Noblesse d’Empire et élites au XIXème siècle : une fusion réussie

Auteur(s) : PETITEAU Natalie
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L'histoire sociale du Premier Empire mérite plus que les travaux qui, hormis ceux de Louis Bergeron, l'ont jusqu'ici confinée dans un court terme masquant la portée réelle des années de reconstruction de la France post-révolutionnaire. Parce que l'Empire s'est voulu le stabilisateur d'une Révolution ayant mis fin à la société d'ordres de l'Ancien Régime et le fondateur d'une société répondant aux aspirations exprimées à la fin du XVIIIe siècle, il convient de réinsérer son étude dans un long terme stimulant la réflexion et éclairant la compréhension de l'évolution sociale. Abolir les cloisonnements traditionnels de l'histoire est une démarche fondamentale dans l'effort de compréhension de la transition entre la société d'ordres et la société du XIXe siècle. D'autant plus que la crise de l'Ancien Régime renvoie entre autres à celle des élites : or, dans l'historiographie de ce sujet, l'antinomie entre noblesse et bourgeoisie est au centre de réflexions qui débouchent sur la problématique de la fusion des élites de la naissance, de la fortune et des talents. Il convient donc de savoir dans quelle mesure la Révolution et l'Empire ont répondu aux aspirations d'une bourgeoisie soit disant affrontée à la noblesse au XVIIIe siècle et apparemment triomphante au XIXe siècle. Du reste, ce schéma simpliste ne suffit pas à décrire les réalités des mutations sociales ayant marqué l'entrée dans l'ère contemporaine. L'effort d'ascension de la bourgeoisie s'insère plutôt dans une volonté d'identification à l'aristocratie. La bourgeoisie ne souhaitait pas la destruction de la noblesse mais désirait souvent y entrer et la voir devenir le lieu social de regroupement de toutes les élites.
 
Replacée dans cette problématique de plus longue durée, l'histoire sociale de l'Empire apparaît dans tout son intérêt et toute son ampleur. Jamais gouvernement n'a mené une politique de restructuration sociale d'aussi vaste envergure, jamais dirigeant n'a oeuvré aussi vigoureusement pour façonner le corps social selon ses vues. L'Empire offre à l'historien un champ d'étude fonctionnant comme un véritable laboratoire de créations sociales dont la plus élaborée est la noblesse créée en 1808, couronnement de toutes les institutions antérieures. De fait, les titrés du Premier Empire ont suscité la rédaction d'ouvrages de référence : Jean Tulard, avec son Napoléon et la noblesse d'Empire (1), a donné des pages définitives sur l'histoire juridique de cette aristocratie et sur l'ascension des plus grands noms tandis que Jacques Jourquin, avec son Dictionnaire des maréchaux du Premier Empire (2), a fourni une collection de biographies sociales à laquelle il serait vain de prétendre ajouter quoi que ce soit. Mais il reste à étudier l'ensemble du groupe des anoblis puisqu'il est destiné à réaliser la fusion entre anciennes et nouvelles élites, étude qu'il convient de mener dans une longue durée autorisant à la fois une réflexion sur la genèse de cette aristocratie et une analyse de l'insertion de celle-ci dans les sphères supérieures de la hiérarchie sociale.

I. Le creuset des élites post-révolutionnaires

Dès 1800, Napoléon estime nécessaire une réorganisation sociale de la France en utilisant à la fois les principes de l'Ancien Régime et les données nouvelles de la période révolutionnaire. Sa volonté de fonder la société française sur des masses de granit le conduit à créer, en 1808, une nouvelle noblesse vouée à faire oublier l'ancienne et à s'y substituer, conçue comme une réponse au sentiment de l'honneur et à la soif de distinctions animant alors les Français : élite issue de la Révolution, la noblesse impériale est donc une aristocratie sans privilège mais placée à l'abri d'un déclin financier grâce à ses dotations et à ses majorats. La noblesse d'Empire s'inscrit néanmoins dans une histoire nobiliaire pluri-séculaire car Napoléon restaure les conceptions premières d'une noblesse assimilée au mérite et à la vertu. Si elle est ouverte systématiquement aux titulaires des hautes charges de l'État (grands dignitaires, ministres, sénateurs, conseillers d'État, présidents du Corps législatif, archevêques, membres les plus éminents des cours de justice), elle l'est également à tous ceux que l'empereur désire récompenser par une position au sommet de la hiérarchie sociale.
 
Une chevalerie réinventée
Ainsi, l'attachement au régime, le dévouement au souverain, le courage affirmé sur les champs de bataille (la nouvelle noblesse compte 67,9 % de militaires, nobles refaits compris) (3) et le zèle démontré dans le service de l'administration sont les clefs essentielles de l'anoblissement sous l'Empire, à tel point que l'historien a le sentiment, face à ce groupe social, d'une chevalerie partiellement réinventée d'autant plus que les titres nobiliaires du Moyen Âge étaient le corollaire d'une fonction : l'ascension sociale post-révolutionnaire ne renvoie donc pas forcément à des mécanismes inédits de mobilité. Le projet nobiliaire napoléonien mélange ainsi archaïsme et modernité car est instaurée une noblesse de fonctionnaires et de notables non liée à la terre : en ce sens, il ne s'agit nullement d'une restauration féodale d'autant plus que sont respectés les principes égalitaires de la Révolution. La nouvelle élite est en effet ouverte, notamment à tous les membres de la Légion d'honneur, du moins en théorie. L'anoblissement par l'Empire ne touche cependant qu'un groupe restreint de quelque 3 000 individus. S'il a permis l'ascension d'enfants du petit peuple, du moins lorsqu'ils disposaient d'une instruction suffisante, clef essentielle de l'ascension, il a consacré surtout la réussite de fils de la bourgeoisie (60 % des anoblis stricto sensu) qui incarnent, de par leur formation, la France des Lumières.
 
La volonté de fusion des élites
Toutefois, Napoléon renonce finalement à exclure de son aristocratie les membres de l'ancienne noblesse. Cambacérès l'y incite particulièrement, de même que Pasquier :  » c'était une conception bien hardie que celle de donner à la France une nouvelle noblesse en présence de celle qui, quoique abrogée par la loi, était encore vivante dans tous les souvenirs  » (4). Napoléon espère certes détruire l'héritage de la France monarchique, mais il mesure combien il serait maladroit de priver son trône de l'éclat des grands noms de l'ancienne France, particulièrement à l'heure où il s'apprête à épouser la petite-nièce de Louis XVI. L'année 1810 est donc celle d'un important revirement dans sa politique nobiliaire. Il fait alors d'importantes recommandations à Cambacérès :  » Il convient, par des mesures sages et indirectes, de faire participer toute la France aux avantages de l'institution des titres héréditaires. S'il n'en est pas ainsi, cette institution ne sera jamais nationale : elle ne fera point oublier ceux qui, autrefois, jouissaient des prérogatives de la noblesse. Un des moyens les plus propres à raffermir cette institution serait d'y associer les anciens nobles, avec des réserves et des modifications que la prudence commande  » (5). Les réserves sont relatives à ceux des anciens nobles trop pauvres pour ne pas nuire au prestige de la nouvelle noblesse :  » quant à ceux des anciens nobles que j'entends associer à la nouvelle institution, il faut avant tout qu'ils aient conservé de la fortune  » (6). Les modifications visent à titrer les membres du second ordre de l'Ancien Régime selon la volonté du nouveau souverain : d'anciens comtes se retrouvent barons, des ci-devant ducs perdent leur titre. Se retranchant derrière le principe de l'égalité conduisant à accepter tout citoyen dans la nouvelle noblesse, réaffirmant sa volonté d'être l'unique maître d'oeuvre de la nouvelle organisation sociale, Napoléon renonce cependant à sa condamnation initiale de l'ancienne noblesse et adapte peu à peu sa législation pour faire de son aristocratie  » un faisceau de toutes les familles qui sont l'objet de la considération générale  » (7). Il comprend qu'il est utopique de vouloir créer ex nihilo une aristocratie prestigieuse. Il sait qu'il est dangereux de négliger le prestige des grands noms anciens, Cambacérès le lui a rappelé :  » Il serait inutile de se dissimuler que ce qui reste de la noblesse abolie par la Révolution présente beaucoup de noms recommandables ; que parmi ces noms, il en est dont on ne pourrait éteindre le souvenir sans déchirer quelques-unes des belles pages de notre histoire  » (8). Agréger une partie de l'ancienne noblesse à la nouvelle serait de surcroît apporter à cette dernière une caution supplémentaire aux yeux des noblesses étrangères :  » on n'oserait plus sourire d'une cour où des Montmorency, des La Rochefoucauld et des Mortemart accepteraient les « fonctions de service » à côté des nouveaux nobles  » (9). Mais il ne s'agit pas d'accueillir aux rangs des titrés de l'Empire la totalité du ci-devant second ordre. La nouvelle noblesse ne trouvera de profit que dans l'agrégation des nobles ayant prouvé leur ralliement en servant le régime à la cour ou à l'armée, dans les administrations ou dans la justice, dans les collèges électoraux ou dans les conseils généraux. Quant aux anciennes familles n'ayant plus de fortune mais portant des noms distingués, contrairement au projet initial, l'empereur les relèvera par des dotations (10) :  » Ces noms appartiennent à la France, à l'histoire. Je suis le tuteur de leur gloire, je ne les laisserai pas périr  » (11).
Cependant, les rangs supérieurs de la noblesse impériale demeurent pour l'essentiel à l'écart de cette entreprise de fusion :  » Je ne veux d'autres ducs que ceux que j'ai créés ou que je pourrai créer encore […]. Si je fais quelques exceptions à l'égard de l'ancienne noblesse, ces exceptions seront très restreintes et ne s'appliqueront qu'à des noms historiques  » (12). Napoléon veut demeurer la seule source du plus grand prestige, le sommet de la pyramide sociale ne doit porter que sa propre marque. S'il respecte le passé glorieux de la France, il met au premier plan de celui-ci les illustrations de l'Empire tout en plaçant à leurs côtés quelques grands noms de l'ancienne noblesse afin de faire de ses grands dignitaires la quintessence de la société française et de les placer au sommet de la nouvelle société nobiliaire.

II. Une acculturation précoce au mode de vie nobiliaire

Une identité noble se dessine précocement au sein du groupe, soudé par des liens d'amitié et de parenté et jouissant, notamment grâce à ses traitements et à ses dotations, d'une fortune lui permettant de tenir son rang. Mais la richesse ne suffit pas à définir l'appartenance à la noblesse : il convient donc de s'interroger sur l'aptitude des anoblis à s'insérer dans la haute société post-révolutionnaire et à contribuer à la redéfinition du bon ton.
 
L'influence de la civilisation de cour
La cour impériale a été abondamment décrite par les mémorialistes et les historiens :  » à l'époque même de son apogée, elle était un objet de sarcasmes et de railleries « , rappelle Jean Tulard avant de se demander  » s'il ne s'agit pas là d'une caricature  » puis de démontrer que les missions sociales et économiques assignées à cette cour ont été remplies en grande partie (13). La nouvelle noblesse est l'acteur principal de cette vie de cour au coeur de laquelle elle se doit d'afficher son rang et où elle trouve avant tout un moyen d'auto-affirmation (14). Au luxe tapageur et aux mauvaises manières dont elle est souvent accusée répond la réalité d'une mise en scène réussie. Les femmes en sont les principales instigatrices : parmi elles, un rôle essentiel revient à la première impératrice. Madame de Chastenay, sans complaisance à l'égard du gouvernement de Napoléon, ne manque pas de souligner  » cette aménité, cette manière que Joséphine avait su créer  » (15). Les soirées de ses cercles se déroulent  » sans raideur et sans faux air  » (16). Quant aux concerts qu'elle organise, ils donnent le ton de cette vie de cour : la délicatesse des musiques de Dussek et de Naderman (17), que Joséphine affectionne particulièrement, n'a-t-elle pu aider l'aristocratie militaire à devenir une noblesse cultivée et raffinée, obéissant ainsi au phénomène de  » curialisation des guerriers  » partout engendré par l'existence des cours princières (18) ? Découvrant la cour à l'issue de trois années passées en terre étrangère, Marie-Antoine Reiset  » reste stupéfait devant tant de raffinement et de recherches de toutes sortes  » (19).
En outre, bon nombre des dames de la noblesse impériale présentes à la cour ont été éduquées chez Madame Campan (20) où leur ont été inculquées les bonnes manières de la noblesse d'Ancien Régime à laquelle elles appartiennent parfois elles-mêmes. L'exemple le plus célèbre est celui de la duchesse de Rovigo, parente de tout le faubourg Saint-Germain (21). L'amorce précoce de fusion entre les deux noblesses est déterminant : l'acculturation de la noblesse impériale aux moeurs du ci-devant second ordre se fait entre autres par les femmes. De surcroît, n'est-ce pas elles qui, par la mode héritée du Directoire, exprimée dans le chatoiement des cachemires et la fausse simplicité des robes blanches, imposent aux Tuileries un raffinement copié dans tout l'Empire (22) et peut-être jamais égalé ? Toujours est-il que les descriptions flatteuses ne manquent pas : aux yeux du maréchal de Castellane, les femmes de la cour sont toutes ravissantes, gardant une fraîcheur due à un sang neuf (23). Pour Madame de Chastenay,  » les dames marquantes, dans le nouveau régime, étaient jeunes presque toutes, et presque toutes étaient jolies ; elles avaient des talents. Leurs toilettes étaient recherchées, et leur ton plutôt un peu guindé et un peu raide que trop facile et trop commun  » (24). Les remarques finales traduisent certes les imperfections d'une éducation aristocratique encore récente. Il n'en reste pas moins qu' »une extrême politesse distinguait, à cette cour, les manières de toutes les personnes en place  » (25). Le baron Ernouf le signale également :  » Il est vrai que les titres nobliliaires et les habits brodés de certains fonctionnaires ne cadraient guère avec leurs antécédents. Fouché et Merlin […] devaient se paraître suspects à eux-mêmes. Quelques-uns, fils de leurs oeuvres, dissimulaient assez mal le défaut d'éducation première ; mais il en était d'autres qui joignaient à des mérites plus sérieux la distinction des manières et l'urbanité  » (26). Raillée sans ménagement par les partis extrêmes, la cour impériale a été injustement traitée. Le bon goût et la distinction n'en sont nullement absents : souvent transmis par des épouses au statut social initialement plus élevé, ils s'expriment aussi chez les militaires les plus intrépides.
À bonne école auprès de sa seconde épouse Eugénie de Coucy, Oudinot semble incarner le modèle chevaleresque jusque dans ses manières de cour. Le récit de son entrevue avec le roi de Prusse, en mars 1812, par son aide de camp le comte de Thermes, conduit en tout cas à cette interprétation :  » Le duc de Reggio aborda Frédéric-Guillaume, le chapeau à la main, avec sa courtoisie chevaleresque, son attitude tenait à la fois de la noble liberté d'un chef républicain, de la loyauté des antiques chevaliers et avait cette aisance pleine d'élégance et de grâce que n'eût pu surpasser le maréchal de Richelieu. Nous étions fiers de voir l'armée si dignement représentée  » (27). Les héros de la littérature épique inspirent aux contemporains de la noblesse impériale le sentiment de la renaissance d'une chevalerie dont l'idéologie s'est seulement enrichie des préceptes de l'égalitarisme révolutionnaire. Cette évocation fait écho à la prédilection de la cour pour les romances de chevalerie :  » il n'était question dans toutes que des vieux châteaux de nos pères, que de preux, que de paladins […]. Madame de Noailles disait :  » En ce moment, on parle de chevalerie comme en révolution on parlait de liberté. »  » (28). La nouvelle découverte de la culture médiévale incite les contemporains eux-mêmes à percevoir la noblesse impériale comme une chevalerie réinventée tandis que la poésie des troubadours inculque les préceptes de courtoisie par lesquelles se transformèrent les cours du XIIe siècle (29). Les nouveaux titrés paraissent finalement dignes de figurer sur la scène des monarchies européennes.
Prestigieuse, la cour fascine et attire : l'ancienne noblesse finit par y accourir et achève d'initier les nouveaux courtisans aux bienséances de l'Ancien Régime sous l'égide de deux grands chambellans dont les noms font résonner les souvenirs de la France des rois sous les ors des Tuileries : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et Pierre de Montesquiou-Fezensac (30). Pourtant, l'avènement de Marie-Louise et l'afflux de noms illustres à la cour coïncident, selon Madame de Chastenay, avec l'apparition d'une plus grande rigidité dans les moeurs curiales et la perte de tout ce qui avait été préservé des  » usages de société  » (31). Joséphine n'aurait-elle donc pas eu besoin du ralliement de l'ancienne noblesse pour faire de la cour impériale un lieu de renaissance de la douceur de vivre de l'Ancien Régime ? Quoi qu'il en soit, aux yeux de la nouvelle souveraine venue de la plus guindée des cours européennes, la fusion semble parfaite : élevée au milieu d'une prestigieuse aristocratie, elle ne fait pas pour autant de distinction entre les noms anciens et les nouveaux (32) !… Le processus de curialisation est donc réussi : les anoblis sont devenus des hommes de cour à l'issue d'un  » remodelage de [leur] affectivité […] [par] un réseau serré d'autocontrôles automatiques qui brident toutes les impulsions spontanées, tous les mouvements immédiats  » (33). Ils sont parvenus à faire de la cour impériale un lieu de rayonnement dont les fastes n'excluent pas le bon ton. La nouvelle noblesse se plie finalement à une étiquette inspirée en partie de celle des Bourbons. Elle trouve du reste à la cour une source de prestige, notamment lors des mariages : les unions donnent lieu à une cérémonie aux Tuileries durant laquelle le contrat est revêtu solennellement des signatures impériales. Il en est ainsi pour Claude-Pierre Pajol, Louis Tirlet et le duc de Reggio lors de sa seconde alliance (34). Les enfants des anoblis mariés sous l'Empire bénéficient du même honneur (35). Si la cour de Napoléon est moins un instrument de règne que celle de Louis XIV (36), elle est davantage un lieu de consécration de la noblesse et d'éducation des nouveaux titrés ainsi pourvus des moyens de faire briller la civilisation impériale dans leurs salons et leurs fêtes privées.
 
Le rôle capital de l'espace parisien
Lieu d'ostentation curiale, Paris est aussi celui de la fusion (37). La sociabilité de salon est une occasion privilégiée de rencontre entre ancienne et nouvelle noblesse. Si les salons officiels, de Cambacérès ou de Talleyrand par exemple, sont des prolongements de la cour attachés à une étiquette parfois plus lourde encore (38), plus significatifs, car libres de toute contrainte, sont les salons privés. Dès les lendemains de Brumaire, le futur comte Beugnot est accueilli dans les salons des faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré : inimitable causeur d'une étincelante ironie, il charme tous ses hôtes par la vivacité de ses réparties, à tel point que Talleyrand lui-même recherche sa compagnie (39). Au faubourg Saint-Germain précisément, le salon de Constance de Salm, belle-mère du baron Louis-Bernard Francq, est l'un des plus réputés (40). La vie de salon est occasion pour les anoblis militaires de se mêler à une jeunesse dorée, tel Louis-François Lejeune, ami d'Alfred de Noailles, d'Edmond de Périgord et de bien d'autres : mais à imiter le luxe de la brillante société qu'il fréquente, le baron Lejeune a bien souvent bourse plate (41). En dignes membres de la noblesse, les titrés impériaux savent se plier à la règle suivant laquelle l'aristocratie fixe ses dépenses selon son rang et non selon ses revenus (42). Le cercle des amis et des relations des Haussonville est le cadre d'un rapprochement précoce : leur salon de la rue de la Ville-l'Évêque est  » le lieu de rendez-vous habituel de deux sociétés d'origine assez dissemblable, un peu étonnées de se trouver ensemble, dont les credo politiques ne laissaient pas de différer beaucoup, mais auxquelles certaines affinités de savoir-vivre et de goûts élégants rendaient le mélange facile, aidé qu'il était par la modération naturelle et la gracieuse bonne grâce des maîtres de la maison  » (43). Les anciens compagnons d'émigration du comte y rencontrent les maréchaux et les dignitaires de l'Empire, les amies de la comtesse, autrefois dames d'honneur des princesses de France, y accueillent les compagnes des impératrices Joséphine et Marie-Louise. Le fils du comte se souvient de l'harmonie installée dans ce salon :  » Un je ne sais quoi d'indéfinissable et qui leur était commun à leur insu rendait à ces camps opposés les rapprochements bien plus aisés qu'on ne saurait le croire aujourd'hui  » (44). Une atmosphère identique règne dans les salons de province, à Toulouse par exemple (45), ou à Nancy (46). L'espace social des noblesses à l'aube du XIXe siècle n'est pas lieu de concurrence : s'y manifestent bien au contraire des valeurs communes, indices de l'aptitude des titrés de l'Empire à faire leur la culture nobiliaire.
Les anoblis enracinés à Paris disposent d'ailleurs de cadres de vie élégants : bon nombre s'installent dans les quartiers les plus chics de la capitale, leur lieu de prédilection étant l'aristocratique faubourg Saint-Germain où le maréchal Oudinot et le comte Rampon deviennent propriétaires d'un hôtel particulier. Ils côtoient ainsi Soult, propriétaire rue de l'Université (47), Davout et Kellermann, installés rue Saint-Dominique, ou encore Ney, Masséna, Jourdan, Mortier, Fontanes, Nansouty et d'autres établis rue de Lille (48). Quant aux anoblis demeurés provinciaux, beaucoup disposent d'une résidence châtelaine (49). Les titrés de l'Empire affichent ainsi leur appartenance nobiliaire : par le choix de son logement, chaque membre de l'élite traduit en effet sa position sociale en réinvestissant sa personnalité dans un espace symbolique (50), espace au sein duquel est facilitée la fusion dans les élites qu'il rassemble.

III. L’insertion dans les élites concurrentes du XIXe siècle

Si les deux cinquièmes de la noblesse impériale perdent, après la chute de Napoléon, leur position sociale par un enlisement en province et dans les catégories moyennes, les trois cinquièmes s'insèrent dans le monde des élites notamment grâce à des alliances brillantes : la réussite du mariage fait des hommes nouveaux puis de leurs descendants les fondateurs ou les continuateurs d'une dynastie. Tournée à la fois vers le passé, par son identité quasi chevaleresque, et vers l'avenir, par son origine récente liée au régime qui a de surcroît fait entrer la France dans l'ère contemporaine, la noblesse impériale est ouverte par tradition à tous les types de notables. Elle noue des liens précoces avec les nouvelles élites dont elle est en partie issue et qu'elle contribue elle-même à incarner : creuset de la fusion dès l'Empire, elle devient après 1815 un véritable carrefour social où elle rencontre non seulement les nobles de l'Ancien Régime mais aussi les bourgeoisies et les autres noblesses du XIXe siècle.
 
Les alliances avec l'ancienne noblesse
Tandis que 7,6 % des anoblis de la première génération s'étaient intégrés par mariage à la noblesse d'Ancien Régime, 17,3 % y parviennent à la seconde génération et 27 % à la troisième. Il convient de souligner à ce propos que les mariages dans le second ordre se font de façon privilégiée dans les catégories les plus prestigieuses : à la seconde génération, 67 % d'entre eux sont conclus dans la noblesse centenaire, à la troisième génération, cette proportion est de 70,7 %. S'exprime ici la reconnaissance d'une noblesse prestigieuse pour une aristocratie impériale qui marque un retour aux caractéristiques premières de la qualité noble. Par ailleurs, soucieux de consolider leur légitimité, les anoblis de la Restauration sont aussi nombreux que les membres de la noblesse centenaire à se marier dans la noblesse impériale. Les nobles de Louis XVIII et de Charles X jugent donc ceux de Napoléon dignes d'accroître leur prestige. De plus, la noblesse d'apparence cherche dans les alliances avec les titrés de Napoléon un moyen de manifester ou de parachever son agrégation de fait mais non de droit à la noblesse : elle trouve dans les mariages avec les familles de l'Empire une source sûre de fusion, d'autant mieux que la noblesse impériale est elle-même insérée dans la plus vieille aristocratie. À la lecture des patronymes des conjoints des héritiers de la noblesse impériale, 436 membres de la noblesse d'apparence ont été recensés (51) : ils représentent 8,8 % des époux et épouses de la seconde génération, 10 % de ceux de la troisième. Cette légère augmentation rappelle celle qui a été observée au sujet des mariages dans l'ancien second ordre : elle reflète sans doute elle aussi le prestige grandissant de la noblesse impériale.
 
La fusion avec les nouvelles élites
Dans la bourgeoisie, les alliances se font notamment en direction des officiers et relèvent alors souvent d'une étroite endogamie professionnelle : en épousant René-Paul-Emmanuel Bocher, Marie-Louise-Zoé-Charlotte Pajol perpétue l'attachement de sa famille à l'armée. Il en est de même des unions dans le corps préfectoral ou dans la magistrature : ainsi Adélaïde-Rosalie Mourre, fille du baron procureur général, est l'épouse d'un conseiller à la cour de Rouen. Lorsque, dans la bourgeoisie, la noblesse impériale se marie en dehors des catégories qui, comme elles, se distinguent dans le service de l'État, elle recherche le prestige des riches propriétaires fonciers tel Napoléon Pajol qui entre dans la famille Deschamps, richement possessionnée dans la région parisienne et en Normandie. Par ailleurs, si les hommes d'affaires ont été le plus souvent tenus à l'écart de la noblesse impériale, les anoblis n'ont en revanche pas boudé le monde des affaires : non seulement ils s'y sont eux-mêmes engagés, mais ils ne négligent nullement de s'y marier. Les Laffitte (52) ou Talabot (53), les Fould ou les Heine (54) sont alliés aux Ney, aux Clary, aux Masséna, ou aux Murat ; le père de la seconde duchesse de Reggio, née Célina Minguet, appartient au monde de la banque, l'une des belle-filles du maréchal Maison est née dans une famille de riches banquiers protestants de Leipzig, les Lütteroth. Le cosmopolitisme caractérise finalement bien des alliances de la noblesse impériale, acceptée précocement par les noblesses étrangères.
Cette fusion des élites, qui se fait par en haut, est une satisfaction apportée aux voeux de Napoléon soucieux de faire de sa noblesse un creuset où viendraient se réconcilier la France ancienne avec la nouvelle. L'endogamie systématique ne concerne qu'un noyau, par ailleurs largement caractérisé par sa fidélité aux Bonaparte. Ces anoblis mariés dans la haute noblesse ancienne ou dans la riche bourgeoisie distinguée conservent ainsi l'identité d'une noblesse s'imposant aux plus hauts degrés de la hiérarchie sociale : s'affirme ainsi une aristocratie qui témoigne de la capacité des élites à se renouveler.

Notes

(1) Jean Tulard, Napoléon et la noblesse d'Empire. Bibliothèque napoléonienne. Paris, Tallandier, 1979, 359 p.
(2) Jacques Jourquin, Dictionnaire des maréchaux du Premier Empire. Bibliothèque napoléonienne. Paris, Tallandier, 1986, 170 p.
(3) Les résultats statistiques présentés dans ce texte sont extraits de ma thèse de doctorat intitulée Les anoblis du Premier Empire et leur postérité (1808-1914) : une identité perdue ?, soutenue à l'Université de Tours le 2 décembre 1995, réalisée sous la direction du professeur Claude-Isabelle Brelot et menée avec l'aide financière d'une bourse de la Fondation Napoléon à laquelle je renouvelle ici l'expression de mes plus vifs remerciements. Thèse à paraître en septembre 1997 à Paris, " La Boutique de l'Histoire-Éditions ", sous le titre : Élites et mobilités : la noblesse d'Empire au XIXe siècle (1808-1914).
(4) Étienne-Denis Pasquier, Histoire de mon temps. Mémoires du chancelier Pasquier, publiés par monsieur le duc d'Audiffret-Pasquier. Paris, Plon, 1893, p. 345.
(5) Archives nationales, AF IV 1310, note dictée par Napoléon à Cambacérès, le 14-VI-1810.
(6) Idem.
(7) Archives nationales, AF IV 1310, rapport par Cambacérès sur une fusion à faire de l'ancienne noblesse dans la nouvelle, 30-VI-1810.
(8) Idem.
(9) Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l'Empire. Tome XI : La nation sous l'empereur. Paris, Hachette, 1948, p. 29.
(10) Archives nationales, AF IV 1310, rapport par Cambacérès sur une fusion à faire de l'ancienne noblesse dans la nouvelle, 30-VI-1810.
(11) Propos de Napoléon rapportés par Jérôme-François Zieseniss, " Napoléon et la noblesse ", dans la Revue du souvenir napoléonien, juillet 1980, n° 312, p. 4.
(12) Archives nationales, AF IV 1310, note dictée par Napoléon à Cambacérès, le 14-VI-1810.
(13) Jean Tulard, article " cour impériale " dans Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1987, p. 544-545.
(14) Max Weber cité dans Norbert Élias, La société de cour. Collection Champs. Paris, Flammarion, 1985, p. 12.
(15) Victorine de Chastenay, Mémoires, 1771-1815. Introduction et notes de Guy Chaussinand-Nogaret. Collection " L'histoire en mémoires ". Paris, Perrin, 1987, p. 416.
(16) Idem, p. 405.
(17) Catherine Michel, harpiste-solo de l'orchestre de l'Opéra de Paris, réédite les oeuvres pour harpe de l'Empire et contribue largement à sortir de l'oubli ce qu'étaient les soirées musicales au temps de Joséphine. Voir notamment le disque édité avec le concours de la Fondation Napoléon, de la Société des Amis de Malmaison et de la Maison de Chateaubriand, La harpe au temps de l'impératrice Joséphine. Paris, Symphony Land, 1994.
(18) Roger Chartier, " Formation sociale et économie psychique : la société de cour dans le procès de civilisation ", préface à Élias (Norbert), La société de cour. Champs. Paris, Flammarion, 1985 (1re édition en allemand en 1969), p. IV.
(19) Marie-Antoine vicomte de Reiset, Souvenirs du lieutenant général vicomte de Reiset, publiés par son petit-fils le vicomte de Reiset. Paris, Calmann-Lévy, 1899, tome 1, p. 360.
(20) Charles-Otto Zieseniss, Napoléon et la cour impériale. Bibliothèque napoléonnienne. Paris, Tallandier, 1980, p. 160.
(21) Jean Tulard, Nouvelle histoire de Paris. Le Consulat et l'Empire, 1800-1815. Paris, Hachette, 1970, p. 35.
(22) Philippe Séguy, Histoire des modes sous l'Empire. Bibliothèque napoléonienne. Paris, Tallandier, 1988, 282 p. et Madeleine Deschamps, Empire. Paris, éditions Abbeville, 1994, p. 58-63, notamment p. 61 : "Dans toutes les classes de la société, les femmes suivaient les modes que lançait Joséphine ".
(23) Victor-Élisabeth-Boniface comte de Castellane, Journal du maréchal de Castellane (1804-1862). Paris, Plon, 1895, tome 1, p. 35.
(24) Victorine de Chastenay, Mémoires…, ouvrage cité, p. 413-414.
(25) Idem, p. 407.
(26) Baron Ernouf, Maret, duc de Bassano. Paris, G. Charpentier, 1878, p. 234.
(27) Jules Nollet(Fabert), Histoire de Nicolas-Charles Oudinot, maréchal d'Empire et duc de Reggio. Bar-le-Duc, Rollin,1850, p. 141.
(28) Victorine de Chastenay, Mémoires..., ouvrage cité, p. 426. Les mémoires de la comtesse Merlin attestent également cet engouement pour la culture médiévale : dans sa contemplation des paysages espagnols, elle pense à la chevalerie mauresque. Voir Carmen Vasquez [éd.], Souvenirs et mémoires de Madame la comtesse Merlin (1789-1852). Souvenirs d'une créole. Le Temps Retrouvé. Paris, Mercure de France, 1990, p. 355.
(29) Roger Chartier, " Formation sociale et économie psychique... ", préface citée, p. XX.
(30) Jean Tulard, " cour impériale ", article cité.
(31) Victorine de Chastenay, Mémoires..., ouvrage cité, p. 420.
(32) Idem, p. 421
(33) Roger Chartier, " Formation sociale et économie psychique... ", préface citée, p. XXII.
(34) Archives nationales, Minutier central, étude XXXIII, liasse 846, minutes Grelet, 30-III-1808, mariage Pajol-Oudinot ; étude LIII, liasse 774, minutes Péau-le-Jeune, 1-I-1810, mariage Tirlet-Pérignon ; étude XXXIII, liase 862, minutes Grelet, 18-I-1812, mariage Oudinot-Coucy. Voir également Claude de Barante, Souvenirs du baron de Barante, de l'Académie française (1782-1866). Paris, Calmann-Lévy, 1890-1891, tome 1, p. 354 : l'une des règles de l'étiquette précise que les contrats de mariage des auditeurs au Conseil d'État, des préfets et de nombreux fonctionnaires sont signés par l'empereur.
(35) Archives nationales, Minutier central, étude LXXXVII, liasse 1344, minutes Potron, 31-I-1809, mariage Blacque de Belair-Doulcet d'Égligny.
(36) Sur la cour de l'Ancien Régime conçue comme un instrument de règne, voir Norbert Élias, La société de cour, ouvrage cité, passim et Jean-François Solnon, La cour de France. Paris, Fayard, 1987, 649 p.
(37) Natalie Petiteau, " Le Paris de la noblesse d'Empire", dans Claude-Isabelle Brelot [dir.], Noblesses et villes (1780-1950). Actes du colloque de Tours, 17-19 mars 1994. Université de Tours, collection des sciences de la ville, 1995, p. 193-204.
(38) Louis Madelin, Histoire du Consulat et de l'Empire. Tome XI : La Nation sous l'empereur, ouvrage cité, p. 42 sq.
(39) E. A. Blampignon, " Le comte Beugnot ", Mémoires et lettres de la société d'agriculture, sciences et arts du département de l'Aube, tome LIX, 1895, p. 24-34.
(40) Sur le mariage de Louis-Bernard Francq, voir en annexe le tableau n° 33 : la belle-mère du baron a épousé en secondes noces le prince de Salm. Sur le prestige de son salon, voir entre autres Madeleine Deschamps, Empire. Paris, Éditions Abbeville, 1994, p. 107.
(41) Louis-François Lejeune, Souvenirs d'un officier de l'Empire. Toulouse, Viguier imprimeur, 1851, tome 1, p. 214; 356-357 ; 404 et tome 2, p. 119.
(42) Norbert Élias, La société de cour, ouvrage cité, p. 47 sq.
(43) Comte Joseph d'Haussonville, Ma jeunesse, 1814-1830. Paris, Calmann Lévy, 1885, p. 238-239.
(44) Idem.
(45) Henri Gelabert, " La politique religieuse du préfet Richard à Toulouse de 1800 à 1806 ", article cité et A. Fauchié-Magnan, Les Du Barry, histoire d'une famille au XVIIIe siècle. Paris, Hachette, 1934, p. 294.
(46) Odette Voilliard, Nancy au XIXe siècle (1815-1871). Une bourgeoisie urbaine. Paris, Ophrys, 1978, p. 14.
(47) Nicole Gotteri, Soult, maréchal d'Empire et homme d'État. Besançon, La Manufacture, 1991, p. 133.
(48) Jean Tulard, Nouvelle histoire de Paris. Le Consulat et l'Empire, 1800-1815, ouvrage cité, p. 34 et Éric Perrin, Le maréchal Ney, Présence de l'histoire. Paris, Perrin, 1993, p. 118 : " La rue de Lille devient ainsi la rue du régime ".
(49) Jean Tulard, Nouvelle histoire de Paris. Le Consulat et l'Empire, ouvrage cité, p. 34.
(50) Christophe Charle, Les élites de la République, 1880-1900. Paris, Fayard, 1987, p. 379.
(51) À l'aide de Pierre-Marie Dioudonnat, Encyclopédie de la fausse noblesse et de la noblesse d'apparence. Paris, Sedopolis, 1976, 1979 et 1991, 3 tomes, 395 p., 187 p. et 247 p. Notamment tome 1, p. 6 : " La notion d'apparence noble correspond à la croyance enracinée au cours des siècles dans la mentalité collective, selon laquelle une particularité patronymique, le nom à particule ou le port d'un titre nobiliaire constitueraient en quelque sorte des signes extérieurs de noblesse ".
(52) Le prince de la Moskowa épouse en 1828 Albine-Étiennette-Marguerite Laffitte : Vicomte Albert Révérend, Armorial du Premier Empire. Paris, Honoré Champion, 1974 (réédition), tome III, p. 319.
(53) François-Jean comte Clary épouse en 1846 Sidonie-Marguerite-Noémie Talabot : idem, tome I, p. 270.
(54) Ceux-ci s'allient aux Ney, Masséna ou Murat : Frédéric Barbier, Finance et politique, la dynastie des Fould, XVIIIe-XXe siècle. Paris, Colin, 1991, p. 266.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
411
Numéro de page :
5-12
Mois de publication :
février
Année de publication :
1997
Année début :
1808
Année fin :
1815
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