Times, 26 mai 1859
« Mais il est une autre partie de lempire où, selon quelques
rapports, il se brasse des méfaits. En Europe, les chrétiens sont
opposés aux mahométans, et les populations sont enflammées ; en
Afrique, lexcitation est confinée dans un palais, et lambition
brûle seulement dans la poitrine dun pacha. On peut dire que
le vice-roi égyptien est suspect dun désir de relâcher un peu
les liens de son allégeance, et que ses espérances sont fixées
sur ce grand champion des opprimés, lempereur des Français.
Saïd Pacha sest entouré plus que jamais de conseillers français,
et il apprend deux que le droit des nobles esprits est de fouler
aux pieds les traités qui rendent une province dépendante dune
autorité centrale. Le résultat de ces conseils est un désir à
peine caché de prendre avantage de toute perturbation pouvant
sélever en Turquie dans le but dobtenir, sinon lindépendance,
au moins une plus large mesure de pouvoir. Linfluence française
en ce moment est suprême, et M. de Lesseps, dont le projet nest
rien moins que prohibé, a la permission de dépenser le capital
de ses actionnaires, en tant quil existe, à commencer ses travaux
pour lun de ses môles gigantesques sur la Méditerranée.
« Quoiquil ne soit pas douteux que la France a toujours eu un
désir de rivaliser avec notre pays en Egypte, où lambition de
ses gouvernements a subi deux échecs si signalés, et quoiquelle
voulût volontiers rendre le vice-roi indépendant de la Porte,
si elle y pouvait substituer sa propre protection, pourtant nous
consentons à voir sans la plus légère alarme ces intrigues du
prince ignorant qui gouverne au Caire.
Plût à Dieu quil nexistât point dautres dangers pour la Turquie
et pour nous que ceux quon peut machiner sur les bords du Nil
! Nous avons peu de souci de ce que peuvent faire les aventuriers
français au service de lEgypte, parce que nous savons que lAngleterre
en cette matière ne souffrira pas quon se joue delle un moment.
Les Anglais nont point le désir doccuper des places au service
du vice-roi. Ils nont point la souplesse requise des hommes qui
veulent sinitier dans la faveur dun prince oriental ; ils ne
sont pas gens à oublier les habitudes et le type moral de leur
pays.
« Mais la sujétion de lEgypte à la Porte et lentière exclusion
de toute influence européenne illégitime est un sujet dimportance
vitale pour nous, et nous pouvons dire que maintenant les labeurs
de plusieurs années ont été couronnés de succès. Nous avons complété
nos communications avec lInde ; nous avons fait notre chemin
de fer dAlexandrie à Suez, que le canal de Lesseps, dans son
origine, avait pour objet dinterrompre ; en cet instant, le télégraphe
est posé tout le long de la mer Rouge ; nous avons conclu des
arrangements pour transporter des troupes dans lInde à travers
listhme ; et dans ces entreprises nous sommes obligés de reconnaître
que les vice-rois ont montré beaucoup de bon sens et de modération.
Telles sont les bases solides de linfluence anglaise ; tant que
nous les aurons toutes, les intrigues et les fanfaronnades de
nos rivaux continentaux ne peuvent avoir que de petits résultats.
Le pacha sait combien il a à gagner avec nous ; ce sont les Anglais
qui soutiennent le chemin de fer, sa propriété en très grande
partie ; et les steamers qui fréquentent le port de Suez rivaliseront
bientôt en nombre et en grandeur avec ceux qui traversent lAtlantique.
Aucune autre nation na des ressources au total comparables à
celles-là, et ne peut conférer de semblables bénéfices à un prince
ami.
Dautre part, le plus léger signe dune disposition à échapper
au traité de 1840 appellerait sur le vice-roi tout le poids de
la puissance anglaise. Nous tenons Malte et Corfou dun côté,
Bombay et Aden de lautre, et flottes et armées savanceraient
de ces deux points opposés pour mettre un ambitieux gouvernement
à la raison. Les vues attribuées à Saïd Pacha ne sont point vraisemblablement
destinées à survivre à lagitation naturellement causée par une
soudaine convulsion en Europe. »
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