Une chronique de Peter Hicks : deux navigateurs russes à Sainte-Hélène en avril 1818 et en avril 1819 : deux expériences, deux récits inconnus…

Auteur(s) : HICKS Peter
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Très peu de témoignages oculaires existent de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène dans d’autres langues que l’anglais et le français. Il est étonnant de découvrir que deux explorateurs russes ont néanmoins laissé trace de leur rencontre « relativement rapprochée » avec Napoléon lors de sa captivité.

Une chronique de Peter Hicks : deux navigateurs russes à Sainte-Hélène en avril 1818 et en avril 1819 : deux expériences, deux récits inconnus…

Le 25 avril 1818, à 6h30, un employé du télégraphe de l’île de Sainte-Hélène réveille le commissaire russe, le comte de Balmain, pour lui dire qu’un brig de guerre russe, le Rürick, se trouve dans la rade et que son capitaine, le navigateur et explorateur, Otto von Kotzebue, demande à le voir. Kotzebue est alors à la fin d’un voyage d’exploration autour du monde. Tout excité, le commissaire Balmain « f[a]it sur le champ prévenir le gouverneur et le pri[e] instamment de [l]’autoriser à recevoir ce compatriote chez [lui] ou de [se] faire conduire à son bord ».
À 8h30, à Plantation House, secoué par le départ de Gaspard Gourgaud et en pleine crise avec le docteur O’Meara, le gouverneur Lowe appelle son secrétaire Gideon Gorrequer et lui dit qu’il est furieux de la présence inattendue de ce vaisseau étranger. L’aide-de-camp Gorrequer demande s’il doit permettre au commissaire Balmain de s’y rendre et Lowe, en colère, refuse la visite mais accepte une communication écrite. Balmain rédige alors sa dépêche et demande, cette fois-ci, à sir Thomas Reade, bras droit de Lowe, permission d’aller à bord du Rürick. Plus tard dans la journée, Balmain voit Lowe arriver au château de Jamestown et parler avec Reade, tous deux se dirigeant directement au port pour se rendre sur le vaisseau de l’amiral Plampin, le Conqueror. Le commissaire s’empresse à les suivre, mais arrive malheureusement cinq minutes trop tard. Le Conqueror part à la rencontre du Rürick, et le Rürick s’en va en tirant de son canon. Balmain est furieux et, selon lui, « lorsque Bonaparte apprit mon aventure, il en rit aux éclats : « Ah ! ah ! s’écria-t-il, je ne suis donc pas le seul qui essuie des affronts » ». Ces propos lui auraient été communiqués par Bertrand ou Montholon…

Le capitaine Kotzebue est quant à lui totalement mystifié par la réaction de la garde de l’île. Voici ce qu’il publié, trois ans plus tard, à cet égard dans le récit de son grand voyage (Otto von Kotzebue, « Voyage of discovery in the South Sea and to Behring’s Straits in search of a north-east passage: undertaken in the years 1815, 1816, 1817 and 1818″/ »Kotzebue’s voyage round the world », parts 1 and 2, in New Voyages and Travels consisting of originals and translations, vol. VI, Londres, sir Richard Phillips, 1821, p. 220.) : « Le 25, au large de Sainte-Hélène, on nous a tiré dessus depuis les batteries, malgré l’assurance d’un officier anglais sur un des navires de garde, monté à notre bord, que, après les signaux qui avaient été faits, ils n’avaient pas le droit de nous tirer dessus. L’officier nous a laissés avec l’assurance qu’à 11 heures du matin, nous recevrions la permission d’entrer dans le port ; mais ayant attendu en vain jusqu’à 12 heures, j’ai baissé pavillon et tiré un coup de canon, pour leur aimable réception, et je me suis dirigé vers l’île de l’Ascension. »

En revanche, un an après cette malheureuse « non rencontre », en avril 1819, à un moment où le gouverneur est mieux luné, un autre navigateur russe, encore plus renommé que Kotzebue, Vassiliï Mikhaïlovitch Golovnine, fait escale à Sainte-Hélène. Célèbre à l’époque pour sa captivité au Japon entre 1811 et 1813, ainsi que pour sa description de ce pays en autarcie, Golovnine se trouve à Sainte-Hélène à la conclusion d’un second grand voyage de trois ans autour du monde. À la différence de Kotzebue, Golovnine est accueilli chaleureusement, logé à Jamestown, et on lui donne permission de fréquenter le commissaire russe, le comte Alexandre de Balmain. Dans son rapport au tsar Alexandre du 5 avril 1819, ce dernier donne le contexte de cette visite (La Revue politique et littéraire, dite « Revue Bleue », 4 séries, tome 7, No. 22, 5 juin 1897, p. 721.).
« La frégate de Sa Majesté le Kamshatka, capt. Golovnine, a relâché à Sainte-Hélène le 1er de ce mois et en est repartie le 3.
Je ne sais par quelle impulsion nouvelle, extraordinaire, sir Hudson Lowe a tout à coup changé de conduite envers les Russes. Le capt. Kotzebue n’avait pu obtenir la permission de me voir et le capt. Golovnine vient de passer deux jours avec moi. Non seulement il lui a permis de mouiller dans une des rades de l’île, mais il n’a mis aucun obstacle à le laisser descendre à terre, et lui a envoyé l’eau, les provisions fraîches, les légumes etc… dont il avait besoin. J’ai été réellement surpris et tout à fait émerveillé de sa condescendance envers lui.
Le capt. Golovnine étant renommé par ses voyages de découverte et sa longue captivité au Japon a été reçu ici avec de grands honneurs.
Je regrette infiniment de n’avoir pu le présenter à Napoléon qui sans doute eût été charmé de le voir et peut-être aurait voulu le charger d’une lettre à notre Auguste Maître. »

A la différence de Kotzebue, Golovnine, de retour en Russie, fait en 1822 un récit de plus de 4 000 mots de son expérience personnelle hélénienne et de ses conversations avec le commissaire russe et avec des militaires britanniques (Головнин В. М. Сочинения / Путешествие шлюпа «Диана» из Кронштадта в Камчатку, совершенное в 1807, 1808 и 1809 годах. В плену у японцев в 1811, 1812 и 1813 годах. Путешествие вокруг света на шлюпе «Камчатка» в 1817, 1818 и 1819 годах. С приложением описания примечательных кораблекрушений, в разные времена претерпенных русскими мореплавателями,  М-Л.: Издательство Главсевморпути, 1949, Chapître 14, pp. 419-425, http://militera.lib.ru/explo/golovnin_vm3/14.html). Ce texte, très peu connu, donne non seulement de détails très intéressants surtout sur le niveau de sécurité pour les vaisseaux « étrangers » au large de l’île, avec les différents mots de passe de terre et de mer, le va-et-vient toute la nuit des patrouilles parmi les vaisseaux amarrés dans la rade. Ce récit nous transmet également des informations recueillies par Balmain sur Sainte-Hélène et son prisonnier mondialement connu.

Sainte-Hélène, terre d’aventure pour les voyageurs autour du globe, y compris russes, à l’époque de Napoléon, mais également toujours pour nous autres historiens, qui ne sommes pas à l’abri de découvrir des récits inédits et pittoresque de la vie hélénienne.

Peter Hicks
Juin 2021

Peter Hicks est chargé d’affaires internationales à la Fondation Napoléon.

Titre de revue :
inédit
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