Une chronique de Chantal Prévot : la controverse homéopathique et la famille de Napoléon III

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
Partager

Médecine alternative ou charlatanisme ? L’homéopathie, depuis son apparition, suscite les controverses, dont la récente polémique relative à la fin du remboursement des granules est, une nouvelle fois, la confirmation. Déjà sous le Second empire, la famille impériale, dans des circonstances dramatiques, n’avait pas échappé à la querelle entre partisans et détracteurs de cette pratique médicale.

Une chronique de Chantal Prévot : la controverse homéopathique et la famille de Napoléon III
Chantal Prévot © Fondation Napoléon / Rebecca Young

Au soir du 8 juin 1861, la princesse Bathilde Bonaparte, comtesse de Cambacérès, s’éteignait en son hôtel particulier, rue de l’Université, après trois années de terribles souffrances. Elle avait 21 ans, et deux petites filles. Fille du mariage entre cousins de Charles-Lucien et de Zénaïde Bonaparte, elle était par le fait petite-fille de Lucien et de Joseph Bonaparte. Elle avait épousé à 16 ans Louis de Cambacérès, neveu de l’Archichancelier de Napoléon Ier.

Souffrant d’un kyste séreux à l’ovaire qui évolua en cancer, Bathilde avait reçu à son chevet les sommités médicales de l’époque. Pas moins de cinq médecins et trois chirurgiens s’étaient succédé à son chevet. Mais la médecine de l’époque restait bien impuissante face à de telles maladies. Entre les ponctions du liquide séreux, la patiente devait boire, matin et soir, un verre d’eau de Contrexéville, et trois fois par jour, une cuillerée de sirop diurétique de pointes d’asperge ! À ce régime, le mal empira inexorablement.  Son époux et sa belle-mère ne purent se résoudre à ce seul traitement qui alternaient des interventions douloureuses et des remèdes peu efficaces (c’est le moins que l’on puisse dire). Se méfiant de ce qu’ils appelaient « la camarilla médicale », ils firent intervenir sept médecins homéopathes.

L’introduction et la diffusion de cette médecine en France était récente, à peine plus de vingt ans. Très rapidement, elle s’était heurtée à de vives oppositions, et, dès 1835, l’académie de Médecine l’avait condamnée sans toutefois interdire sa pratique. Sollicité pour arbitrer le différent, le roi Louis-Philippe s’était bien gardé de prendre parti, déclarant : « J’ai déjà les Jésuites sur les bras, je ne veux pas encore avoir les médecins ». Cependant l’homéopathie trouva une clientèle ouverte à de nouvelles formes de soins. En 1860, plus de cent médecins à Paris et près de trois cent cinquante pour le reste de la France dispensaient cette thérapeutique. L’Impératrice Eugénie y avait eu recours et, sous son influence, l’Empereur avait accepté à plusieurs reprises de s’y soumettre pour soigner, avec succès, des troubles intestinaux et des colites.

L’état de santé de Bathilde se détériorant gravement, les médecins allopathes décidèrent de procéder à des injections iodées. Son mari s’y opposa et s’engagea plus fermement dans la voie homéopathique. Ce refus indigna la famille impériale. Alerté par la princesse Mathilde, Napoléon III prit la plume pour tancer sévèrement le jeune Cambacérès, estimant que l’homéopathie ne pourrait être salvatrice dans ce cas :
« Mon cher Comte, Les nouvelles que je reçois de la santé de ma nièce me forcent à vous envoyer pour la dernière fois un ordre formel et comme souverain et comme chef de famille. J’exige, j’ordonne que ma nièce soit remise entre les mains du docteur Rayer (…) Je veux que tous les homéopathes ou empiriques soient éloignés de la maison. »

Bien à contre-cœur, Louis s’inclina. La dernière injection iodée fut prescrite vainement deux mois avant le décès. Le veuf éploré en garda à jamais une aversion profonde envers les médecins traditionnels qui avaient soigné son épouse, estimant qu’ils avaient hâté sa fin. Peu avant de mourir, à peine huit années après sa femme, il laissa un testament moral à ses filles où s’exprimait toute sa douleur. Estimant « qu’ils avaient tué {leur] mère », il leur recommandait de « poursuivre de [leur] haine tous leurs descendants et de léguer cette charge à [leurs] enfants ». Même sa grand-mère, la vieille maréchale Davout, n’était parvenu à le consoler en lui prodiguant des paroles de réconfort et de sagesse qui sonnent encore comme une maxime : « Les médecins ont toujours tort devant la mort ».

Cette chronique doit beaucoup aux études de MM. Jacques Poulet et Maurice Bariéty.

Chantal Prévot

Septembre 2019

Chantal Prévot est responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon

 

Partager