La 1ere campagne d'Italie-Masséna

 


 MASSÉNA (André, duc de Rivoli, prince d'Essling), 1758-1817, maréchal. Fontaine, qui s'inspira d'une étude de Gros, nous a laissé l'un des meilleurs portraits, sans doute, du maréchal: le regard est planté droit, avec une lueur d'ironie que souligne encore la bouche esquissant un sourire de malice. Que fut ce Niçois, élevé au milieu de barils d'olives et de salaisons dans la boutique paternelle, ou bien <<tapant du cul sur la plate-forme en bois d'une vieille machine à vermicelles>> chez son oncle, avant de courir les mers comme mousse et de s'engager dans l'armée royale pour finir prince et maréchal d'Empire? Les contemporains se disputaient déjà sur ses qualités militaires et ses engagements politiques. Les historiens n'ont pas fini de s'affronter à son propos.
Fut-il ce bon général que certains présentent comme habile, attendant la position de faiblesse de l'adversaire pour l'attaquer? Dut-il, au contraire, ses victoires à la chance? Napoléon le dit <<l'enfant chéri de la victoire>> ayant des talents militaires <<devant lesquels il fallait se prosterner>>. Il lui niait pourtant les qualités d'un vrai chef et l'accusa de manquer de caractère, d'être incapable de se faire aimer et obéir de ses subordonnés. Ses prises de position politiques? Les uns soulignent qu'il fut très tôt un patriote et demeura jacobin jusqu'à l'Empire. L'animosité que Napoléon lui manifesta quelquefois viendrait du parti qu'il prit en faveur des <<anarchistes>>. Un républicain travesti comme il y en eut bien d'autres, rétorquent d'autres, qui ne voient dans sa fréquentation du club du Manège en 1799, qu'un seul désir: se débarrasser, grâce aux néo-jacobins, de la tutelle de commissaires du Directoire qui l'accusait de rapines.
Tous les observateurs s'accordaient en effet pour dire que le maréchal fut le plus grand concessionnaire et prévaricateur d'une armée qui en comptait bien d'autres. Faisant en grand ce que d'autres opéraient de manière plus modeste ou plus dissimulée, il était d'une rapacité légendaire. Voyait-on la voiture d'un général suivi de lourds chariots? Les soldats ricanaient: c'était Masséna qui se déplaçait avec l'or qu'il avait, une fois de plus, raflé. Napoléon disait de lui: <<Un bon soldat, mais il a l'amour de l'argent, et c'est là le seul mobile de sa conduite, et il n'y a que cela qui l'ait fait marcher, même sous mes yeux.>> C'étaient d'abord par de petites sommes; aujourd'hui des milliards ne suffiraient pas. <<Ayant appris que le maréchal, commandant alors en Italie, avait, par le trafic de licences d'importation, constitué un trésor de 3 millions déposés chez un banquier de Livourne, Napoléon le pria de prêter un million au Trésor. Masséna protesta: il était pauvre, chargé de famille, criblé de dettes. Napoléon ordonna qu'on lui enlevât <<ses petites économies>>. Masséna en tomba malade. Faut-il pourtant juger le maréchal à ses seules filouteries?
Né en 1758, orphelin de bonne heure, il s'engagea en 1775 dans le Royal-Italien après une vie d'aventures _ de débauche et de dissipation, écrivent certains biographes. Le 3 août 1789, il quitta l'armée avec le grade d'adjudant sous-officier, ce qui, pour un homme de son état, était le sommet d'une carrière militaire sous l'Ancien Régime. Retiré à Antibes, il épousa la fille d'un chirurgien. On le trouvait, dira-t-on, plus souvent dans le maquis à faire de la contrebande que sous le toit familial. Est-ce son <<patriotisme>> très tôt affirmé ou bien son instruction militaire qui attirèrent sur lui les voix des électeurs? Il fut élu lieutenant-colonel du 2e bataillon des volontaires nationaux du Var. Sa connaissance des chemins de traverse fut fort utile au général Anselme lorsque celui-ci entreprit l'invasion du comté de Nice. Général de brigade en août 1793, général de division en décembre, commandant de Toulon, Masséna fut chargé par Schérer de rédiger un plan de campagne pour l'armée d'Italie. Le plan permit de remporter la victoire de Loano en 1795. En Italie, il fut placé sous les ordres de Bonaparte; celui-ci était son cadet de douze ans et moins ancien que lui dans le grade de général. Masséna en éprouva de l'amertume sinon de la jalousie. Il la dissimula et prit une sorte de revanche en démontrant ses qualités militaires, forçant le passage du pont de Lodi (10 mai 1796), entrant le premier à Milan, occupant Vérone (3 juin), vainqueur à Lonato le 3 août, il servit à Castiglione et à Bassano après avoir débloqué Peschiera (6 août) et prit une grande part à la bataille de Rivoli, le 14 janvier 1797, et à celle de La Favorite, le 16; ce fut là que Bonaparte prononça son éloge.
La gloire de Masséna fut mise à mal l'année suivante. Nommé commandant du corps d'occupation de Rome, il eut à faire face à une situation encore jamais vue dans l'armée: la mutinerie de ses soldats et de ses officiers, qui obtinrent son départ. La troupe était sans solde alors que les caisses du général étaient pleines de l'or du pillage. Fut-ce le seul motif de la rébellion? Certains avancèrent que les mutins appartenaient à l'armée de Bernadotte et que ces <<messieurs>> que l'on prétendait <<gangrenés d'aristocratisme>> par les agents royalistes s'étaient heurtés en bataille rangée aux <<citoyens soldats>> de l'armée d'Italie. Masséna avait soutenu ces derniers, d'où la haine et le désir de vengeance des <<messieurs>>. Le général se tourna vers Bonaparte: <<Que vais-je devenir, lui écrivit-il, je l'ignore. J'ai recours à vos bontés, j'attends tout de vous; une ambassade m'épargnerait le désagrément de rentrer en France de quelques temps. Je ne dois plus servir; je n'ai rien à me reprocher... Enfin je me jette dans vos bras.>> Mais Bonaparte ne les ouvrit pas au malheureux général.
La guerre reprit avec l'Autriche. Le Directoire manquant de généraux chevronnés, l'armée d'Helvétie fut confiée à Masséna en février 1799. Il fut battu le 23 mars et se réfugia en Suisse. Sa défaite ne lui valut pas la disgrâce. Commandant de l'armée d'Helvétie, du Danube et du Rhin le 9 avril 1799, il battit les Russes et les Autrichiens à Zurich le 25-26 septembre, forçant Souvarov à exécuter une retraite désastreuse. Sa victoire débloquait une situation périlleuse pour la France. A Paris, certains le regardèrent comme le sauveur espéré d'une République décriée. Il se rapprocha des jacobins. Voulut-il devancer Bonaparte pour un coup d'État? Il n'avait guère le caractère d'un chef de file politique et savait trop bien que Bonaparte possédait des informations accablantes quand à sa moralité pour songer à se mettre en travers de cet autre sauveur.
Le 18 Brumaire lui fit perdre son commandement, puis, le Premier Consul l'envoya commander les 44 000 hommes de l'armée d'Italie. Arrivé à Gênes en février 1800, ne disposant pas des renforts escomptés, ses troupes affaiblies par la désertion et coupées en deux par les Autrichiens, il capitula, le 4 juin, avec les honneurs de la guerre. Son armée avait eu le mérite de retenir une partie des troupes de l'adversaire qui lui manquèrent contre Bonaparte. Celui-ci n'en sut aucun gré à Masséna, qui fut à nouveau relevé de son commandement. Il se retira à Rueil, obtint un sabre d'honneur le 6 octobre 1801 et fut élu député de la Seine au Corps législatif le 28 juillet 1803. Une fois de plus, des rumeurs le dénoncèrent: il avait partie liée avec les opposants au régime, aussi bien avec les jacobins qu'avec les généraux hostiles à Bonaparte. La police enquêta et ne trouva aucune preuve. Napoléon, cherchant à l'unir à sa <<clientèle>>, le promut maréchal en 1804.
En 1805, Masséna fut envoyé en Italie pour empêcher l'archiduc Charles de secourir Vienne. En 1806, il reçut mission de conquérir le royaume de Naples; celui-ci une fois conquis, Joseph en devint roi et demanda à son frère Masséna comme conseiller. Napoléon lui répondit: <<Masséna n'est bon à rien dans un gouvernement civil.>> En février 1807, l'Empereur le chargea de couvrir Varsovie. Après Tilsit, le maréchal, qui se sentait mal en cour, demanda un congé pour raison de santé et se retira à Rueil. Ce fut là qu'il apprit qu'il avait été fait duc de Rivoli (19 mars 1808). En mars 1809, il organisa avec succès l'amalgame des troupes de la Confédération du Rhin (Badois, Hessois et Saxons) avec l'armée française et partit vers Vienne avec un corps de 40 000 hommes. Après la prise de Vienne, il poursuivit avec Lannes l'ennemi et ce fut, près d'Essling, la tragédie de l'île Lobau. Masséna, aux prises avec les pires difficultés, parvint à contenir un ennemi supérieur en nombre. A Wagram, il remplit une mission tout aussi délicate, et l'Empereur le récompensa par le titre de prince d'Essling et une riche dotation.
En 1810, au Portugal, Ney et Junot supportèrent mal d'être placés sous ses ordres. Il parvint pourtant à repousser les Anglais sur la rive droite du Tage. Les historiens militaires se partagent encore sur la qualité du combat qu'il mena contre Wellington. Sans renforts, sans munitions, sans provisions, il battit en retraite jusqu'à la frontière française (1811). Napoléon le relégua alors dans le poste de commandant de la 8e division militaire, celle de Marseille. A l'issue de la première abdication, il conserva son poste. Aux Cent-Jours, après beaucoup d'hésitations, il se rallia à Napoléon. Au lendemain de Waterloo, il fut nommé par Fouché commandant de la Garde national dans la capitale où il maintint l'ordre. Dès la rentrée des Bourbons, il fut démis de son commandement. Les royalistes l'accusèrent d'avoir aidé au retour de l'île d'Elbe et dénoncèrent son peu d'empressement à participer au jugement de Ney comme une preuve de plus de son hostilité à la Restauration. Affaibli par une maladie de poitrine, taraudé par le chagrin, il mourut le 4 avril 1817 à Paris.

Jean-Paul Bertaud

Source: Dictionnaire Napoléon/Jean Tuland, dir. Paris: Fayard, 1987.


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