Bondartchouk : Waterloo

Auteur(s) : BONDARTCHOUK Serguej, GODLEWSKI Guy
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Disposant de moyens illimités, d'une figuration jamais atteinte, d'un luxe d'uniformes inouï, de toutes les ressources de la couleur, de la stéréophonie et même du survol en hélicoptère, Serguei Bondartchouk a réalisé la plus extraordinaire évocation d'un champ de bataille : il s'est même surpassé par rapport à ses reconstitutions antérieures d'Austerlitz et de Borodino dans « Guerre et Paix ».

Il y a dans ce film des séquences admirables : l'attaque de la ferme d'Hougoumont (à laquelle il est regrettable de n'avoir pas associé la mémoire du roi Jérôme), les charges de cavalerie française et anglaise (certaines prises au ralenti) sont de véritables Delacroix ; la lente montée de l'infanterie française à l'assaut des pentes du Mont Saint-Jean, le survol des charges de cavalerie de Ney contournant les carrés anglais, tout cela est saisissant de vérité, on croit vivre la bataille.
Certes, on pourrait reprocher au terrain choisi son excessif vallonnement qui n'est certes pas celui de la « morne plaine », mais il fait mieux voir les mouvements de troupes. On peut critiquer les allusions pacifistes déplacées du soldat anglais s'interrogeant en pleine bataille sur la raison de sa présence et la chevauchée solitaire de Wellington, rêvant tout haut entre des milliers de cadavres alignés. Ce n'est pas très grave et l'on peut applaudir sans réserve la lente préparation du combat où Napoléon et Wellington tentent de sonder les intentions de l'adversaire.
Autre sujet de réussite, les remarquables mouvements de foule à l'occasion de l'entrée de Napoléon à Lyon au cours du Vol de l'Aigle et de son arrivée aux Tuileries le 20 mars 1815. Bondartchouk est passé maître dans l'expression de l'enthousiasme populaire. Sur le point du spectacle, ce film atteint des sommet..

On ne saurait hélas ! en dire autant de l'interprétation. L'acteur Rod Steiger est un des plus faux Napoléon qu'il nous ait été donné l'occasion de voir. Le physique n'y est pas, avec le masque infiltré, les yeux bruns, le gros nez, l'air vague et comme drogué ; ces critiques ne vont pas à l'acteur dont le talent n'est pas en cause, mais à celui qui lui a fait forger un personnage pleurard, suant, mal rasé, au faciès figé, au rictus inexpressif, paraîssant dix ans de plus que son âge. Avec le cachet qu'il a dû recevoir, on eût certainement trouvé cent Napoléons plus conformes. Et pourquoi nous présenter l'Empereur avec des bésicles, qu'à ma connaissance il n'a jamais portées, et avec un parti pris de déchéance physique. Pourquoi avoir fait Napoléon s'écrouler de douleur et s'allonger sous les ailes du moulin de la Belle Alliance en proférant des paroles ineptes au plus fort de la bataille ? Quant à Wellington, incarné par Christopher Plummer, certainement beaucoup plus beau qu'il ne le fût, il paraît à l'inverse de Napoléon étonnamment rajeuni : l'un pourrait paraître le fils de l'autre, alors qu'ils avaient exactement le même âge.
Dans les rôles accessoires, le meilleur alterne avec le pire : Orson Welles campe un étonnant Louis XVIII, John Savident un saisissant Général Muffling et d'autres acteurs moins connus le Général Pincton, le Colonel Ponsonby et Lord Uxbridge, avec un égal bonheur. En revanche Blücher sous les traits de Serguei Zakhariadze, le maréchal Ney (Dan O'Herlihy), le maréchal Soult (Ivo Garrani) semblent avoir été tirés du magasin d'accessoires.

Enfin il paraîtra regrettable au public français d'avoir consacré cinq milliards et beaucoup de talent à la célébration de la plus lourde défaite de notre Histoire. Et d'avoir chargé un acteur anglo-saxon du rôle de Napoléon, ce qui est tout de même un comble…

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
257
Numéro de page :
38
Mois de publication :
janvier
Année de publication :
1971
Année début :
1815
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