Les relations franco-espagnoles. Réflexions sur l’avant-guerre (1789-1808)

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Pourquoi Napoléon est-il intervenu en Espagne ? Pourquoi a-t-il voulu transformer cet allié docile en pays satellite puis en vassal gouverné par un des siens ? Pourquoi, ce faisant, a-t-il ouvert un « second front » – car tout indiquait que les alliances russe, prussienne et autrichienne étaient fragiles – et mis le doigt dans l’engrenage qui allait broyer son oeuvre ? Pourquoi a-t-il voulu guerroyer sur un terrain oublié des conquérants français plutôt portés à exercer leurs talents dans la péninsule italienne ou dans les plaines du nord-est européen ?
Ces questions – et bien d’autres – sont au coeur du travail des historiens depuis le début des études napoléoniennes. Le présent article a pour objectif de proposer une réflexion sur quelques éléments de réponse puisés dans le déroulement et les enjeux des relations diplomatiques entre la France et l’Espagne, de 1800 à 1808, et dans les courants plus profonds de l’histoire des rapports entre les deux pays. Car l’avant-guerre d’Espagne ne se résume pas aux menées ambitieuses de Napoléon, au jeu trouble de Talleyrand, à la trahison de Godoy, aux nécessités du blocus continental et à la souricière de Hayonne. Elle se déroule sur fond de rancunes issues de la Révolution, d’oppression étatique de la France sur son voisin, d’une méconnaissance (volontaire ou non, c’est une question intéressante) des réalités espagnoles par l’entourage de l’Empereur et, pour tout dire, d’un mépris unanime des Gaulois pour les Ibères  » décadents « .
Ainsi, nous aborderons deux aspects des relations franco-espagnoles qui ne pouvaient manquer de conduire à la guerre: les relations naturellement conflictuelles entre les fils de la Révolution et le roi bourbon Charles IV (I) et la tentative de faire de l’Espagne un satellite de la France (II).

1. L’Espagne et la Révolution française

 

La guerre d’Espagne trouve ses origines lointaines dans les rapports conflictuels du royaume de Charles IV avec la Révolution française et la politique menée par cette dernière à l’égard de son voisin. Aux yeux des conservateurs espagnols, Napoléon Bonaparte n’était que le successeur du régime qui a mis à mort un roi catholique et fait la guerre à l’Europe pour lui imposer les Lumières. De son côté, le chef de l’état français s’est toujours comporté face à l’Espagne comme l’héritier de la politique étrangère précédente. André Fugier a fort bien résumé cette impression :  » Face à l’Espagne, dynastie et nation, Napoléon se posa et agit toujours en homme de la Révolution française. Or, aucun peuple en Europe n’était plus éloigné de la mentalité révolutionnaire et moins disposé à se la laisser imposer. Ces deux entêtements allaient s’épuiser l’un l’autre « (1)
Il n’est donc pas inutile de remonter un peu dans l’histoire des relations franco-espagnoles pour mieux comprendre ce que les Français appellent  » la guerre d’Espagne  » et que les Espagnols appellent, de façon significative,  » la guerre d’Indépendance « .

L’Espagne et les Lumières.
On a longtemps décrit l’Espagne comme une nation entièrement isolée du mouvement des Lumières. Ce sentiment encore largement répandu, est le résultat de la façon dont on a remodelé le passé sous le régime du général Franco. A cette époque, les Illustrados – c’est ainsi que l’on désigne les partisans des réformes sous le règne de Charles III – étaient considérés comme des ennemis des traditions et des racines nationales. L’historien franquiste Ortaga y Gasset les qualifiait de  » réformateurs anti- espagnols  » et croyait juste de leur faire perdre le droit de figurer dans l’histoire  » officielle  » du pays.
Et pourtant, le règne de Charles III ( 1759-1788) fut riche en initiatives visant à moderniser la monarchie absolue, sur fond de société profondément ancrée dans l’Ancien Régime. Acteurs de la vie politique et philosophes discutèrent de bien commun, de citoyenneté, de constitution et de liberté. Le roi lui-même put être considéré comme un despote éclairé, malgré la résistance farouche de la société aux changements. Souverain moderne, Charles III délaissait volontiers l’activité de cour pour se consacrer au développement économique et social de son royaume, n’hésitant pas à s’attaquer aux privilèges les plus injustifiables de l’Eglise et de la haute noblesse. Il prit comme ministres des hommes tels le Sicilien Esquilache ou le Castillan Aranda, ancien confident de Frédéric le Grand, ami de Voltaire et d’Alembert. On cite souvent, en exemple des mesures modernes imposées à cette époque, l’interdiction de porter le chapeau à large bord qui couvrait les yeux et son remplacement par un chapeau et un habit à la française. Mais les réformes débordèrent le cadre de la mode : limitation des pouvoirs de l’Inquisition, expulsion des Jésuites, nomination à la tête de l’économie de Pierre Campomanès, disciple de Quesnay et Adam Smith. Donc, l’Espagne de Charles III bougea. Mais elle le fit avec prudence et lenteur car il fallait composer avec le clergé et la puissance de ses conceptions conservatrices auprès des masses. Malgré le contrôle étroit des libertés publiques et de la librairie, les idées nouvelles pénétrèrent la péninsule, mais avec  » modération et timidité  » (2).
En politique extérieure aussi, Charles III réussit à rendre un certain lustre à son pays. Il mit en oeuvre les principes traditionnels de la politique extérieure espagnole : s’émanciper de la tutelle française tout en luttant contre la puissance anglaise qui empêchait le développement serein du commerce avec les colonies. Avec la France, cette stratégie était complexe. Les deux pays étaient liés par le  » pacte de Famille  » (1761), qui unissait les Bourbons de France, d’Espagne, de Naples et de Parme. Son objectif avoué était de faire pièce à l’expansionnisme britannique. Dans le même temps, Madrid souhaitait conserver son indépendance face à son puissant voisin. C’est pourquoi Charles III tenta de diversifier la politique extérieure de l’Espagne en multipliant les contacts, notamment avec la lointaine Prusse et le Saint-Siège. Malgré l’équilibre instable d’une telle politique, à la veille de la Révolution, l’Espagne était redevenue une monarchie qui comptait en Europe, ce d’autant plus qu’un certain centralisme avait triomphé, rendant plus cohérent l’ensemble national constitué par les provinces de la Péninsule.
Lorsque Charles III mourut, le l4 décembre 1788, il laissa à son successeur une Espagne en voie de retrouver une puissance telle qu’elle n’en avait pas connue depuis deux siècles. Son fils monta sur le trône, sous le nom de Charles IV. Agé de quarante ans, il n’avait aucune expérience des affaires publiques. Il se passionnait plutôt pour la culture physique, la chasse et, à ses (nombreux) moments perdus, à la fabrication de chaussures (il en fabriquait toujours une paire pour ses hôtes de marque), l’armurerie et la menuiserie. Au physique comme au moral, il ressemblait à son  » cousin  » Louis XVI. Marié, depuis vingt-trois ans, à Marie-Louise de Parme, il rencontrait de grosses difficultés dans son intérieur. Son épouse était dotée d’un solide appétit de vivre et collectionnait les amants. Après nombre d’aventures passagères, elle s’était éprise d’un jeune homme de seize ans son cadet : Manuel Godoy. Au lendemain de la mort de Charles III, l’amant fut nommé garde du corps, premier pas vers la haute noblesse et les responsabilités gouvernementales.
C’est donc un attelage bien fragile qui conduisait les destins de l’Espagne au moment où éclata la Révolution française.

L’Espagne et les débuts de la Révolution française
Les premières réactions espagnoles aux événements versaillais et parisiens de 1789 ne furent pas hostiles. Madrid ne prit pas immédiatement conscience de la profondeur du mouvement qui débutait, si bien que les rapports avec la France ne se dégradèrent que lentement (3). Il est vrai qu’en mai l789, 1’Espagne et son premier ministre Floridablanca avaient leurs propres problèmes : émeutes en Catalogne, situation économique et alimentaire  » tendue  » en raison de mauvaises récoltes successives. Les Cortès venaient de reconnaître le prince des Asturies, Ferdinand, comme héritier du trône et en avaient profité pour abolir la loi salique, nouvelle preuve d’un désir d’affranchissement de la tutelle, vraie ou potentielle, de la France (4).
Lorsque le gouvernement espagnol se rendit compte de la gravite de la situation en France, il décida d’établir  » un cordon sanitaire comme contre la peste « . Le ton des relations entre l’Espagne et la France révolutionnaire était donné. Les représentants aux Cortès furent renvoyés dans leurs foyers, pour éviter qu’il ne leur vienne l’idée d’imiter les États généraux. La librairie fut épurée et censurée, en réponse aux premières réactions enthousiastes de quelques intellectuels à la prise de la Bastille et à l’abolition des privilèges. L’Inquisition fut autorisée à confisquer les imprimés et manuscrits  » s’opposant (…) à la subordination, à la vassalité, à l’obéissance, au respect dû à notre vénérable monarque « . L’armée reçut l’ordre de se tenir prête et les voyages en France furent rendus plus difficiles. Il fut bientôt interdit de commenter les nouvelles venues d’outre Pyrénées (5). Les 14 000 familles françaises de la péninsule furent placées sous surveillance et considérées comme suspectes. Le 18 juillet 1790, à Aranjuez, Floridablanca fut blessé d’un coup de poignard porté par un Français nommé Perret, peut-être agent des révolutionnaires les plus avancés. Les conservateurs y virent un signe des intentions de la France nouvelle à l’égard des Bourbons d’Espagne.
Les relations franco-espagnoles se refroidirent. Elle devinrent glaciales après l’affaire du Nookta Sound. Il s’agit de la saisie par les Espagnols de deux navires anglais qui tentaient d’établir un comptoir illégal en Californie. Le ton monta entre Londres et Madrid, sans que Paris prenne position en faveur de son allié traditionnel, comme le prévoyait le pacte de Famille. L’Assemblée Nationale mit des semaines avant d’autoriser Louis XVI à appliquer les accords antérieurs à 1789. Lorsqu’elle y consentit enfin, il était trop tard : Charles IV se contenta de  » prendre acte  » du soutien de la France et entama des pourparlers directs avec l’Angleterre. Il refusa même pendant de longs mois d’accueillir la nouvel ambassadeur, après le rappel à Paris du duc de Vauguyon. Dans la capitale française, l’ambassadeur Nunez envenimait la situation : il critiquait publiquement le régime français et  » suppliait  » son gouvernement de le rappeler, pour échapper aux  » fous  » qui étaient au pouvoir à Paris. Charles IV lui fit savoir qu’il ne serait pas rappelé : on allait avoir besoin de lui. Après la passivité, Madrid avait choisi la suractivité.
À partir de ce moment, Nunez se rendit chaque jour aux Tuileries. La correspondance entre Charles IV et Louis XVI s’intensifia. Le premier commença à se sentir investi de la confiance de son  » cousin  » et se promit de ne pas l’abandonner dans l’épreuve. Après avoir conseillé un rapprochement de la monarchie et du peuple, pour couper l’herbe sous le pied des révolutionnaires, Charles IV milita pour la fermeté sur les principes et le double jeu politique. Marie-Antoinette le tint informé des projets de fuite de la famille royale et alla jusqu’à lui proposer une démonstration militaire de l’Espagne pour faire pression sur le gouvernement français. Le roi resta prudent. Certes, il entendait bien sauver Louis XVI, mais l’abaissement de la France, minée par les troubles, était aussi un avantage pour son pays. Après Varennes, la réaction de Madrid fut ferme, voire menaçante, à l’initiative de Godoy. Pour avoir adouci le message de protestation de son roi, Nunez fut rappelé. Iriarte le remplaça. Plus tard, Charles IV refusa de répondre à la lettre par laquelle Louis XVI lui annonçait qu’il venait d’accepter la nouvelle constitution.
En février 1792, une embellie éclaira brièvement le ciel des relations franco-espagnoles : Floridablanca fut remplacé par le vieux comte d’Aranda, lecteur passionné des Lumières et homme de bonne volonté. On le flanqua de Manuel Godoy qui fit ainsi son entrée dans le gouvernement. L’ambassadeur de France, Bourgoing, qui connaissait et aimait l’Espagne, se réjouit du réchauffement des rapports entre les deux voisins. Mais les révolutionnaires ne saisirent pas la main tendue – même timidement. Condorcet continua à inviter les Espagnols à se soulever pour participer à la révolution européenne que prônaient les Girondins. Ces derniers favorisèrent l’installation de comités de propagande à Bayonne et à Perpignan. Les Français accusèrent – non sans raisons – les Espagnols de fomenter des troubles à Saint-Domingue et de brimer leurs concitoyens dans la péninsule.

L’Espagne et le procès de Louis XVI
Le procès et l’exécution de Louis XVI firent basculer l’Espagne du côté des ennemis de la France. Cette affaire est essentielle pour comprendre les rapports entre les deux gouvernements dans les quinze années qui suivirent. La mise à mort du  » cousin  » de Charles IV allait être au coeur de la rancune entretenue par la noblesse et le clergé espagnols contre la France révolutionnaire, consulaire puis impériale. Même lorsque les deux pays seraient alliés, la tache ne serait pas effacée. Le double jeu  » des Espagnols avant et après Trafalgar allait être fondé sur cet ancien et fondamental contentieux.
En novembre 1792, Godoy remplaça Aranda comme principal ministre. L’ascension rapide de ce jeune homme de vingt-cinq ans le rendait peu apte au travail de fond et  » stérilis(ait) son incontestable intelligence et ses qualités de travailleur  » (6). Mais le signal donné par Charles IV n’en était pas moins clair : puisque la France voulait juger son roi catholique, l’heure n’était plus aux tentatives de rapprochement entre les deux pays. La personnalité symbolique d’Aranda devenait inutile à la politique extérieure du royaume. L’urgence était à présent de sauver Louis XVI. Contrairement à ce qu’écrit Michelet, le roi d’Espagne s’y employa avec ardeur. L’ambassadeur à Paris, Ocana, se vit accorder un crédit illimité pour y parvenir. Au besoin, il fut autorisé à corrompre les juges. Le gouvernement de Godoy accepta parallèlement de soutenir le projet d’un de ses ressortissants, Ocariz, dont l’objectif était d’obtenir l’appel au peuple pour le jugement du roi (à la place d’un simple vote de la Convention). La banque Lecouteulx lui avança 2 300 000 livres dont le conventionnel Chabot, agent de Danton, perçut à lui seul un cinquième (7). Sans succès. En janvier, Charles IV n’hésita pas à promettre sa neutralité en échange de la vie de Louis XVI. En réponse, Danton (!) proposa qu’on déclare la guerre à l’Espagne. Barère ironisa à la Convention sur l’amitié entre les rois qui n’a jamais empêché les peuples de s’entre tuer.
Le 21 janvier 1793, le souffle du  » rasoir national  » passa sur le col de Louis XVI. Charles IV refusa désormais de recevoir l’ambassadeur Bourgoing et se proclama protecteur de la famille royale de France. Il offrit encore sa neutralité contre la vie de Marie-Antoinette et de ses enfants. En réponse, Barère déclara à la tribune qu’il fallait porter la liberté  » sous le plus beau climat et au peuple le plus magnanime d’Europe « . Le 7 mars, la France déclara la guerre à l’Espagne.  » Un ennemi de plus pour la France est un triomphe de plus pour la liberté ! « , conclut Barère.
Pour l’Espagne, c’était une véritable  » croisade nationale  » qui commençait :  » Dans une ambiance de cataclysme biblique, (elle faisait) la guerre pour la religion, le roi, la patrie contre un peuple sans foi, sans loi, sans Dieu, afin d’extirper la fausse philosophie génératrice d’un rêve de liberté qui n’est que licence  » (8) . Contrairement à ce qui se passait partout en Europe, ici, ce fut le peuple qui prit les armes contre la Révolution française, avec à sa tête l’Église,  » idéologue de la guerre contre- révolutionnaire  » (9). Voilà qui, quinze années plus tard, aurait peut être dû faire réfléchir Napoléon. Par exemple, en 1793,1’Espagne leva 45 millions de francs de contributions populaires, contre 5 seulement dans la France exsangue des débuts de la Terreur.

La guerre franco-espagnole
La guerre franco-espagnole se limita aux frontières pyrénéennes. Les contingents engagés furent faibles, relativement à ce qu’on constata sur les autres fronts. Côté français, l’argument idéologique fut avancé : la Révolution combattait un Bourbon. Mais on considérait aussi que les opérations continentales n’étaient qu’un prélude à la poursuite des combats dans les colonies, ce qui montre les arrière pensées économiques et expansionnistes des révolutionnaires. La guerre franco-espagnole pouvait aussi permettre de perturber le commerce colonial et, partant, les approvisionnements et les finances anglais. En cela, Napoléon fut encore – mais qui en douterait ? – l’ héritier de la politique de la Révolution.
Les premiers combats furent favorables aux Espagnols qui menacèrent Bayonne et encerclèrent Perpignan. Commandés par l’ancien ministre de la Guerre, Servan, les Français n’avaient que quelques unités éparses – prélevées sur des places fortes laissées depuis longtemps sans entretien – à opposer aux généraux Cardo et Ricardos. A l’automne 1793, Paris décida de renforcer le front des Pyrénées en dégarnissant la Méditerranée (ce qui, au passage, permit les menées anglaises sur Toulon). La contre-offensive de Moncey et Pérignon fut un succès. Cette fois, ce furent les Français qui pénétrèrent en Espagne et occupèrent Saint-Sébastien. En mai 1794, la Catalogne fut envahie (10). Alors qu’au Pays Basque, l’espoir de voir créer une république autonome avait contenu le peuple, la population catalane se souleva et participa aux combats. Au fanatisme des Espagnols, les Français répliquèrent par le leur, comme quinze ans plus tard : profanations d’églises, pillages et tueries se succédèrent.
Au début de 1795, Godoy se trouva dans une situation délicate. Le front cédait partout et les Français occupaient Figueiras, Bilbao et Vittoria. A l’intérieur, sa politique était critiquée par les libéraux qui le traitaient d’aventurier. La popularité du roi et de son épouse (le peuple ne l’appelait plus que la puta) s’effritait. Les ouvriers des arsenaux se soulevaient. Des régiments se mutinaient. Le parti  » Français  » relevait la tête. Le jeune ministre fut donc contraint de tenter l’option diplomatique. Il fut en cela aidé par la nouvelle situation politique à Paris. Boissy d’Anglas déclara à la Convention qu’il fallait tendre la main à l’Espagne et l’entraîner dans la guerre contre le vrai ennemi : l’Angleterre. La France, disait l’Ardéchois, avait comme frontière naturelle les Pyrénées et n’en demandait pas plus.
Des négociations commencèrent entre les deux pays. Malgré les propos officiels, la France souhaitait conserver les villes conquises et reprendre le contrôle de la Louisiane. L’Espagne voulait que les années révolutionnaires évacuent son territoire et qu’on lui confie la garde de  » Louis XVII « . La mort opportune de l’enfant du Temple débloqua les pourparlers. Le 22 juillet 1795, le traité de Bâle fut signé. La France restitua les contrées qu’elle occupait et reçut la moitié de Saint-Domingue. Mais l’intérêt stratégique du traité allait bien au-delà des arrangements territoriaux. Les deux pays pouvaient reprendre leur politique traditionnelle contre l’Angleterre. Godoy devint – subitement – un farouche ennemi de Londres. Il est vrai que son principal rival intérieur, le duc d’Osuna, était d’un avis contraire… Peu importe. En août 1796, par le traité de Saint-Ildefonce, l’Espagne s’engagea  » perpétuellement  » aux côtés de la France contre la perfide Albion. Trois mois plus tard, l’état de guerre entre Londres et Madrid devint une réalité, pour la troisième fois depuis la signature du pacte de Famille. Les troupes et vaisseaux de Charles IV ne rencontrèrent dans cet conflit que des échecs : flotte bloquée dans les ports, commerce perturbé, colonies en danger.
Une fois encore, la volonté et la sincérité de Charles IV et de Godoy – si elles existèrent jamais – furent mises à rude épreuve. La tentation était grande de jouer une carte anglaise pour sauver les colonies et l’économie espagnoles. Premier pas dans cette direction, l’Espagne ne déclara pas automatiquement la guerre à la Russie lorsque cette puissance attaqua la France.
Lorsque Bonaparte prit le pouvoir, il avait donc comme voisine une Espagne alliée. Mais, on l’a vu, la rancune et l’amertume constituaient le socle des relations franco-espagnoles. Sur le plan idéologique, la société espagnole, cadenassée par le clergé, n’avait jamais accepté la Révolution. Sur le plan familial, Charles IV n’avait aucune raison de pardonner la mise à mort de son  » cousin  » et d’une partie de sa famille. Sur le plan économique, l’intérêt de l’Espagne n’était sans doute pas de prendre parti dans les conflits franco-anglais qui la privaient du vital commerce de ses colonies. Sur le plan politique européen, déjà isolée par sa position géographique, l’Espagne n’avait guère de bénéfices à attendre de relations exclusives avec sa puissante voisine du nord. Tout poussait le royaume de Charles IV à la neutralité – à défaut de l’émancipation. Mais une chose était de définir théoriquement l’intérêt politique et diplomatique du pays. Une autre était de le mettre en oeuvre.
L’Espagne était devenue un satellite de la France

II. L’Espagne, satellite de la France

 

Utilisée depuis la fin du XVIIe siècle, l’expression  » pays satellite  » signifie, nous dit le Robert :  » Nation qui vit dans l’étroite dépendance politique et économique d’une autre et gravite autour d’elle « . Elle s’applique parfaitement à l’Espagne de 1800. Certes, une telle formule n’a pas le caractère péjoratif que lui ont donné les pratiques soviétiques. La satellisation de l’Espagne repose même sur des fondements différents : pas d’unité idéologique entre les deux régimes, pas d’intrusion violente dans la vie intérieure (au moins jusqu’à l’invasion du Portugal). Mais le résultat est là : l’Espagne fut entièrement soumise aux volontés de son puissant voisin. Et c’est tout à fait logiquement pour ne pas dire  » naturellement  » que jouèrent les forces contraires, celles de l’indépendance.
La satellisation reposait sur plusieurs facteurs qui s’additionnaient : la faiblesse du gouvernement espagnol, le piège de l’alliance contre l’Angleterre et la faiblesse économicomilitaire. Cette situation obligea Godoy à opter pour le double jeu. Il ne put éviter l’affrontement.

Les dérèglements de la cour d’Espagne
On ne le dira jamais assez, la personnalité de Charles IV et les intrigues de cour sont un des rouages de l’engrenage conduisant à la guerre d’Espagne. Non pas tant, d’ailleurs, parce qu’il devenait nécessaire d exclure du gouvernement espagnol le faible monarque comme il a été dit à 1’époque, mais bien plus parce que sa politique inconsistante ne permit pas à son pays d’échapper aux logiques convoitises de la France napoléonienne. C’est bien là la faiblesse des monarchies absolues que de se trouver désarmées lorsque la tête de l’Etat échoit à un personnage sans envergure. Fasciné par Napoléon, le pauvre roi ne savait pas lui résister. Il en était réduit à encourager les manoeuvres secrètes. Un jour ou l’autre, il était inévitable que les limites de la patience impériale seraient atteintes et que l’occasion se présentait de  » punir  » les trahisons. Certes, pour décrire l’Espagne des années 1800, on ne doit pas seulement s’arrêter à ses dirigeants. L’histoire diplomatique doit toujours être enrichie de l’approche de courants plus profonds. Mais à une époque où la diplomatique et les relations internationales étaient surtout le fait des princes, on ne peut se soustraire au tableau plein d’enseignements que nous ont légué les contemporains et les historiens. Le moins qu’on puisse écrire est qu’il ne présente pas la famille royale sous un jour très favorable. C’est d’autant plus important que l’Espagne était alors une véritable monarchie absolue (11). C’est en Charles IV que résidait la souveraineté. C’est en lui que les divers courants politiques placèrent leurs espoirs, tant que le bon roi donna l’impression de travailler au sauvetage de l’Espagne. Lorsqu’il apparut qu’il se souciait surtout du sort personnel de son favori Godoy, les  » grands  » – et les autres – l’abandonnèrent.

Pour se faire une idée de la pittoresque compagnie que constituait la famille royale espagnole, on pourrait, classiquement, se reporter au fameux tableau de Goya la représentant. Exposée aujourd’hui au Prado, cette huile sur toile met en scène une  » galerie de monstres dégénérés aux visages arrogants, cruels et cupides  » (Jean Tulard). En regardant ce tableau,  » au premier abord, tout est princier, chatoyant, majestueux ; l’appareil extérieur semble respecté, intact ; mais approchez, faites disparaître les accessoires de commande ; le travail de démolition perce insensiblement, le verni pompeux s’écaille, sous le prince apparaît le pantin, et peu à peu, vous n’avez plus devant vous qu’une réunion de grotesques royalement habillés  » (12). On aimerait pouvoir contredire le peintre. Hélas, la déplorable impression laissées par l’oeuvre de Goya était partagée par les contemporains. Sur cette famille royale désunie, tous les témoignages concordent. Le roi était un homme bon, mou et  » très borné  » (13). Même s’il  » profess(ait) sincèrement la plus haute considération pour la personne de (Napoléon)  » (14), il était méprisé par la plupart de ceux qui le rencontrèrent, et notamment – ce qui est grave – , par les représentants successifs de la France à Madrid. Succèdant à un père qui avait marqué son temps, il était dominé par son épouse et le favori de celle-ci, Godoy.

L’ambassadeur Alquier décrit la personnalité et la situation singulières de Marie-Louise d’Espagne :  » J’ai quelquefois entendu vanter le talent de la reine : il est de fait qu’elle n’a ni esprit, ni connaissance, ni fermeté (…). A cinquante ans, elle a des prétentions et une coquetterie qu’on pardonnerait à peine à une femme jeune et jolie « . Puis, Alquier regrette que cette femme fasse  » la loi  » dans le royaume et soumette celui-ci  » à la bizarrerie de ses goûts et aux fantaisies les plus scabreuses « . Il la juge  » sans autre talent que celui d’agiter sans cesse  » et seulement propre à régner sur ses valets  » (15). Plus tard, Alquier proposera une stratégie au Premier Consul :  » Permettez-moi d’insister sur la nécessité de ménager le roi et la reine, et de tirer parti de la multiplicité de leurs fantaisies. Ce n’est pas auprès de vous qu’il faut justifier l’importance des petites attentions sur les têtes faibles et légères qui dirigent celte monarchie  » (16).
Les ambassadeurs de France notèrent tous que le prince des Asturies, Ferdinand, haïssait sa mère et le favori.  » Cet enfant montre trop et trop tôt que les dérèglements de sa mère lui sont connus, et qu’il a (Godoy) en horreur  » (17), notait encore Alquier, dont les portraits sont toujours très vivants. Partant, tous les ennemis de Godoy se tournèrent vers l’héritier du trône. Ce qui ne devrait jamais arriver en monarchie de droit divin – mais arrive malgré tout assez souvent – se produisit : on se mit, dans certains milieux, à rêver que Ferdinand VII remplace le bon Charles IV et débarrasse l’Espagne de Godoy.

Manuel Godoy
Manuel Godoy y Alvarez de Faria est né en 1767. Entré à dix-sept ans dans la compagnie des Gardes du Corps, ce nobliau d’Estramadure se fit vite remarquer par Charles IV et, surtout, par son épouse. Il gravit les échelons à une étonnante vitesse. Ministre dès 1789, il ne quitta pas le gouvernement espagnol – à 1’exception d’une courte éclipse en 1798 – pendant 19 Années. Il cumula les honneurs : lieutenant-général, secrétaire d’État (sorte de premier ministre), duc, chevalier de la Toison d’Or, général en chef, généralissime, amiral, mais aussi  » prince de la Paix « , seul titre princier d’Espagne, en dehors de celui des Asturies. Sans doute faut-il chercher dans ce dernier aspect de l’ascension spectaculaire de Godoy une raison supplémentaire à la haine que lui vouait Ferdinand : après lui avoir  » volé  » sa mère, le favori lui avait pris sa prééminence nobiliaire et, pourquoi pas, demain, le trône.
Certes, après La passion violente, les rapports entre Godoy et Marie-Louise – tolérés par le roi – s’adoucirent. Mais le jeune Manuel garda un grand ascendant sur son ancienne maîtresse. Alquier décrivait, sans illusions romantiques, la liaison de la reine avec le prince de la Paix :  » La reine n’aime rien, pas même son amant, pour lequel elle a un mépris profond qu’elle ne dissimule pas « . Mais, pour la contrôler, Godoy  » se permet des actes de violence et de brutalité qu’un soldat ne se permettrait pas sur une prostituée  » (18). Voilà pour la toile de fond.
Le jugement de l’histoire sur Manuel Godoy, tout en restant sévère, s’adoucit quelque peu (19). Certes, nul ne conteste les effets néfastes de son comportement privé et de la politique extérieure de son gouvernement sur le devenir de l’Espagne. Il était bien l’homme  » orgueilleux, intéressé et brutal  » décrit par Yves Bottineau dans son ouvrage sur Les Bourbons d’Espagne (1700- 1808) (20). Mais on tend à lui accorder quelque crédit en politique intérieure. Travailleur infatigable, ennemi des démocrates et ami de tous les conservateurs, il n’en avait pas moins pris conscience du retard de son pays dans l’Europe aux équilibres modifiés par la Révolution française. Il avait compris l’intérêt de la lutte des Illustrados contre les préjugés et le fanatisme religieux. Il en était sorti quelques mesures  » éclairées « , facilement imposées à Charles IV : limitation du pouvoir de l’Inquisition, aide aux déshérités, soutien aux sciences et aux arts, réforme de l’université, des infrastructures routières, de la recherche agronomique et des manufactures.
Pour expliquer l’incohérence et les erreurs de Godoy, on doit aussi se rappeler qu’il dut évoluer dans un environnement très hostile, à l’intérieur. Il avait beaucoup d’ennemis, dans tous les milieux et sur tout l’échiquier politique. Peu habile en manoeuvres, il accumula les inimitiés jusqu’à la révolution d’Aranjuez qui allait le perdre. Les fanatiques lui reprochèrent de vouloir museler l’Église, ce qui, dans l’Espagne de l’époque, n’était pas une accusation bénigne. Les progressistes lui en voulurent de censurer la librairie, de placer la presse et l’imprimerie sous son contrôle. La population lui imputa sa misère et la crise économique. Pis, il osa réglementer les courses de taureaux ! Désespérés par la confiance aveugle de Charles IV en son ministre, tous ces partis réussirent la fusion autour du prince des Asturies. Lorsque celui-ci prit le pouvoir, Napoléon pensa que la domination complète de l’Espagne allait lui échapper, avec ce prince jeune et populaire. C est alors qu’il décida de jouer machiavéliquement la carte de Charles IV, ce qui le mena à l’entrevue de Bayonne et ses suites.
On a toujours tendance à écrire, de ce côté-ci des Pyrénées, que les souverains d Espagne, qu’il s’agisse de Charles IV ou de son fils, étaient des niais et des incapables. Cela n’est vrai qu’en partie. Le reste relève des suites de la propagande de l’époque. Charles IV n’ignorait rien de la situation politique, économique et militaire de son pays. Il savait sa marge de manoeuvre étroite, avec ce voisin du nord si puissant. Il n’a pas su se sortir de son isolement politique et diplomatique. Les déchirements familiaux ont fait le reste.
Et c’est bien parce qu’il ne pouvait rien faire d’autre – et non par amitié pour la France et Napoléon – que le roi accepta de concrétiser l’alliance contre l’Angleterre.

L’alliance contre l’Angleterre
Avec le Consulat, l’Espagne revint à une politique classique : alliance avec la France pour faire barrage à l’Angleterre. On peut être surpris de la facilité avec laquelle Charles IV délaissa les aspects  » familiaux  » du pacte avec son voisin. Alors que le roi d’Espagne avait été le seul monarque à lutter sans arrière-pensée pour la sauvegarde de la dynastique bourbonne et de ses membres, il déclara, par exemple, après l’exécution du duc d’Enghien :  » Lorsqu’on a du mauvais sang, il faut le verser  » (21). Lui qui avait déployé des efforts humains et financiers colossaux pour sauver Louis XVI puis Marie- Antoinette puis l’enfant du Temple  » lâcha  » purement et simplement son bon cousin Louis XVIII. Charles IV et son gouvernement s’accommodèrent fort bien du moins en apparence du régime de Bonaparte. Il est vrai que les campagnes révolutionnaires lui avaient donné matière à réflexion. D’une part, l’Angleterre n’avait pas respecté ses engagements financiers : aucune aide significative n’avait été allouée à l Espagne, alors que la Prusse avait bénéficié sans compter des largesses d’Albion. Une plus lourde défaite espagnole n’aurait sans doute pas déplu à Londres ou on gardait l’oeil sur les colonies des Philippines, des Antilles, de Californie et de la Terre de Feu. Même Charles IV et Godoy savaient cela. D’autre part, si la paix avec la France n’avait pas consacré l’effondrement du pays et de la dynastie, c’était parce que l’adversaire avait retenu sa main. Avec quelques efforts supplémentaires, les armées de la Révolution auraient pu renverser le régime et donner le pouvoir au  » parti français  » – en fait la réunion de tous les adversaires de la monarchie absolue. La paix de Bâle n’avait pas écarté toute menace. La prudence et la politique – qui, hélas, vont souvent de pair conseillaient de se rapprocher de la grande puissance continentale, seule capable de garantir la protection des colonies.
Depuis 1796, l’Espagne était officiellement en guerre avec l’Angleterre. Malgré les échecs militaires qu’elle avait essuyés, elle continua à tenir cette ligne de conduite jusqu’au Consulat. Ainsi, le coeur brisé, Charles IV assista sans broncher à la création des républiques-soeurs en Italie et à la fuite de son frère, Ferdinand IV de Naples. En octobre 1800, un second traité de Saint- Ildefonce rendit la Louisiane à la France, en échange de vagues promesses pour l’Italie.
Renseigné par ses représentants à Madrid et lui-même connaissant bien les hommes, Napoléon fit, dès son arrivée au pouvoir. une bonne analyse des actions à mener pour maîtriser la politique espagnole. Il savait que Godoy devait lutter contre de nombreux ennemis intérieurs et avait besoin de succès pour asseoir son pouvoir. Il lui suggéra déjà une offensive contre le Portugal : elle pourrait servir la France contre l’Angleterre et Godoy contre ses ennemis intérieurs. Lorsque, en août l800 Berthier fut envoyé comme ministre plénipotentiaire à Madrid. le Premier Consul écrivit à Talleyrand, ministre des Relations Extérieures :  » (Le général) devra exciter par tous les moyens possibles, l’Espagne à la guerre contre le Portugal  » (22). Le plan fonctionna à merveille. Au printemps 1801 se déroula la courte  » guerre des Oranges « . Facile vainqueur des quelques escarmouches qui l’opposèrent aux troupes portugaises, le prince de la Paix – en 1’espèce bien mal nommé – obtint quelques compensations territoriales : la ville d’Olivenza et ses environs passèrent dans le giron de Charles IV. Napoléon, sans bouger obtint en théorie – un peu plus : le Portugal promit de fermier ses ports au commerce anglais. Lorsque Lucien Bonaparte, ambassadeur à Madrid, proposa à son frère de féliciter Godoy et de lui envoyer son portrait en cadeau, le Premier Consul lui répondit :  » Je n’enverrai pas mon portrait (…). Je puis (me) servir (de Godoy) mais je ne lui dois que du mépris  » (23). Il est vrai que, déjà, Bonaparte soupçonnait Godoy d’avoir essayé de le tromper. La guerre des Oranges avait été trop brève pour qu’on ne puisse envisager un arrangement entre les belligérants.
A Madrid, Godoy n’en pavoisa pas moins. Le roi le nomma  » généralissime « . Mais s’il était venu au favori l’idée de se comparer à Bonaparte, la situation du royaume l’aurait ramenée sur terre. L’Espagne était exsangue. Elle traversait une crise profonde, une crise  » d’Ancien régime « . L’économie s’effondrait, étouffée par le blocus naval anglais. Une persistante crise des subsistances (1802- 1805) provoquait disette et hausse des prix. L’absence de relations régulières avec les colonies ne permettait plus de pallier ces inconvénients conjoncturels. Les ports et la marine marchande étaient en faillite, alors que les Etats-Unis profitaient des embarras espagnols pour remplacer la métropole dans le commerce avec les colonies. L’industrie et le commerce subissaient de plein fouet les conséquences de cette conjoncture dramatique. A ces malheurs s’ajoutait l’inquiétante situation sanitaire de nombreuses villes côtières du royaume. La fièvre jaune faisait des ravages et, lorsqu’elle se retirait, le choléra prenait sa place. La crise était aussi structurelle. L’effort de guerre et les difficultés économiques avaient révélé la débilité des finances publiques et déprécié la monnaie. Le vales, monnaie de papier, ne valait guère plus que le quart de sa valeur nominale. Au plan politique, après le renvoi des Cortès dans leurs foyers au début de la Révolution, le gouvernement n’en avait pas fini avec la fronde de la noblesse. Godoy était détesté et les complots pour se débarrasser de lui étaient légion. On commençait à regarder vers le prince des Asturies, espoir des ennemis du prince de la Paix. Partout en Espagne, les particularismes locaux resurgissaient, encouragés par les structures d’Ancien Régime du royaume. La Catalogne redressait la tête, reprochant à Godoy l’alliance avec la France qui l’avait envahie après l793. La Navarre et le Pays Basque ne voulaient pas entendre parler d’uniformisation des régimes fiscaux, équivalente, à leurs yeux, à la  » centralisation jacobine « .
Cette situation fragilisa la position de Manuel Godoy et, partant, de son royal protecteur. Charles IV et son ministre hésitaient entre les Illustrados et les conservateurs, entre la fermeté et la douceur et, au bout du compte, entre la France et l’Angleterre.

Double jeu
Dans le contexte décrit plus haut, la marge de manoeuvre de Godoy était étroite. Formellement, il ne pouvait que se soumettre aux volontés de la France et de Napoléon. Mais il devait aussi composer avec les difficiles équilibres du royaume et, si possible, préparer l’avenir. Le comportement diplomatique du prince de la Paix, à partir de la paix d’Amiens, ne relève pas exclusivement de la félonie. Il y a aussi du calcul politique dans le choix du double jeu. Sauver sa tête en sauvant son roi, c’était aussi pour Godoy essayer de faire sauter les verrous qui faisaient de son pays un satellite de la France. Et puis, l’alliance contre l’Angleterre n’avait apporté à l’Espagne que des malheurs. Après Trafalgar, où sa flotte fut achevée par les canons de Nelson, elle n’avait plus aucun moyen de communiquer et de commercer avec ses colonies. C’était la fin de l’empire espagnol. Même un faible Charles IV et un incapable Godoy ne pouvaient rester inertes devant la situation de vassal du royaume face à l’Empire français. Partant, à cet âge d’or de la diplomatie secrète, la manoeuvre – qui avait déjà commencé sous le Consulat – s’intensifia.
On ne détaillera pas ici un dossier connu de tous les napoléonistes, celui du double jeu de Godoy face à Napoléon. On se contentera d’en rappeler les grandes lignes. Jusqu’à Trafalgar, même si le gouvernement espagnol ne fut sans doute pas sincère, tout se passa comme s’il l’était. Charles IV confirma en toute occasion l’intention de son pays de poursuivre la lutte contre l’Angleterre (24). Godoy, comme toujours, en rajouta :  » Déjà, je ne vois plus l’Angleterre sur la carte géographique  » (25). Après la paix d’Amiens, le prince de la Paix, déjà soupçonne par Paris de mentir sur ses véritables intentions, écrivit une longue lettre de justification à Napoléon. Il y exposa la position de son pays et les nécessités pour un gouvernant espagnol de défendre, même rudement, les intérêts de l’Espagne. Ayant voulu que la paix d’Amiens profite aussi à Charles IV, il avait, en effet, écrit quelques notes sévères à l’ambassadeur de France :  » Des esprits malveillants, ennemis du bonheur des peuples, ont tenté de faire naître auprès de vous des soupçons sur mes sentiments pour votre personne ; je sais qu’il en ont pris un prétexte spécieux dans l’énergie de quelques notes passées par- moi à l’ambassadeur de la République, concernant les intérêts des deux gouvernements ; on a voulu dire que ces notes offensaient la considération due au Premier Magistrat d’une grande nation et étaient dictées par un esprit maleffectioné envers les relations qui unissent l’Espagne envers la France, aussi bien qu’envers vous-même. Un homme d’État qui, comme vous, citoyen Consul est pénétré du désir ardent de rendre heureux son pays et qui connaît toute l’étendue des devoirs d’un homme placé aux affaires, ne peut que trouver très naturel que celui qui a la confiance de son gouvernement mette toute l’énergie dont il est capable à faire valoir les motifs, où les raisons qui fondent ses démarches. Sur ce rapport, je suis sûr que l’énergie que j’ai pu mettre dans mes notes, loin de vous déplaire, ne peut que vous avoir donné une idée avantageuse de mes principes  » (26). On imagine qu’une telle lettre, loin de produire l’effet escompté sur Napoléon et malgré la réponse aimable qu’il envoya à son correspondant, mit sa méfiance en éveil et dût l’agacer bien plus qu’elle ne l’a convainquit des nobles motifs de Godoy. Peu importait d’ailleurs la  » noblesse  » des mobiles du ministre. Il était vital pour la France d’être certaine de la soumission de l’Espagne. Bonaparte n’avait donc pas à prendre en compte le désir d’émancipation et d’indépendance du gouvernement de Charles IV. Son intérêt était même de l’étouffer.
La soumission de l’Espagne aux volontés de la France fut encore éprouvée lors de la rupture de la  » trêve des géants  » que constitua la paix d’Amiens. Lors de la reprise des hostilités, Charles IV et Godoy se firent tirer l’oreille pour rejoindre le camp de Napoléon. Il fallut beaucoup insister et un peu menacer pour qu’ils acceptent de reprendre leur place dans la coalition pro-française. Le 18 octobre 1803 fut signé un nouveau traité qui prévoyait le versement par l’Espagne d’une contribution financière mensuelle à l’effort de guerre français. Un an plus tard, devant les agressions maritimes dont ses navires étaient victimes de la part des Anglais, Charles IV entra dans la guerre. La logique de pays satellite qui gouvernait la diplomatie espagnole avait, une fois encore, joué à plein, même si Napoléon avait dû se faire menaçant en écrivant au roi :  » Il n’est pas juste, ni conséquent que l’Espagne possède les meilleures colonies de l’Europe si elle ne veut ni montrer de l’énergie, ni mettre en état ses escadres  » (27). Dans l’esprit de Godoy, il fallait certes qu’il puisse, à titre personnel, bénéficier de la protection de Napoléon au cas où Ferdinand monte sur le trône. Mais, plus largement, le royaume d’Espagne n’avait guère d’autre choix.
Trafalgar fut un coup de tonnerre dans l’alliance franco-espagnole. L’impopularité de Godoy continuait à augmenter alors que les bénéfices de l’engagement aux côtés de Napoléon étaient nuls. Pour le roi, l’intérêt de la politique du prince de la Paix était réduit à rien : les colonies étaient à présent sans défense. Pour se sauver et sauver Charles IV (l’un ne pouvait plus aller sans l’autre), Godoy intensifia son double jeu. Pensa-t-il que l’épisode napoléonien prendrait un jour fin par la chute de l’Empereur ? Conçut-il, dès lors, une politique qui permettrait à l’Espagne de se trouver dans le camp des vainqueurs ? Sans doute. On doit dire aussi que le prince de la Paix n’avait pas d’autre issue que de tricher. Si Napoléon gagnait, il fallait avoir suffisamment gardé le contact avec lui pour bénéficier de ses largesses. Il informa donc l’Empereur des projets belliqueux des Bourbons de Naples : ils furent détrônés. Mais si l’Angleterre et ses alliés l’emportaient, il fallait soit avoir participé à la lutte à leurs côtés (c’est pourquoi la mobilisation espagnole de 1806 conserva des objectifs incertains jusqu’au moment où la défaite prussienne fût connue), soit avoir convaincu les vainqueurs que l’Espagne avait été forcée par son voisin à participer aux guerres (d’où la lenteur mise par les 14 000 Espagnols promis à Napoléon pour rejoindre le front ou les mesures répressives prises pendant un temps contre les citoyens français habitant en Espagne).
On sait que Godoy fut rapidement démasqué. Napoléon – qui ne se faisait d’ailleurs aucune illusion – eut la preuve de la duplicité du gouvernement espagnol après la prise de Berlin, lorsqu’on découvrit de bien imprudentes lettres du prince de la Paix promettant de prendre les Français à revers. L’ambassadeur de France, François de Beauharnais, favorable au prince des Asturies, avait dans ses rapports clairement mis en doute – et à juste titre – l’honnêteté de Godoy :  » Le ministre de Russie voit beaucoup le prince de la Paix. Il est impossible qu’il ne recueille pas de ces entretiens un genre d’utilité bonne à faire valoir à Londres  » (28) ou  » Plus je fais de progrès dans ma mission, plus l’expérience me démontre qu’il n’y a aucune affection à attendre de nos alliés  » (29) ou, enfin,  » Dévoué en apparence jusqu’à l’ostentation à Sa Majesté Impériale, le prince de la Paix se livre pourtant à de tels écarts dans la conversation qu’il faut toute la sévérité de mon maintien pour l’empêcher de sortir des bornes du respect (…). Ces bornes sont quelques fois franchies avec une légèreté scandaleuse  » (30). Parlant de Godoy, Beauharnais résumait sa pensée :  » On est faux, rusé et ignorant  » (31).
Non respect de l’alliance, double jeu, Napoléon avait donc bien des prétextes pour s’en prendre à Charles IV et à Godoy. Il aurait pu, bien sûr, se contenter de remplacer le roi par son fils et neutraliser celui-ci par une alliance familiale, des honneurs, des succès militaires faciles. Il n’en fit rien, préférant la force, la création d’un État vassal, à la manoeuvre politico- diplomatique. Il le regretta… à Sainte-Hélène.
Le double jeu de Godoy explique pourquoi Napoléon est intervenu dans la péninsule ibérique. Il ne justifie pas pleinement que l’Empereur ait voulu faire de l’Espagne un membre de l’Europe  » familiale  » qu’il avait commencé à créer dès 1804. Peut-être aurait-il pu s’entendre avec Ferdinand, ainsi que le suggérait dans ses rapports l’ambassadeur Beauharnais. Il ne le fit pas pour des raisons d’ambition personnelle et de domination européens, c’est indéniable. Mais il fut aussi  » victime  » de l’image de l’Espagne qu’avaient les Français et des mauvaises informations qui lui parvinrent de ce pays.

L’image de l’Espagne chez les Français et leur Empereur
Au début du XIXe siècle, on peut dire que l’Espagne et ses habitants avaient une image déplorable en France. Léon-François Hofmann l’a montré dans une étude approfondie de la littérature de l’époque (32). En résumé, le royaume de Charles IV était méprisé et peu pris au sérieux. Alors que, précédemment, on en avait admiré la noblesse fière et chatouilleuse, l’homme du peuple plein de vie et cruel, le dédain avait gagné les auteurs français :  » Le capitaine qu’on avait admiré devient, dans l’imagination populaire, un risible matamore, l’ancien picaro un lamentable crève-la-faim (…). Le Barbier de Séville est, dans une certaine mesure, la synthèse de l’Espagne telle qu’on l’imaginait (alors) : pays langoureux où frémissent les guitares ; pays fabuleux où les cavaliers montent la garde sous la fenêtre de leur maîtresse ; mais aussi pays où le picaro a besoin de toute son astuce pour arriver à ses fins dans une société corrompue et rétrograde  » (33). Cette méprisable et tragi-comique Espagne se résumait, dans les écrits des Barré, Desfontaines, Radet et Hourgoing, à un pays caractérisé par l’obscurantisme religieux, la vanité de la noblesse, la pauvreté et l’ignorance du peuple. Bourgoing résumait parfaitement ce qu’il fallait penser de la vision qu’en avaient les Français :  » D’après les préjugés dont l’Espagne est encore l’objet (…), on la supposerait plutôt à l’extrémité de l’Asie qu’à celle de l’Europe  » (34).
Ce mépris et ce sentiment d’être confronté à un pays retardé étaient partagés par les classes dirigeantes. Les rapports des ambassadeurs de France à Madrid sont révélateurs du complexe de supériorité des Français de l’époque. Partant, Napoléon ne fut pas mieux informé. Tous les historiens s’accordent à écrire qu’il ne connaissait pas grand chose aux réalités espagnoles, au moment de se rendre à Bayonne. Il se laissa bercer de rapports flatteurs et exagérés sur l’accueil fait par les populations à l’armée française en marche vers le Portugal. Un rapport anonyme, que nous avons retrouvé aux Archives nationales et que nous avons largement cité dans un précédent travail (35) est révélateur de cette situation. On peut y lire :  » L’Empereur Napoléon est regardé dans tout le pays comme un homme extraordinaire ; toutes les classes de la société, nobles, moines, prêtres, peuple tous en parlent avec admiration, tous voudraient le voir « . Plus tard, c’est M. de Tournon qui écrivait encore :  » Tous les yeux sont tournés vers l’Empereur. L’Espagne dans ses malheurs regarde Votre Majesté comme le seul appui qui puisse la sauver  » (36). Jacques Chastenet a bien résumé la quasi-désinformation qui finit par brouiller les idées de l’Empereur et de ses proches :  » Le fâcheux est que tous ces informateurs n'(avaient) guère de contact qu’avec des aristocrates et des intellectuels acquis aux idées françaises et grands admirateurs de Napoléon. Ces […]  » francomanes « , comme on les [nommait] outre-Pyrénées, (voyaient) dans l’Empereur le seul génie capable de tirer l’Espagne de l’ornière […]. Ainsi put-on s’imaginer en France que tout ce qui, en Espagne, [était] éclairé ne songeait qu’à bénéficier des bienfaits de la civilisation française  » (37).
Ainsi, nous pensons qu’il faut étudier les événements qui conduisirent à l’intervention française en Espagne non seulement au travers des événements d’historique diplomatique, mais aussi en tenant compte d’éléments plus larges qui ont fait le lit des convictions Françaises et espagnoles dans cette affaire. C’est d’ailleurs bien normal. Même si nous étudions la période consulaire et impériale de façon autonome, nous ne devons jamais oublier qu’au-delà des hommes, l’Histoire, l’économie et les faits sociaux jouent aussi.

Il est incontestable que les événements de 1806 à 1808 (trahison de Godoy et de Talleyrand, révolution d’Aranjuez,…) ont leur place dans les causes directes de la guerre d’Espagne. Mais les courants plus profonds des relations franco-espagnoles (pacte de Famille, guerres révolutionnaires, rejet des Lumières par la société espagnole, …) ont aussi à être connus. De même, les éléments plus récents de la politique espagnole ne peuvent être laissés de côté (politique intérieure, stratégies et personnalités de Godoy, de Charles IV et des partisans de Ferdinand, …). Enfin, on ne négligera pas non plus 1’importance de la logique du système napoléonien dont l’instrument essentiel fut le blocus continental.  » La désastreuse intervention française en Espagne est fille du blocus continental « , écrit Jean Tulard (38). En d’autres termes, il était inscrit dans la politique européenne de la France qu’une telle affaire survienne. Il fallait que l’Espagne rentre dans le rang des nations alliées au camp français pour faire pièce à l’Angleterre. L’Empereur aurait pu opter pour une solution moyenne : le remplacement de Charles IV par son fils Ferdinand et un rapprochement plus fort avec le nouveau monarque. Poussé par ses conseillers (dont Talleyrand), son ambition et son information insuffisante, il préféra la solution maximale. Il décida donc, derrière une fiction juridico-diplomatique déployée pendant les années 1807- 1808 et couronnée par la souricière de Bayonne, d’offrir le trône de Charles Quint à un des siens. C’était un peu le rêve de Louis XIV, celui de l’Europe française, qui se réalisait. Mais la chute était au bout du chemin.

La version officielle

 

On peut découvrir une bonne part de la version officielle justificative des événements de Bayonne dans des documents contemporains.
Ainsi, en mai 1808, fut publié à Paris une brochure de trente pages, commandée par le gouvernement impérial et intitulée : Jugement sur les affaires d’Espagne tel que le portera lu postérité. Signée d’un  » Espagnol impartial  » et  » traduite de l’espagnol « , cette brochure fleurait bon la propagande. Il s’agissait en réalité de former l’opinion aux  » vraies  » causes de la prise de pouvoir française à Madrid. Le texte se fondait sur quelques vérités et brodait sur les justifications de  » l’arbitrage  » de l’Empereur dans le conflit dynastique et familiale des Bourbons d’Espagne. Ce sont bien les dérèglements de la famille royale qui avaient entraîné le changement de dynastie. Charles IV avait été déposé par son fils Ferdinand. Mais le roi avait par la suite repris son abdication et appelé à l’aide son vieil allié Napoléon. Ce dernier avait volé à son secours. Puis, ayant rétabli les droits du père contre ceux du fils, l’Empereur s’était aperçu que Charles ne voulait pas se séparer de Godoy, le vrai responsable de tous les maux de l’Espagne. Il fallait donc trancher dans le vif. C’est ce que fit Napoléon. Plaçant son frère sur le trône de Charles Quint, il voulait régénérer la nation. Et  » l’Espagnol impartial  » de conclure :  » Notre dégradation s’est consommée sous des rois fainéant, qui ne gouvernaient que par des femmes et des favoris, qui, dans les circonstances critiques, n’ont su maintenir ni leur puissance, ni l’unité de la nation, qui ont armé le père contre le fils, le fils contre le père  » (1). La déchéance des  » rois fainéants  » autorisait l’Empereur des Français à choisir un nouveau monarque. C.Q.F.D.
Cette position officielle, Cambacérès la mit en ordre et la résuma dans son discours devant le Sénat, le 5 septembre 1808. A ses auditeurs, il administra d’abord une règle de politique européenne :  » La politique furibonde de l’Angleterre (…) a placé les puissances de l’Europe dans une situation critique, qui appelle toujours des changements ou les rend difficiles à éviter. L’Espagne, par sa position géographique, par ses habitudes, par son commerce, doît être toujours avec la France en communauté d’intérêts « . Par ses révolutions de palais, par la trahison de Godoy, par ses hésitations, le gouvernement espagnol a rendu l’application de cette règle incertaine.  » Cet état d’irrésolution ne pouvait pas durer « , poursuivait Cambacérès. Mais la France n’est pas intervenue brutalement :  » La saine partie de la nation espagnole désirait s’en sortir ; et ce sentiment a inspiré des résolutions généreuses que Sa Majesté a consolidées par sa sanction impériale et qu’elle soutiendra par tous les moyens de sa puissance  » (2). Quelques jours plus tard, devant la même assemblée, Cambacérès proclama :  » La guerre d’Espagne est politique, juste et nécessaire  » (3).
Dans ces discours et les documents rendus publics plus tard (4), la version officielle élimine les aspects historiques de la guerre, des rancunes nées de la Révolution à la dégénérescence du  » pacte de famille « , et privilégie les prétextes immédiats : faiblesse des souverains, félonie de Godoy, appel à l’aide de Charles IV, sans oublier l’existence d’une  » partie saine  » de la nation espagnole.

NOTES DE L’ARTICLE
(1) A.N. AF IV 1670.
( 2) Archives parlementaires, de 1870 à 1860, 2 série, Paris 1867, t. X, p. 19
(3) Discours de Cambacérès au Sénat, 10 septembre 1808, ibid., p. 28.
(4) Le Moniteur publia, en février 1810, des dizaines de pièces et de lettres diverses relatives aux événements d’Aranjuez et de Bayonne
Les représentants de la France à Madrid, de 1800 à 1808
Ferdinand Guillemardet : ambassadeur nommé par arrêté du Directoire le 22 mai 1798. Arrive à Madrid le 3 juillet. Rappelé par le Directoire, le 29 octobre 1799, il ne rejoindra Paris que le 4 mars 1800.
Charles-Jean-Marie Alquier : ambassadeur nommé par arrêté des Consuls du 30 novembre 1799. Arrive à Madrid le 26 février 1800. Rappelé le 9 novembre suivant, il quitte Madrid à la fin de décembre.
Général Louis-Alexandre Berthier : envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire d’août à octobre 1800.
Lucien Bonaparte : nommé ambassadeur le 7 novembre 1800 ; arrive a Madrid, le 1er décembre; démissionne en juin 1801 et rentre a Paris en octobre.
Général Laurent Gouvion Saint-Cyr: envoyé extraordinaire en juin 1801; nommé ambassadeur, le 31 octobre ; prend un congé en juillet 1802 ; quitte l’Espagne en septembre.
François-Antoine Herman : secrétaire général de l’ambassade ; chargé d’affaires de juillet à novembre 1802
Général Pierre Riel de Beurnonville : nommé ambassadeur le 24 septembre 1802 ; prend son poste le 7 octobre ; part en congé du 18 juillet au 1er novembre 1804 (intérim assuré par le chargé d ‘affaires Périchon de Vandeuil) ; quitte Madrid le 27 mai 1806 (nouvel intérim de Périchon de Vandeuil).
François de Beauharnais : nommé le 10 avril 1806 ; en poste à partir du 23 décembre 1806 (!) ; rappelé le 30 avril 1808, remplacé par La Forest qui restera en poste jusqu’en mai 1813.
(Source : Inventaire sommaire des Archives du Département des Affaires Etrangères. Correspondance politique Espagne, Paris, 1919, pp. 762-763).

Chronologie sommaire

 

1788
14 décembre
Avènement de Charles IV.
1791
L’Espagne prend position contre la Révolution Française en ce qu’elle ne respecte pas l’institution et la personne du roi.
1793
21 janvier
Exécution de Louis XVI, malgré les tentatives espagnoles pour le sauver.
7 mars
La Convention déclare 1a guerre à l’Espagne.
1795
2 juillet
Traité de Bâle. A compter de ce moment. L’Espagne est contrainte de soutenir la France contre l’Angleterre.
1796
Août
L’Espagne s’engage à lutter  » perpétuellement  » aux côtés de la France contre l’Angleterre.
1800
1 octobre
L’Espagne restitue la Louisiane à la France.
7 novembre
Lucien Bonaparte est nommé ambassadeur à Madrid.
1801
20 mai-6 juin
Guerre des Oranges entre l’Espagne et le Portugal. Le traité de Badajoz y met fin.
1802
25 mars
Paix d’Amiens.
1803
29 mars
Napoléon écrit à Charles IV pour lui demander de soutenir la France dans ses revendications contre l’Angleterre. Le roi ne répond pas.
20 mai
Rupture de la paix d’Amiens.
19 octobre
Godoy s’engage à verser 6 millions par mois pour aider la France dans sa lutte contre l’Angleterre.
1805
4 janvier
Convention navale franco-espagnole.
21 octobre
Bataille de Trafalgar.
1806
31 août
Arrivée d’une escadre anglaise à Lisbonne.
5 octobre
Manifeste belliqueux de Godoy. Sans le citer, il met Napoléon en cause. Quelques jours plus tard, à Berlin, Napoléon a la preuve du double jeu du gouvernement espagnol.
21 novembre
Décret sur le blocus continental.
1807
Juillet
Les partisans de Ferdinand entrent en contact avec l’ambassadeur Beauharnais. Ils veulent se débarrasser de Godoy au besoin en sacrifiant Charles IV. Pour s’assurer du soutien de Paris ils suggèrent que le prince des Asturies épouse une princesse française
Beauharnais prend leur parti.
Constitution à Bordeaux d’une armée d’invasion du Portugal.
11 octobre
Ferdinand écrit à Napoléon pour lui demander de le marier.
27 octobre
Convention franco-espagnole pour le partage du Portugal. Le même jour, Charles IV fait arrêter son fils et annonce qu’il organisera un procès public. Dans une lettre à Napoléon, il laisse entendre que c’est la France qui a poussé le prince des Asturies à comploter contre son père.
5 novembre
Charles IV gracie Ferdinand alors que l’armée française, sous prétexte des opérations au Portugal (Lisbonne sera prise le 30), se répand dans tout le nord de l’Espagne.
18 novembre
Cette fois, c’est Charles IV qui demande à Napoléon de marier son fils.
1808
20 février
Murat est nommé commandant en chef en Espagne.
18 mars
Emeutes d’Aranjuez, fomentées par les partisans de Ferdinand. Charles IV cède et destitue Godoy. Il abdique le lendemain en faveur du prince des Asturies. Il reprendra sa signature quelques jours plus tard.
26 mars
Apprenant la  » révolution  » d’Aranjuez. Napoléon opte pour une solution  » française  » à la crise.
14 avril
Napoléon arrive à Rayonne. Ferdinand en appelle à son arbitrage et prend la route pour le rejoindre, escorté par Savary.
26 avril
Godoy-expédié par Murat-arrive à Bayonne.
30 avril
Charles IV et Marie-Louise arrivent à Bayonne.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
399
Numéro de page :
4-20
Mois de publication :
janv.-févr.
Année de publication :
1995
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