ST HELENA AIRPORT: Gone with the wind

Auteur(s) : MACÉ Jacques
Partager

Dès les années 1960, le projet d’accès à Sainte-Hélène par voie aérienne a fait l’objet d’un débat entre ceux qui y voyaient le seul moyen d’assurer le développement économique et la survie de l’île et ceux qui redoutaient « qu’elle y perde son âme ».

Aujourd’hui, l’île dispose d’un tel aéroport international certifié, ce qui signifie que les infrastructures, les équipements et le personnel technique répondent aux standards en la matière, mais l’aéroport n’est pas homologué pour la réception en vols commerciaux d’aéronefs d’une capacité de 100-150 passagers en raison de turbulences à basse altitude (windshears) rendant l’approche dangereuse sur les premiers 300 à 500 mètres Nord de la piste unique (coincés entre le Barn et de hautes falaises déchiquetées). What a mess! (quel gâchis !), écrit la presse britannique, estimant la dépense entre 250 et 285 M£. Comment en est-on arrivé là ?

ST  HELENA AIRPORT: Gone with the wind
Aéroport de Sainte-Hélène © Sthelenaisland.info

En 2002, le Premier Ministre Tony Blair prit deux décisions : redonner aux Saints la citoyenneté britannique (the famous British Passport) que Margaret Thatcher leur avait retirée et organiser un référendum offrant le choix entre un nouveau bateau (pour 26 M£) ou un aéroport (pour 50 M£). On songeait alors plutôt à une navette aérienne entre SH et Ascension où les USA ont construit une piste de 6 km (piste de secours pour les navettes spatiales) dont ils devraient bien finir par accepter l’utilisation commerciale ! Le résultat révéla une participation de 50 % et un vote à 72 % en faveur de l’aéroport.

Une étude de faisabilité fut confiée à une société de conseil en management nommée ATKINS, qui déposa en janvier 2005 son rapport final, comportant 350 pages et de nombreuses annexes. Le choix du site de Prosperous Bay Plain, à l’est de l’île, semblait incontournable, faute d’autre terrain adéquat, mais la longueur naturelle de piste y était limitée à 1400 mètres. Il fallait donc envisager de la prolonger en comblant sur une profondeur de 75 à 100 m. une gorge dénommée Dry Gut. On avait alors le choix entre deux solutions : une piste bétonnée de 1450 m. avec une zone de sécurité en terre battue de 200 m., ou une piste de 1650 m. avec une zone de sécurité de 300 m. La première solution permettrait de recevoir seulement des avions d’affaires (business aircraft) de 19 passagers, la seconde était nécessaire pour recevoir des avions de type Boeing 737 ou Airbus A 320. Les deux variantes sont longuement présentées dans le rapport ATKINS.

Le chapitre 7 du rapport était consacré à la définition des moyens techniques de navigation à mettre en place. Il alertait sur la détection, compte-tenu de la configuration du terrain en partie nord de la piste, de risques de turbulences et conseillait, non seulement de procéder à des mesures météorologiques répétées sur plusieurs mois, mais aussi à des vols d’essai à basse altitude avec un avion tout-terrain du type Herculès (L 100 ou C130), et ceci avant d’entreprendre des travaux (voir en annexe trois extraits significatifs de ce rapport).

Un appel d’offre international a été lancé sur la base de ce rapport, et une short list de candidats établie (dont la société italienne Impregilo, de réputation internationale, et la société sud-africaine Basil Read). Après un deuxième round, Impregilo fut retenu pour un projet s’élevant à environ 300 M£ et commencèrent alors les discussions sur la rédaction du contrat. Nous sommes en 2008.

Mais en juin 2007, Gordon Brown succéda à Tony Blair. Il dut faire face à la crise financière et décida en décembre 2008 d’arrêter le projet, arrêt qui fut présenté officiellement comme « une pause ». En poste de novembre 2007 à septembre 2011, le gouverneur de Sainte-Hélène Andrew Gurr n’abandonna pas la partie et relança le projet auprès de David Cameron qui, en mai 2010, succéda à Gordon Brown. Cameron accepta de relancer le projet mais à la condition que le coût ne dépassa pas 200 M£. Un nouvel appel d’offre fut émis sur cette base. Impregilo ne se donna même pas la peine de répondre ; Basil Read, avec une offre à 201,5 M£, remporta le marché et un contrat fut finalisé avec cette société pour 212 M£.

Le nouveau gouverneur Mark Capes, nommé en novembre 2011, inaugura ses fonctions en annonçant cet accord historique. Le chantier était prévu pour 48 mois et le gouverneur fit de cette œuvre l’objectif prioritaire des quatre années de son mandat, s’y investissant totalement (au détriment de problèmes, sociaux notamment, qui vont se poser à l’été 2014) et y gagnant le surnom de The Enforcer.

On ne sait pas en détail comment le budget de construction a pu être réduit de près d’un tiers. Un débat s’installa sur l’installation d’un « arresting system » (piste de secours en mousse), puis on revint à la solution plus classique du comblement de Dry Gut (œuvre spectaculaire). Un môle fut construit à Rupert Bay pour débarquer le matériel, et une route des crêtes de 14 Km pour l’amener sur le chantier. Le chantier se  déroula normalement jusqu’au printemps 2015, où on parla d’une inauguration reportée de novembre 2015 à février 2016, ce qui n’avait rien d’étonnant dans un tel cas. La mise en service d’une ligne hebdomadaire Johannesburg-St Helena en Boeing 737-800 par  la compagnie Comair était prévue, financée pendant dix ans par le SHG ; une compagnie charter nommée Atlantic Star programma des vols à la demande depuis Londres avec escale technique en Gambie. Tout s’annonçait au mieux pour 2016 et personne ne parla plus du chapitre 7 du rapport Atkins (aucun vol exploratoire n’eut lieu), même si certains ne l’avaient peut-être pas oublié.

Le premier vol avec un Beachcraft a lieu le 15 septembre 2015, et il semble bien que les pilotes furent gênés par des turbulences. Au bout d’un mois, on révéla qu’il était nécessaire de changer l’emplacement d’un équipement de navigation (DVOR) pour modifier l’angle d’approche, mais les informations données au compte-gouttes favorisèrent des rumeurs dans les milieux aéronautiques. Pour forcer l’information, Atlantic Star décida de mettre en vente des billets pour Pâques (mars) : on le lui interdit et on annonça le report de l’inauguration au 21 mai. Fut étudiée la possibilité d’atterrir dans le sens sud-nord, avec vent dominant arrière, contrairement l’usage et à la sécurité. C’est alors que la compagnie Comair força la situation en effectuant le 18 avril, avec un préavis réduit, un vol dit d’ « implementation » avec son Boeing 737-800 acheté spécialement en prévision de l’ouverture de cette ligne, transportant des personnels techniques et quelques passagers non payants. À la première tentative d’atterrissage, le pilote dut remettre les gaz en raison du roulis provoqué par les turbulences, et put se poser au deuxième essai. Il devint évident que la sécurité de l’aéroport était mise en cause. Le gouverneur Capes, en fin de mission, quitta l’île le 18 mars pour l’Europe.  Son successeur, Mrs Lisa Phillips, qui fit le crochet par Tristan da Cunha, arriva seulement le 25 avril et annonça dès le lendemain le report de l’inauguration de l’aéroport.

Depuis deux mois, le SHG annonce régulièrement son intention de trouver une ou des solutions. S’il se confirme que les premières centaines de mètres de la piste au nord ne sont pas « secure » et que la prolongation de la piste au sud n’est pas réalisable ou nécessiterait des travaux gigantesques, il faudra abandonner l’idée de voir atterrir des aéronefs de moyenne capacité. Il resterait la solution du ‘business aircraft long range’ avec 18 à 20 passagers. Le Falcon 900 de Dassault Aviation pourrait répondre au besoin, même s’il n’est habituellement utilisé qu’en version executive (12-14 sièges), en effectuant 3 ou 4 vols hebdomadaires depuis la Namibie ou éventuellement l’Ascension. Mais le coût risquerait d’être prohibitif et encore faut-il trouver une compagnie qui accepterait de se lancer dans cette entreprise. Et pour de tels vols, les installations de l’aéroport sont ainsi surdimensionnées ! Dans l’immédiat, le bon vieux RMS est donc maintenu en service et il a sans doute encore de longs jours devant lui…

Jacques Macé, juin 2016

 

ANNEXE

ST HELENA GOVERNMENT
Departement for International Development
St Helena  Access  Feasibility  Study
Final Report  January 2005
ATKINS Management Consultants 

7.8 – The land available on Prosperous Bay Plain is limited by the descending bluffs to the North and the precipitous ground to the South. The cost of extending the runway over a runway strip length of 1700 m is extremely expensive as this involves filling large areas of Dry Gut.

7.19 – The nature of the weather (recording of local variations – wind direction and strength, visibility, temperature and cloudbase – only started in mid-2004) on Prosperous Bay Plain has not been assessed in detail for long time enough. Currently weather readings are being gathered but at least one year’s and preferably three years’ recordings will be need.

7.82 – Thera are doubts concerning local weather conditions, in particular, there are doubts about the amount of turbulence that could be expected on the approaches (due to the elevated location of the surroundings bluffs). Il is therefore recommended that, regardless of which aerodrome option is chosen and before the runway designed is finalized, a charter aircraft should fly test the approaches to and departures from the intended runway. This would ensure confidence in the final design and may be regarded as part of the design process applicable to St Helena’s circumstances. The most suitable aircraft for this would be the four-engines L 100 Hercules: this could route via Ascension Island for refueling and crew rest stops.

 

Jacques Macé est spécialiste des dernières années de l’Empereur et auteur du Dictionnaire historique de Sainte-Hélène.
Autre article de l’auteur sur napoleon.org : Le corps de Napoléon est bien aux Invalides !

Partager