La signature du traité définitif eut lieu au château de Campoformio le 17 octobre. Sa publication apprit à l'Europe le sort de la république de Venise, destinée à dédommager l'Autriche de la perte de la Belgique et de la Lombardie.
Voici le texte de ce traité:
"S.M. l'empereur des Romains, roi de Hongrie et de Bohême, et la république français, voulant consolider la paix dont les bases ont été posées par les préliminaires signés au château d'Eckenwal, près de Leoben en Styrie, le 18 avril 1797, ou 20 germinal an III de la république française, une et indivisible, ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir:
S.M. l'empereur et roi, le sieur D. Martins Mastrili, noble patricien napolitain, marquis de Gallo, chevalier de l'ordre de Saint-Janvier, gentilhomme de la chambre de S.M. le roi des Deux-Siciles, et son ambassadeur extraordinaire à la cour de Vienne; le sieur Louis de Cobentzel, comte du Saint-Empire romain, grand'croix de l'ordre royal de Saint-Étienne, chambellan, conseiller d'état intime actuel de S.M.I. et R.A., et son ambassadeur extraordinaire près S.M. L'empereur de toutes les Russies; le sieur Maximilien, comte de Meerfeldt, chevalier de l'ordre teutonique et de l'ordre militaire de Marie-Thérèse, chambellan et général-major de cavalerie dans les armées de sadite majesté l'empereur et roi; et le sieur Ignace, baron de Degelmann, ministre plénipotentiaire de sadite majesté près la république helvétique;
Et la république française, Bonaparte, général en chef de l'armée française en Italie, lesquels, après l'échange de leurs pleins pouvoirs respectifs, ont arrêté les articles suivants:
Art. 1er. Il y aura à l'avenir et pour toujours une paix solide et invariable entre sa majesté l'empereur des Romains, roi de Hongrie et de Bohême, ses héritiers et successeurs, et la république française. Les parties contractantes apporteront la plus grande attention à maintenir entre elles et leurs États une parfaite intelligence, sans permettre dorénavant que, de part ni d'autre, on commette aucune sorte d'hostilités par terre ou par mer, pour quelque cause ou quelque prétexte que ce puisse être, et on évitera soigneusement tout ce qui pourrait altérer à l'avenir l'union heureusement établie. Il ne sera donné aucun secours ou protection, soit directement, soit indirectement, à ceux qui voudraient porter quelque préjudice à l'une ou l'autre des parties contractantes.
2. Aussitôt après l'échange des ratifications du présent traité, les parties contractantes feront lever tout séquestre mis sur les biens, droits et revenus des particuliers résidant sur les territoires respectifs et les pays qui y sont réunis, ainsi que des établissements publics qui y sont situés; elles s'obligent à acquitter tout ce qu'elles peuvent devoir pour fonds à elles prêtés par lesdits particuliers et établissements publics, et à payer ou rembourser toutes rentes constituées à leur profit sur chacune d'elles.
Le présent article est déclaré commun à la république cisalpine.
3. S.M. l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, renonce pour elle et ses successeurs, en faveur de la république française, à tous ses droits et titres sur les ci-devant provinces de la Belgique connues sous le nom de Pays-Bas autrichiens. La république française possédera ce pays à perpétuité, en toute souveraineté et propriété, et avec tous les biens territoriaux qui en dépendent.
4. Toutes les dettes hypothéquées avant la guerre sur le sol des pays énoncés dans les articles précédents, et dont les contrats seront revêtus des formalités d'usage, seront à la charge de la république française; les plénipotentiaires de S.M. l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, en remettront l'état le plus tôt possible aux plénipotentiaires de la république française, et avant l'échange des ratifications, afin que, lors de l'échange, les plénipotentiaires des deux puissances puissent convenir de tous les articles explicatifs ou additionnels au présent article et les signer.
5. S.M. l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, consent à ce que la république française possède en toute souveraineté les îles ci-devant vénitiennes du Levant, savoir: Corfou, Zante, Céphalonie, Sainte-Maure, Cérigo, et autres îles en dépendant, ainsi que Butrinto, Arla, Vonizza, et en général tous les établissements ci-devant vénitiens et albanais, qui sont situés plus bas que le golfe de Lodrino.
6. La république française consent à ce que S.M. l'empereur et roi possède en toute souveraineté et propriété les pays ci-dessous désignés, savoir: l'Istrie, la Dalmatie, les îles ci-devant vénitiennes de l'Adriatique, les bouches du Cattaro, la ville de Venise, les lagunes et les pays compris entre les états héréditaires de S.M. l'empereur et roi, la mer Adriatique; et une ligne qui partira du Tyrol, suivra le torrent en avant de Gardala, traversera le lac de Garda jusqu'à Lazice; de là une ligne militaire jusqu'à San-Giacomo, offrant un avantage égal aux deux parties, laquelle sera désignée par des officiers du génie nommés de part et d'autre avant l'échange des ratifications du présent traité. La ligne de limite passera ensuite l'Adige à San-Giacomo, suivra la rive gauche de cette rivière jusqu'à l'embouchure du canal Bianco, y compris la partie de Porto-Legnago qui se trouve sur la rive droite de l'Adige, avec l'arrondissement d'un rayon de trois mille toises. La ligne se continuera par la rive gauche du canal Bianco, la rive gauche du Tartaro, la rive gauche du canal dit la Polisella, jusqu'à son embouchure dans le Pô, et la rive gauche du grand Pô jusqu'à la mer.
7. S.M. l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, renonce à perpétuité, pour elle, ses successeurs et ayants-cause, en faveur de la république cisalpine, à tous les droits et titres provenant de ces droits, que sadite majesté pourrait prétendre sur les pays qu'elle possédait avant la guerre, et qui font maintenant partie de la république cisalpine, laquelle les possédera en toute souveraineté et propriété, avec tous les biens et propriétés qui en dépendent.
8. S.M. l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, reconnaît la république cisalpine comme puissance indépendante.
Cette république comprend la ci-devant Lombardie autrichienne, le Bergamasque, le Bressan, le Crémasque, la ville et forteresse de Mantoue, le Mantouan, Peschiera, la partie des états ci-devant vénitiens à l'ouest et au sud de la ligne désignée dans l'article 6 pour la frontière des états de S.M. l'empereur en Italie, le Modenais, la principauté de Massa et Carrara, et les trois légations de Bologne, Ferrare et la Romagne.
9. Dans tous les pays cédés, acquis ou échangés par le présent traité, il sera accordé à tous les habitants et propriétaires quelconques, main-levée du séquestre mis sur leurs biens, effets et revenus, à cause de la guerre qui a eu lieu entre S.M.I et R. et la république français, sans qu'à cet égard ils puissent être inquiétés dans leurs biens et personnes. Ceux qui à l'avenir voudront cesser d'habiter lesdits pays, seront tenus d'en faire la déclaration trois mois après la publication du traité définitif; ils auront le terme de trois ans pour vendre leurs biens, meubles, immeubles, ou en disposer à leur volonté.
10. Les pays cédés, acquis ou échangés par le présent traité porteront à ceux auxquels ils demeureront les dettes hypothéquées sur leur sol.
11. La navigation de la partie des rivières et canaux servent de limites entre les possessions de sa majesté l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, et celles de la république cisalpine sera libre, sans que ni l'une ni l'autre puissance puissent y établir aucun péage, ni tenir aucun bâtiment armé en guerre, ce qui n'exclut pas les précautions nécessaires à la sûreté de la forteresse de Porto-Legnago.
12. Toutes rentes ou aliénations faites, tous engagements contractés, soit par les villes, ou par les gouvernements ou autorités civiles et administratives des pays ci-devant vénitiens, pour l'entretien des armées allemandes et françaises, jusqu'à la date du présent traité, seront confirmés et regardés comme valides.
13. Les titres domaniaux et archives des différents pays cédés ou échangés par le présent traité seront remis, dans l'espace de trois mois à dater de l'échange des ratifications, aux puissances qui en auront acquis la propriété. Les plans et cartes des forteresses, villes et pays que les puissances contractantes acquièrent par le présent traité, leur seront fidèlement remis.
Les papiers militaires et registres pris, dans la guerre actuelle, aux états-majors des armées respectives, seront pareillement rendus.
14. Les deux parties contractantes, également animées du désir d'écarter tout ce qui pourrait nuire à la bonne intelligence heureusement établie entre elles, s'engagent de la manière la plus solennelle à contribuer de tout leur pouvoir au maintien de la tranquillité intérieure de leurs États respectifs.
15. Il sera conclu incessamment un traité de commerce, établi sur des bases équitables, et telles qu'elles assurent à sa majesté l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême et à la république française, des avantages égaux à ceux dont jouissent, dans tous les États respectifs, les nations les plus favorisées.
En attendant, toutes les communications et relations commerciales seront rétablies dans l'état où elles étaient avant la guerre.
16. Aucun habitant de tous les pays occupés par les armées autrichiennes et françaises ne pourra être poursuivi ni recherché, soit dans sa personne, soit dans ses propriétés, en raison de ses opinions politiques, ou actions civiles, militaires et commerciales, pendant la guerre qui a eu lieu entre les deux puissances.
17. Sa majesté l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, ne pourra, conformément aux principes de neutralité, recevoir dans chacun de ses ports pendant le cours de la présente guerre plus de six bâtiments armés en guerre, appartenant à chacune des puissances belligérantes.
18. Sa majesté l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, s'oblige à céder au duc de Modène en indemnité des pays que ce prince et ses héritiers avaient en Italie, le Brisgaw, qu'il possédera aux mêmes conditions que celles en vertu desquelles il possédait le Modénois.
19. Les biens fonciers et personnels non aliénés de LL. AA. RR. l'archiduc Charles et l'archiduchesse Christine, qui sont situés dans les pays cédés à la république française, leur seront restitués, à la charge de les vendre dans l'espace de trois ans.
Il en sera de même des biens fonciers et personnels de S.A.R. l'archiduc Ferdinand dans le territoire de la république cisalpine.
20. Il sera tenu à Rastadt un congrès uniquement composé des plénipotentiaires de l'empire germanique et de ceux de la république française, pour la pacification entre ces deux puissances. Ce congrès sera ouvert un mois après la signature du présent traité, ou plus tôt, s'il est possible.
21. Tous les prisonniers de guerre faits de part et d'autre, et les otages enlevés ou donnés pendant la guerre, qui n'auraient pas encore été restitués, le seront dans quarante jours, à dater de celui de la signature du présent traité.
22. Les contributions, livraisons, fournitures et prestations quelconques de guerre, qui ont eu lieu dans les États respectifs des puissances contractantes, cesseront à dater du jour de l'échange des ratifications du présent traité.
23. Sa majesté l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, et la république française conserveront entre elles le même cérémonial, quant au rang et autres étiquettes, que ce qui a été constamment observé avant la guerre.
Sadite majesté et la république cisalpine auront entre elles le même cérémonial d'étiquette que celui qui était d'usage entre sadite majesté et la république de Venise.
24. Le présent traité de paix est déclaré commun à la république batave.
25. Le présent traité sera ratifié par sa majesté l'empereur, roi de Hongrie et de Bohême, et la république française, dans l'espace de trente jours, à dater d'aujourd'hui, ou plus tôt, si faire se peut, et les actes de ratification en due forme seront échangés à Rastadt."
Quatorze articles secrets non moins importants que ce traité lui-même, spécifiaient les limites de la France et les concessions qui devaient en résulter. L'empereur promettait de ne point soutenir l'empire germanique, si la diète se refusait aux cessions de territoire sur la rive gauche du Rhin. La libre navigation du Rhin et de la Meuse était assurée. La France consentait à ce que l'Autriche acquît le pays de Salzbourg, et reçût de la Bavière l'Innwirtel et la ville de Wasterbourg sur l'Inn. L'Autriche cédait le Frickthal, pour être réuni à la Suisse. La France consentait à rendre les états prussiens entre la Meuse et le Rhin. Des indemnités étaient promises en Allemagne aux princes qui perdaient leurs possessions sur la rive gauche de ce fleuve.
Des Mémoires du comte Miot de Melito (1762-1841), conseiller d'État, Jean Tulard écrit dans sa Bibliographie critique qu'ils sont « une source fondamentale ». Miot envoyé en 1795 à Florence comme ministre plénipotentiaire auprès du grand-duc de Toscane, il lui fut demandé par Bonaparte en avril 1796 « de lui faire connaître l'état de l'Italie et tous les renseignements que je croirais utiles ». Il ajoute :
« Je reconnus dans son style concis et plein de mouvement, quoique inégal et incorrect, dans la nature des questions qu'il m'adressait, un homme qui ne ressemblait pas aux autres. Je fus frappé de l'étendue et de la profondeur des vues militaires et politiques qu'il indiquait et que je n'avais aperçues dans aucune des correspondances que j'avais jusque-là entretenues avec les généraux de notre armée d'Italie. Je prévis donc ou de grands succès ou de grands revers. Cette incertitude dura peu. La campagne s'ouvrit, et une série de victoires aussi éclatantes qu'imprévues, qui se succédaient avec la plus étonnante rapidité, porta, en deux mois de combats, au plus haut degré d'élévation la gloire des armes françaises et celle du grand capitaine qui les conduisait, pour ainsi dire, chaque jour à de nouveaux triomphes ».
Au moment où commence le deuxième acte de la campagne d'Italie, Miot, qui a cherché à rencontrer Bonaparte à Milan le 26 mai 1796, finit par le rencontrer le 5 juin à Brescia, rencontre dont il a donné un saisissant récit :
« Le 17 prairial, Bonaparte arriva à Brescia. Il venait de Vérone, où il était entré le 15, après avoir forcé les restes de l'armée autrichienne, commandée par Beaulieu, à repasser l'Adige et à se retirer sur Trente par la vallée que ce fleuve arrose. Il retournait à Milan, et je me trouvai avec lui quelques instants après qu'il eut mis pied à terre. Je fus étrangement surpris à son aspect. Rien n'était plus éloigné de l'idée que mon imagination s'en était formée. J'aperçus au milieu d'un état-major nombreux un homme d'une taille au-dessous de la taille ordinaire, d'une extrême maigreur. Ses cheveux poudrés, coupés d'une manière particulière et carrément au-dessous des oreilles, tombaient sur ses épaules. Il était vêtu d'un habit droit, boutonné jusqu'en haut, orné d'une petite broderie en or très-étroite, et portait à son chapeau une plume tricolore. Au premier abord, la figure ne me parut pas belle, mais des traits prononcés, un &brkbar;il vif et inquisiteur, un geste animé et brusque décelaient une âme ardente, et un front large et soucieux un penseur profond. Il me fit asseoir près de lui et nous parlâmes de l'Italie. Son parler était bref et, en ce temps, très incorrect. Il me dit que rien n'était fini tant que l'on n'aurait pas Mantoue ; qu'alors seulement on pourrait se dire maître de l'Italie ; qu'un siège aussi difficile ne pouvait qu'être très long ; qu'on ne se trouvait pas en mesure même de le commencer, et qu'il fallait, pour le moment, se contenter de resserrer la place ; qu'il était hors de doute que l'Autriche mettrait sur pied une autre armée pour secourir une forteresse si importante, mais qu'il lui fallait du temps pour rassembler cette armée ; que nous avions, par conséquent, un mois devant nous, et qu'il voulait le mettre à profit pour s'avancer vers le centre de l'Italie et s'en rendre maître, afin d'être tranquille de ce côté, lorsque la guerre dans l'Italie supérieure recommencerait. Ce discours me menait naturellement à lui parler des ouvertures que le prince Belmonte-Pignatelli m'avait faites à Florence : je le prévins de la présence de ce négociateur à Brescia et de mon désir de le lui présenter. Il me dit que ceci était une bonne nouvelle pour lui et qu'il ne voyait, comme moi, aucun inconvénient à traiter d'un armistice (1). Je lui proposai de stipuler, par une des conditions du traité, que les ports du royaume de Naples seraient fermés aux Anglais. « Ah ! me répondit-il brusquement, ceci est de la politique de diplomate. Ce qu'il faut stipuler pour le moment, c'est que Naples retirera sur le champ les troupes qu'elle a dans l'armée autrichienne. L'infanterie ne vaut rien ; mais savez-vous qu'ils ont quatre régiments de cavalerie excellents qui m'ont donné beaucoup de mal et dont j'ai à c&brkbar;ur de me débarrasser le plus tôt possible. Faites-moi venir M. de Belmonte ; le traité sera bientôt fait ». En effet, cet acte fut rédigé et signé dans le cours de la journée en moins de deux heures. Je parvins cependant à y faire insérer une clause par laquelle il était stipulé que les vaisseaux napolitains se sépareraient le plus tôt possible de l'escadre anglaise (2).
« Cette affaire conclue, je commençai à entretenir Bonaparte de la politique générale de l'Italie. Je reconnus qu'il était mal disposé pour la Toscane et qu'il méditait déjà l'occupation de Livourne. J'essayai d'entrer en discussion avec lui sur ce point ; mais, comme il était pressé de repartir, je vis clairemement que je ne serais pas écouté : je me bornai donc à lui remettre un mémoire que j'avais rédigé à Milan et dans lequel j'examinais à fond la question que je ne pouvais pas traiter de vive voix (3). Je lui dis que j'en avais laissé une copie dans les mains de Salicetti, quoique je me fusse bien aperçu que les richesses que l'on supposait à Livourne le faisaient incliner vers une conquête qui promettait tant de fruits. « Oh ! me dit-il avec impatience, les commissaires du Directoire n'ont rien à voir dans ma politique. Je fais ce que je veux ; qu'ils se mêlent de l'administration des revenus publics, à la bonne heure, du moins pour le moment, le reste ne les regarde pas. Je compte bien qu'ils ne seront pas longtemps en fonctions et qu'on ne m'en renverra pas d'autres. Du reste, citoyen Miot, je lirai votre mémoire et je vous donne rendez-vous à Bologne, où, quels que soient mes projets ultérieurs, je serai dans quinze jours. Je vous enverrai un courrier pour vous prévenir de mon arrivée. Adieu. »
« Les chevaux étaient attelés. Il traversa les pièces qui précédaient le lieu où il m'avait reçu et donna quelques ordres à ses aides de camp Murat, Lannes, Junot, et à d'autres officiers qui l'entouraient. Tous se tenaient devant leur général dans une attitude pleine de respect et, pour ainsi dire, d'admiration. Je n'aperçus entre lui et ses compagnons d'armes aucune de ces marques de familiarité que j'avais observées ailleurs et que favorisait l'égalité républicaine. Déjà il avait marqué sa place et établi les distances.
Je le vis partir et me retirai à l'hôtel où je logeais, singulièrement frappé et, en quelque sorte, ébloui de ce qui venait de se passer. Je m'occupai immédiatement de mettre sur le papier les souvenirs de cette entrevue. »
(1) Il se servit du mot amnistie, et fit dans toute la conversation presque toujours cette faute.
(2) Cet armistice, qui porte le titre simple de suspension d'hostilités, est daté de Brescia, 5 juin 1796 (19 prairial an IV), et signé : Bonaparte et Belmonte-Pignatelli. Il ne contient que cinq articles, dont le quatrième est relatif aux vaisseaux napolitains.
(3) Ce mémoire roulait sur les points indiqués plus haut : l'expulsion de la puissance autrichienne de l'Italie et l'anéantissement du gouvernement papal. J'y cherchais en même temps à démontrer qu'il était de la dignité de la France et de son intérêt bien entendu de ne pas violer la neutralité de la Toscane.

Estampe
populaire
représentant
les
négociations
de Leoben.
Photo Bulloz.
CORRESPONDANCE
DE NAPOLÉON
Au Directoire exécutif.
Quartier général, Leoben, 27 germinal an V (16 avril 1797).
Le général Merveldt est venu me trouver à Leoben le 24, à neuf heures du matin. Après avoir pris connaissance de ses pleins pouvoirs pour traiter de la paix, nous sommes convenus d'une prolongation de suspension d'armes jusqu'au 20 avril soir (1er floréal prochain). Ces pleins pouvoirs étaient pour lui et pour M. le marquis de Gallo, ministre de Naples à Vienne. J'ai refusé d'abord de l'admettre comme plénipotentiaire de l'Empereur, étant, à mes yeux, revêtu de la qualité d'ambassadeur d'une puissance amie, qui se trouve incompatible avec l'autre. M. Gallo est arrivé lui-même le 25. Je n'ai pas cru devoir insister dans cette opposition, parce que cela aurait apporté beaucoup de lenteurs, et parce qu'il paraît revêtu d'une grande confiance de l'Empereur; enfin parce que les Autrichiens et les Hongrois sont très irrités de voir les étrangers jouer le principal rôle dans une affaire aussi importante, et que, si nous rompons, ce sera un moyen très considérable d'exciter le mécontentement contre le gouvernement de Vienne.
La première opération dont il a été question a été une promesse réciproque de ne rien divulguer de ce qui se serait dit: on l'avait rédigée; mais, comme ces messieurs tiennent beaucoup à l'étiquette, ils voulaient toujours mettre l'Empereur avant la République, et j'ai refusé net.
Nous sommes venus à l'article de la reconnaissance. Je leur ai dit que la République française ne voulait point être reconnue; elle est en Europe ce qu'est le soleil sur l'horizon; tant pis pour qui ne veut pas le voir et ne veut pas en profiter.
Ils m'ont dit que, quand même les négociations se rompraient, l'Empereur, dès aujourd'hui, reconnaissait la République française, à condition que celle-ci conserverait avec S.M. l'Empereur la même étiquette que ci-devant le Roi de France. Je leur ai répondu que, comme nous étions fort indifférents sur tout ce qui est étiquette, nous ne serions pas éloignés d'adopter cet article. Nous avons, après cela, beaucoup parlé dans tous les sens et de toutes les manières.
Le 26, M. Gallo est venu chez moi à huit heures du matin; il m'a dit qu'il désirait neutraliser un endroit où nous pussions continuer nos conférences en règle. On a choisi un jardin au milieu duquel est un pavillon; nous l'avons déclaré neutre, farce à laquelle j'ai bien voulu me prêter pour ménager la puérile vanité de ces gens-ci. Ce prétendu point neutre est environné de tous côtés par l'armée française et au milieu des bivouacs de nos divisions; cela eût été fort juste et fort bon s'il se fût trouvé au milieu des deux armées. Arrivés dans la campagne neutre, l'on a entamé les négociations; voici ce qui en est résulté:
1° La cession de la Belgique et la reconnaissance des limites de la République française conformément au décret de la Convention; mais ils demandent des compensations qu'ils veulent nécessairement en Italie.
2° Ils demandent la restitution du Milanais; de sorte qu'ils auraient voulu, en conséquence de ce premier article, le Milanais et une portion quelconque des États de Venise ou des Légations. Si j'eusse voulu consentir à cette proposition, ils avaient le pouvoir de signer sur-le-champ: cet arrangement ne m'a pas paru possible.
S.M. l'Empereur a déclaré ne vouloir aucune compensation en Allemagne. Je lui ai offert, pour le premier article, l'évacuation du Milanais et de la Lombardie; Ils n'ont pas voulu: de sorte que nous avons fini par trois projets qu'ils ont expédiés, par un courrier extraordinaire, à Vienne, et dont ils auront la réponse dans deux ou trois jours.
Premier projet.
Article premier. La cession de la Belgique, les limites constitutionnelles de la France.
Art. 2. À la paix avec l'Empire, l'on fixera tout ce qui est relatif au pays qu'occupe la France jusqu'au Rhin.
Art. 3. Les deux puissances s'arrangeront ensemble pour donner à l'Empereur tous les pays du territoire vénitien compris entre le Mincio, le Pô et les États d'Autriche.
Art. 4. On donnera au Duc de Modène les pays de Brescia compris entre l'Oglio et le Mincio.
Art. 5. Le Bergamasque et tous les pays des États de Venise compris entre l'Oglio et le Milanais, ainsi que le Milanais, formeraient une république; Modène, Bologne, Ferrare, la Romagne, formeraient une république.
Art. 6. La ville de Venise continuerait à rester indépendante, ainsi que l'archipel.
Deuxième projet.
Les 1er et 2e articles, les mêmes que les précédents.
Art. 3. L'évacuation du Milanais et de la Lombardie.
Troisième Projet.
Les deux premiers articles comme dans les précédents.
Art. 3. La renonciation par S.M. l'Empereur à tous ses droits au Milanais et à la Lombardie.
Art. 4. L'évacuation par l'armée d'Italie de tous les États d'Allemagne.
Art. 5. La France s'engagerait à donner à S.M. l'Empereur des compensations proportionnées au Milanais et au duché de Modène, qui seront l'objet d'une négociation, et dont il devrait être en possession au plus tard dans trois mois.
Si l'un de ces trois projets est accepté à Vienne, les préliminaires de la paix se trouveraient signés le 20 avril (1er floréal); sans quoi, vu que les armées du Rhin n'ont fait encore aucun mouvement, je leur proposerais un armistice pur et simple pour les trois armées, et pour trois mois, pendant lesquels on ouvrira des négociations de paix. Pendant ce temps, on fortifierait Klagenfurt et Gratz; on ferait venir toutes les munitions de guerre de ce côté-ci; l'armée s'organiserait parfaitement, et vous auriez le temps d'y faire passer 40000 hommes de l'armée du Rhin; moyennant quoi vous auriez une armée extrêmement considérable, dont la seule vue obligerait l'Empereur à faire encore de plus grands sacrifices.
Si rien de tout cela n'est accepté, nous nous battrons; et, si l'armée de Sambre-et-Meuse s'est mise en marche le 20, elle pourrait, dans les premiers jours du mois prochain, avoir frappé de grands coups et se trouver sur la Rednitz; les meilleurs généraux et les meilleures troupes sont devant moi. Quand on a bonne volonté d'entrer en campagne, il n'y a rien qui arrête, et jamais, depuis que l'histoire nous retrace des opérations militaires, une rivière n'a pu être un obstacle réel. Si Moreau veut passer le Rhin, il le passera; et, s'il l'avait déjà passé sans faire de difficultés, nous serions dans un état à pouvoir dicter les conditions de la paix d'une manière impérieuse et sans courir aucune chance; mais qui craint de perdre sa gloire est sûr de la perdre. J'ai passé les Alpes Juliennes et les Alpes Noriques sur trois pieds de glace; j'ai fait passer mon artillerie par des chemins où jamais chariots n'avaient passé, et tout le monde croyait la chose impossible. Si je n'eusse vu que la tranquillité de l'armée et mon intérêt particulier, je me serais arrêté au-delà de l'Isonzo; je me suis précipité dans l'Allemagne pour dégager les armées du Rhin et empêcher l'ennemi d'y prendre l'offensive; je suis aux portes de Vienne, et cette cour insolente et orgueilleuse a ses plénipotentiaires à mon quartier général. Il faut que les armées du Rhin n'aient point de sang dans les veines. Si elles me laissent seul, alors je m'en retournerai en Italie; l'Europe entière jugera la différence de conduite des deux armées: elles auront ensuite sur le corps toutes les forces de l'Empereur, elles en seront accablées, et ce sera leur faute.
ARTICLES PRÉLIMINAIRES
DE PAIX
Château d'Eggen-wald, près de Leoben,
29 germinal an V (18 avril 1797):
Sa Majesté l'Empereur, Roi de Hongrie et de Bohême, etc. etc.
Et le Directoire exécutif, au nom de la République française, animés du même désir de mettre fin aux maux de la guerre par une paix prompte, juste et solide, sont convenus des articles préliminaires suivants:
Articles premier, 2 et 3
(arrêt des hostilités et généralités)
Art. 4.
Les deux parties contractantes enverront au plus tôt des plénipotentiaires dans la ville de Berne, pour y traiter et conclure, dans l'espace de trois mois, ou plus tôt, si faire se pourra, la paix définitive entre les deux puissances. À ce congrès seront admis les plénipotentiaires des alliés respectifs, s'ils accèdent à l'invitation qui leur en sera faite.
Art. 5.
Sa Majesté l'Empereur ayant à cur que la paix se rétablisse entre l'Empire germanique et la France, et le Directoire exécutif de la République française voulant également témoigner à Sa Majesté Impériale son désir d'asseoir ladite paix sur des bases solides et équitables, conviennent d'une cessation d'hostilités entre l'Empire germanique et la France, à commencer d'aujourd'hui. Il sera tenu un congrès formé des plénipotentiaires respectifs, pour y traiter et conclure la paix définitive entre les deux puissances sur la base de l'intégrité de l'Empire germanique.
Art. 6.
Sa Majesté l'Empereur et Roi renonce à tous ses droits sur les provinces belgiques, connues sous le nom de Pays-Bas autrichiens, et reconnaît les limites de la France décrétées par les lois de la République française. Ladite renonciation est faite aux conditions suivantes:
1° Que toutes les dettes hypothécaires attachées au sol du pays cédé seront à la charge de la République française;
2° Que tous les habitants et possesseurs des provinces belgiques qui voudront sortir du pays seront tenus de le déclarer trois mois après la publication du traité de paix définitif, et auront le terme de trois ans pour vendre leurs biens meubles et immeubles;
3° Que la République française fournira, à la paix définitive, un dédommagement équitable à Sa Majesté l'Empereur, et à sa convenance.
Art. 7.
La République française, de son côté, restituera à Sa Majesté Impériale tout ce qu'elle possède des états héréditaires de la Maison d'Autriche non compris sous la dénomination de provinces belgiques.
Art. 8.
Les armées françaises évacueront d'abord après la ratification faite par Sa Majesté Impériale des présents articles préliminaires, les provinces autrichiennes qu'elles occupent, savoir: la
Syrie, la Carinthie, le Tyrol, la Carniole et le Frioul.
Art. 9.
Les prisonniers de guerre seront respectivement rendus, après la ratification des préliminaires, aux différents points qui seront désignés de part et d'autre.
Nous, soussignés, en vertu des pleins pouvoirs de Sa Majesté l'Empereur et Roi et de la République française, avons arrêté les présents articles préliminaires de paix, qui resteront secrets jusqu'à ce qu'il soit fait l'échange des ratifications en forme due, dans le temps d'un mois, ou plus tôt, si faire se pourra, et qui aura lieu dans la ville d'Udine.
Fait au palais d'Eggen-wald, près de Leoben, le 18 avril 1797 (29 germinal an V de la République française).
Signé à la minute : Bonaparte.
Le marquis de Gallo.
Le comte de Merveldt, général-major.
ARTICLES PRÉLIMINAIRES
SECRETS
Château d'Eggen-wald, près de Leoben,
29 germinal an V (18 avril 1797).
Il est convenu entre S. M. l'Empereur, Roi de Hongrie et de Bohême, et la République française, des articles suivants:
Article premier.
Que, malgré la disposition de l'article 7 des préliminaires de paix, arrêtés entre les puissances contractantes, sous la date d'aujourd'hui, S. M. l'Empereur renonce à la partie de ses états en Italie qui se trouve au-delà de la rive droite de l'Oglio et de la rive droite du Pô, à condition que Sa Majesté Impériale sera dédommagée de cette cession, ainsi que de celle faite dans l'article 6 des préliminaires, par la partie de la terre-ferme vénitienne comprise entre l'Oglio, le Pô, la mer Adriatique et ses états héréditaires, ainsi que par la Dalmatie et l'Istrie vénitienne; et, par cette acquisition, les engagements contractés par la République française vis-à-vis de Sa Majesté Impériale, par l'article 6 des préliminaires, se trouvent remplis.
Art. 2.
La République française renonce, de son côté, à ses droits sur les trois Légations de la Romagne, de Bologne et de Ferrare, en se réservant cependant la forteresse de Castelfranco, avec un arrondissement dont le rayon serait égal à la distance depuis ses murs jusqu'aux confins de l'état de Modène, et qui ne pourra pas être moins de la portée du canon. La partie des états de la République de Venise comprise entre l'Adda, le Pô, l'Oglio, la Valteline et le Tyrol, appartiendra à la République française.
Art. 3.
Les deux parties contractantes se garantissent l'une à l'autre lesdits états et pays acquis sur la terre-ferme vénitienne.
Art. 4.
Les trois Légations de la Romagne, de Ferrare et de Bologne, cédées par la République française, seront accordées à la République de Venise en dédommagement de la partie de ses états dont il est parlé dans les trois articles précédents.
Art. 5.
Sa Majesté l'Empereur et le Directoire exécutif de la République française se concerteront pour lever tous les obstacles qui pourraient s'opposer à la prompte exécution des articles précédents, et nommeront à cet effet des commissaires ou des plénipotentiaires qui seront chargés de tous les arrangements convenables à prendre avec la république de Venise.
Art. 6.
Les forteresses de Palmanova, Mantoue, Peschiera, Porto-Legnago, et les châteaux de Vérone, d'Osoppo et de Brescia, occupés actuellement par les troupes françaises, seront remis à Sa Majesté l'Empereur d'abord après l'échange des ratifications du traité de paix définitif, ou plus tôt, si cela pouvait s'arranger d'un commun accord.
Art. 7.
Les ouvrages desdites forteresses seront rendus dans l'état où ils se trouvent aujourd'hui, et, quant à l'artillerie, les places vénitiennes seront rendues avec celle qu'on a trouvée au moment de leur occupation, et la place de Mantoue sera rendue avec cent vingts pièces d'artillerie de siège.
Art. 8.
Les deux puissances contractantes conviennent que la partie des états d'Italie cédée par S. M. l'Empereur et Roi dans le premier des présents articles secrets, et la partie des états vénitiens acquise à la République française par l'article second, formeront désormais une république indépendante.
Art. 9.
Sa Majesté Impériale ne s'oppose point aux arrangements que la République a pris relativement aux duchés de Modène, Reggio et de Massa et Carrara, à condition que la République française se réunira avec Sa Majesté l'Empereur pour obtenir, à la paix générale et à celle de l'Empire germanique, une compensation en faveur du duc
çaise se réunira avec Sa Majesté l'Empereur pour obtenir, à la paix générale et à celle de l'Empire germanique, une compensation en faveur du duc de Modène et de ses héritiers légitimes.
Art. 10.
Les pays respectivement échangés en vertu des articles précédents conserveront leurs privilèges, et les dettes hypothéquées au sol suivront le territoire et resteront à la charge de leurs possesseurs.
Art. 11.
Tous les habitants desdits pays qui voudront les quitter seront les maîtres de le faire et devront le déclarer dans l'espace de trois mois de la prise de possession, et il leur sera accordé le terme de trois ans pour vendre leurs biens meubles et immeubles.
Nous, soussignés, en vertu des pleins pouvoirs de Sa Majesté l'Empereur et de la République française, avons signé les présents articles secrets, qui auront la même force que s'ils étaient insérés de mot à mot dans les articles préliminaires, et qui seront ratifiés et échangés en même temps.
Fait au château d'Eggen-wald, près de Leoben, le 18 avril 1797 (29 germinal an V de la République française).
Signé à la minute : Le marquis de Gallo.Bonaparte.
Le comte de Merveldt, général-major.
CORRESPONDANCE
DE NAPOLÉON
Au directoire exécutif
Mombello, 8 prairial an V (27 mai 1797),
1 heure et demie du matin.
Citoyens Directeurs, vous trouverez ci-joint la ratification de l'Empereur du traité préliminaire. Le plénipotentiaire de l'Empereur aurait désiré, à ce qu'il m'a paru, que cela eût été transcrit sur du parchemin, et que les sceaux eussent été un peu plus volumineux. Je crois qu'effectivement la première observation est juste, et peut-être jugerez-vous désormais devoir employer le parchemin à des transactions dont le souvenir doit se conserver longtemps.
Vous trouverez ci-joint l'espèce de protestation qu'il a faite; je l'ai reçue purement et simplement, sans même lui en accuser la réception. Il paraît qu'en traitant avec le roi de France, l'Empereur ne donnait point l'alternative. Cela est pour eux d'une importance singulière; ils allèguent que le roi de Prusse agirait comme agira la France, et que l'Empereur serait vraiment dégradé de son rang et que ce serait une déshonneur pour cette puissance.
Comme l'Empereur mettra à cela autant d'importance qu'aux limites du Rhin, je vous prie de me marquer l'importance que vous y mettez vous-mêmes.
Peut-être serait-ce une sottise de leur part à mettre une pure formalité, qui nous maintiendrait en Europe au rang où nous étions, contre des avantages réels. J'aimerais beaucoup mieux que l'on continuât à agir dans toutes les transactions comme a agi le roi de France, et ensuite, d'ici à deux ou trois ans, lorsque la circonstance se présentera de passer une transaction nécessaire à l'Empereur, un décret du Corps législatif déclarerait que les peuples indépendants sont égaux en droits ; que la France se reconnaît l'égale de tous les souverains qu'elle a vaincus et n'en reconnaît point de supérieurs. Cette manière de faire tomber cette étiquette, qui s'écroule d'elle-même par sa vétusté, me paraît plus digne de nous et surtout plus conforme à nos intérêts dans le moment actuel ; car, s'il est prouvé que l'Empereur veut persister dans cette étiquette plutôt que nous empêcher d'avoir deux ou trois villages, ce serait un mauvais calcul.

Gravure allégorique.
« Je n'ai plus de soldats !... Avec des téméraires
Il me faut condescendre à des préliminaires. »
Coll. part.
POESIE ET THEATRE
POUR LES VICTOIRES DE BONAPARTE
O n peut être surpris de trouver sous la plume de l'austère Edgar Quinet, professeur au Collège de France, qui sera représentant du peuple en 1848, proscrit en 1851 et député en 1871, « Le chant du pont d'Arcole ». Mais le professeur de littératures étrangères, anticlérical et démocrate, proche de Michelet, philosophe de l'Histoire, était le fils d'un soldat de la Révolution et féru de poésie épique. Il entreprit lui-même une trilogie ambitieuse : Ahasvérus (1833), Napoléon (1836) et Prométhée (1836). C'est de Napoléon qu'est extrait ce « chant » de style romantique qui a parfois de faibles accents hugoliens, mais dont la poésie reste abstraite et intellectuelle, et rappelle plutôt Vigny.
« En ce jour-là, c'était un des jours de brumaire,
Les saules du Ronco jetaient une ombre amère ;
La sarcelle avait fui ; le marais, sur ses bords,
En tremblant s'éveillait : les roseaux sous la bise,
Dans la fange, meurtris, ployaient leur tête grise ;
Et sur l'étang des morts passait l'âme des morts.
..............................................................................
Le passage du pont est impossible
« Et la vague d'Arcole en son lit reculait. »
« Mais voilà qu'un cheval erre dans la mêlée.
Moins blanche était la neige au flanc de la
[vallée ;
Voilà qu'un cavalier a quitté les arçons.
Ah ! moins prompt est le cerf quand la biche est [blessée,
Voilà que dans ses bras, comme sa fiancée,
Il a pris l'étendard aimé des nations.
« Et puis, s'enveloppant de ses plis tricolores,
Il arbore, en courant, sur les arches sonores
La nouvelle bannière. À son nom, effrayés,
Les sabres sur son front ont glissé sans murmure,
Se rappelant celui qui leur fait leur pâture,
Les canons ont léché la poudre de ses pieds.
...............................................................................
« Mais les rois ont pleuré ; leur long passé [s'envole.
Quand le pont de l'abîme est franchi dans Arcole,
Le sentier est ouvert à tout le genre humain.
Les générations, dans l'avenir puisées,
Désormais passeront sous ses voûtes brisées ;
Le bélier aux chevreaux a montré le chemin.
« Et depuis ce jour-là, comme aux jours de
[brumaire,
Les saules de Ronco jettent une ombre amère.
La Maremme sanglote. On entend sur ses bords
Le clairon retentir. Au fond des eaux tremblantes
On voit rouler des chars et des armes sanglantes,
Et sur l'étang des morts passer l'âme des morts. »
Par Cyrano et L'Aiglon Edmond Rostand a marqué le théâtre du début du siècle. La preuve : ce drame de René Fauchois, Rivoli, représenté pour la première fois à l'Odéon le 28 mars 1911. Les passages cités sont extraits du 4e acte, « La Victoire », qui représente le plateau de Rivoli, la nuit qui précède la bataille. On pense irrésistiblement à l'acte de L'Aiglon, comme on pense à Rostand en lisant Fauchois qui lui a pris techniques et tournures, la virtuosité et l'imagination en moins.
masséna, sautant de cheval.
Le général en chef ?
croissier.
Il est là.
masséna, s'essuyant le front avec sa manche.
Quel galop !...
bonaparte.
Approchez Masséna !...
masséna.
Je ne suis pas de trop ?...
bonaparte.
Non ! je vous attendais !... Vous passerez l'Adige
Cette nuit !...
masséna.
Impossible !
bonaparte.
Il faut passer, vous dis-je !
masséna.
Impossible !
bonaparte.
Ce mot n'est pas français ! D'un prompt
Mouvement...
masséna.
Je n'ai pas d'équipages de pont !...
bonaparte.
Vous vous en passerez. Vous ferez un miracle.
Lorsque j'ai commandé je n'admets plus d'obstacle !
Dirigez sur ce point vos troupes que j'attends !
........................................................................
Bonaparte expose son plan face à l'offensive d'Alvinzy qu'il juge mal conçue et vouée à l'échec. Les généraux ont compris.
masséna.
En avant ! J'ai saisi l'affaire !...
joubert.
ça ira !
berthier.
Augereau va tenir en respect Provera !...
masséna, sur le point de remonter à cheval, au fond.
Mes enfants, celui-là n'est pas une mazette !...
le marrois.
Eh ! non !...
masséna.
Quelqu'un de vous a-t-il dans sa musette
Quelque chose à manger ?
croissier.
Tiens !... Prends ça, Masséna !
masséna.
C'est bien sec du pain sec !
croissier.
Ah ! c'est tout ce qu'on a...
masséna.
Il me faudrait les dents d'un cheval pour y mordre !
croissier.
Si tu ne les as plus, rends-le moi !...
masséna, lui montrant ses dents dans une grimace.
Tiens, sous-ordre !
On peut bouffer du marbre avec ça !...
Il monte à cheval.
croissier, riant.
Sûrement !
masséna.
Vous n'avez pas de sucre aussi pour ma jument ?
croissier.
Non ! On a tout vendu ! Plus rien dans la boutique !...
masséna, à cheval, partant.
Au revoir, l'épicier !
croissier.
Au revoir, la pratique !...
.................................................................................
Mais voilà que dans la nuit Bonaparte entend crier : « César ! ». Il demande : « Qui crie ainsi ? » On lui donne cette réplique qu'on croirait imitée comme les vers précédents de la scène du siège d'Arras dans Cyrano :
« Dans les rochers
Des tambours belliqueux qu'enfièvre cette veille
Provoquent des échos qui font la sourde oreille !... »
Et sur cette réponse, Bonaparte songe, s'adressant à Marmont :
« Dis-moi ton sentiment...
Crois-tu que ces guerriers fameux de qui l'épée
Illumine les temps d'un reflet d'épopée
Nous ressemblaient ? César, Alexandre, Annibal,
Étaient-ils, comme nous, des hommes que le mal
Faisait crier, pleurer, souffrir ?... Ces capitaines
Dont l'histoire nous lègue en des fresques
[hautaines
Les exploits, et les mots touchants ou solennels,
Mangeaient-ils du pain sec avec leurs colonels !
Comprends-moi !... Nous savons que leur gloire
[fut grande,
Mais leur coeur fut-il grand, dis ?... Je te le
[demande !...
marmont.
Pour moi.
bonaparte.
Réfléchissez davantage, mon cher...
Vous répondez toujours trop vite... Par le fer...
Et la flamme, ils ont mis leur sceau sur un beau
[livre !
Certe, ils ont su ne pas mourir !... Ont-ils su vivre ?
César répudia sa femme... Il eut raison...
Un amant découvert dans sa propre maison
Justifiait assez sa rigueur... Mais Plutarque
Sur César amoureux ne fait nulle remarque...
Lorsque ses légions campaient devant Clermont
Était-il comme moi, cette nuit, sur ce mont ?
Ses licteurs ont-ils lu sur son front volontaire
La secrète douleur que sa bouche a dû taire ?
Que je voudrais savoir si César a pleuré !
O larmes de César, lourd chagrin ignoré
Des annales... regrets qui sur sa rude épaule
Penchiez sa tête au fond des campagnes de Gaule,
Vous êtes descendus avec lui dans la mort !...
L'histoire n'en sait rien, Marmont... Tu dors ?...
Marmont s'était endormi contre un arbre, debout.
Il dort !...
une voix dans l'ombre.
J'étais soldat, l'Histoire a regardé mes armes :
Tout est bien ! Je n'ai rien conquis avec mes
[larmes.
Le sang noir qui jaillit des cuirasses d'airain
Seul a mouillé sur moi mon glaive souverain.
Sur les mains du guerrier les larmes font des
[taches.
J'ai passé, rude et brusque, entre l'éclair des
[haches.
J'étais soldat ; devant mon dur profil lauré
L'avenir ne doit pas savoir si j'ai pleuré !...
Toi, qu'un grand deuil, ce soir, avait choisi pour
[cible,
Demain, sur l'étrier, ferme et droit, impassible
Au-dessus du choc rouge et noir des régiments,
Tu jetteras ton coeur dans tes commandements !...
bonaparte.
Soit ! Je renfermerai ma peine en moi !... Personne
Ne saura de quel froid incessant je frissonne !...
Aurais-je la victoire, au moins ?
la voix dans l'ombre.
Tu l'as déjà !
Celui que la laideur d'un jour triste outragea
Et qui n'a pas permis au mal qui vint le mordre
De répandre, autre part qu'en lui seul, son
[désordre,
Qui, malgré sa douleur, imposa ses instincts
Grondants, selon ses voeux voit marcher ses
[destins !...
Toutes les passions qui meurtrissent la terre
Sont en nous. Le héros, lucide et solitaire,
Les jugule d'abord dans sa poitrine, puis
Il va combattre, et toi, Victoire, tu le suis !
bonaparte.
Pourquoi lutter ?...
la voix dans l'ombre.
Pour vaincre !
bonaparte.
Ah ! je vaincrai sans joie,
Désormais...
la voix dans l'ombre.
Le vainqueur offre sa vie en proie
Aux victoires ! Plus rien n'éblouira ses yeux ;
Et la pâleur des morts ceint les fronts glorieux !
Bientôt, tu traîneras cette amertume noire
Qui roulait sur mon coeur aux grands soirs de
[victoire !
Tu ne voudras plus rien... Tu vaincras... Tu
[vaincras...
Et ta gloire sera si lourde sur tes bras
Qu'un jour, ô malheureux... Malheureux !...
La voix s'évanouit.
Et Bonaparte va dormir une heure, avant la bataille...
Tout y est dans cette touchante copie de Rostand : l'exposé de l'action, dans le premier extrait ; les jeux de mots de la conversation familière, dans le deuxième ; l'envolée lyrique dans le troisième : mélange des genres venu tout droit du drame romantique et poussé au paroxysme par Rostand. Mais si celui-là a réussi L'Aiglon, personne n'a jamais réussi un Bonaparte ou un Napoléon.
J.J.
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Rivoli, Bonaparte haranguant ses soldats par Raffet. Coll. part.
L'artillerie à Rivoli par Horace Vernet. Coll. part.
UNIFORMOLOGIE
Armée autrichienne |
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Canonnier - 1796 : Chapeau noir ; galon et bouton jaune ; cocarde
noir - Cheuveux poudrés - Cravate noir - Habit-veste brun ; boutons
cuivre jaune - Cullotte blanche - Guêtres noires - Ceinturon et
banderole de giberne buffle blanc ; giberne cuir noir ; boucle
cuivre noir - Garde de sabre cuivre jaune ; fourreau cuir noir
garni cuivre jaune - Bretelle de fusil blanche. |
Soldat du train - 1795 : Shako noir ; plaque cuivre jaune ; cocarde
autrichienne - Plumet jaune et noir - Cheuveux poudrés ; noeud
et queue noirs - Cravate noir - Habit court blanc ; collet ecarlate
; brassard jaune à bande noir ; bouton cuivre jaune - Veste, culotte,
manchettes de bottes blanches - Bottes fortes noires ; éperons
acier -Manche de fouet brun - Affût brun marron. |
Armée française |
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Guides de Bonaparte - Aritlleur -Grande tenue - Mai 1797 - Chapeau
noir; galons, passants, ganse de cocarde aurores ; cocarde tricolore
; glands et plumet écarlates ; bouton cuivre jaune - Cadenettes
et checeux au naturel - Cravate noire - Habit à la chasseur vert
foncé - Collet, parements, passepoils ecarlate ; passepoil vert
foncé au collet ; bouton cuivre jaune ; trèfles, pattes, aiguillettes
écarlates, ferrets cuivre jaune - Gands blancs - Gilet écarlate
; tresses et galons aurores ; boutons cuivre jaune - Bottes noires
; glands et galons aurores ; éperons acier - Ceinturon bèliére
cuir noir ; boucle cuivre jaune - Sabre à hussard garni cuivre
jaune ; fourreau et fusée cuir noir : dragonne écarlate - Poches
en longs. En mai 1797 l'escadron des Guides reçu deux pièces d'artillerie
servies par 26 hommes - Equipement des cheval des guides. |
Officier Général - Révolution - Plaque de ceinturon - Cuivre doré.
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Costumes civils du Directoires |
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Membre du conseil des Anciens - 1795 Bonnete bleu roi à tour de tête rouge - Cravate blanche - Manteau blanc bordé en bleu et rouge - Glands rouges - Tinique bleu à parement rouges - Ceinture rouge frangée or - Culotte bleu roi - Bottes noires - Gants blancs. |
Membre du conseil des Cinq-Cents - 1799 Toque bleu passepolée blanc, cocarde tricolore - Robe à manche blanche - Ceinture bleue - Pantalon bleu - Bottes noires - Manteau rouge à glands de même - Gants Blancs. |
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Représentant du peuple aux armées - Bonnet bleu roi agréments et tour de tête rouges, aigrette et cocarde tricolore - Chemise et cravate blanches - Manteau rouge brandebourgs blancs, inscriptions noires (peuple français - liberté - égalité) - Tunique bleu roi , parement, bordure et passepoils rouges - Ceinture tricolore - Culotte bleu roi - Bottines noires, revers jaune orange - Poignée d'épée dorée, fourreau noir, bout doré. |
Costume proposé du citoyen français - Bonnet de fourrure noir, dessus et ganse rouge, plumet bleu blanc rouge - Tunique jaune tendre, parement et bradebourg rouge, boutons blancs - Ceinture tricolore, frangée blanc - Pantalon vert clair - Bottillons noirs bordés fourrure noire. |
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