Revue du Souvenir Napoléonien
n° 410
DE MANTOUE À TOLENTINO JUIN 1796-FÉVRIER 1797
DE MANTOU A TOLENTINO JUIN 1796 - FEVRIER 1797
Nous avons traité dans le n° 406 la première partie de la campagne d'Italie en nous inspirant du cours (non publié) de tactique militaire professé en 1913 par le capitaine Corda à l'École militaire de l'Artillerie, dont nous avons dit l'exceptionnel intérêt dû à sa date qui marque l'apogée des études de la tactique napoléonienne.
Cette première partie définie comme « l'offensive de Bonaparte » s'articule en trois actes : la manoeuvre de Montenotte, la conquête du Piémont-Cherasco, la conquête de la Lombardie-Lodi. Le 10 avril 1796 l'Autrichien Beaulieu attaque à Voltri. Le 3 juin, le même Beaulieu s'enfuit dans le Tyrol, laissant une garnison dans Mantoue. En un peu plus de cinquante jours, Napoléon a fait la preuve de son génie militaire.
La deuxième partie de la campagne sera plus longue et s'étendra de la fin juillet au début de février 1997 quand, le 2 de ce mois, Wurmser capitulera dans Mantoue. Cette deuxième partie appelée par le capitaine Corda « l'attente stratégique à Mantoue » comporte quatre actes sous deux chefs autrichiens :
1re offensive de Wurmser : Castiglione,
2e offensive de Wurmser : Bassano,
1re offensive d'Alvinczy : Arcole,
2e offensive d'Alvinczy : Rivoli.
Dans cette partie, l'offensive est naturellement le fait des Autrichiens puisque les Français occupent leurs possessions italiennes et, à chaque fois, la contre-offensive de Napoléon se soldera par une victoire. La dernière, Rivoli, est une des plus retentissantes par ses effets et une des plus belles par sa conception et son exécution de toute la carrière napoléonienne.
Le tableau synoptique fait apparaître l'ampleur de la lutte que le Directoire livre à l'Europe. Pendant que Bonaparte fait la guerre en Italie mais y fait aussi de la politique au grand dam des Directeurs, on se bat en Allemagne.
Mais les succès y sont suivis par des retraites que les talents de Moreau, Kléber et Desaix évitent de transformer en échecs. On lutte contre les Anglais en Corse et sur mer. On tente l'expédition d'Irlande et on soutient l'insurrection polonaise. Ainsi se confirme en cette année 1796 la lutte de la France contre les Alliés, sur terre et sur mer, que Napoléon au pouvoir ne fera que continuer. Ce n'est pas, quoi qu'on en ait pu dire avec d'abusives et insupportables comparaisons avec un certain dictateur du XXe siècle, le Premier Consul devenu Empereur qui décida un jour de conquérir le continent.
Si l'armée d'Italie avait rempli une partie de sa tâche en rejetant les Autrichiens au-delà de l'Adige, les armées du Rhin n'étaient pas encore entrées en campagne, et Bonaparte attendait en vain les renforts qu'il réclamait au Directoire. Sur ses instances, l'armée du Rhin et Moselle s'ébranla enfin aux derniers jours de juin, mais il était déjà trop tard : l'Autriche renonçant à l'offensive en Alsace, avait pu rappeler du Haut-Rhin le maréchal Wurmser avec 30 000 hommes et porter ainsi à 50 000 hommes l'effectif des forces qui allaient opérer en Italie.
Plan de Bonaparte
En face d'un ennemi aussi supérieur en nombre, Bonaparte ne pouvait pas songer à continuer l'exécution du projet primitif de la campagne, se porter en Bavière par le Tyrol ; il lui fallait d'abord battre Wurmser qui allait chercher à débloquer Mantoue.
Gouvion Saint-Cyr juge le Directoire
On ne dira jamais assez la valeur des Mémoires du maréchal Gouvion Saint-Cyr que Thiers estimait les meilleurs de tous ceux écrits par les maréchaux et au tout premier rang pour l'exposé des opérations et leur explication. Peu lus à cause de leur technicité, de l'absence totale d'anecdotes, du style austère et du ton volontairement détaché (le maréchal ne parle de lui qu'à la troisième personne), ils ne sont pas avares de jugements sévères, comme celui-ci à l'été 1796 * :
« Il faut se faire une juste idée, je ne dirai pas des ordres, mais des instructions volumineuses qui arrivaient aux généraux en chef ; les membres d'un gouvernement nouveau et mal assuré avaient alors à s'occuper de bien d'autres choses que de méditer des plans de campagne, s'ils avaient été en état d'en faire. Ils avaient créé le dépôt de la guerre dont le général Clarke était le directeur ; il avait attiré près de lui quelques généraux et officiers supérieurs, qu'à tort ou à raison on laissait sans emploi, la plupart pouvant connaître la théorie de la guerre, mais non la pratique. Ces officiers désirant se faire employer et donner une idée de leurs connaissances, présentaient, par l'entremise de Clarke, des plans de campagne à Carnot, pour les armées d'Allemagne ou d'Italie. Celui-ci, quand il en avait le temps, feuilletait ces projets, et faisait adopter facilement par ses collègues, tout ou partie de ceux qu'il jugeait les meilleurs. De ce fatras d'idées, souvent incohérentes, sortaient ces pages d'instructions, d'autant plus abondantes que les affaires allaient mieux, et d'autant plus rares qu'elles allaient plus mal. Elles étaient adressées aux généraux qui se trouvaient sur les lieux, en présence des armées ennemies, et sous tous les rapports plus à portée de connaître ce qu'il était convenable de faire. En supposant que les dispositions prescrites eussent été bonnes au moment où elles avaient été conçues, elles étaient presque toujours inexécutables au moment de leur arrivée à l'armée. D'ailleurs tel système de guerre, qui aurait été approprié au caractère ou à la capacité de tel général, ne convenait plus à celui auquel on en imposait l'exécution. Ainsi, sous tous les rapports, les instructions adressées au nom du gouvernement, ne faisaient qu'augmenter l'embarras des généraux qui avaient la faiblesse d'y attacher de l'importance. Bonaparte qui connaissait mieux que les autres l'origine ou la fabrique de ces instructions (car il y avait quelquefois travaillé lui-même), n'en fit jamais aucun cas, quand il se vit chargé du commandement d'une armée. »
* Mémoires sur les campagnes des armées du Rhin et du Rhin-et-Moselle, 1829, t. 3, pp. 109-110.
Dans ces conditions, il établit au début de juillet, son armée en attente autour de Mantoue, de manière à intercepter les routes par où pourrait se produire l'offensive autrichienne :
Sauret (4 000 hommes), à Salo, barre la route de la Chiese,
Masséna (7 500 hommes), à la Corona, barre celle de l'Adige,
Despinoy à Peschiera, Augereau à Legnagno, surveillent le Bas-Adige avec 18 000 hommes,
enfin Sérurier avec sa division fait le siège de Mantoue.
La masse de manoeuvre, placée à Valeggio, sous Kilmaine (3 000 hommes), comprend la cavalerie et la réserve d'artillerie ; la faiblesse de son effectif et l'étendue de la zone de surveillance n'ont pas permis à Bonaparte de garder de l'infanterie en réserve.
Mais les divisions sont peu distantes entre elles et les communications sont faciles : chacune d'elles occupe une position très forte qui lui permettra de résister jusqu'à ce qu'elle soit secourue.
L'armée a deux lignes de communication, l'une par Brescia et Milan, l'autre par Crémone et Plaisance, qui se réunissent à Tortone, et se dirigent de là sur Nice par Coni.
La zone d'opérations de l'Adige est extrêmement favorable à cette attente stratégique que la situation impose à Bonaparte. Les obstacles du terrain (Monts Lessini, lac de Garde), qui s'allongent dans le sens de la marche des Autrichiens, sépareront absolument leurs colonnes jusqu'à ce qu'elles aient atteint les environs immédiats de leur objectif : Mantoue.
Plan de Wurmser
Beaulieu a été relevé de son commandement et remplacé par Wurmser (soixante-douze ans), qui dispose de 50 000 hommes.
Wurmser, arrivé à Trente depuis le milieu de juillet, veut profiter de sa supériorité numérique pour envelopper les Français et couper leur ligne de retraite. Il divise son armée en deux masses principales qui descendront, l'une sous Quasdanovitch (25 000 hommes) par la vallée de la Chiese, l'autre (25 000 hommes) sous son commandement direct, par la vallée de l'Adige. Meszaros, avec 5 000 hommes fera une démonstration vers le bas-Adige.
1re Offensive de Wurmser : La Manoeuvre de Castiglione
Le 29 et le 30 juillet, l'attaque se produit presque simultanément sur tous nos corps de couverture : c'est ainsi que Bonaparte apprend successivement : que Masséna refoulé de la Corona a dû se replier sur Rivoli, puis sur Castelnovo ; que l'ennemi a paru sur la rive gauche de l'Adige à Vérone ; que le général Sauret battu à Salo, a dû se replier sur Desenzano, laissant le général Guien dans une situation critique ; enfin que les Autrichiens occupent Brescia, menaçant ainsi la ligne de communication de l'armée.
La situation est grave : faisant d'abord secourir Masséna devant qui semble se dessiner l'attaque la plus sérieuse, par Kilmaine et d'autres fractions disponibles, Bonaparte décide de rassembler toutes ses forces en position centrale entre la Chiese et le Mincio, et pour avoir tout son monde il n'hésite pas à ordonner la levée du siège de Mantoue : Sérurier devra au besoin brûler l'équipage de siège et aller occuper Marcaria sur l'Oglio pour couvrir la route de Plaisance.
La première tâche qui s'imposait, c'était de reprendre Brescia pour rouvrir la ligne de communication par le Nord, l'occupation de cette place menaçant l'armée d'une perte totale en cas d'échec sur le Mincio : ne laissant donc sur cette rivière que de simples arrières-gardes destinées à contenir Wurmser, Bonaparte se dirigea avec sa masse principale contre Quasdanovitch. Celui-ci avait éparpillé ses forces ; ses différentes colonnes furent battues à Lonato (1er combat) à Salo, et nous pûmes rentrer dans Brescia.
La bataille de Castiglione
La situation étant alors dégagée, Bonaparte ramène toutes ses forces contre Wurmser qu'il rencontre entre Solférino et Castiglione, le 5 août.
L'ennemi avait pris position face à l'ouest, à cheval sur la route de Brescia à Mantoue, sa droite sur les hauteurs de Solférino, sa gauche dans la plaine.
La bataille de Castiglione est l'exemplaire parfait du type idéal de bataille de Napoléon :
1) combat de front par Augereau et Masséna,
2) attaque de flanc par la division Sérurier rappelée en toute hâte de Marcaria par Guidizzolo,
3) attaque décisive par la réserve de Kilmaine (3 bataillons grenadiers, artillerie à cheval de Marmont, 1 brigade de cavalerie) lancée au moment où l'attaque de revers de Sérurier a porté la démoralisation dans l'armée ennemie.
Toutes les forces concourent à la bataille,
c'est la victoire (30 000 Français contre 25 000 Autrichiens).
Obligé de battre en retraite, Wurmser repasse le Mincio où il songe à tenir tête de nouveau, puis finalement par l'Adige, remonte jusqu'à Trente, après avoir fait sa jonction avec Quasdanovitch.
L'armée française victorieuse, mais épuisée par huit jours de marches excessives, et incapable de poursuivre, se répartit autour de Vérone.
Sur ces entrefaites, Wurmser nous croyant en retraite, s'était d'abord dirigé sur Mantoue où il avait fait une entrée triomphale et heureusement pour nous, au lieu de nous serrer de près, il s'était attardé à ravitailler la place. Cependant le 2 août, ayant appris l'échec de son lieutenant, il s'était décidé à se porter à sa rencontre, et franchissant facilement le Mincio à Peschiera avait poussé son avant-garde jusqu'à Castiglione.
Mais bien que Quasdanovitch de son côté ait cherché aussi à le rallier, la jonction ne peut s'opérer : le lendemain en effet tandis que sa propre avant-garde est battue par Augereau (1er combat de Castiglione), son lieutenant voit la sienne presque détruite à Lonato (2e combat) par Masséna, et son corps principal refoulé définitivement au nord, par Sauret et Despinoy.
Aussi cette journée du 3 août dont les différents combats portent dans leur ensemble le nom de bataille de Lonato, assurait par la déroute de leurs avant-gardes, la séparation définitive des colonnes autrichiennes.
Commentaires
1) Napoléon dans ses commentaires a fait lui-même la critique du plan de Wurmser : c'était une faute que de diviser ses forces en deux masses n'ayant entre elles aucune communication, vis-à-vis d'une armée centralisée et qui avait toute facilité de se mouvoir. De plus, ce fut une deuxième faute que de substituer les différents corps de chaque masse et de leur donner des objectifs distincts.
Une armée doit donc toujours tenir ses colonnes réunies. Si, pour une raison quelconque, on s'écarte de ce principe, il faut, dit Napoléon, que les corps détachés soient indépendants, et se dirigent pour se réunir vers un point fixe sur lequel ils peuvent marcher sans hésiter et sans nouveaux ordres.
2) Du côté français on ne saurait trop admirer l'esprit de décision et la rapidité de mouvement de Bonaparte. Son activité dans cette période dite « campagne des Cinq jours » fut extraordinaire, il fut partout à la fois et creva cinq chevaux. D'ailleurs cette rapidité de mouvement que nous retrouverons dans presque toutes les campagnes de Napoléon, et qui est une des caractéristiques de son système de guerre, est à vrai dire la condition indispensable du succès lorsqu'on manoeuvre par lignes intérieures. On ne peut vaincre dans ces conditions, qu'en se mouvant très vite, qu'en attaquant toujours quelque part, mais toujours sur un seul point à la fois et avec le maximum de ses forces réunies.
3) Il faut dire qu'aussi ses troupes le secondaient merveilleusement et qu'il eut le talent d'obtenir d'elles des efforts prodigieux, ce qui n'est pas un des moindres côtés de son génie ni une des moindres preuves de l'ascendant moral qu'il exerçait sur tous ceux qui l'approchaient.
4) On a vivement reproché à Bonaparte d'avoir ordonné la levée du siège de Mantoue et la destruction d'une partie du matériel de siège. La décision était évidemment très grave. Mais là encore, comme partout, il a sacrifié tout au but principal, sauver son armée elle-même et il s'est conformé en cela à un principe émis par lui : « quand vous voulez livrer une bataille, rassemblez toutes vos forces, n'en négligez aucune ; un bataillon décide quelquefois d'une journée ».
Il est évident néanmoins, comme certains critiques l'ont fait remarquer, qu'il aurait eu le temps avant l'arrivée de Wurmser, de faire évacuer une grande partie de ce matériel ; alors qu'en s'en privant il ne va plus pouvoir continuer l'attaque régulière de Mantoue et sera obligé de la faire dégénérer en un blocus qui a duré jusqu'en février 97.
Gouvion Saint-Cyr
juge Napoléon
Napoléon et Gouvion Saint-Cyr s'ils s'estimaient ne s'aimaient guère. Resté d'esprit républicain et s'accommodant davantage d'un pouvoir constitutionnel (il fut un grand ministre de la Guerre sous la Restauration) que d'un pouvoir dictatorial, le maréchal se montra critique des comportements très souvent, et parfois des décisions militaires, de Napoléon. Dans cet extrait *, il conteste la décision d'abandonner l'artillerie de siège de Mantoue.
« Ce fut à peu près à cette époque que les Autrichiens firent répandre dans toute l'Allemagne, l'annonce de succès que Wurmser aurait obtenus sur notre armée d'Italie ; ils eurent un soin tout particulier d'en prévenir nos avant-postes. Wurmser avait en effet commencé ses opérations ; il débouchait en Italie à la tête d'une armée meilleure que celle de son prédécesseur Beaulieu. Il n'aurait eu cependant que des succès éphémères, s'il n'était parvenu à s'emparer du parc d'artillerie de siège que les Français abandonnèrent devant Mantoue, et à ravitailler cette place dont il augmenta la garnison.
Je pense que des observations sur un fait aussi important ne seront pas déplacées ici ; elles tendent à relever une erreur causée par une admiration irréfléchie envers un homme supérieur. On a voulu faire passer l'abandon du parc de siège devant Mantoue, pour un de ces traits de génie si nombreux dans sa carrière militaire : cependant un général en chef a toujours les moyens de connaître l'approche d'une armée qui se dirige sur lui ; elle ne vient pas à vol d'oiseau, ni avec la rapidité d'un ouragan. Celle de Wurmser a mis six semaines pour arriver des bords du Rhin à Trente. Toute l'Europe a connu son départ et calculé à l'avance l'époque précise où elle pouvait déboucher en Italie ; le Directoire qui en a été informé aussitôt, n'a pas manqué d'en prévenir Bonaparte ; enfin il est impossible de douter qu'il n'ait connu ce grand mouvement, longtemps avant qu'il ne fut achevé. On ne saurait s'expliquer le motif pour lequel il n'a pas éloigné son parc de siège, ayant si bien le temps nécessaire. On l'a fait parler sur ce sujet, comme sur tant d'autres, avec peu de raison. Dernièrement encore, un écrivain lui a fait tenir ce langage : « Le siège de Mantoue fut levé en laissant cent quarante canons dans les tranchées. J'eus bientôt lieu de m'applaudir de m'être mis au-dessus du préjugé des généraux vulgaires, qui regardent des canons comme des reliques, à la conservation desquels ils attachent leur honneur. Autant cela est naturel à un officier d'artillerie, qui doit considérer sa batterie comme un drapeau, autant cela est absurde dans un chef d'armée, etc. (1) ».
Il ne s'agit pas ici de quelques pièces de bataille qu'on se permet souvent d'exposer légèrement, et dont la perte est de peu d'importance ; mais d'un parc de siège, dont les canons ne sont que la plus faible partie, et qui se compose en outre de plates-formes, de nombreux affûts de rechange, de fers coulés, et enfin de munitions et de voitures de toute espèce. Cela forme un ensemble si considérable, que peu d'armées en ont à leur suite. Les deux armées d'Allemagne n'en avaient point ; celle du Rhin n'avait pas même une pièce de 12. Il a fallu des circonstances bien heureuses, telles que l'occupation de toutes les places du Piémont, pour que celle d'Italie possédât un parc aussi considérable ; et puisqu'il eût été facile de le conserver, au moyen du temps que l'on avait eu pour l'évacuer, avant l'arrivée de Wurmser, on ne peut s'empêcher de reconnaître que c'était une faute de ne l'avoir pas fait. Il en résulta que l'armée d'Italie fut obligée de ne pas s'éloigner de Mantoue, pendant le reste de l'été, tout l'automne et une partie de l'hiver. L'ennemi eut le temps de faire d'autres tentatives pour délivrer cette place ; ce qui amena plusieurs batailles sanglantes où l'armée française s'acquit une nouvelle gloire, mais où elle éprouva de grandes pertes, qui jointes à celles occasionnées par les exhalaisons pestilentielles des marais de Mantoue, la réduisirent tellement, qu'on dut affaiblir les armées d'Allemagne pour la renforcer, et la mettre en état de continuer la guerre. »
* Mémoires sur les campagnes...1829, op. cit., t. 3, pp. 112-115.
(1) Napoléon au Tribunal de César, etc., tome I, p. 126.
2e Offensive de Wurmser : La manoeuvre de Bassano
Sur ces entrefaites, l'armée d'Allemagne commandée par Moreau s'étant avancée sur le Lech, le Directoire invita l'armée d'Italie à la rejoindre par le Tyrol. Mais auparavant Bonaparte voulut se débarrasser de Wurmser qui disposait encore de forces considérables, et occuper Trieste, le plus grand port autrichien, et centre d'opérations d'où le feld-maréchal pouvait chercher à débloquer Mantoue et se jeter sur nos derrières.
Pour cela il imagine la manoeuvre de Bassano : remontant l'Adige avec toutes ses forces il se portera d'abord sur Trente comme s'il voulait rejoindre Moreau sur la route d'Innsbrück. Wurmser ne pouvant se laisser cerner dans les montagnes et d'autre part étant amené fatalement, pour la subsistance de son armée, à en reporter la plus grande partie dans les plaines vénitiennes par la vallée de la Brenta, Bonaparte prévoit qu'il cherchera à couvrir Trieste ou même qu'il cèdera à la tentation de se porter sur le Bas-Adige et de vouloir débloquer Mantoue. Descendant alors de Trente sur Bassano à la suite des Autrichiens, l'armée française exécutera contre eux une manoeuvre sur les derrières qui les coupera de Trieste et les fera se repentir de leur imprudence.
Exécution de la manoeuvre
À la fin du mois d'août, saisissant le moment où Wurmser commence à mettre ses corps en route vers la Brenta, Bonaparte prend l'offensive vers le Tyrol.
Tandis que Kilmaine avec 3 000 hommes est laissé sur le Bas-Adige pour couvrir entre Vérone et Lognagno, le blocus de Mantoue confié à Sahuguet (avec 20 000 hommes), le reste des forces disponibles (32 000 hommes) est jeté sur Roveredo et Trente, chaque division par le chemin le plus court.
Vaubois par la vallée de la Chiese.
Masséna et Augereau par la vallée de l'Adige.
Les 3 et 4 septembre les Autrichiens sont culbutés à Mori, Serravallo et Roveredo, et le 5, l'armée française entre à Trente, ayant fait en trois jours plus de 10 000 prisonniers.
Là, Bonaparte apprend qu'il ne s'est pas trompé dans ses prévisions, que Wurmser, ne laissant qu'un détachement de 20 000 hommes aux ordres de Davidovitch pour la garde du Tyrol, a descendu la Brenta avec tout le reste de ses forces (30 000 hommes). Rien ne pouvait lui favoriser davantage la manoeuvre qu'il avait projetée.
Il s'élance donc aussitôt à la poursuite du corps principal autrichien, tandis que Vaubois est chargé de contenir Davidovitch et de couvrir l'occupation du noeud important de communications de Trente.
À cette nouvelle, Wurmser qui a songé un moment à retourner sur ses pas pour secourir son lieutenant, se hâte de sortir des gorges de la Brenta et de prendre sa ligne de communication sur Trieste. Puis persuadé que Bonaparte veut rejoindre Moreau, il lance déjà une de ses divisions sur Vérone dans l'espoir de débloquer Mantoue.
Mais bientôt la marche foudroyante de l'armée française sur ses talons le déconcerte : son arrière-garde est atteinte et battue le 7 à Primolano; le 8, n'ayant plus sous la main que deux divisions, il veut nous arrêter à Bassano et subit un échec complet. Coupé du Frioul, il essaye avec les débris de son armée de rejoindre la division portée sur Vérone, et après avoir, par une chance inespérée, surpris le passage de l'Adige à Legnagno, se précipite vers Mantoue. Il échappe à Masséna qui a cherché à le gagner de vitesse par Ronco, et parvient à entrer dans la place.
Avec les 30 000 hommes dont il dispose alors, il essaie de tenir la campagne, mais les combats de Saint-Georges, les 13 et 14 septembre, le rejettent définitivement dans Mantoue.
Commentaires
1) Malgré l'expérience de sa première campagne, Wurmser eut encore le tort de diviser ses forces, ce qui eut pour résultat de le faire battre en détail.
2) Quant à Bonaparte, n'a-t-il pas commis la même faute que Wurmser, en se portant sur Trente, en 2 colonnes séparées par le lac de Garde ?
Napoléon s'est chargé lui-même de répondre à cette critique, en faisant observer que d'abord, ses colonnes avaient des directions convergentes, se rapprochant chaque jour davantage ; qu'ensuite ses forces étaient en fait réunies à Serravallo avant de marcher sur Roveredo ; qu'enfin il s'avançait en pays de montagnes, dans un terrain où la résistance des têtes de colonnes entrait seule en jeu, tandis qu'au contraire Wurmser allait déboucher en plaine.
Ainsi réussit-il, et on peut admettre que l'exécution corrigea ce que la conception avait peut-être de défectueux : ce qui prouve qu'à la guerre il n'y a rien d'absolu et que Napoléon tout en étant formel au sujet des principes admet qu'on puisse s'en écarter dans certaines circonstances.
3) Enfin on a reproché à Bonaparte le côté dangereux de son mouvement par la Brenta.
Ce à quoi il a répondu plus tard : « On ne peut pas dire que cette marche fût sans danger, mais il y en avait peu ».
Vainqueur, il retrouvait sa communication directe avec Vérone et Mantoue. Vaincu, il l'aurait reprise par le nord du lac de Garde et la Chiese, sur Brescia ; « cette opération était donc conforme à toutes les règles de la guerre, audacieuse il est vrai, mais bien raisonnée » (1).
Néanmoins il est permis de reconnaître que si Davidovitch avait culbuté Vaubois à Trente, l'armée française se fût trouvée dans une situation critique. Bonaparte s'est trouvé conduit à un tel mouvement par une succession de mesures sages, régulières et prudentes ; tout autre que lui y eût peut être succombé.
1re Offensive d'Alvinczy : La manoeuvre d'Arcole
Alvinczy successeur de Wurmser essaye une troisième fois avec 50 000 hommes de débloquer Mantoue ; mais il commet la faute de prendre encore deux lignes d'opérations distinctes :
Alvinczy, par le Frioul, Davidovitch son lieutenant, par la vallée de l'Adigo (2).
Les opérations les plus importantes se passèrent autour de la position de Caldiero où s'était concentré Alvinczy. Ne pouvant le débusquer de front, Bonaparte manoeuvre, en essayant de le tourner par Arcole et Villa Nova et en contournant toute une région marécageuse.
Pendant trois jours on se battit avec fureur sur des chaussées étroites formant digues au milieu des marais (15, 16, 17 novembre). Le pont d'Arcole résistait à toutes nos attaques ; Bonaparte s'élançant un drapeau à la main, malgré les balles et la mitraille, entraîne par son exemple ses grenadiers, et après 72 heures d'une lutte acharnée, Alvinczy était forcé de retraiter, ayant perdu l'élite de ses troupes.
2e Tentative d'Alvinczy : La manoeuvre de Rivoli
Deux mois après, en janvier 1797, Alvinczy redescendait de nouveau la vallée de l'Adige, tandis que deux de ses lieutenants venaient du Frioul, attaquaient directement Vérone et Legnagno.
Bonaparte négligeant les lieutenants, réunit tout ce qu'il peut et se porte au devant de l'attaque principale, celle d'Alvinczy pour l'arrêter à Rivoli (14 janvier) (3).
Il n'avait que 25 000 hommes, mais possédait la supériorité en artillerie.
Alvinczy attaque en 5 colonnes dont la cinquième celle qui comprenait toute son artillerie suivait la route du fond de la vallée. Bonaparte concentre tous ses efforts sur cette seule colonne qui pour prendre pied sur le plateau avait à gravir une série de lacets très dures (l'escalier d'Incanale) ; il la rejette en désordre au fond du ravin et fait subir à Alvinczy un sanglant désastre.
Puis, lançant à sa poursuite un de ses généraux, il se retourne avec toutes ses forces disponibles contre le général Propera lieutenant d'Alvinczy, qui allait atteindre Mantoue et le bat à La Favorite (16 janvier) aux portes de la place ; 15 jours après Wurmser à bout de ressources capitulait le 2 février.
On peut laisser au colonel Camon le mot de la fin :
« Telle est cette admirable campagne, où Bonaparte fait tourner à son avantage une situation des plus critiques par la décision avec laquelle il prend à temps le parti de lever le blocus de Mantoue, puis de rassembler toutes ses forces en position centrale à la pointe sud du lac de Garde.
« Très justement, après la campagne, il répondra à Gohier qui le félicite d'avoir pu, avec de moindres forces, en battre de plus considérables :
Lorsque, avec de moindres forces, j'étais en présence d'une grande armée, groupant avec rapidité la mienne, je tombais comme la foudre sur l'une de ses ailes et je la culbutais. Je profitais ainsi du désordre que cette manière ne manquait jamais de mettre dans l'armée ennemie, pour l'attaquer dans une autre partie, toujours avec mes forces. Je la battais ainsi en détail, et la victoire qui en était le résultat était toujours, comme vous le voyez, le triomphe du grand nombre sur le petit. »
(1) Napoléon, Observations sur la campagne de 1796.
(2) Alvinczy comme Wurmser commettra deux fois la faute de prendre deux lignes d'opérations distinctes et fera ainsi battre des troupes en détail et successivement.
(3) Les troupes de Bonaparte fournirent pendant cette période des efforts extraordinaires : c'est ainsi que du 13 au 16 janvier la division Masséna livra trois combats, et marcha un jour et deux nuits parcourant 86 kilomètres.





|