Laetitia de Witt : « L’Aiglon, un personnage tout sauf inconsistant dans le domaine politique » (septembre 2020)

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Autrice de la biographie L’aiglon. Le rêve brisé de Napoléon (éd. Tallandier ; ouvrage labellisé du logo « 2021 Année Napoléon »), Laetitia de Witt nous fait découvrir la vie de l’héritier de Napoléon au-delà du mythe romantique que sa courte vie de célèbre « fils de » a engendré. La biographe a bien voulu répondre à quelques questions pour napoleon.org.

(Propos recueillis par Marie de Bruchard, septembre 2020)

Laetitia de Witt : « L’Aiglon, un personnage tout sauf inconsistant dans le domaine politique » (septembre 2020)
© Tallandier, 2020

napoleon.org – Vos recherches sur le fils de Napoléon Ier vous ont menée dans des archives à travers l’Europe, de Paris à Vienne. Au niveau des sources, quelle est la plus grande difficulté à laquelle vous avez été confrontée pour sortir l’Aiglon de son mythe ?

Laetitia de Witt – Mes recherches ont tout simplement débuté à Paris, aux Archives nationales. Quelques écrits du fils de Napoléon devenu duc de Reichstadt y sont conservés mais il s’agit de devoirs scolaires, de brouillons de lettres ou autre. J’y découvrais l’écriture du duc mais aucun écrit significatif sur sa pensée. Ma plongée dans les archives viennoises n’a guère compensé ce manque. Les trouvailles concernent plutôt sa position à la Cour autrichienne et sa vie militaire. Si la majeure partie des documents sont en français certains, en allemand gothique, ont été difficiles à déchiffrer. Mais la difficulté ne réside pas là. La complexité du personnage provient de l’entrelacs entre sa vie et sa légende.
Au cours de sa brève existence, le duc de Reichstadt demeure, sur le plan politique, la preuve vivante du souvenir de Napoléon, sujet de craintes pour certains et d’espoirs pour d’autre. Ses partisans dénoncent très tôt le machiavélisme de Metternich transformant l’héritier impérial en un quelconque prince autrichien. De là naît l’image du prisonnier de Vienne comme l’était Napoléon à Sainte-Hélène. De son côté, l’Autriche refuse d’endosser le rôle de geôlière et présente un prince  à l’éducation soignée, bénéficiant de l’affection de son grand-père. Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale conserve la correspondance du gouverneur du duc, le comte Maurice de Dietrichstein, avec Marie-Louise et son deuxième mari, Neipperg. Cette source est très précieuse pour qui s’intéresse au fils de Napoléon mais délicate à interpréter tant les jeux d’influence laissent entrevoir de nombreux non-dits. Comment Marie-Louise, imbriquée dans une situation matrimoniale confuse, ne serait-elle pas gênée à l’évocation de ce fils qui demeure pour elle un sujet d’embarras ?
Bref, les matériaux à disposition du chercheur sont remplis de sous-entendus pas toujours facile à décrypter qui appartiennent à la part de mystère entourant le personnage. En définitive, c’est peut-être respecter la mémoire du duc de Reichstadt que de ne pas percer le secret de son âme tant sa force de caractère l’amena à dissimuler le fond de sa pensée.

napoleon.org – Descendante de la famille Bonaparte, vous avez baigné dans un univers où l’Aiglon était connu et sentimentalement important. Quelle est la plus grande surprise que vous avez eue en vous penchant scientifiquement sur son destin ?

Laetitia de Witt – Peu de jours avant sa mort, le duc de Reichstadt lui-même, aurait ainsi résumé son existence : « Ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire. Entre mon berceau et ma tombe il y a un grand zéro ». Il a beau avoir porté le titre de Napoléon II pendant quelques jours en 1815, aucune décision ne se rattache à son règne éphémère, et pour cause, il était absent de Paris et avait quatre ans. Par la suite, il ne semble guère avoir cherché à forcer le destin, aucune tentative ou plan de sa part ne nous est connu. De ce destin politique vain naît l’idée d’un personnage inconsistant en ce domaine. Or, c’est tout l’inverse.
Je n’avais pas mesuré combien sa vie ne répond qu’à des calculs politiques à commencer par sa naissance bien sûr, qui doit ancrer l’Empire dans le temps et transformer un État d’exception en réalité tangible. Par la suite, j’avais en tête qu’il représentait une crainte pour l’équilibre européen mais je n’avais pas conscience du sérieux avec lequel était considérée la perspective de son retour sur le trône de France, entre autres par les monarchistes. Il est étonnant de voir la place majeure qu’il occupe dans les courriers diplomatiques entre la France et l’Autriche tout au long de la Restauration. Cent huit-ans après sa mort, en 1940, les hasards de l’histoire l’amènent à être à nouveau un enjeu entre la France et cette fois-ci l’Allemagne.
À l’occasion du centenaire du retour des cendres de Napoléon Ier, Hitler, fasciné par la figure de l’empereur, décide de rapatrier la dépouille de son fils aux Invalides. Ce geste du Führer visant à remporter l’adhésion des Français, provoque surtout d’intenses manigances politiques qui aboutiront au renvoi de Laval, le vendredi 13 décembre 1940. Porte-malheur pour le ministre collaborationniste, ce vendredi 13 ne représente-t-il pas l’ultime victoire politique de l’Aiglon ?

napoleon.org – Vous avez écrit sur le Prince Victor, sur l’Aiglon, des personnages restés dans l’ombre, parmi les Napoléonides. Avez-vous d’autres projets de biographies de membres de la famille impériale ? Qui d’autre faudrait-il « sortir de l’ombre » dans l’Histoire selon vous ?

Laetitia de Witt – Je n’ai pas de projet défini pour l’instant mais de nombreuses idées et envies, dont celle de travailler sur un personnage féminin. Quant à savoir qui mériterait de « sortir de l’ombre », je dirais que l’Histoire est formée d’hommes et de femmes, à première vue réduits à une sorte de nullité historique et malgré tout témoins privilégiés de leur temps. Toute vie et tout destin recèle sa part d’intérêt et de mystère.

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