une dans le mur de la cour, l'autre qui élargit la fenêtre de la chambre occupée par les juaristes ; ceux-ci nous criblent alors facilement par ces deux ouvertures. La compagnie tient bon ; mais en trois heures, elle perd son lieutenant et les deux tiers de son effectif.

Milan juge enfin que l'heure d'en finir est venue. Il forme ses bataillons en colonnes, mais l'infanterie refuse d'avancer ; les baïonnettes des quelques survivants étincellent de chaque côté des brèches et les juaristes redoutent des armes si terribles en nos mains.

Milan fait alors entasser de la paille devant la ferme et y met le feu. La fumée nous aveugle ; notre tir devient incertain. Nous perdons une dizaine d'hommes. Le colonnel ennemi, qui nous sait aux abois, essaye de noue intimider […].

Milan fait alors défiler ses troupes devant les brèches, leur montre la compagnie exterminée, les blessés et les morts encombrant la cour ; le peu de Français survivants exténués par la chaleur, la faim, la fatigue, la soif. […]

Les légionnaires usent leurs dernières cartouches, repoussent la première colonne à l'arme blanche ; mais de toutes parts les murs sont envahis, et, dans une mêlée à l'arme blanche, presque tous les légionnaires périssent broyés par la masse qui les étreint. M. Maudet et sept hommes se jettent dans un hangar, ils s'y barricadent ; pendant dix minutes cette escouade tient toutes les forces ennemies en échec.

Enfin la dernière amorce est brûlée… Alors M. Maudet et ses hommes démolissent les barricades et tombent, la baïonnette en avant, sur les troupes qui remplissent la cour ; ils essuient une décharge épouvantable et sont achevés à coups de sabre. Un soldat reçut vingt-huit balles. Le dernier qui tomba fut Maudet, blessé à mort. »
 
 
Louis Noir, Campagne du Mexique. Puebla : souvenir d'un zouave, A. Faure. 1867.

 
Ce texte fait partie du dossier thématique sur la Campagne du Mexique (1861-1867)

 

 

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