La vie politique du Directoire

 





Revue du Souvenir Napoléonien
n° 412

LA VIE POLITIQUE DU DIRECTOIRE
PENDANT LA CAMPAGNE D'ITALIE


par Thierry Lentz

Bonaparte et le Directoire avant la campagne d'Italie
La situation intérieure au moment du départ de Bonaparte
L'ennemi mortel : la contre-révolution
L'ennemi politique : le balancier frappe aussi à gauche
Coup de barre à droite : guerre aux Égaux !
Retour en force des royalistes
Coup de barre à gauche : le coup d'État de Fructidor
L'heure de Sieyès ?







E ntre mars 1796 (prise de commandement de Bonaparte) et novembre 1797 (son départ pour Rastadt), la vie politique du Directoire poursuivit son cours chaotique. Le régime de l'an III continua à hésiter entre révolution, modération et réaction, entre gauche, centre et contre-révolution, entre république (laquelle ?) et monarchie (laquelle ?), avec en toile de fond l'ardent désir des Thermidoriens de se maintenir aux affaires. Bien qu'éloigné du centre du pouvoir pendant la campagne d'Italie, Bonaparte n'en fut pas moins un intervenant important sur la scène politique intérieure, de l'annonce de ses succès qui firent du bien au régime à sa propre stratégie de « communication », et jusqu'à appuyer le Directoire lors du coup d'État de Fructidor.

Avant d'être l'homme du Consulat et de l'Empire, Napoléon fut un acteur majeur de la période directoriale (1). Quel rôle y tint-il, jusqu'à son départ pour l'Italie ? Que se passa-t-il à Paris pendant son absence ? Quels furent alors les grands échecs et les succès du régime directorial ? Comment, enfin, Bonaparte parvint-il à se poser, non en arbitre, mais en soutien des révolutionnaires lors des secousses qui ébranlèrent le pays ?

Bonaparte et le Directoire
avant la campagne d'Italie

De la proclamation de la constitution de l'an III à son départ pour l'Italie, Bonaparte fut un de ceux qui aidèrent à asseoir les institutions directoriales. Sa nomination à la tête des troupes cantonnées dans les environs de Nice fut même une récompense que lui accordèrent ceux qu'il avait aidés à prendre (ou à conserver) le pouvoir. À compter de cette époque, son rôle dans la vie politique du régime ne fit que croître. On ne reviendra pas ici sur les détails des événements de Thermidor (chute de Robespierre) et de la création du Directoire, dans lequel le général Bonaparte ne tint aucun rôle. Il put même être considéré comme un des adversaires du régime en gestation, eu égard à sa réputation de jacobin (2). En plus de ses qualités propres, Napoléon dut son retour en grâce à ses relations avec Barras, à la passion amoureuse pour Pauline Bonaparte qui dévorait Fréron et, plus tard, à l'impression favorable que fit le jeune général sur Carnot.

Entre Barras (l'homme fort de Thermidor) et Bonaparte, une certaine amitié ­ autant qu'un tel sentiment puisse habiter, sans arrière-pensée, le personnel politique, à toutes les époques ­ s'était instaurée en juillet 1795. Bonaparte avait été nommé à l'armée de l'Ouest comme général d'infanterie. Outre que changer d'arme (car l'artillerie était beaucoup plus noble que l'infanterie) lui déplaisait, il refusait de rejoindre son affectation, soit parce qu'il répugnait à faire la guerre à d'autres Français (version officielle de la Légende), soit parce qu'il aurait préféré obtenir un commandement en Provence pour se rapprocher de Désirée Clary (version possible), soit pour les deux raisons à la fois. Quoiqu'il en soit, pour éviter de partir en Vendée, le jeune homme multipliait les démarches. Il rendit visite à Barras qu'il avait rencontré à l'occasion du siège de Toulon. Le « tombeur de Robespierre » l'aiguilla sur Pontécoulant, membre du Comité de salut public, en charge des affaires militaires. Ce dernier nomma Bonaparte au bureau topographique du ministère de la Guerre (août 1795). En septembre, pourtant, il refusa une nouvelle fois d'aller se battre en Vendée et fut rayé de la liste des généraux employés. Cette nouvelle disgrâce ne dura que deux semaines.

En Vendémiaire an IV (octobre 1795), Bonaparte fit, en effet, partie des généraux appelés par Barras pour le seconder dans la défense de la République. Les insurgés royalistes furent battus, avec, notamment, le mitraillage de certains d'entre eux sur les marches de l'église Saint-Roch par les pièces d'artillerie de Bonaparte, Brune parachevant le succès avec ses troupes, sur les boulevards et au Palais-Royal. Dans les jours qui suivirent, on commença à parler du jeune général. Son ami Fréron (désireux de gagner les faveurs du frère de celle qu'il souhaitait épouser (3)) loua son action à la tribune de la Convention et, le 16 octobre, Napoléon fut nommé général de division et commandant en chef de l'armée de l'Intérieur, c'est-à-dire des troupes cantonnées dans la capitale et sa région. Il devenait donc un des premiers défenseurs du régime directorial naissant et fit preuve de zèle lorsqu'il s'agit, par exemple, d'épurer certaines unités (décembre 1795) ou de fermer le club jacobin du Panthéon (28 février 1796). Il en profita pour s'intégrer dans le monde du pouvoir, épousant au passage Joséphine de Beauharnais qui en connaissait les allées (et les raccourcis) mieux que personne.

À ce moment, Bonaparte était avant tout un militaire. Mais ses fonctions et leur proximité du gouvernement (à une époque où les régimes et les révolutions se faisaient surtout à Paris), ses liens naissants avec le personnel en place lui donnaient un atout supplémentaire, dans l'hypothèse d'une ascension vers d'autres fonctions. Lorsqu'il fut nommé à la tête de l'armée d'Italie (notamment grâce au soutien de Carnot, qui avait pu apprécier l'audace de ses plans de campagne lorsque Bonaparte travaillait au bureau de topographie), il n'était donc pas un général comme les autres. Son comportement dans la Péninsule, son intérêt permanent pour ce qui se passait à Paris, ses interventions, à des centaines de lieues de distance, dans les affaires de la République allaient abondamment le prouver et renforcer encore sa position.


On connaît l'importance de Barras pour le début de carrière de Bonaparte. Il avait quarante ans en 1795. Les années du Directoire le virent au faîte de sa puissance. Il se retira après le 18 Brumaire, en exil, fortune faite. Portrait de Bonneville gravé par Compagnie. Photo Bulloz.

La situation intérieure
au moment du départ de Bonaparte

Un mois après les événements de Vendémiaire, la constitution de l'an III entra en vigueur. Les élections aux conseils avaient été achevées le 21 octobre et on avait procédé à la désignation des directeurs dix jours plus tard. Le paysage politique était contrasté : alors que les électeurs ­ essentiellement des notables et des propriétaires, en raison du système électoral ­ avaient préféré envoyer des élus de droite dans les conseils, éliminant systématiquement les régicides, la majorité thermidorienne et révolutionnaire n'avait dû son salut qu'à la reconduction des deux tiers des anciens membres de la Convention, décidée par cette dernière avant de se séparer (voir encadré). La procédure de désignation de ces quelque 500 représentants (sur 750 au total) se fit de façon scandaleuse, en ne tenant aucun compte de la volonté des électeurs qui avaient établi des listes de préférences pour la désignation des conventionnels maintenus dans leurs mandats. Le divorce entre la représentation et le pays légal fut flagrant, sans parler du fossé qui séparait ce dernier du pays réel. Grossièrement, les nouveaux conseils comptaient environ 160 royalistes (dont une moitié dite « modérée ») et 450 républicains se partageant entre une soixantaine « d'avancés », 140 « modérés » et 242 « centristes » (4). Les directeurs furent choisis parmi les révolutionnaires. Barras, La Revellière-Lépeaux, Letourneur, Reubell et Sieyès furent désignés par les Anciens sur une liste proposée par les Cinq-Cents. Tous étaient régicides. Lorsque Sieyès, vexé du rejet de ses idées constitutionnelles, refusa de siéger, Carnot ­ lui aussi régicide ­ lui succéda. Ces hommes n'avaient aucun intérêt à favoriser une restauration. Ils se voulaient être simplement des républicains « modérés ».


Les décrets des deux-tiers

Adoptée par la Convention, le 5 fructidor an III (22 août 1795), la constitution du Directoire fut complétée par deux lois, des 5 et 13 fructidor, qui furent ensuite baptisées « décrets des deux-tiers » ou simplement « décret des deux-tiers », au singulier, car la loi du 13 fructidor n'abordait que les aspects « techniques » du choix des conventionnels « retenus » (sic) au sein du corps législatif. Elles prévoyaient que les nouvelles chambres devraient compter en leur sein deux tiers au moins des anciens conventionnels.

Les motifs de ces décrets n'étaient pas tous bas et le dispositif mis en place par les constituants ne visait pas seulement à la perpétuation du pouvoir des conventionnels qui avaient fait Thermidor. On souhaitait aussi assurer la présence d'hommes d'expérience au sein des assemblées. Lors des débats constitutionnels, on avait rappelé l'échec de la Législative, imputable à l'absence des anciens Constituants (1). Les décrets des deux-tiers n'avaient donc pas que des inconvénients : « L'avantage, c'est l'expérience, l'habitude des affaires, la connaissance de l'État, opinent Furet et Richet. De ce point de vue, le décret (...) a été d'une incontestable utilité (...). Depuis six ans, entre la Constituante et le Directoire, la Révolution française a brisé la plupart de ses grands hôtes, mais elle a formé ce que le XVIIIe siècle appelait les « talents ». Elle a été le creuset d'une sorte de classe politique dont la chute de Robespierre a sonné l'heure » (2).

Mais à côté de cet argument « technique » s'en ajoutait un autre : la crainte de voir les républicains balayés lors des élections. Las des excès et des hésitations de la Révolution, le corps électoral ­ et singulièrement les ruraux, majoritaires dans l'électorat ­ pourrait envoyer dans les assemblées les

candidats très modérés, voire une forte proportion de royalistes. Il fallait donc assurer une transition en rendant obligatoire la présence d'une majorité de conventionnels dans les chambres. Selon Daunou, les décrets étaient de nature à « arrêter la Révolution », en stabilisant le personnel politique. Cet objectif fut loin d'être atteint, puisque le vote des décrets fit monter l'agitation royaliste et leur rejet lors du référendum provoqua les événements de Vendémiaire.

Mona Ozouf a souligné l'importance des décrets, non seulement pour l'histoire du Directoire, mais aussi pour celle du parlementaire français (encore que dans ce dernier domaine, il ne faille rien exagérer) : « Quand s'ouvre, en fructidor (an III), la discussion des décrets (...), on en mesure aussitôt les effets maléfiques : ils font flamber à nouveau l'agitation sectionnaire ; ils essuient le refus d'un électeur sur trois et, à une exception près, de toutes les sections parisiennes ; ils engendrent la dernière journée sanglante de la Convention ; ils donnent la première illustration de la survie problématique d'un régime suspendu à l'intervention militaire. Ils sont enfin, aux yeux de l'histoire, les grands responsables de l'antiparlementarisme national : ils n'en étaient pourtant pas la cause, mais déjà le fruit » (3).

T.L.

(1) Avant de se séparer, les Constituants s'étaient déclarés inéligibles à la Législative. Jetés hors de la représentation nationale des hommes de valeur se retrouvèrent élus dans les administrations départementales, rentrèrent chez eux ou se lancèrent dans l'agitation extra-parlementaire, au sein des clubs, de la commune de Paris ou aux côtés des sections sans-culotte.

(2) F. Furet et D. Richet, La Révolution française, p. 328.

(3) M. Ozouf, « Les décrets des deux-tiers ou les leçons de l'Histoire », 1795. Pour une République sans Révolution. Rennes, 1996, p. 193.

Le Directoire héritait d'une situation intérieure rien moins que préoccupante. Sur fond de famine, la guerre civile reprenait dans l'Ouest. Les finances publiques étaient en faillite, la monnaie ne valait guère mieux, l'assignat terminant, en ces mois terribles, sa lamentable carrière. La crise économique était profonde, la population harassée et les notables avides de profiter des acquis de la Révolution. De 1795 à 1797, la France connut une famine effrayante : en certains points du territoire, la mortalité fut multipliée par près de 2,5. Les luttes politiques ne s'étaient pas apaisées, bien au contraire. Le Directoire, s'il voulait une république modérée ­ car on ne dira jamais assez que les Thermidoriens n'étaient pas des royalistes, contrairement à l'idée qu'ont tenté de répandre les historiens favorables à Robespierre qui terminent la Révolution au 9 thermidor ­, ne pouvait avancer que sur une voie étroite. À sa gauche, les jacobins s'étaient sentis encouragés par la répression anti-royaliste de Vendémiaire. Ils avaient recréé des clubs (dont celui du Panthéon), fomenté l'agitation dans les départements (à Toulouse ou Grenoble, par exemple), encouragé la montée des idées « communistes » de Baboeuf et de son journal Le tribun du peuple. Plus dangereuse encore, la contre-révolution, dopée par le résultat des élections, qu'elle aurait remportées sans le décret des deux tiers, n'attendait qu'une bonne occasion pour renverser le gouvernement et rétablir la monarchie. Pour l'heure, elle ne pouvait compter le faire par les voies légales : la forte minorité royaliste des conseils était divisée.

Ayant des ennemis sur les deux extrêmes de l'échiquier politique, le pouvoir instaura ce que les contemporains appelèrent la « politique de la bascule ». Chaque ennemi subit à son tour la contre-attaque du Directoire. Cette façon de faire, ce désir périlleux de gouverner « au centre » dans un environnement politique défavorable au compromis avait un énorme inconvénient : le Directoire devait frapper alternativement ses ennemis et, ainsi, s'en créer d'irréductibles dans les deux camps. Lorsqu'il s'en prenait aux royalistes, les jacobins se sentaient encouragés. À l'inverse, s'il attaquait les jacobins, ce sont les royalistes qui reprenaient espoir. Le parti « thermidorien », qui s'était appuyé sur la Plaine, le ventre mou de la Convention, pour se débarrasser de Robespierre, n'avait aucune cohérence, sauf à penser que le désir farouche de se maintenir aux affaires peut faire office de projet politique. Jean-Jacques Chevallier a fort bien résumé ce que fut l'histoire politique du Directoire, comparant les Thermidoriens aux défenseurs d'une place assiégée, organisant périodiquement des sorties pour desserrer l'étau de leurs assiégeants (5).

Bonaparte participa au premier coup en direction de la gauche, fin février, avec la fermeture du club du Panthéon et de quelques autres officines d'agitation jacobine. Le régime, qui était né du désir des Thermidoriens de mettre fin aux excès du gouvernement révolutionnaire, ne pouvait permettre à ses ennemis de l'été 1794 d'espérer une revanche. Il s'appliqua donc à poursuivre tous ceux qui, sur sa gauche, utilisaient les méthodes et revendiquaient les programmes du jacobinisme vaincu et immolé en la personne de Robespierre et de ses complices. Cette gauche ultra-révolutionnaire était, en quelque sorte, un ennemi « politique » du Directoire, ce qui n'empêcha pas une lutte sans pitié et parfois sanglante contre elle.

Mais les directoriaux étaient aussi, et d'abord, des républicains. Leur lutte contre le royalisme et la contre-révolution n'était pas un alibi : c'était une nécessité politique, et une question de survie pour des hommes qui avaient voté la mort du roi, avaient souvent aidé au développement de la terreur (avant de se repentir) et n'avaient jamais accepté de pactiser avec les monarchistes. La contre-révolution était, à l'époque du départ de Bonaparte pour l'Italie, l'ennemi mortel du Directoire.

Les trois pouvoirs du Directoire

Les Directeurs : la gravure représente la séance du 30 brumaire an IV (21 novembre 1795). La séance est publique. Au-dessus de la corniche des drapeaux, pris à l'ennemi ? À cette époque Bonaparte est commandant en chef de l'armée de l'Intérieur. Gravure de Duplessis-Bertaux, musée Carnavalet. Photo Bulloz.

Le conseil des Cinq-Cents en séance. Musée Carnavalet. Photo Bulloz.

Les Anciens en séance. Photo Bulloz

L'ennemi mortel :
la contre-révolution

À l'avènement du Directoire, le royalisme avait incontestablement gagné du terrain dans l'opinion. Le résultat des élections et les rapports sur l'esprit public à l'époque le prouvent. Dès la chute de Robespierre, on avait parlé d'une alliance entre les monarchistes et certains républicains modérés. L'affaire de Quiberon avait retardé cette possibilité. En juin 1795, une force royaliste, armée et financée par l'Angleterre, avait débarqué dans le Morbihan. Après plusieurs semaines de combats, elle avait été forcée de se réfugier dans la presqu'île de Quiberon où le général Hoche l'avait vaincue. Huit cents exécutions avaient suivi la reddition des « envahisseurs » (6). Les royalistes modérés avaient été pris au piège de leurs propres contradictions. D'une part, ils réprouvaient la tentative de restauration par la guerre civile. D'autre part, ils ne pouvaient se rapprocher des républicains auteurs des massacres de prisonniers. Les projets d'alliance raisonnable en avaient été rendus plus difficiles.

Lors des élections aux conseils, le royalisme, modéré ou non, avait progressé. Cent soixante députés pouvaient s'en réclamer. En province, les élections aux administrations locales avaient confirmé cette tendance dans de nombreux départements. Là, le royalisme était difficile à combattre tant les notables locaux élus dissimulaient leur véritable projet. Les charrettes de la Terreur étaient encore dans toutes les têtes et la prudence des idées, sinon la clandestinité, étaient encore de mise. Le Directoire tenta d'enrayer ce noyautage des administrations départementales et communales. En novembre 1795, il s'octroya, avec la complicité des conseils, la possibilité de réformer les élections locales lorsque la participation électorale avait été trop faible (voire inexistante dans certains cas). Onze administrations départementales « contre-révolutionnaires » furent destituées. Mais, on s'en doute, il ne put agir en profondeur et ne parvint le plus souvent qu'à ajouter une nouvelle frustration dans une population désabusée par la violation permanente de la « volonté nationale » exprimée lors des votes.


Gravure allégorique sur la liberté de la presse. Le 13 mars 1796, les Cinq-Cents débattirent de la liberté de la presse et rejetèrent le 19 toute forme de restriction. Photo Tallandier.

Si certains royalistes envisageaient de respecter les règles constitutionnelles pour parvenir à une restauration « en douceur », d'autres entendaient continuer la lutte armée ou clandestine pour parvenir à leurs fins. Depuis la mort au Temple du petit Louis XVII (juin 1795), le comte de Lille menait les forces de l'émigration. Celles-ci entendaient faire expier les révolutionnaires. Pour cette contre-révolution en armes, aucun accord n'était possible avec les républicains, même les plus modérés et les plus repentis. Réfugié à Vérone, le comte de Lille ­ que ses partisans appelaient à présent Louis XVIII ­ n'était pas encore devenu le monarque réconciliateur qu'il allait tenter d'être, après 1815. Pour lui, en 1795, son retour devait correspondre à celui de l'Ancien Régime, avec ses trois ordres, sa religion d'État... et la pénitence (voire le châtiment) pour les pêcheurs qui s'étaient trompés de route en 1789. Pour appuyer les projets de restauration, Louis XVIII et son frère, le comte d'Artois, pouvaient compter sur les réseaux contre-révolutionnaires mis sur pied avec la complicité de l'Angleterre. Ces réseaux, très actifs, fomentaient des conspirations locales ou nationales. Ainsi, le marquis de Besignan préparait une grande insurrection dans le Sud-Est. Tessonnet envisageait de soulever la Franche-Comté. Phélippeaux travaillait à la liaison entre ses bandes du Sancerrois et les Vendéens. Dans le Cher, le Maine, le Vivarais, les nobliaux déjouaient la surveillance de la police et de l'armée, échafaudaient des plans de révolte, harcelaient les courriers et les gendarmes. Leur faiblesse était due, pour l'heure, à leur incapacité à se fédérer et à agir de concert. Le Directoire put en profiter pour démanteler certains de ces réseaux, lors d'opérations de police rondement menées et qui aboutirent, pour certains meneurs, face au peloton d'exécution ou à une rencontre publique avec les bourreaux départementaux, voire, pour les plus en vue, avec le grand Sanson, qui officiait à Paris.

Mieux structurés et bénéficiant du soutien de la population, de véritables armées royalistes agissaient en Bretagne, en Vendée et en Normandie. Au moment du départ de Bonaparte pour l'Italie, le Directoire semblait avoir pris le dessus sur cette insurrection armée. Fin 1795, une grande offensive militaire, conduite par Hoche, avait été organisée. Elle connut immédiatement le succès. Les troupes de la contre-révolution fondirent en quelques semaines. Le 28 mars 1796, les Vendéens furent écrasés à Buzançais. Le lendemain, Charette fut fusillé, à Nantes, dix jours après que Stofflet eut connu le même sort, à Angers. Le coup était rude pour la contre-révolution. Au printemps, Hoche fut renforcé d'unités libérées du front des Pyrénées, suite à la paix avec l'Espagne. « La guerre de l'Ouest était finie », note l'historien anglo-saxon Donald Sutherland (7). Pendant près de deux ans, l'insurrection armée allait rester cantonnée dans des limites acceptables pour le gouvernement républicain qui parvint sans grandes difficultés à contenir les quelques accès de fièvre enregistrés durant cette période. Plus de cent mille soldats « bleus » stationnèrent sur les côtes de l'Océan, vivant sur les ressources locales, comme en pays conquis, contribuant ainsi à ancrer ces départements dans la contre-révolution, mais les empêchant d'avoir les moyens de la mener militairement sur le terrain. Chouans et Vendéens n'eurent d'autre choix que de se reconvertir dans le brigandage, gênant pour les particuliers, mais peu dangereux pour le régime directorial. En juillet 1796, le Directoire et les conseils décrétèrent que l'armée de Hoche « avait bien mérité de la patrie ».

L'ennemi politique :
le balancier frappe aussi à gauche


Gravure allégorique intitulée « Chacun son tour » : « J'espère, citoyen, m'en sauver par l'agiotage. ­ À vous, milord, les papillottes, l'argent nous est revenu ». Les Anglais connaissent des difficultés financières pendant que les Français s'enrichissent. B.N. Photo Tallandier.

Si les directoriaux devaient lutter avec vigueur contre leurs ennemis mortels à droite, ils n'en étaient pas pour autant ouverts aux menées jacobines sur leur gauche. Toute la réaction thermidorienne avait d'ailleurs été conçue pour désarmer ceux qui avaient soutenu le gouvernement révolutionnaire. Avant l'adoption et la proclamation de la constitution de l'an III, les journées de Prairial ­ avril-mai 1795 ­ avaient permis de désarmer les faubourgs. Le mouvement sans-culotte avait été mis à terre. D'acteur de la Révolution, le peuple de Paris passa au rang de « victime ou de spectateur » (8), les faubourgs perdant leur poids politique.

Quant au texte constitutionnel lui-même, il apparaissait, à bien des égards, comme une réponse aux événements révolutionnaires depuis 1789. Ce qui importait, c'était bien d'exclure la « populace » de l'exercice du pouvoir. « Je ne sais pas ce qu'on veut dire en parlant chaque jour d'une constitution démocratique, s'interrogeait, faussement candide, Thibaudeau. Entendez-vous par constitution démocratique un gouvernement où le peuple exerce lui-même ses droits ? » (9). Et Boissy d'Anglas de lui répondre : « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l'ordre social ; celui où les non-propriétaires dominent est dans l'état de nature ». Le système électoral à deux degrés favorisait, au final, les notables et les nantis (10). Avec un filtre fondé sur la fortune, les constituants imaginaient stabiliser l'électorat et éviter les secousses. La politique redevenait une affaire d'honnêtes gens. Ce qu'ils n'avaient pas vu, c'est qu'ils se plaçaient délibérément sous une double menace. D'une part, ils se méprenaient sur la structure de l'électorat « notable » : même si les émigrés et les prêtres réfractaires avaient été exclus du pays légal, les nouveaux riches souhaitaient surtout jouir de leurs droits civils et économiques, arrachés en 1789.


Gravure allégorique : « Le nouveau Janus français ». Assis sur un sac d'or, des assignats dans sa poche, avec deux visages et deux vêtements, le pouvoir « bascule » en permanence entre deux politiques et deux électorats : le peuple jacobin et les royalistes. B.N., photo Tallandier.

Quel régime républicain pourrait leur offrir cette tranquillité indispensable à la prospérité ? Le moment venu, ils allaient voter à droite. Attaqués de ce côté, les directoriaux ne pourraient pas appeler la gauche (et la rue) à leur secours. Leur seule voie de survie serait de s'appuyer sur l'armée. D'autre part, évincée de la scène politique, la gauche allait, comme la contre-révolution, se retrouver confinée dans les coulisses, l'action clandestine et la tentation du coup d'État.

Dès l'installation du Directoire, Carnot et Reubell se montrèrent les plus farouches anti-jacobins. Le second profita même des cérémonies organisées pour l'anniversaire de l'exécution de Louis XVI pour lancer un avertissement solennel à la gauche et rassurer les propriétaires, tandis que le Directoire réorganisait le bureau de police de Paris, réputé jacobin. Quelques jours plus tard, Fréron, envoyé dans le midi pour mettre fin aux exactions royalistes contre les républicains, avait été rappelé : on lui reprochait ses proclamations et ses méthodes qui rappelaient trop celles de l'an II. Puis on avait fermé le club du Panthéon et commencé à se préoccuper des menées de Baboeuf et de ses amis. Le 3 avril 1796, Carnot obtint un mouvement ministériel qui accentua la couleur anti-jacobine du pouvoir exécutif. L'ancien membre du « grand » Comité de salut public commençait à jouer le jeu des royalistes.

Ainsi, la « bascule » allait de droite à gauche. On ne saurait pour autant accuser ce premier Directoire d'avoir tenté de faire le jeu des royalistes. Alors qu'étaient mises en applications les premières mesures anti-jacobines, le même gouvernement exigeait des fonctionnaires un serment de haine à la royauté, célébrait l'exécution du dernier monarque... Le Directoire se voulait être un régime du juste milieu.

La conspiration Baboeuf allait le placer dans l'embarras : en frappant durement sur sa gauche et conformément à la mécanique que nous avons décrite, il allait encourager les royalistes à sortir du bois.

Coup de barre à droite :
guerre aux Égaux !


Conjuration de Babeuf. « La France sous la forme d'une mère nourrice, jeune et vigoureuse, admire l'harmonie de la Constitution, des autorités établies et des départements. L'Anarchie, furieuse et jalouse, conseillée par un serpent astucieux, va plonger ses poignards dans le sein de la patrie. Mais le génie, défenseur de la République, l'arrête dans sa fureur ». B.N., photo Tallandier.

La « conspiration des Égaux » occupe une place à part dans la mythologie révolutionnaire. Les marxistes ­ et singulièrement les communistes français ­ l'ont élevée au rang d'événement majeur. Pour eux, il s'agit d'une première tentative d'instaurer le « communisme » en France. Baboeuf et ses complices constitueraient, en quelque sorte, une avant-garde du socialisme et, maintenant que certaines illusions se conjuguent au passé, la référence historique majeure du courant communiste. Pour Soboul, par exemple, « Baboeuf, le premier dans la Révolution française, surmonta la contradiction à laquelle s'étaient heurtés tous les politiques dévoués à la cause populaire, entre l'affirmation du droit à l'existence et le maintien de la propriété privée (...). Par le babouvisme, le communisme, jusque-là rêverie utopique, était érigé en système idéologique ; par la Conjuration des Égaux, il entrait dans l'histoire politique » (11). Il y a, dans cette récupération, une exagération manifestement anachronique qui brouille davantage encore l'image du Directoire. En réprimant la « conjuration des Égaux », les directoriaux auraient, en quelque sorte et toujours selon les historiens d'extrême-gauche, renoncé à leur statut de révolutionnaires. En réalité, le Directoire, qui ne trouva aucune poésie dans la conspiration, la réprima comme un danger jacobin, ce qui lui permit une plus large répression. François-Noël, dit Gracchus, Baboeuf était né à Saint-Quentin, en 1760. Clerc de notaire puis domestique, il s'était passionné, avant la Révolution, pour les problèmes fiscaux et avait participé à la rédaction du Cahier de Doléances de son baillage. Élu au Conseil général de la Somme, en 1792, il dut se réfugier à Paris, après une affaire de faux en écritures. Des amis, dont Thibaudeau, l'aidèrent à se sortir de ce mauvais pas et Gracchus se lança, après Thermidor, dans le combat politique. Directeur de journal comme prête-nom d'un Conventionnel en délicatesse avec le pouvoir, il attaqua sans nuance le nouveau régime, ce qui lui valut une incarcération de sept mois. Libéré en octobre 1795, il se rapprocha de chauds révolutionnaires voulant « rendre le pouvoir au peuple », supprimer la propriété privée, relever les échafauds. Infiltrée par la police, sa « conspiration » devint un prétexte utile au gouvernement : on proclama que la République modérée était menacée par un complot de grande ampleur. S'il est vrai que Baboeuf avait tenté de rallier des « Montagnards » à ses idées, leur accord n'était que de circonstance et sans doute pas de nature à renverser le régime de l'an III. Tout au plus, selon le mot de Jaurès, Baboeuf fit passer un « frisson » révolutionnaire nouveau. Il fut arrêté (10 mai 1796) et son procès à grand spectacle, de mars à mai 1797, aboutit à sa condamnation à mort et à son exécution. Un de ses complices, Buonarotti, fut condamné à la déportation et écrivit plus tard l'ouvrage qui créa la légende babouviste. Pourtant, sans soutien populaire, la conspiration des Égaux ­ emmenée par un homme que Marx jugea « grossier et inculte » ­ n'avait aucune chance d'aboutir. Elle ne fut qu'une crise supplémentaire traversée par le Directoire. En septembre 1796, l'affaire Baboeuf eut encore un prolongement, sanglant cette fois, avec la « surprise du camp de Grenelle ». Les rescapés des arrestations de mai avaient envisagé de soulever un régiment cantonné au camp de Grenelle. Carnot et le ministre de la Police, Cochon de Lapparent, en furent informés. Loin de prendre des mesures préventives, ils attirèrent les comploteurs dans une véritable souricière. La troupe les attendait lorsqu'ils arrivèrent sur place et ouvrit le feu : il y eut une vingtaine de morts et environ 130 arrestations. Quelques dizaines de prisonniers furent encore jugés et exécutés quelques mois plus tard. Lorsque la Cour de cassation cassa les jugements, il était trop tard.


François Babeuf, surnommé Caïus Gracchus, né en 1760 à Saint-Quentin. Condamné à mort à Vendôme, il se poignarde sous les yeux des juges à l'énoncé du jugement (et non dans sa prison comme le montre la gravure romantique) et fut transporté, blessé, sur la guillotine. Photo Bulloz.

En frappant encore à gauche, les hommes au pouvoir se coupaient des forces qui pouvaient soutenir la République en cas de menace contre-révolutionnaire. Les sans-culottes désarmés, les jacobins brisés et humiliés ne viendraient jamais au secours de ce régime honni. De leur côté, les tenants de la contre-révolution se sentaient pousser des ailes et se préparaient à profiter de la lassitude des notables pour opérer leur grand retour.


Attirés dans une souricière, les comploteurs qui voulaient soulever la troupe du camp de Grenelle (nuit du 23 au 24 fructidor an IV ­ 9 septembre 1796) sont massacrés ou faits prisonniers. B.N., photo Tallandier.

Retour en force des royalistes

Depuis 1789, les royalistes avaient été divisés. La marche de la Révolution n'avait fait qu'accentuer ces tendances centrifuges. Grossièrement, et les premiers pas du Directoire n'avait fait qu'amplifier le phénomène, ce parti comptait deux grandes tendances : les irréductibles et les constitutionnels. Les premiers fondaient leur action sur le retour en arrière. Blottis autour du prétendant en exil, ils voulaient mettre à bas la République et rétablir tel quel l'Ancien Régime. Ils disposaient de soutiens armés à l'intérieur, du concours des armées étrangères à l'extérieur, des informations fournies et de l'agitation fomentée par leur « agence » de Paris, grâce aux finances anglaises (12). Si cette faction observait avec sympathie les efforts des modérés, même républicains, pour parvenir au pouvoir, elle refusait de composer avec une constitution qu'elle ne reconnaissait pas. À l'inverse, les constitutionnels avaient pris le parti de lutter de l'intérieur pour parvenir à une restauration « douce », respectant certains des acquis de 1789. Parmi eux, un sous-groupe s'interrogeait sur la capacité des comtes de Lille et d'Artois, les frères de Louis XVI, à incarner la réconciliation nationale. Le nom du duc d'Orléans était souvent prononcé, même si ce prince avait fait sa soumission à ses « cousins ». Son plus récent biographe semble penser que le futur Louis-Philippe était rentré dans le rang et jouait le jeu de Louis XVIII. Pendant cette période troublée, il parcourait l'Amérique et l'Europe, se montrant peu disponible pour des projets politiques originaux. On se servit plus de son nom qu'il ne complota vraiment (13).

Un des centres d'action des royalistes à Paris était le club de Clichy. Fondé en 1794, il avait résisté à toutes les interdictions et, après avoir tenu ses séances dans l'hôtel du notaire Gibert-Desmolières, rue de Clichy, avait été transféré dans celui d'un contrôleur général des Finances et secrétaire d'État de Louis XV, Bertin, mort en émigration en 1792. Lors des réunions, on s'y saluait « à la guillotine », c'est-à-dire par un vif mouvement de la tête, tandis que le corps restait bien droit. Le club « se composait d'hommes professant les opinions les plus opposées, mais tous ou presque étaient réactionnaires » (14). Mathieu Dumas et Boissy d'Anglas, les raisonnables, devait s'y sentir bien isolés au milieu des Pichegru, Royer-Collard, Hyde de Neuville, Vaublanc, Fiévée, contre-révolutionnaires sans nuance, bénéficiant, pour la plupart, du soutien et de l'argent des « agences » anglaises établies tant en France qu'à la périphérie (15). Au sein des « clichyens », les luttes intestines opposaient les « jacobins blancs » irréductibles aux constitutionnels. Entre les deux, le « ventre » arbitrait (16). Par la force des choses, et suite aux succès de Hoche en Vendée, les royalistes étaient débarrassés, aux yeux de l'opinion modérée, de l'hypothèque chouanne. Le club de Clichy avait des filiales en province et, malgré l'interdiction édictée au début du Directoire, entretenait avec elles une intense correspondance. Une prise de pouvoir par la violence semblait être écartée et la contre-révolution s'en remettre aux urnes.

Les réseaux « clichyens » préparèrent minutieusement les échéances électorales. Grâce à des sociétés (ou « instituts ») philanthropiques créées dans tout le pays, ils s'organisèrent et firent campagne en vue des élections de 1797. Le comte de Lille sembla même avoir accepté cette stratégie électorale. Les « philanthropes » avaient son soutien moral et bénéficiaient de l'appui ­ logistique et financier ­ de ses agents. Le Directoire vit venir le danger. À quelques semaines du scrutin, il décréta la radiation des listes électorales de tous les émigrés rentrés et prescrivit aux assemblées primaires d'exiger de chaque électeur un serment de fidélité à la constitution. Les opérations électorales se déroulèrent dans une mauvaise ambiance. Sentant venir leur défaite, les jacobins et les modérés se livrèrent à de nombreuses manoeuvres d'intimidation. A Toulouse, par exemple, les jacobins firent irruption dans les assemblées électorales. Armés de gourdins, ils empêchèrent par la force les citoyens soupçonnés de royalisme d'accomplir leur devoir. Avec de telles pratiques, qui se reproduisirent à travers la France, les électeurs hésitèrent à se déplacer, laissant le terrain libre aux militants. L'abstention fut massive (17). Malgré les précautions prises par les directoriaux, les royalistes, avec près de 200 élus, parvinrent à remporter les élections : sur 216 conventionnels sortants, 13 seulement furent réélus (dont 5 étaient d'ailleurs clichyens). « Le Directoire récoltait ce qu'il avait semé, note Soboul. Sa propagande, le gonflement du complot babouviste, avaient dépassé leur but ; la peur des « partageux » avait saisi au ventre les notables et les parvenus qui formaient la masse des électeurs censitaires (...). Que leur importait une restauration qui respecterait les propriétés ? » (18). Pichegru, général soupçonné de royalisme et, comme tel, relevé de son commandement sur le Rhin, fut élu président des Cinq-Cents et Barbé-Marbois, animateur d'un salon royaliste et partisan déclaré de Louis XVIII, président des Anciens. Le diplomate royaliste Barthélemy remplaça Letourneur au Directoire. Mais la République avait de la chance : les divisions internes au parti royaliste empêchèrent le basculement rapide du régime dans le camp de la contre-révolution. La droite royaliste « constitutionnelle » décida d'être patiente et d'agir avec doigté. Elle choisit une stratégie consistant, d'une part, à arracher immédiatement ce qui pourrait l'être par la voie légale et, d'autre part, à attendre les élections suivantes pour renforcer sa majorité et, telle une lame de fond, submerger ses adversaires. Alors, Louis XVIII pourrait rentrer dans son royaume.


« Puisque le sort l'a décidé, il faut enfin m'en aller » dit Letourneur chassé du Directoire à la joie des quatre autres Directeurs pour être remplacé par Barthélemy. B.N., photo Tallandier.

Coup de barre à gauche :
le coup d'État de Fructidor

L'été 1797 fut lourd de menaces et chaque camp prépara la suite. Profitant de leur avantage parlementaire, les royalistes s'attaquèrent à la législation défavorable aux émigrés. Ces derniers commencèrent à rejoindre nombreux le territoire national. En province, les sociétés philanthropiques se manifestèrent par quelques excès : acquéreurs de biens nationaux attaqués ou menacés, accueil enthousiaste des prêtres réfractaires de retour dans leur paroisse, assassinats de républicains. A Paris, les conseils, soutenus, dans le Directoire, par Barthélemy et Carnot réclamèrent un changement de ministère. Le triumvirat républicain ­ composé de Barras, Reubell et La Revellière-Lépeaux, trois hommes qui, pourtant, avaient peu de choses en commun ­ le leur concéda, mais pas dans le sens souhaité. Le 16 juillet 1797, le remaniement eut lieu : Merlin de Douai et Ramel, ennemis jurés des royalistes, furent maintenus à la Justice et aux Finances, tandis que les autres appelés étaient des modérés ­ tels François de Neufchâteau ou Talleyrand ­ voire de francs républicains, comme Hoche, à la Guerre. Les affidés des clichyens furent éliminés du gouvernement. Les directoriaux n'étaient pas restés inactifs. Ils avaient eu aussi regroupé leurs forces, fondé leurs clubs ­ les cercles constitutionnels ­, voire réactivé des organisations jacobines.

La crise ne pouvait être réduite par les mécanismes constitutionnels. Du point de vue des républicains, un nouveau coup de force était inévitable. L'armée leur était toujours favorable et pouvait en être le principal acteur. Dès juillet, Hoche ­ contraint de se retirer du gouvernement car il n'avait pas l'âge requis pour être ministre ­ avait fait marcher des troupes vers la capitale mais s'était arrêté à l'entrée de la ville, avant d'ordonner la retraite. C'est encore Bonaparte qui intervint. Il communiqua au Directoire les papiers d'Antraigues, saisis en Italie et montrant que Pichegru avait participé à un complot royaliste (voir encadré). Cette fois, on pouvait proclamer la République en danger. Le conquérant de l'Italie dépêcha le général Augereau à Paris pour prendre l'affaire en main.

Le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), l'armée pénétra dans Paris. Pichegru et Barthélemy furent arrêtés, alors que Carnot prenait la fuite. Les conseils, privés des députés royalistes les plus marquants, se réunirent dans la nuit et cassèrent les élections dans 49 départements, éliminant ainsi 177 représentants et renversant la majorité. Dans la foulée, François de Neufchâteau et Merlin de Douai furent portés au Directoire. La presse fut réduite au silence, les lois contre les émigrés réactivées, les prêtres réfractaires invités à regagner leurs cachettes.


L'armée commandée par Augereau est entrée dans Paris (aux Tuileries) le 18 fructidor an IV (4 septembre 1797) pour prévenir un complot royaliste. Musée Carnavalet. Photo Bulloz.


Le 18 fructidor. Le général Verdière commandant la place de Paris depuis le 14 août 1797 et le vétéran Grolier face à Willot, Bourdon (de l'Oise), Jourdan (des Bouches-du-Rhône), Pichegru et Boissy d'Anglas. « Non, nous ne sortirons pas d'ici » s'indignent les membres du conseil. La plupart des légendes de cette illustration nomment, à tort, Augereau à la place de Verdière Photo Tallandier.

Le balancier était revenu frapper à droite. Sérieusement ébranlés, les royalistes n'étaient pas pour autant éliminés alors qu'à l'autre extrémité de l'échiquier politique, les jacobins continuaient à se renforcer. Fructidor n'était qu'une étape de plus vers l'épilogue de Brumaire. En faisant sortir, une fois de plus, l'armée de ses casernes, les directoriaux l'avaient intronisée arbitre des conflits des pouvoirs publics. Quant aux assemblées électorales, elles ne pouvaient plus croire en ce régime qui venait d'agir avec force contre leurs choix. La légitimité du Directoire et de ses hommes était fort ténue, leurs méthodes manifestement anticonstitutionnelles. L'opinion leur devenait hostile. L'armée avait les moyens de s'émanciper. Un pli définitif venait d'être pris : il ne sortirait rien des urnes et de l'application de la constitution de l'an III. On entrait « dans une période d'irrégularités et d'anarchie » (19). On s'attaquait aux nobles et aux prêtres. On reprenait les perquisitions et les tracasseries, comme au temps de la Terreur. On censurait la presse, la librairie et le théâtre. Les partis politiques étaient disloqués. Les royalistes, persécutés par la « terreur fructidorienne », n'avaient plus droit de cité. Les révolutionnaires les plus libéraux étaient parfois amalgamés aux pires ennemis de la République et, dans le même temps, les jacobins n'étaient pas pardonnés. Le fouillis politique s'était installé. Restaient les directoriaux, accrochés à leur pouvoir.

Bonaparte et le coup d'État de Fructidor

En mai 1797, Bonaparte avait pu se saisir du comte d'Antraigues, chef d'un célèbre ­ et surévalué ­ réseau royaliste. Il avait découvert un complot ­ plus sérieux, cette fois que les élucubrations habituelles de d'Antraigues ­ qui se tramait contre la République, visant notamment à acheter les grands chefs militaires. Il disposait là d'un moyen de pression formidable contre une bonne partie du personnel politique, voire militaire, puisque le nom du général Pichegru figurait en bonne place dans un rapport qu'avait rédigé d'Antraigues. Bonaparte y aurait également découvert que bon nombre d'officiers ­ y compris à l'armée d'Italie pourtant réputée « jacobine » ­ s'étaient laissés convaincre par la conspiration royaliste. Il obtint, sous la menace, que le comte d'Antraigues recopie certains documents en éliminant les noms des hommes figurant encore dans son entourage (1). Ce travail accompli, Bonaparte envoya les papiers corrigés à Paris pour affermir les directoriaux dans l'affaire de Fructidor et leur permettre d'abattre Pichegru.

A Paris, le triumvirat Barras-Reubell-La Revellière fourbissait ses armes contre les royalistes vainqueurs des élections. Barthélemy était entré au Directoire et s'était joint à Carnot pour favoriser le camp royaliste. Pichegru était devenu président des Cinq-Cents. Au sein de la chambre basse, certains députés, relayés par les journaux royalistes, voire républicains modérés, commençaient à attaquer le vainqueur de l'Italie et ses méthodes. Ainsi, le royaliste Dumolard s'en était vivement pris à lui au sujet de l'invasion de Venise, décidée par Bonaparte sans en référer au gouvernement, et avait réussi à obtenir des Cinq-Cents l'impression de sa motion. Ce faisant, les clichyens entendaient affaiblir le triumvirat en s'attaquant au protégé de Barras. Celui-ci avait d'autant plus de peine à défendre Bonaparte qu'il avait touché d'importants pots-de-vin pour défendre l'indépendance de la république de Venise que l'armée d'Italie occupait. Reubell et La Revellière-Lépeaux durent s'employer à défendre ce général qui leur offrait les preuves de la trahison d'un de leurs ennemis.

De son côté, Bonaparte n'hésita pas à choisir son camp. Le 14 juillet 1797, il adressa une proclamation sans équivoque à l'armée d'Italie : « (...) Soldats, je sais que vous êtes profondément affectés des malheurs qui menacent la patrie ; mais la patrie ne peut courir de dangers réels. Les mêmes hommes qui l'ont fait triompher de l'Europe coalisés sont là. Des montagnes nous séparent de la France ; vous les fran-

chirez avec la rapidité de l'aigle, s'il le fallait, pour maintenir la constitution, défendre la liberté, protéger le gouvernement et les républicains. Soldats, le gouvernement veille sur le dépôt des lois qui lui est confié. Les royalistes, dès l'instant qu'ils se montreront, auront vécu. Soyez sans inquiétude, et jurons par les mânes des héros qui sont morts à côté de nous pour la liberté, jurons sur nos nouveaux drapeaux : guerre implacable aux ennemis de la République et de la constitution de l'an III ! » (2).

Le 15 juillet, Bonaparte écrivit au Directoire pour fustiger la motion Dumolard ­ « Je vois que le club de Clichy veut marcher sur mon cadavre pour arriver à la destruction de la République » ­ et l'assurer de son soutien contre les royalistes (3). Dans cette même missive, le vainqueur de l'Italie conseillait aux directeurs d'en appeler à l'armée, au besoin en lui donnant un congé afin qu'il puisse venir à Paris. Sachant que cette autorisation ne lui serait pas accordée, il ordonna au général Augereau de se rendre dans la capitale et de se mettre au service des défenseurs de la constitution de l'an III.

Arrivé à Paris, le 5 août 1797, Augereau fut nommé commandant de la division militaire de la capitale, malgré l'opposition de Barthélemy et Carnot (4).

Le 4 septembre, ses troupes pénétrèrent dans la capitale et furent le bras armé du coup d'État de Fructidor.

Le 25 septembre, Bonaparte le félicita : « Toute l'armée a applaudi à la sagesse et à l'énergie que vous avez montrées dans cette circonstance essentielle » (5).

T.L.

(1) Le nom du général en chef de l'armée d'Italie figurait, comme cible éventuelle de la corruption, dans les papiers d'Antraigues ­ qui étaient en réalité le compte rendu d'une conversation que le comte avait eu avec un autre espion, Montgaillard. Une fois obtenu que d'Antraigues recopie son compte rendu et le réduise de 32 à 16 pages, Bonaparte le laissa s'évader (voir J. Godechot, Le comte d'Antraigues. Un espion dans l'Europe des émigrés).

(2) Correspondance, n° 2010.

(3) Correspondance, n° 2014.

(4) Voir L. Couturaud, Augereau. L'enfant maudit de la gloire, Paris, 1990, pp. 63-72.

(5) Correspondance, n° 2254.

L'heure de Sieyès ?

Comme après chaque orage, on se disait, après Fructidor, qu'il était temps que les choses rentrent dans l'ordre. Mais cette fois, rien ne se passa comme avant. Barras avait perdu de sa superbe en faisant appel à l'armée qu'il contrôlait de plus en plus mal. Sieyès avait, en Fructidor, accepté un rôle actif et n'était pas prêt à rentrer dans son fameux silence sans avoir enfin tenté sa chance. En effet, alors qu'approchaient les élections de 1797 et qu'il continuait à cultiver « un grand mystère de salut public » (Vandal), l'ex-abbé avait été projeté sur le devant de la scène. Le 11 avril, il avait été agressé à son domicile par un prêtre nommé Poule. On l'avait cru mort et, déjà, les assemblées le pleuraient. Il n'était que blessé d'une balle au bras. Mais l'émotion avait été immense. Les républicains s'en étaient saisi pour accuser les royalistes alors que le dossier de Poule ne contenait aucune preuve de conspiration. Le prêtre avait, certes, avoué quelques mobiles religieux à son acte, mais il n'appartenait à aucun groupe. Son acte semblait être isolé. Mais, pour les directoriaux, l'occasion était trop belle. On s'était rendu chez Sieyès en cortège, l'air grave, pour prendre de ses nouvelles. On avait répandu le bruit que les royalistes, vainqueurs des élections, avaient le projet d'assassiner tous ceux qui avaient fait la Révolution. Paradoxalement, Poule ne fut condamné qu'à vingt ans de fers et Sieyès sembla regretter qu'il n'ait pas été envoyé à la guillotine. Début mai, il avait pourtant savouré son triomphe aux Cinq-Cents. Il y avait été accueilli par des transports de joie, lorsque, le bras en écharpe ­ preuve tangible de son « assassinat » ­, il avait franchi le seuil de la salle des séances. « Il est le héros du moment, redevenu l'homme drapeau, l'incarnation vivante de la république bafouée. Chez Mme de Staël, on l'entoure, on l'écoute, on l'admire. On le voit chez Mme Récamier, chez Mme Hamelin. On est fier de dîner auprès du grand Sieyès, assassiné, ressuscité » (20). L'attentat contre Sieyès avait contribué à faire « monter la pression » au sein du personnel républicain et facilita le coup de force de Fructidor. Lorsque le coup d'État commença, les Cinq-Cents avaient décidé de créer des commissions devant conseiller les directeurs. Sieyès avait accepté d'en faire partie. Sur proposition de Boulay de la Meurthe, on décida de recourir à la « guillotine sèche », la déportation en Guyane. Comme beaucoup de ses contemporains, l'ex-abbé sembla préférer cette solution aux charrettes et au véritable échafaud. Il se rallia sans broncher à son collègue lorrain. Durant toute cette période où la répression se mit en place, il fut une sorte de révolutionnaire non-sanglant mais hardi, proposant, disent certains ­ comme Barras dont les Mémoires ne sont pas, il est vrai, une référence ­, de bannir tous les nobles du territoire, de réformer tout de suite la constitution de l'an III, de passer séance tenante à la dernière phase de la Révolution, celle de la stabilisation définitive. Les royalistes avaient senti que le corps électoral les considérait comme un espoir de paix et d'ordre. Les jacobins relevaient la tête, croyant pouvoir retrouver le haut du pavé grâce à cet exécutif qui avait écrasé les tentatives de leurs ennemis. Non, le Directoire n'en avait pas fini avec les crises constitutionnelles et politiques.

Dans le pays, on avait été bouleversé par les événements de Fructidor. Ces élections cassées, ces administrations épurées, ces déportations avaient rappelé le temps pas si lointain des excès de la Révolution. Fatiguée et inquiète, la population ne savait plus à quel parti se vouer. Nulle explosion de joie, nulle fête n'avaient marqué le coup d'État. Juste un peu plus de lassitude. On n'en avait pas fini d'espérer dans la paix extérieure, dans le rétablissement de la religion, dans le moment où l'on pourrait jouir ­ enfin ! ­ des réformes arrachés en 1789. Mais, comme le disait Robert Lindet, un ancien du « grand » Comité de salut public, « l'apathie tempérait le mécontentement ». Qu'elles étaient loin les foules révolutionnaires, la canaille envahissant les lieux supposés du pouvoir pour s'en emparer, les tricoteuses ironiques se postant sur le passage des suppliciés, les robins philosophant sur la société future ! En un mot, la population française semblait ne plus avoir d'enthousiasme. Qu'un sauveur paraisse et la France était à lui.


Les « triumvirs » Barras, Reubell et La Revellière-Lepeaux représentés dans leur victoire du 18 fructidor. À noter sous le coq la devise : « Liberté, Égalité, Propriété ». La Fraternité a disparu. Photo Tallandier.

Ce sauveur, pourquoi ne serait-il pas Sieyès ? L'oracle avait réfléchi, tourné et retourné sa pensée. Maintenant, il disait vouloir agir. L'ennuyeux constitutionnaliste en devenait presque populaire. En tout cas, la classe politique, après l'avoir beaucoup moqué, le voyait à présent d'un autre oeil. Même le conquérant de l'Italie, Bonaparte, avait confié son admiration pour l'ex-abbé, dans une lettre à Talleyrand, du 19 septembre 1797. Lui, toujours mystérieux, avait commencé ses consultations pour attirer de grands complices dans une tentative de rénovation du régime. Leader des révisionnistes, l'auteur de Qu'est-ce que le tiers-état ?, ne remettait pas en cause a priori la forme républicaine du gouvernement. Seules les structures constitutionnelles l'intéressaient.

« Jamais pays ne fut plus mûr pour la dictature que ne l'était la France (en l'an VII) », écrit Vandal (21). La situation intérieure de la République était inextricable. Les conseils se combattaient, tout en combattant le Directoire. Au sein de l'exécutif, la majorité n'était que de circonstances. Dans le pays, les clubs royalistes et républicains ajoutaient encore à la confusion politique due à l'incapacité des administrations locales. À l'extérieur, même si leurs positions commençaient à se redresser, les armées françaises n'en menaient pas large. Leurs chefs étaient divisés sur la tactique à suivre, tout en menaçant de leur puissance les autorités civiles. Hors des frontières, les partisans du comte de Provence observaient

la situation avec gourmandise et n'attendaient que le moment propice ­ et pourquoi pas les prochaines élections ? ­ pour porter au pouvoir le prétendant. Qu'en pensait le pays réel ? C'est difficile à dire car les études de fond manquent. On doit se rabattre, pour connaître l'état de l'opinion, sur les rapports des autorités administratives. La plupart des historiens pensent que la population aspirait, dans son ensemble, à une plus grande stabilité. Or, la République n'avait pas démontré ­ c'est le moins qu'on puisse dire ­ sa capacité à rétablir et à assurer l'ordre. On se tournait alors insensiblement vers le royalisme, faute de mieux. Les opposants et les fatigués de la Révolution se fédéraient autour de l'idée qu'une restauration pourrait permettre le retour à une vie plus tranquille, à la jouissance de la paix retrouvée ­ avec la démobilisation des jeunes hommes enrôlés (22) ­, sans parler de la liberté des cultes. Au début du XXe siècle, Aulard a montré dans ses nombreuses publications à quel point l'idée royaliste progressait dans les esprits, simplement pour les promesses supposées dont elle était porteuse (23).

Cette dérive de l'opinion inquiétait les partisans de la République, hommes en places, patriotes sincères, acheteurs de biens nationaux. Il fallait tenter quelque chose pour ramener l'ordre sans revenir sur les acquis de la Révolution. Mais la constitution de l'an III, décidément mal faite, rendait impossible une telle tentative, tant le clan des républicains était divisé. L'idée d'un nouveau coup d'État s'imposait comme une issue normale, pour ne pas dire habituelle. Et tous ceux qui y pensaient ne pouvaient que se tourner vers Sieyès. Ainsi, l'ancien grand vicaire de Chartres put bientôt compter ses amis et alliés.

Pour parvenir à réformer le régime, Sieyès avait besoin de la force car les procédures de révision de la constitution étaient trop compliquées et trop longues pour être efficaces. La seule force capable d'appuyer les projets du « Grand Prêtre » était l'armée. « Donnez-moi une épée ! », disait-il alors. Mais si l'appui de l'armée était indispensable, il fallait qu'une fois le coup d'État réalisé, elle accepte, comme on dit aujourd'hui, de rentrer dans ses casernes. Dès l'affaire de Fructidor réglée, la veillée d'armes qui devait conduire, deux ans plus tard, au coup d'État de Bonaparte et de Sieyès avait commencé.

Le 21 novembre 1797, Sieyès fut élu président du Conseil des Cinq-Cents. Son heure semblait avoir sonné. Cinq jours plus tard, Bonaparte ­ qui avait quitté Milan et l'Italie le 17 novembre ­ arrivait à Rastadt pour participer aux négociations de paix. T.L.




(1) Si on considère que la Révolution va de 1789 à 1799 (ce qui est à notre sens trop simplificateur, car le Consulat et les trois premières années de l'Empire pourraient être considérées comme faisant partie intégrante du grand choc de la fin du XVIIIe siècle), le Directoire représente près de la moitié de la période. Il n'en a pas été plus étudié pour autant, le grand ouvrage de référence demeurant fort ancien (L. Sciout, Le Directoire, Paris, 1895-1897, 4 vol.). Plus près de nous, on doit citer les études plus accessibles de A. Mathiez (Le Directoire. Du 11 brumaire an IV au 18 fructidor an V, Paris, 1934) ; G. Lefebvre (Le Directoire, Paris, 1970) ; D. Woronoff (La République bourgeoise, de Thermidor à Brumaire, Paris, 1972) ; J. Godechot (La vie quotidienne en France sous le Directoire, Paris, 1977). Dans les grandes synthèses publiées dans la collection « Que sais-je ? », il n'est pas sans intérêt de comparer les versions du titre Le Directoire et le Consulat, successivement rédigées par A. Soboul et J. Tulard. Plus récemment, l'ouvrage collectif 1797. Pour une République sans Révolution (Presses Universitaires de Rennes, 1996), a revisité la naissance du régime directorial.

(2) Bonaparte jacobin aux yeux de ses contemporains ? Tout, dans son comportement le laissait supposer. Ses écrits publics, du Discours de Lyon au Souper de Beaucaire, étaient ceux d'un ardent républicain, ennemi des fédéralistes (voir notre article « Essai sur les écrits de jeunesse de Bonaparte », Revue du Souvenir Napoléonien, mai-juin 1994, pp. 5-10). Son amitié pour Augustin Robespierre, pour Fréron ou son compatriote corse Salicetti, les conditions du départ de sa famille de l'île de Beauté, sa détention comme complice des terroristes après Thermidor le désignaient comme partisan du gouvernement révolutionnaire.

(3) On ignore si Bonaparte était, à l'époque, gêné par la réputation sanguinaire de Fréron qu'il dénonça à plusieurs reprises dans le Mémorial. « Il pue le crime », disait de lui Isnard, en parlant de la sanglante répression des soulèvements fédéralistes et royalistes du midi. La flamme de Fréron pour Pauline, si elle ne fut pas platonique, ne donna rien de bon pour l'amoureux : pour s'en débarrasser, la soeur du Premier Consul le fit nommer sous-préfet de Saint-Domingue où il mourut de la fièvre jaune, en 1802.

(4) Selon le découpage retenu par A. Soboul, Le Directoire et le Consulat, « Que sais-je ? », p. 22.

(5) J.J. Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France, de 1789 à nos jours, Paris, 1977, p. 94.

(6) Voir J.-P. Champagnac, Quiberon. La répression et la vengeance, Paris, 1989.

(7) Révolution et contre-Révolution en France, Paris, 1991, p. 327.

(8) D. Woronoff, La république bourgeoise, p. 31.

(9) Cité par M. Gaucher, La révolution des pouvoirs, Paris, 1995, p. 128.

(10) D'autres dispositions constitutionnelles visaient à empêcher la répétition d'événements tels que ceux que la France avait connus depuis 1789. L'organisation administrative de Paris était éclatée entre les arrondissements, avec une administration centrale contrôlée par l'exécutif. La publicité des travaux des conseils était réduite au minimum. Les conseils pouvaient échapper à l'échauffement de la populace en décidant de siéger hors de Paris (ce qui allait avoir une importance capitale en Brumaire an VIII). Les clubs étaient autorisés, mais ne pouvaient correspondre entre eux ou se fédérer. Pour protéger les organes constitutionnels, des gardes particulières étaient organisées. Le Directoire jouissait, enfin, de pouvoir de crise.

(11) Le Directoire et le Consulat, p. 30. De telles affirmations ont encore été développées par J. Bruhat, Gracchus Baboeuf et les Égaux ou le premier parti communiste agissant, Paris, 1978 ou, bien sûr, C. Mazauric, Baboeuf, Paris, 1988. En sens inverse, R. Dautry a montré à quel point Baboeuf était obsédé par le métier de conspirateur et comment il trouva dans l'utopie des Égaux une cause bonne à défendre (« Le pessimisme économique de Baboeuf et l'histoire des utopies », Annales Historiques de la Révolution Française, 1961, pp. 215-233).

(12) Voir O. Blanc, Les espions de la Révolution et de l'Empire, Paris, 1995.

(13) Voir G. Antonetti, Louis-Philippe, Paris, 1995.

(14) A. Challamel, Les clubs contre-révolutionnaires, Paris, 1895, p. 483.

(15) Voir E. Sparrow, « The swiss and the swabian agencies. 1795-1801 », The Historical Journal, 1992, pp. 861-884.

(16) À partir de 1797, le club de Clichy fut concurrencé par celui de Salm, du nom de l'hôtel particulier qui accueillait ses réunions, officine bien plus modérée qui finit par attirer des clichyens raisonnables qui rejoignirent ainsi Germaine de Staël, Benjamin Constant, Talleyrand et François de Neufchâteau.

(17) Voir J. Godechot, La vie quotidienne en France sous le Directoire, pp. 190 et suivantes.

(18) A. Soboul, op. cit., p. 44.

(19) J. Tulard, La France de la Révolution et de l'Empire, Paris, 1995, p. 95.

(20) J.-D. Bredin, Sieyès. La clé de la Révolution française, Paris, 1988, p. 390.

(21) L'avènement de Bonaparte, t. I, p. 216.

(22) L'insoumission, la désertion, voire les mutineries se développaient lors des appels de conscrits.

(23) Aulard a réuni des centaines de pièces (rapports de police ou d'autorités administratives, discours, papiers divers) et les a présentées dans plusieurs études dont : Paris sous le Consulat (4 vol.), État de la France en l'an VIII et en l'an IX. Paris pendant la réaction thermidorienne et le Directoire.


Le culte et le clergé furent au centre du jeu de bascule du Directoire. En avril 1797 , la victoire de la droite aux élections entraîne un renouveau officiel de la pratique religieuse qui sera presque général en juin mais qui ne durera pas. « La religion paraît et l'athéisme disparaît ». B.N., photo Tallandier.


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