JACQUARD, Joseph Marie, (1752-1834), mécanicien-tisserand

Partager

Né à Lyon, le 7 juillet 1752, Joseph Marie était le fils de Jean Charles Jacquard, maître ouvrier à la grande tire en étoffes d’or, d’argent et de soie (2 métiers) et d’Antoinette Rive, liseuse de dessins en soierie (elle-même née en 1723 à Saint-Maurice de Rotherens, en Savoie piémontaise).
Le jeune garçon apprend tout seul à lire et à écrire et se forme chez son père en tirant les cordes dont on se servait pour faire mouvoir la machine destinée à former le dessin. En 1772, à la mort de son père, il monte une fabrique de tissus façonnés (négoce) qui n’a pas de succès. Ruiné, il travaille alors chez un chaufournier (fabricant de chaux) tandis que son épouse, Claudine Boichon, tresse des chapeaux de paille.
Sous la Terreur révolutionnaire, en 1793, il prend la défense de Lyon, avec son fils, âgé de quinze ans. En octobre, lors de la répression jacobine ( » Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n’est plus « ), ils se cachent, s’enrôlent au bataillon de Rhône-et-Loire et combattent à l’armée du Rhin. Lors des opérations, son fils est blessé et meurt entre ses bras (1795).
À son retour à Lyon, il reprend du travail dans une fabrique lyonnaise et, à temps perdu, se met obstinément à construire un métier à tisser dont il avait conçu l’idée en 1790, avant son départ pour l’armée, et qui supprimait le tirage des cordes (en utilisant 1 ouvrier au lieu de 5).

Ensuite, Jacquard perfectionne son métier et le présente à l’Exposition des produits de l’industrie de l’an IX (Paris, septembre 1801). Il obtient une médaille de bronze et le 23 décembre 1801, le ministre de l’Industrie lui accorde un brevet pour  » une machine destinée à suppléer le tireur de lacs (cordes) dans la fabrication des étoffes brochées et façonnées « . En janvier 1802, le Premier Consul vient à Lyon pour la session de la Consulta cisalpine. À cette occasion, Chaptal, ministre de l’Intérieur, vient voir le métier de Jacquard, à son domicile, rue de la Pêcherie. La même année, Jacquard conçoit une nouvelle machine à fabriquer les filets de pêche maritime et dépose le brevet correspondant.

En janvier 1803, le Premier Consul, qui s’intéresse à ces travaux, demande à Carnot d’installer Jacquard au Conservatoire des Arts-et-Métiers de Paris, avec sa machine, afin qu’il puisse travailler à son aise. Chargé de l’entretien des machines, on lui demande de remonter le métier imaginé par Vaucanson, en 1745 (on l’avait retrouvé, démonté, dans les greniers) et de le faire fonctionner (1). Sur son propre métier, Jacquard utilise des bandes de carton perforées. Le 2 février 1804, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale lui décerne une médaille d’or. Revenu ensuite à Lyon, il est logé, avec son épouse, à l’Hospice de l’Antiquaille, où il améliore encore ses inventions.

En avril 1805, Joséphine et Napoléon se rendent à Milan pour le couronnement de l’Empereur comme Roi d’Italie. Du 10 au 16 avril, ils séjournent à Lyon. Le 13, ils visitent le Palais Saint-Pierre (Palais des Arts), rencontrent Jacquard et voient ses métiers. Le 15, un décret impérial signé à Lyon décide l’octroi d' » une prime de 50 francs pour chaque métier qu’il aura livré pour être mis en activité, pendant l’espace de six années à compter du jour du présent décret « . Lors de la visite, l’Empereur se serait exclamé :  » En voilà un qui se contente de peu ! « .
Ultérieurement, un autre décret, signé par l’Empereur, à Berlin, le 27 octobre 1806, valide la pension annuelle de 3000 francs allouée par le conseil municipal de Lyon, en précisant :  » Le sieur Jacquard s’obligera à consacrer tout son temps et tous ses travaux au service de la ville de Lyon « . En fait, Jacquard livrera à Lyon 41 métiers en 1806 et 57 en 1811.(2) Mais les canuts, qui craignent que le métier Jacquard entraîne le chômage de nombreux ouvriers, réagissent.  » Des bandes oisives d’hommes, de femmes, d’enfants exténués par la misère conspuent le destructeur du travail du peuple  » (A. de Lamartine). Bien plus ! Un jour, Jacquard est enveloppé, hué, renversé et, sans l’intervention de la maréchaussée, il aurait été jeté dans le Rhône.

En 1810, Jacquard demeure à Lyon, 2, rue Vaubecour, dans la quartier d’Ainay ; pendant la belle saison, il réside, avec son épouse, à Oullins, près de Lyon dans la maison Fleury. Le 17 novembre 1819, Louis XVIII lui décerne la croix de la Légion d’honneur. Il meurt à Oullins, le 7 août 1834, à 82 ans. Au cimetière de la ville, un beau mausolée a été édifié sur sa tombe (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, éditions SPM, p.244).
À Lyon (4e), une rue porte son nom et une statue le représente, place de la Croix-Rousse (Répertoire mondial…, p.244). À Oullins, une rue et un lycée professionnel lui sont dédiés. À Paris (11e), il existe une rue Jacquard, près de la rue Oberkampf. À Calais, place Albert Ier, une statue en bronze rappelle son souvenir (Répertoire mondial…, p.215).
Le premier biographe de Jacquard, le comte de Fortis, écrivait en 1840 :  » Le nom de Jacquard retentit dans tous les lieux où il existe des manufactures : en France, comme en Angleterre, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, comme à Rome et Naples, en Amérique comme aux Indes… » (Éloge historique de Jacquard, Plon, Paris, 1840).

Aujourd’hui, Jacquard est devenu un nom commun, qui a trois significations : 1) le métier à tisser; actuellement métiers jacquards électroniques à jet d’air (cf. Anne Muratori Philipp, Figaro, journée du patrimoine, Lyon, 18 septembre 1998) ; 2) un métier à tricoter permettant la réalisation de dessins de plusieurs couleurs ; 3) le tissu ou le tricot présentant ce type de dessins (publicité pour des chandails ou cravates jacquards).

Ainsi, le nom du Lyonnais Jacquard perdure et il est largement répandu, un peu partout, dans le monde. (3)

Marc Allégret
Revue du Souvenir Napoléonien, n° 433, févr.-mars 2001, p. 78

Notes

(1) Jacques Vaucanson (Grenoble, 1709, Paris, 1782) repose, sous une dalle anonyme, en l’église Sainte-Marguerite, chapelle des Âmes du Purgatoire, 36, rue Saint-Bernard, Paris (11e).
(2) À Paris, le métier original de Jacquard, avec sa mécanique pour tissus façonnés ainsi qu’un métier Jacquard de 1804 sont exposés au Musée des Arts-et-Métiers. À Lyon, des reconstitutions sont également présentées au Musée historique des tissus.
(3) Sources : Jacquard. Michaud, Biographie universelle, tome 20, p.474 ; Roman d’amat, Dictionnaire de biographie française, tome 18, p.291 ; Dictionnaire Napoléon : notice Jacquard, par J. Tulard, p.962 ; rubrique « Industrie textile », par J. Tulard, p.920 ; rubrique « Techniques », par F. Beaucour, p.1627 ; J. Etèvenaux, Jacquard, éd. LUGD, 1994 ; Uri Zelbstein, Joseph-Marie, tisserand de la Croix-Rousse (Historia, n°502).

Partager