Une chronique de Pierre Branda : le général Dumas doit-il être remis sur son piédestal ?

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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À la tribune de l’Assemblée nationale, le premier ministre Édouard Philippe a récemment condamné le déboulonnage des statues, ce que nous ne pouvons qu’approuver. Il a cependant aussi souhaité que celle du général Dumas, le père de l’écrivain, soit érigée à nouveau, rappelant au passage ce mot cruel d’Anatole France : « Le plus grand des Dumas, c’est le fils de la négresse ». Fondue sous l’occupation nazie, la statue du général n’a en effet jamais reparu sous les IV et Ves République. Présenté ainsi, on pourrait croire à un oubli volontaire qu’il convient de réparer au plus vite, ne serait-ce que pour introduire plus de diversité dans nos parcs et jardins.

Une chronique de Pierre Branda : le général Dumas doit-il être remis sur son piédestal ?
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Depuis longtemps, ce général traîne une réputation de mal-aimé voire de victime. On a par exemple entendu dire qu’il fut ostracisé notamment par Bonaparte en raison de la couleur de sa peau. Rien n’est plus faux. Le général Dumas fut oublié par le Premier Consul et peut-être aussi par la République à cause de sa piètre fin de carrière.

Fils d’un noble normand et d’une esclave noire, Thomas Alexandre Dumas ne manquait certes pas de bravoure, devenant rapidement le premier général d’origine afro-antillaise de la République. Après plusieurs commandements, il rejoignit Bonaparte en 1797 pour la fin de la première campagne d’Italie. Séduit par le courage de ce colosse intrépide, celui-ci le surnomma l’Horatius Coclès du Tyrol, du nom de ce mythique héros romain. Puis, preuve de sa confiance, il le nomma gouverneur de province. L’aurait-il fait s’il le détestait à cause de ses origines ?

Statue du général Dumas, détruite par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale à Paris © Wikipedia
Statue du général Dumas, détruite par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale à Paris © Wikipedia

Mieux encore, pour la campagne suivante, il lui confia le commandement de sa cavalerie, un poste prestigieux s’il en est, le préférant à son beau-frère Murat. Mais sur la terre des Pharaons, Thomas Alexandre regretta aussitôt sa venue. Habitué aux riches plaines d’Allemagne ou d’Italie, la pauvreté du pays fut pour lui comme pour beaucoup d’autres, à l’exemple de Berthier, une mauvaise surprise. Très tôt, il devint évident qu’on n’y ferait pas fortune.

Aussi, rapidement, il se disputa avec Bonaparte, critiquant ouvertement son action dans plusieurs lettres au Directoire. En vérité, il voulait être rappelé, ce qu’il obtint sous un fallacieux prétexte. Mais sur le chemin du retour, son navire fut dérouté et il fut fait prisonnier à Tarente. Dans les geôles napolitaines, il connut un régime sévère. Très éprouvé, il ne fut libéré qu’après Marengo mais revint à demi-aveugle, estropié, sourd, paralysé de la joue gauche et atteint d’un ulcère à l’estomac. En 1802, tandis que la France connaissait la paix, il fut admis à la retraite. Fâché par son attitude ingrate en Égypte, Napoléon ignora toutes ses demandes de réintégration. Doit-on s’en étonner ?

Disparu en 1806 des suites de ses maladies, ce général est devenu pour certains le symbole même de l’injustice. Si son imposture en vaut bien d’autres, ce général ne doit pas être pris en exemple, sauf à desservir la cause égalitaire que l’on prétend défendre.

Pierre Branda, juin 2020

Pierre Branda est responsable du pôle Patrimoine de la Fondation Napoléon

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