Une chronique de Frédéric Lemaire : pillage et protection des sites archéologiques liés aux guerres napoléoniennes

Auteur(s) : LEMAIRE Frédéric
Partager
Une chronique de Frédéric Lemaire : pillage et protection des sites archéologiques liés aux guerres napoléoniennes
Frédéric Lemaire, archéologue, ingénieur à l'INRAP © Fr. Lemaire

En 2019, une équipe française est rentrée d’une mission archéologique à Smolensk en Russie, où elle a, durant le mois de mai, participé à l’étude du champ de bataille de Valoutina Gora.  Cette bataille voit l’avant-garde française se heurter violemment à l’arrière-garde russe, au lendemain de la prise de Smolensk, en août 1812.
Une étude spatiale du site a été réalisée, ainsi que la fouille d’un charnier de soldats et de chevaux (Le charnier, localisé sur la butte du « Champ Sacré », contenait plusieurs dizaines de corps de soldats de la division Gudin. Ce dernier, homme de guerre remarquable, condisciple de Napoléon à Brienne, est fauché par un boulet au début du combat. Amputé par Larrey, sur ordre de Napoléon, Gudin meurt à Smolensk trois jours plus tard. Les équipes russes et françaises ont donc également tenté, durant la mission, de localiser le mausolée de cet officier supérieur. La fouille du bastion « Sheinov », localisé sur la célèbre muraille en briques rouges qui délimitait la ville assiégée par les Français, élimine d’ailleurs l’une des deux hypothèses et recentre les recherches sur l’un des cinq bastions de la citadelle, selon le témoignage du général Ségur…) mêlés en grande partie détruit par des fouilleurs clandestins.

Convoités par les black diggers (« fouilleurs noirs »), pour le commerce des artefacts, les sites de la campagne de Russie font l’objet d’un pillage intensif qui les laisse littéralement vidés et définitivement perdus pour la recherche et les générations futures. Le pillage ne concerne pas uniquement de petits objets métalliques localisés dans la couche superficielle, il touche aussi les charniers des combattants, dans des proportions qui donnent le vertige et la nausée. Les restes humains sont parfois ré-inhumés par les plus scrupuleux, eux-mêmes anciens militaires.

Le problème n’est pas propre à la Russie et touche aussi la France et les champs de bataille des deux conflits mondiaux, dans une moindre mesure cependant. En France, des mesures ont été prises pour lutter contre le pillage archéologique, en particulier celui des sites militaires. Le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) a, notamment lors de ses séances des 18 mai 2006, 7 novembre 2008 et 28 janvier 2010, rappelé l’importance et la fragilité du patrimoine militaire résultant des conflits armés contemporains qui se sont déroulés sur le territoire français (Il a souligné que celui-ci relevait pleinement de la définition du patrimoine archéologique formulée tant par la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique signée à Malte le 16 janvier 1992, et dont l’approbation par la France a été autorisée par la loi no 94-426 du 26 octobre 1994, que par l’article L. 510-1 du code du patrimoine.).

En 2013, le ministère de la Culture et de la Communication a rappelé, dans une réponse publiée au Journal officiel (10 décembre 2013, page 12922), que les vestiges et sites relatifs aux conflits armés contemporains occupent une place spécifique dans le champ de la recherche archéologique et doivent bénéficier d’une prise en compte et d’une protection identiques à celle des autres éléments du patrimoine archéologique ; cette réponse faisait suite à une prise de parole d’un élu de la République, alarmé par la recrudescence des fouilles illégales à la veille des commémorations de la Grande Guerre. Nécessaires au devoir de mémoire, ces commémorations, celles du centenaire de 14-18 ou celles liées au bicentenaire des guerres napoléoniennes, produisent aussi un effet pervers en activant une demande sur le marché des militaria.

Les archéologues ne restent pas inactifs et prennent en compte ce patrimoine dans le cadre d’une archéologie des conflits récents en plein essor, elle-même issue du développement proche d’une archéologie des périodes moderne et contemporaine, dont la fouille de la cour Napoléon, au début des années 1980, constitua une étape fondamentale. Finalement, les résultats obtenus en deux ou trois décennies confirment qu’une histoire fondée sur les archives ne dispensent pas de l’archéologie. De fait, en France, et nonobstant des trouvailles ou des fouilles illégales, l’archéologie du camp de Boulogne, de la Grande Armée et des guerres napoléoniennes par extension, a effectivement débuté avec les recherches entreprises à Étaples à partir 2003. Les camps découverts par le diagnostic archéologique ont fait l’objet de prescriptions de fouilles spécifiques, fondées sur l’examen d’arguments et de problématiques clairement énoncées et débattues en commission. En conséquence, ces recherches se démarquent de découvertes isolées, plus ou moins fortuites, inédites ou pas. Hors du territoire français, cependant, des occurrences de découvertes et d’études de vestiges napoléoniens sont attestées avant cette date. En 1991, par exemple, des chercheurs israéliens ont mis au jour, au cours d’une fouille de sauvetage, une tranchée du siège d’Acre et les squelettes de quatre soldats français décapités.

Un premier bilan d’une archéologie des guerres napoléoniennes est à écrire, prenons date.

Frédéric Lemaire

Juin 2019

Frédéric Lemaire est archéologue, ingénieur de recherches à l’INRAP

Partager