Une chronique de Pierre Branda : Une retraite impériale ?

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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La réforme des retraites se réinvite dans notre actualité. Deux solutions se profilent notamment, augmenter le nombre d’années qui donne droit à une pension ou alors augmenter les retenues sur salaire. À défaut dans quelques années, la caisse de retraite sera désespérément vide nous dit-on. On pourrait croire cette réflexion actuelle alors qu’elle est au moins vieille de deux cent ans. Eh oui, sous Napoléon, on causait aussi pension. Personne ne battait le pavé alors contre une éventuelle réforme mais les experts s’interrogeaient déjà tandis que les futurs pensionnés s’inquiétaient.

Une chronique de Pierre Branda : Une retraite impériale ?
Pierre Branda © Fondation Napoléon - Rebecca Young

En 1810 un fonds de retraite fut institué au sein de la Maison de l’Empereur, l’institution qui regroupait tous les domestiques et officiers au service particulier du souverain. Les droits à pension s’ouvraient après vingt-cinq ans de service, le montant de la pension était calculée sur les trois dernières années d’activité et la retenue sur les traitements (le mot salaire ne s’employait pas encore) n’excédait pas 2 %. Les veuves avaient droit à une pension de réversion représentant les 2/3 de la pension du mari. Une retraite impériale apparemment ! On signerait aujourd’hui des deux mains pareilles conditions. Mais attention, devenir pensionnaire n’était pas si aisé.

Il fallait en effet que l’on soit « dans l’impossibilité » de continuer son service. En clair, seuls une grande fatigue physique, une infirmité ou une maladie pouvaient déclencher le versement d’une pension. Plusieurs employés furent cependant jugés « trop âgés pour continuer le service » : Laurent Garnier, homme de peine, se retira du service le 1er janvier 1806 à l’âge de 68 ans, le concierge de Fontainebleau, Pierre Dufourmentel, fut réformé le 20 juillet 1804 au même âge et bénéficia d’une pension de 1 500 francs par an. Le balayeur au palais de Saint-Cloud, Jean-François Boilley né en 1739, attendit son soixante-seizième anniversaire pour être retiré du service en octobre 1809 et percevoir une maigre pension de 360 francs. En outre, pour être sûr qu’il n’y ait aucune dérive, la décision d’accorder une pension était sévèrement encadrée. La demande était présentée par un grand officier. Elle était ensuite examinée par l’Intendant général qui décidait s’il fallait la transmettre à l’empereur. Ce dernier, seul maître en la matière, se prononçait une fois par an au cours du Conseil qui traitait du budget.

La fondation d’une telle caisse n’était pas une innovation pour l’époque. Depuis le Directoire, plusieurs administrations surtout financières avaient été autorisées à fonder des caisses de retraites selon les mêmes principes. On s’inspira pour la Maison de ce qui avait été institué au ministère de l’Intérieur ou dans l’Administration des Mines.

À ses débuts, dans l’univers napoléonien, la retraite par répartition fonctionna plutôt bien. En choisissant une retenue de 2 %, on avait même semble-t-il vu large. D’après les calculs de l’intendance, les 2 745 employés de la Maison pouvaient payer 109 pensions complètes. Lorsque la caisse fut fondée, il n’y avait que 64 pensionnaires dont une grande majorité ne percevaient qu’une pension réduite. Mais entre 1811 et 1813, le nombre de pensionnés augmenta fortement, passant de 64 à 167. On peut se demander ce qu’il en serait advenu si le nombre de pensionnés avait continué à croître au rythme de 50 à 70 pensionnés par an. Avec un budget d’environ 100 000 francs, la Caisse aurait pu pensionner seulement 90 personnes de plus. À coup sûr si son règne avait perduré, l’Empereur aurait été contraint à une réforme des retraites. À la différence d’aujourd’hui, il l’aurait surement mené tambour battant.

Pierre Branda, historien, chef du service Patrimoine de la Fondation Napoléon

Septembre 2018

Titre de revue :
inédit
Année de publication :
2018
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