Firman de Mohammed Saïd
Extrait de Ferdinand de Lesseps, Percement de l'isthme de Suez. Exposé et documents officiels

Firman de concession de S.A. Mohammed-said, Vice-Roi d'Égypte.

Notre ami M. Ferdinand de Lesseps ayant appelé notre attention sur les avantages qui résulteraient pour l’Égypte de la jonction de la mer Méditerranée et de la mer Rouge par une voie navigable pour les grands navires, et nous ayant fait connaître la possibilité de constituer, à cet effet, une compagnie formée de capitalistes de toutes les nations, nous avons accueilli les combinaisons qu’il nous a soumises, et lui avons donné, par ces présentes, pouvoir exclusif de constituer et de diriger une compagnie universelle pour le percement de l’isthme de Suez et l’exploitation d’un canal entre les deux mers, avec faculté d’entreprendre ou de faire entreprendre tous travaux et constructions, à la charge par la compagnie de donner préalablement toute indemnité aux particuliers en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique ; le tout dans les limites et avec les conditions et charges déterminées dans les articles qui suivent :

ARTICLE PREMIER.

    M. Ferdinand de Lesseps constituera une compagnie, dont nous lui confions la direction, sous le nom de Compagnie universelle du canal maritime de Suez, pour le percement de l’isthme de Suez, l’exploitation d’un passage propre à la grande navigation, la fondation ou l’appropriation de deux entrées suffisantes, l’une sur la Méditerranée, l’autre sur la mer Rouge, et l’établissement d’un ou de deux ports.

ART. 2.

    Le directeur de la Compagnie sera toujours nommé par le gouvernement égyptien et choisi, autant que possible, parmi les actionnaires les plus intéressés dans l’entreprise.

ART. 3.

    La durée de la concession est de quatre-vingt-dix-neuf ans, à partir du jour de l’ouverture du canal des deux mers.

ART. 4.

    Les travaux seront exécutés aux frais exclusifs de la Compagnie, à laquelle tous les terrains nécessaires n’appartenant pas à des particuliers seront concédés à titre gratuit. Les fortifications que le gouvernement jugera à propos d’établir ne seront point à la charge de la Compagnie.

ART. 5.

    Le gouvernement égyptien recevra annuellement de la Compagnie quinze pour cent des bénéfices nets résultant du bilan de la Société, sans préjudice des intérêts et dividendes revenant aux actions qu’il se réserve de prendre pour son compte lors de leur émission et sans aucune garantie de sa part dans l’exécution des travaux ni dans les opérations de la Compagnie. Le reste des bénéfices nets sera réparti ainsi qu’il suit :
    75 % au profit de la Compagnie,
    10 % au profit des membres fondateurs.

ART. 6.

    Les tarifs des droits de passage du canal de Suez, concertés entre la Compagnie et le vice-roi d’Égypte et perçus par les agents de la Compagnie, seront toujours égaux pour toutes les nations, aucun avantage particulier ne pouvant jamais être stipulé au profit exclusif d’aucune d’elles.

ART. 7.

    Dans le cas où la Compagnie jugerait nécessaire de rattacher par une voie navigable le Nil au passage direct de l’isthme, et dans celui où le canal maritime suivrait un tracé indirect desservi par l’eau du Nil, le gouvernement égyptien abandonnerait à la Compagnie les terrains du domaine public aujourd’hui incultes qui seraient arrosés et cultivés à ses frais ou par ses soins.

    La Compagnie jouira, sans impôts, desdits terrains pendant dix ans, à partir du jour de l’ouverture du canal ; – durant les 89 ans qui resteront à s’écouler jusqu’à l’expiration de la concession, elle paiera la dîme au gouvernement égyptien ; après quoi, elle ne pourra continuer à jouir des terrains ci-dessus mentionnés qu’autant qu’elle paiera audit gouvernement un impôt égal à celui qui sera affecté aux terrains de même nature.

ART. 8.

    Pour éviter toute difficulté au sujet des terrains qui seront abandonnés à la Compagnie concessionnaire, un plan dressé par M. Linant-Bey, notre commissaire ingénieur auprès de la Compagnie, indiquera les terrains concédés, tant pour la traversée et les établissements du canal maritime et du canal d’alimentation dérivé du Nil, que pour les exploitations de culture, conformément aux stipulations de l’art. 7.

    Il est, en outre, entendu que toute spéculation est, dès à présent, interdite sur les terrains du domaine public à concéder, et que les terrains appartenant antérieurement à des particuliers, et que les propriétaires voudront plus tard faire arroser par les eaux du canal d’alimentation exécuté aux frais de la Compagnie, paieront une redevance de... par feddan cultivé (ou une redevance fixée amiablement entre le gouvernement égyptien et la Compagnie).

ART. 9.

    Il est enfin accordé à la Compagnie concessionnaire la faculté d’extraire des mines et carrières appartenant au domaine public, sans payer de droits, tous les matériaux nécessaires aux travaux du canal et aux constructions qui en dépendront, de même qu’elle jouira de la libre entrée de toutes les machines et matériaux qu’elle fera venir de l’étranger pour l’exploitation de sa concession.

ART. 10.

    A l’expiration de la concession, le gouvernement égyptien sera substitué à la Compagnie, jouira sans réserve de tous ses droits et entrera en pleine possession du canal des deux mers et de tous les établissements qui en dépendront. Un arrangement amiable ou par arbitrage déterminera l’indemnité à allouer à la Compagnie pour l’abandon de son matériel et des objets mobiliers.

ART. 11.

    Les statuts de la Société nous seront ultérieurement soumis par le directeur de la Compagnie et devront être revêtus de notre approbation. Les modifications qui pourraient être introduites plus tard devront préalablement recevoir notre sanction. Lesdits statuts mentionneront les noms des fondateurs, dont nous nous réservons d’approuver la liste. Cette liste comprendra les personnes dont les travaux, les études, les soins ou les capitaux auront antérieurement contribué à l’exécution de la grande entreprise du canal de Suez.

ART. 12.

    Nous promettons enfin notre bon et loyal concours et celui de tous les fonctionnaires de l’Égypte pour faciliter l’exécution et l’exploitation des présents pouvoirs.

 

Caire, le 30 novembre 1854.

 

A mon dévoué ami, de haute naissance et de rang élevé,
M. Ferdinand de Lesseps.

La concession accordée à la Compagnie universelle du canal de Suez devant être ratifiée par S.M.I. le Sultan, je vous remets cette copie pour que vous la conserviez par devers vous. Quant aux travaux relatifs au creusement du canal de Suez, ils ne seront commencés qu’après l’autorisation de la Sublime Porte.

Le 3 ramadan 1271.

O. Cachet du vice-roi.

Pour traduction conforme au texte turc,

Le Secrétaire des commandements de
Son Altesse le Vice-Roi,

Signé KOENIG-BEY.