Une chronique de Pierre Branda : Napoléon 1er et les écoliers italiens d’aujourd’hui

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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On connaît le sort réservé à Napoléon 1er dans les manuels scolaires d’aujourd’hui, c’est-à-dire une place aussi limitée que partielle. Des pans entiers de l’histoire sont oubliés au profit d’événements considérés comme les plus marquants pour l’histoire de la construction de l’Europe, le congrès de Vienne par exemple. Avec ce déroulé historique, on se concentre donc avant tout sur ce qui permit à terme d’unir les Européens, Napoléon étant presque vu comme l’un des pères de l’Europe. Ou comment réinterpréter des faits pour s’inscrire dans un mouvement continu ne pouvant que mener à notre actuelle Union européenne. En cette période d’élections européennes justement, regardons un peu ce qui se pratique chez nos voisins, à commencer par ceux qui se trouvent de l’autre côté des Alpes, les petits Italiens. Leurs manuels sont-ils aussi europhiles que les nôtres ?

Une chronique de Pierre Branda : Napoléon 1er et les écoliers italiens d’aujourd’hui
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

On est d’abord étonné par la place qui est dédiée à Napoléon 1er au collège. Avec plus d’une vingtaine de pages, il se taille la part du lion parmi le corpus réservé aux personnages français. Et si l’on compare avec nos manuels du même niveau, le volume de texte comme d’images est double. Tout son parcours, de son ascension à sa chute, de ses réalisations civiles à ses conquêtes, est synthétisé sans omettre d’aspects majeurs. Son histoire en Italie commence bien entendu avec la Révolution française et sa première campagne d’Italie, ce qui est logique. Du point de vue scolaire italien, Robespierre est vu comme un personnage certes sanguinaire mais très rapidement regretté par les Français… Cette lecture pour le moins contestable reflète sans doute encore l’influence du grand intellectuel marxiste Antonio Gramsci dont les travaux dans les années 30 soulignèrent l’importance du jacobinisme en Italie. Car pour lui et ses suivants, les patriotes ne pouvaient être que jacobins de part et d’autre des Alpes.

Pour l’année 1796, il est expliqué dans les manuels scolaires que la rencontre entre le vainqueur d’Arcole et les patriotes italiens fut à l’origine d’un vaste mouvement de libération conduisant non seulement à la fin de l’occupation autrichienne mais aussi et surtout à un début d’unification du pays : « Quand Napoléon connaît son ascension, les patriotes espèrent pouvoir réaliser, avec l’aide de la France, leurs idéaux de liberté ou, sinon d’unité de la péninsule » peut-on lire dans le manuel scolaire italien. Durant l’année 1796 est d’ailleurs née la bandière italienne tricolore vert, blanc, rouge, elle aussi inspirée par les couleurs françaises.

Si Napoléon 1er bénéficie d’autant de développements, c’est parce qu’il a provoqué une rupture profonde dans l’histoire de la botte qui eut pour conséquence finale l’unité italienne. Ainsi le trienno révolutionnaire italien (1796-1799) est-il reconnu depuis les années 1950 comme un moment fondamental de l’histoire du pays. Les équilibres géopolitiques de la péninsule furent en effet bouleversés par la disparition des anciennes républiques, Gênes ou Venise, de certaines principautés, de duchés, etc., et la création de républiques « sœurs » calquées sur le modèle français, Cisalpine, Cispadane, Transpadane notamment. Par son action déterminante, Napoléon incarne celui qui mit l’Italie sur le chemin de son unité, et même si les manuels italiens le soulignent, la présence française fut loin de tenir toutes ses promesses. Dès lors, il peut malgré tout apparaître comme un personnage peut-être plus important pour l’histoire italienne qu’il ne l’est pour l’histoire de France. Car s’il a très fortement marqué notre pays, il ne l’a point créé et, quant au processus d’unité même s’il y a participé, il ne l’a pas initié.

En Italie, au contraire, ce fut avec lui que les Italiens commencèrent à rêver d’une seule nation. Cette espérance mettra du temps à se réaliser mais elle est aujourd’hui accomplie. Partant, quel est le but de tout bon manuel scolaire italien lorsqu’il évoque Napoléon 1er ? Montrer que la marche vers l’unité fut irrésistible et surtout irréversible une fois commencée. Pour la République italienne, il est en effet toujours important de revenir sur tout ce qui peut rassembler afin que ce pays ne replonge pas dans les affres de la division, un pari pas toujours simple quand on connaît les différences existantes entre le nord ou le sud ou entre provinces. On se trouve donc également en présence d’une histoire racontant comme en France l’unification d’un territoire, mais national celui-ci et, non point européen. Précisons aussi, qu’au sein de la classe politique italienne, cette manière de présenter l’histoire ne fait point débat.

Source : L’ora di storia, L’Età moderna, quarta edizione, Zanichelli, 2023

Pierre Branda, directeur scientifique de la Fondation Napoléon (mai 2024)

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