Convention du 22 février 1866
Entre S.A. Ismaïl-Pacha, vice-roi dÉgypte, dune part ;
Et la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, représentée
par M. Ferdinand de Lesseps, son président-fondateur, autorisé
à cet effet par les assemblées générales des actionnaires des
1er mars et 6 août 1864 et par décision spéciale du Conseil dadministration
de ladite Compagnie, en date du 13 septembre 1864, dautre part
;
A été exposé et stipulé ce qui suit :
Un premier acte de concession provisoire, en date du 30 novembre
1854, a autorisé M. de Lesseps à former une Compagnie financière
pour lexécution du canal maritime de Suez.
Un second acte de concession, en date du 5 janvier 1856, a déterminé
le cahier des charges pour procéder à la formation de la Compagnie
financière chargée dexécuter les travaux du canal et a donné
lautorisation dexécuter les travaux du percement de listhme
dès que la ratification de la Sublime Porte serait obtenue. A
cet acte étaient annexés les statuts de la Compagnie universelle,
revêtus de lapprobation du vice-roi.
Un décret-règlement, en date du 20 juillet 1856, a déterminé lemploi
des ouvriers fellahs aux travaux du canal de Suez.
Une convention intervenue entre le vice-roi et la Compagnie, le
18 mars 1863, a rétrocédé au gouvernement égyptien la première
section du canal deau douce, entre le Caire et le Ouady.
Une autre convention, datée du 20 mars 1863, a réglé la participation
financière du gouvernement égyptien dans lentreprise.
Enfin, une dernière convention, en date du 30 janvier 1866, a
réglé :
1° Lusage des terrains réservés à la Compagnie comme dépendances
du canal maritime ;
2° La cession du canal deau douce, des terrains, ouvrages dart
et constructions en dépendant et la reprise par le gouvernement
de lentretien dudit canal ;
3° La vente du domaine du Ouady, au prix de 10,000,000 de francs
;
4° Les échéances des termes fixés pour le paiement des sommes dues
à la Compagnie.
La Sublime Porte sollicitée, conformément à lacte de concession
du 5 janvier 1856, de donner sa ratification à la concession de
lentreprise du canal, a formulé, par une note en date du 6 avril
1863, les conditions auxquelles cette ratification était subordonnée.
Pour donner pleine satisfaction à cet égard à la Sublime Porte,
il sest établi entre le vice-roi et la Compagnie une entente
quils ont consacrée et formulée dans la convention dont les clauses
et stipulations suivent :
Article 1er.
Est et demeure abrogé, dans son entier, le règlement en date
du 20 juillet 1856 relatif à lemploi des fellahs aux travaux
du canal de Suez.
Est, en conséquence, déclarée nulle et caduque la disposition
de larticle 2 de lacte de concession du 5 janvier 1856, ainsi
conçu : Dans tous les cas, les quatre cinquièmes au moins des
ouvriers employés aux travaux seront Égyptiens.
Le gouvernement égyptien paiera à la Compagnie, à titre dindemnité
et en raison de lannulation du règlement du 20 juillet 1856 et
des avantages quil comportait, une somme de 38,000,000 de francs.
La Compagnie se procurera désormais, suivant le droit commun,
sans privilèges comme sans entraves, les ouvriers nécessaires
aux travaux de lentreprise.
Art. 2.
La Compagnie renonce au bénéfice des articles 7 et 8 de lacte
de concession du 30 novembre 1854 et des articles 10, 11 et 12
de celui du 5 janvier 1856.
Létendue des terrains susceptibles dirrigation concédés à la
Compagnie par ces mêmes actes de 1854 et 1856 et rétrocédés au
gouvernement, a été reconnue et fixée dun commun accord à 63,000
hectares, sur lesquels doivent être déduits 3,000 hectares qui
font partie des emplacements affectés aux besoins du canal maritime.
Art. 3.
Les articles 7 et 8 de lacte de concession de 1854 et les articles
10, 11 et 12 de celui de 1856, demeurant abrogés, comme il est
dit dans larticle 2, lindemnité due à la Compagnie par le gouvernement
égyptien, par suite de la rétrocession des terrains, sélève à
la somme de 30 millions de francs, le prix de lhectare étant
fixé à 500 francs.
Art. 4.
Considérant quil est nécessaire de déterminer, pour le canal
maritime, létendue des terrains quexigent son établissement
et son exploitation, dans des conditions propres à assurer la
prospérité de lentreprise ; que cette étendue ne doit pas être
restreinte à lespace qui sera matériellement occupé par le canal
même, par ses francs bords et par les chemins de halage ; considérant
que pour donner aux besoins de lexploitation une entière et complète
satisfaction, il faut que la Compagnie puisse établir, à proximité
du canal maritime, des dépôts, des magasins, des ateliers, des
ports dans les lieux où leur utilité sera reconnue, et enfin des
habitations convenables pour les gardiens, surveillants, les ouvriers
chargés des travaux dentretien et pour tous les préposés à ladministration
; quil est, en outre, convenable daccorder, comme accessoires
des habitations, des terrains qui puissent être cultivés en jardins
et fournir quelques approvisionnements dans des lieux privés de
toute ressource de ce genre ; quenfin il est indispensable que
la Compagnie puisse disposer de terrains suffisants pour y faire
les plantations et les travaux destinés à protéger le canal maritime
contre linvasion des sables et assurer sa conservation ; mais
quil ne doit rien être alloué au-delà de ce qui est nécessaire
pour pourvoir amplement aux divers services qui viennent dêtre
indiqués ; que la Compagnie ne peut avoir la prétention dobtenir,
dans des vues de spéculation, une étendue quelconque de terrains,
soit pour les livrer à la culture, suit pour y élever des constructions,
soit pour les céder lorsque la population aura augmenté ;
Les deux parties intéressées se renfermant dans ces limites pour
déterminer, sur tout le parcours du canal maritime, le périmètre
des terrains dont la jouissance, pendant la durée de la concession,
est nécessaire à létablissement, à lexploitation et à la conservation
de ce canal ;
Sont, dun commun accord, convenues que la quantité de terrains
nécessaires à létablissement, lexploitation et la conservation
dudit canal, est fixée, conformément aux plans et tableaux dressés,
arrêtés, signés et annexés à cet effet aux présentes.
Art. 5.
La Compagnie rétrocède au gouvernement égyptien la seconde partie
du canal deau douce située entre le Ouady, Ismaïlia et Suez,
ainsi quelle lui avait déjà rétrocédé la première partie du canal
située entre le Caire et le domaine du Ouady, par la convention
du 18 mars 1863.
La rétrocession de cette seconde partie du canal deau douce est
faite dans les termes et sous les conditions qui suivent :
1° La Compagnie est tenue de terminer les travaux restant à faire
pour mettre le canal du Ouady, Ismaïlia et Suez dans les dimensions
convenues et en état de réception.
2° Le gouvernement égyptien prendra possession du canal deau douce,
des travaux dart et des terrains qui en dépendent, aussitôt que
la Compagnie se croira en mesure de livrer ledit canal dans les
conditions ci-dessus indiquées. Cette livraison, qui impliquera
réception de la part du gouvernement égyptien, sera opérée contradictoirement
entre les ingénieurs du gouvernement et ceux de la Compagnie,
et constatée dans un procès-verbal relatant en détails les points
par lesquels létat du canal sécartera des conditions quil devait
réaliser ;
3° Le gouvernement égyptien demeurera, à partir de la livraison,
chargé de lentretien dudit canal, soit :
I. De faire dans le délai possible toutes plantations, cultures
et travaux de défense nécessaires pour empêcher la dégradation
des berges et lenvahissement des sables, et de maintenir lalimentation
du canal par celui de Zagazig, jusquà ce que cette alimentation
soit assurée directement par la prise deau du Caire ;
II. Dexécuter les travaux de la partie qui lui a été rétrocédée
par la convention du 18 mars 1863 et de mettre cette première
section en communication avec la seconde, au point de jonction
du Ouady.
III. Dassurer en toute saison la navigation en maintenant dans
le canal une hauteur deau de 2 mètres 50 centimètres dans les
hautes eaux du Nil, de 2 mètres à létiage moyen et de 1 mètre
au minimum au plus bas étiage :
IV. De fournir, en outre, à la Compagnie, un volume de 70,000 mètres
cubes deau par jour pour lalimentation des populations établies
sur le parcours du canal maritime, larrosage des jardins, le
fonctionnement des machines destinées à lentretien du canal maritime
et de celles des établissements industriels se rattachant à son
exploitation ; lirrigation des semis et des plantations pratiqués
sur les dunes et autres terrains non naturellement irrigables
compris dans les dépendances du canal maritime ; enfin lapprovisionnement
des navires qui passent par ledit canal ;
V. De faire tout curage et travaux nécessaires pour entretenir
le canal deau douce et ses ouvrages dart en parfait état. Le
gouvernement égyptien sera de ce chef substitué à la Compagnie
en toutes les charges et obligations qui résulteraient pour elle
dun entretien insuffisant, étant tenu compte de létat dans lequel
le canal aura été livré, et du délai nécessaire aux travaux que
cet état aura pu exiger.
Art. 6.
La Compagnie aura la servitude de passage sur les terrains que
devront traverser les rigoles et conduites deau nécessaires au
prélèvement des 70,000 mètres cubes deau dont il sagit ci-dessus.
Art. 7.
Aussitôt après la livraison du canal deau douce, le gouvernement
en aura la jouissance et disposera de la faculté dy établir des
prises deau ; la Compagnie, de son côté, aura pendant la durée
des travaux de construction du canal maritime et, au besoin, jusquà
la fin de 1869, la faculté détablir sur le canal deau douce
des services de remorqueurs à hélice ou de toueurs pour les besoins
de ses transports ou de ceux de ses entrepreneurs et lexploitation
exclusive du transit des marchandises de Port-Saïd à Suez, et
vice versa.
Après 1869, la Compagnie rentrera dans le droit commun pour lusage
du canal deau douce ; elle naura plus sur ce canal que la jouissance
appartenant aux Égyptiens, sans toutefois que jamais ses barques
et bâtiments puissent être soumis à aucun droit de navigation.
Lalimentation deau douce en ligne directe à Port-Saïd sera toujours
amenée par les moyens que la Compagnie jugera convenable demployer
à ses frais.
La Compagnie cesse davoir le droit de cession de prise deau,
de navigation, de pilotage, de remorquage, de halage ou stationnement
à elle accordés sur le canal deau douce par les articles 8 et
17 de lacte de concession du 5 janvier 1856.
Les bâtiments construits par la Compagnie pour ses services sur
le parcours du canal deau douce de Zagazig à Suez sont cédés
au gouvernement égyptien au prix de revient ; ceux de ces bâtiments
et dépendances qui seront nécessaires à la Compagnie pendant la
période ci-dessus indiquée lui seront loués par le gouvernement
au taux de 5 % lan du capital remboursé.
Le canal deau douce ayant été ainsi complètement rétrocédé au
gouvernement égyptien, son entretien étant à la charge dudit gouvernement,
il pourra établir sur ledit canal et ses dépendances tels ouvrages
fixes ou mobiles quil jugera convenable ; dun autre côté il
devient inutile de déterminer, ainsi quon la fait pour le canal
maritime, aucune étendue de terrain pour son entretien et pour
sa conservation.
Art. 8.
Lindemnité totale due à la Compagnie, sélevant à la somme
de 84,000,000 de francs, lui sera payée par le gouvernement égyptien,
ensemble avec le restant du montant des actions du gouvernement
au cas où la Compagnie ferait un appel de fonds la présente année,
et les 10,000,000 de francs, prix de la vente du Ouady, de la
manière indiquée au tableau dressé à cet effet, signé et annexé
aux présentes.
Art. 9.
Le canal maritime et toutes ses dépendances restent soumis à
la police égyptienne, qui sexercera librement comme sur tout
autre point du territoire, de façon à assurer le bon ordre, la
sécurité publique et lexécution des lois et règlements du pays.
Le gouvernement égyptien jouira de la servitude de passage à travers
le canal maritime sur les points quil jugera nécessaires, tant
pour ses propres communications que pour la libre circulation
du commerce et du public, sans que la Compagnie puisse percevoir
aucun droit de péage ou autre redevance sous quelque prétexte
que ce soit.
Art. 10.
Le gouvernement égyptien occupera dans le périmètre des terrains
réservés comme dépendance du canal maritime, toute position ou
tout point stratégique quil jugera nécessaire à la défense du
pays. Cette occupation ne devra pas faire obstacle à la navigation
et respectera les servitudes attachées aux francs bords du canal.
Art. 11.
Le gouvernement égyptien, sous les mêmes réserves, pourra occuper
pour ses services administratifs (poste, douane, caserne, etc.),
tout emplacement disponible quil jugera convenable, eu tenant
compte des nécessités de lexploitation des services de la Compagnie
; dans ce cas, le gouvernement remboursera, quand il aura lieu,
à la Compagnie les sommes que celle-ci aura dépensées pour créer
ou approprier les terrains dont il voudra disposer.
Art. 12.
Dans lintérêt du commerce, de lindustrie ou de la prospère
exploitation du canal, tout particulier aura la faculté, moyennant
lautorisation préalable du gouvernement et en se soumettant aux
règlements administratifs ou municipaux de lautorité locale,
ainsi quaux lois, usages et impôts du pays, de sétablir, soit
le long du canal maritime, soit dans les villes élevées sur son
parcours, réserve faite des francs bords, berges et chemins de
balage : ces derniers devant rester ouverts à la libre circulation,
sous lempire des règlements qui en détermineront lusage.
Ces établissements, du reste, ne pourront avoir lieu que sur les
emplacements que les ingénieurs de la Compagnie reconnaîtront
nêtre pas nécessaires aux services de lexploitation, et à charge
par les bénéficiaires de rembourser à la Compagnie, les sommes
dépensées par elle pour la création et lappropriation desdits
emplacements.
Art. 13.
Il est entendu que létablissement des services de douane ne
devra porter aucune atteinte aux franchises douanières dont doit
jouir le transit général seffectuant à travers le canal par les
bâtiments de toutes les nations sans aucune distinction, exclusion
ni préférence de personne ou de nationalité.
Art. 14.
Le gouvernement égyptien, pour assurer la fidèle exécution des
conventions mutuelles entre lui et la Compagnie, aura le droit
dentretenir à ses frais, auprès de la Compagnie et sur le lien
des travaux, un commissaire spécial.
Art. 15.
Il est déclaré, à titre dinterprétation, quà lexpiration
des quatre-vingt-dix-neuf ans de la concession du canal de Suez
et à défaut de nouvelle entente entre le gouvernement égyptien
et la Compagnie, la concession prendra fin de plein droit.
Art. 16.
La Compagnie universelle du canal maritime de Suez étant égyptienne,
elle est régie par les lois et usages du pays ; toutefois, en
ce qui regarde sa constitution comme Société et les rapports des
associés entre eux, elle est, par une convention spéciale, réglée
par les lois qui, en France, régissent les Sociétés anonymes.
Il est convenu que toutes les contestations de ce chef seront
jugées en France par des arbitres avec appel comme sur arbitre
à la Cour impériale de Paris.
Les différends en Égypte entre la Compagnie et les particuliers,
à quelque nationalité quils appartiennent, seront jugés par les
tribunaux locaux suivant les formes consacrées par les lois et
usages du pays et les traités.
Les contestations qui viendraient à surgir entre le gouvernement
égyptien et la Compagnie seront également soumises aux tribunaux
locaux et résolues suivant les lois du pays.
Les préposés, ouvriers et autres personnes appartenant à ladministration
de la Compagnie, seront jugés par les tribunaux locaux, suivant
les lois locales et les traités, pour tous délits et contestations
dans lesquels les parties ou lune delles seraient indigènes.
Si toutes les parties sont étrangères, il sera procédé entre elles
conformément aux règles établies.
Toute signification à la Compagnie par une partie intéressée quelconque
en Égypte sera valable faite au siège de ladministration à Alexandrie.
Art. 17.
Tous les actes antérieurs, concessions, conventions et statuts
sont maintenus dans toutes celles de leurs dispositions qui ne
sont point en contradiction avec la présente convention.
Fait en double au Caire le vingt-deux février mille huit cent soixante-six.
ISMAÏL.
FERDINAND DE LESSEPS
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