Une chronique de Chantal Prévot : Ducray-Duminil, le Marc-Lévy de l’Empire

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
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Il est trop tôt pour savoir si les noms de Marc Lévy ou de Guillaume Musso entreront au Panthéon littéraire. On pourrait déjà en douter, tant la postérité est sans pitié.  Ainsi, qui se souvient encore de  Ducray-Duminil, à part de rares spécialistes ? Et pourtant François Guillaume Ducray (1761-1819), qui ajouta « Duminil » à son patronyme pour ne pas être confondu avec son frère,  fut un personnage incontournable des lettres parisiennes à l’époque de Napoléon. Il était partout. Auteur prolifique, maintes fois réédités, sa plume se mettait au service de tous les genres, il était romancier, poète, chansonnier, critique littéraire et même goguettier (aimable profession qui consistait à participer à des sociétés amicales organisant des dîners et des soirées chantantes).

Une chronique de Chantal Prévot : Ducray-Duminil, le Marc-Lévy de l’Empire
Chantal Prévot © Fondation Napoléon / Rebecca Young

Ses œuvres connurent un immense succès public. Ecrites en quelques semaines, elles sacrifiaient à la mode du temps qui faisait d’une œuvre un véritable calendrier : Emilio ou les Veillées de mon père, Alexis ou la Maisonnette dans le bois, Petit Jacques et Georgette, Lolotte et Fanfan, etc. Parmi cette masse, Victor ou l’Enfant de la forêt passionna les lecteurs et, preuve de sa popularité, fut l’objet d’une adaptation théâtrale.

L’argument est assez simple, même s’il faut être un peu attentif pour le comprendre : le héros, enfant adopté, doit remettre dans le droit chemin son père biologique qui fait profession de brigandage, pour être de nouveau aimé par son père adoptif et épouser sa fille. Le roman qui se déroule dans la lointaine Bohème, développe toute une série d’aventures autour de ce noyau d’intrigue pour tenir en haleine les lecteurs, sur trois ou quatre tomes selon les éditions. L’auteur savait utiliser les ingrédients indispensables pour réussir un succès de librairie au début du 19e siècle : un ou une orpheline pour émouvoir, un père inconnu ou absent mais de noble race pour intriguer, une amoureuse bien née dans la classe sociale supérieure qu’un revirement subit et final permet d’épouser, quelques brigands pour faire peur et un décor sombre aux marges de l’Europe (au choix : une forêt de sapins de Bohème, des landes écossaises ou encore des souterrains napolitains).

Certes des confrères un peu grincheux reprochaient à Ducray-Duminil ses revirements invraisemblables et son écriture bâclée. Mais le public n’en avait cure, il n’y voyait que des péripéties ingénieuses, se moquait des fautes d’accord et aimait ces fins heureuses et morales. Comme le recommandait un indulgent critique contemporain : « Il faut permettre à la sensibilité de pécher quelque fois contre la syntaxe ».

À mi-chemin entre la littérature pour la jeunesse et les romans populaires (deux genres littéraires alors en gestation), Ducray-Duminil écrivit des contes modernes dans lesquels l’innocence et la faiblesse triomphaient toujours de la force et de la scélératesse. Et ces propos rassurants et bienveillants quoiqu’éloignés de la réalité sont éternels. Bien des auteurs d’aujourd’hui l’ont compris.

 

Chantal Prévot, est responsable des bibliothèques à la Fondation Napoléon

Janvier 2019

 

Et si vous le désirez, avant d’entamer le dernier Marc Lévy, plongez dans le sombre et tumultueux Victor, ou L’Enfant de la forêt, édition 1812.

Tome 1 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k992867r

Tome 2 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9928684

Tome 3 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k992869h

 

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