Les hommes qu’on nomme grands n’en sont pas tous à l’abri. Voyez Mussolini. Lorsque, en 1934, il reçut Hitler pour la première de leurs dix-huit rencontres, le Duce avait endossé une espèce d’uniforme de sa façon, chamarré de broderies et de buffleteries, remarquable surtout par une ceinture retenant deux énormes glands dorés à hauteur de la braguette. Plus habile, son hôte, en civil, portait chapeau mou et modeste pardessus : on sut aussitôt lequel prendrait l’ascendant sur l’autre. En 1945, Philippe Pétain fut tenté de se présenter devant ses juges en grande tenue de maréchal de France, bâton en main, bicorne à plume, épée de parade, plaques et décorations pendantes ; ses avocats durent lui faire admettre que l’apparition pourrait être contre-productive, et que mieux valait l’uniforme qu’on lui connaissait, adorné de la seule Médaille militaire, créée le 22 janvier 1852 par le président Bonaparte, et dont on sait qu’elle n’est décernée qu’aux sous-officiers et hommes du rang, ainsi qu’aux officiers généraux ayant commandé en chef devant l’ennemi. Est-ce d’avoir évité cette faute de goût que l’ancien chef de l’État évita, à la demande de la Cour, l’application de la peine capitale ? De Gaulle, en revanche, n’envisagea pas un instant de déférer, presqu’au même moment, à la proposition du gouvernement et des assemblées provisoires de le promouvoir au grade et à l’appellation de général d’armée. Général de brigade à titre temporaire il était depuis le 25 mai 1940, il décida de le rester. Cette marque de bon goût fut à peine atténuée par la liberté qu’il prit plus tard, l’embonpoint venant, de renoncer au port du ceinturon réglementaire.
Que Napoléon n’eut-il connu et médité cet exemple ! Chez les contemporains et pour la postérité, il décrocha la palme du mauvais goût à l’occasion du Champ de Mai de 1815. Outre que la cérémonie démentait son nom en se tenant le 1er juin sur le Champ-de-Mars, l’empereur, au lieu de se présenter comme à Laffrey le 7 mars sous son bicorne, dans sa redingote grise et son uniforme légendaire de colonel des chasseurs de la Garde, se laissa affubler par David et peut-être Cambacérès d’un costume de café-concert, en une espèce de Charlemagne rhabillé troubadour Valois, de la toque de velours noir à plume blanche jusqu’aux souliers à bouffettes qu’on ne lui avait jamais vus. Ses trois frères paraissaient également faire carnaval. Le silence puis l’ironie accueillirent la décevante mascarade. Préfiguration du désastre du 18 juin ? Beaucoup sentirent que l’empereur, ce 1er juin, n’était plus lui-même ; plus qu’une erreur, c’était une faute de goût. Deposuit potentes de sede.
Laurent Theis est historien, éditeur, secrétaire général des Prix et Bourses de la Fondation Napoléon.