Firman du sultan Abdoul Aziz
Extrait de L'Isthme de Suez. Journal de l'Union de deux mers, n°235 15-18 avril 1866

Firman concernant le canal de Suez

Mon illustre vizir, Ismaïl-Pacha, vice roi d’Égypte, ayant rang de grand vizir, décoré de l’Osmanié et du Medjidieh de première classe, en brillants :

    La réalisation du grand œuvre destiné à donner de nouvelles facilités au commerce et à la navigation par le percement d’un canal entre la Méditerranée et la mer Rouge étant l’un des événements les plus désirables de ce siècle de science et de progrès, des conférences ont eu lieu depuis un certain temps avec la Compagnie qui demande à exécuter ce travail et elles viennent d’aboutir d’une façon conforme, pour le présent et pour l’avenir, aux droits sacrés de la Porte, comme à ceux du gouvernement égyptien.

    Le contrat, dont ci-après la teneur des articles en traduction, a été dressé et signé par le gouvernement égyptien conjointement avec le représentant de la Compagnie ; il a été soumis à notre sanction impériale, et après l’avoir lu, nous lui avons donné notre acceptation.

    (Suit le contrat in extenso.)

    Le présent firman, émané de notre divan impérial, est rendu à cet effet que nous donnons notre autorisation souveraine à l’exécution du canal par ladite Compagnie, aux conditions stipulées dans ce contrat, comme aussi au règlement de tous les accessoires selon ce contrat et les actes et conventions y inscrits et désignés qui en font partie intégrante.

Donné le 2 zilgydé 1282.

(19 mars 1866.)

Convention du 22 février 1866

Entre S.A. Ismaïl-Pacha, vice-roi d’Égypte, d’une part ;

Et la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, représentée par M. Ferdinand de Lesseps, son président-fondateur, autorisé à cet effet par les assemblées générales des actionnaires des 1er mars et 6 août 1864 et par décision spéciale du Conseil d’administration de ladite Compagnie, en date du 13 septembre 1864, d’autre part ;

A été exposé et stipulé ce qui suit :

Un premier acte de concession provisoire, en date du 30 novembre 1854, a autorisé M. de Lesseps à former une Compagnie financière pour l’exécution du canal maritime de Suez.

Un second acte de concession, en date du 5 janvier 1856, a déterminé le cahier des charges pour procéder à la formation de la Compagnie financière chargée d’exécuter les travaux du canal et a donné l’autorisation d’exécuter les travaux du percement de l’isthme dès que la ratification de la Sublime Porte serait obtenue. A cet acte étaient annexés les statuts de la Compagnie universelle, revêtus de l’approbation du vice-roi.

Un décret-règlement, en date du 20 juillet 1856, a déterminé l’emploi des ouvriers fellahs aux travaux du canal de Suez.

Une convention intervenue entre le vice-roi et la Compagnie, le 18 mars 1863, a rétrocédé au gouvernement égyptien la première section du canal d’eau douce, entre le Caire et le Ouady.

Une autre convention, datée du 20 mars 1863, a réglé la participation financière du gouvernement égyptien dans l’entreprise.

Enfin, une dernière convention, en date du 30 janvier 1866, a réglé :

    L’usage des terrains réservés à la Compagnie comme dépendances du canal maritime ;

    La cession du canal d’eau douce, des terrains, ouvrages d’art et constructions en dépendant et la reprise par le gouvernement de l’entretien dudit canal ;

    La vente du domaine du Ouady, au prix de 10,000,000 de francs ;

    Les échéances des termes fixés pour le paiement des sommes dues à la Compagnie.

La Sublime Porte sollicitée, conformément à l’acte de concession du 5 janvier 1856, de donner sa ratification à la concession de l’entreprise du canal, a formulé, par une note en date du 6 avril 1863, les conditions auxquelles cette ratification était subordonnée.

Pour donner pleine satisfaction à cet égard à la Sublime Porte, il s’est établi entre le vice-roi et la Compagnie une entente qu’ils ont consacrée et formulée dans la convention dont les clauses et stipulations suivent :

Article 1er.

    – Est et demeure abrogé, dans son entier, le règlement en date du 20 juillet 1856 relatif à l’emploi des fellahs aux travaux du canal de Suez.

    Est, en conséquence, déclarée nulle et caduque la disposition de l’article 2 de l’acte de concession du 5 janvier 1856, ainsi conçu : “ Dans tous les cas, les quatre cinquièmes au moins des ouvriers employés aux travaux seront Égyptiens. ”

    Le gouvernement égyptien paiera à la Compagnie, à titre d’indemnité et en raison de l’annulation du règlement du 20 juillet 1856 et des avantages qu’il comportait, une somme de 38,000,000 de francs.

    La Compagnie se procurera désormais, suivant le droit commun, sans privilèges comme sans entraves, les ouvriers nécessaires aux travaux de l’entreprise.

Art. 2.

    – La Compagnie renonce au bénéfice des articles 7 et 8 de l’acte de concession du 30 novembre 1854 et des articles 10, 11 et 12 de celui du 5 janvier 1856.

    L’étendue des terrains susceptibles d’irrigation concédés à la Compagnie par ces mêmes actes de 1854 et 1856 et rétrocédés au gouvernement, a été reconnue et fixée d’un commun accord à 63,000 hectares, sur lesquels doivent être déduits 3,000 hectares qui font partie des emplacements affectés aux besoins du canal maritime.

Art. 3.

    – Les articles 7 et 8 de l’acte de concession de 1854 et les articles 10, 11 et 12 de celui de 1856, demeurant abrogés, comme il est dit dans l’article 2, l’indemnité due à la Compagnie par le gouvernement égyptien, par suite de la rétrocession des terrains, s’élève à la somme de 30 millions de francs, le prix de l’hectare étant fixé à 500 francs.

Art. 4.

    – Considérant qu’il est nécessaire de déterminer, pour le canal maritime, l’étendue des terrains qu’exigent son établissement et son exploitation, dans des conditions propres à assurer la prospérité de l’entreprise ; que cette étendue ne doit pas être restreinte à l’espace qui sera matériellement occupé par le canal même, par ses francs bords et par les chemins de halage ; considérant que pour donner aux besoins de l’exploitation une entière et complète satisfaction, il faut que la Compagnie puisse établir, à proximité du canal maritime, des dépôts, des magasins, des ateliers, des ports dans les lieux où leur utilité sera reconnue, et enfin des habitations convenables pour les gardiens, surveillants, les ouvriers chargés des travaux d’entretien et pour tous les préposés à l’administration ; qu’il est, en outre, convenable d’accorder, comme accessoires des habitations, des terrains qui puissent être cultivés en jardins et fournir quelques approvisionnements dans des lieux privés de toute ressource de ce genre ; qu’enfin il est indispensable que la Compagnie puisse disposer de terrains suffisants pour y faire les plantations et les travaux destinés à protéger le canal maritime contre l’invasion des sables et assurer sa conservation ; mais qu’il ne doit rien être alloué au-delà de ce qui est nécessaire pour pourvoir amplement aux divers services qui viennent d’être indiqués ; que la Compagnie ne peut avoir la prétention d’obtenir, dans des vues de spéculation, une étendue quelconque de terrains, soit pour les livrer à la culture, suit pour y élever des constructions, soit pour les céder lorsque la population aura augmenté ;

    Les deux parties intéressées se renfermant dans ces limites pour déterminer, sur tout le parcours du canal maritime, le périmètre des terrains dont la jouissance, pendant la durée de la concession, est nécessaire à l’établissement, à l’exploitation et à la conservation de ce canal ;

    Sont, d’un commun accord, convenues que la quantité de terrains nécessaires à l’établissement, l’exploitation et la conservation dudit canal, est fixée, conformément aux plans et tableaux dressés, arrêtés, signés et annexés à cet effet aux présentes.

Art. 5.

    – La Compagnie rétrocède au gouvernement égyptien la seconde partie du canal d’eau douce située entre le Ouady, Ismaïlia et Suez, ainsi qu’elle lui avait déjà rétrocédé la première partie du canal située entre le Caire et le domaine du Ouady, par la convention du 18 mars 1863.

      La rétrocession de cette seconde partie du canal d’eau douce est faite dans les termes et sous les conditions qui suivent :

      La Compagnie est tenue de terminer les travaux restant à faire pour mettre le canal du Ouady, Ismaïlia et Suez dans les dimensions convenues et en état de réception.

      Le gouvernement égyptien prendra possession du canal d’eau douce, des travaux d’art et des terrains qui en dépendent, aussitôt que la Compagnie se croira en mesure de livrer ledit canal dans les conditions ci-dessus indiquées. Cette livraison, qui impliquera réception de la part du gouvernement égyptien, sera opérée contradictoirement entre les ingénieurs du gouvernement et ceux de la Compagnie, et constatée dans un procès-verbal relatant en détails les points par lesquels l’état du canal s’écartera des conditions qu’il devait réaliser ;

      Le gouvernement égyptien demeurera, à partir de la livraison, chargé de l’entretien dudit canal, soit :

        I. – De faire dans le délai possible toutes plantations, cultures et travaux de défense nécessaires pour empêcher la dégradation des berges et l’envahissement des sables, et de maintenir l’alimentation du canal par celui de Zagazig, jusqu’à ce que cette alimentation soit assurée directement par la prise d’eau du Caire ;

        II. – D’exécuter les travaux de la partie qui lui a été rétrocédée par la convention du 18 mars 1863 et de mettre cette première section en communication avec la seconde, au point de jonction du Ouady.

        III. – D’assurer en toute saison la navigation en maintenant dans le canal une hauteur d’eau de 2 mètres 50 centimètres dans les hautes eaux du Nil, de 2 mètres à l’étiage moyen et de 1 mètre au minimum au plus bas étiage :

        IV. – De fournir, en outre, à la Compagnie, un volume de 70,000 mètres cubes d’eau par jour pour l’alimentation des populations établies sur le parcours du canal maritime, l’arrosage des jardins, le fonctionnement des machines destinées à l’entretien du canal maritime et de celles des établissements industriels se rattachant à son exploitation ; l’irrigation des semis et des plantations pratiqués sur les dunes et autres terrains non naturellement irrigables compris dans les dépendances du canal maritime ; enfin l’approvisionnement des navires qui passent par ledit canal ;

        V.
        – De faire tout curage et travaux nécessaires pour entretenir le canal d’eau douce et ses ouvrages d’art en parfait état. Le gouvernement égyptien sera de ce chef substitué à la Compagnie en toutes les charges et obligations qui résulteraient pour elle d’un entretien insuffisant, étant tenu compte de l’état dans lequel le canal aura été livré, et du délai nécessaire aux travaux que cet état aura pu exiger.

Art. 6.

    – La Compagnie aura la servitude de passage sur les terrains que devront traverser les rigoles et conduites d’eau nécessaires au prélèvement des 70,000 mètres cubes d’eau dont il s’agit ci-dessus.

Art. 7.

    – Aussitôt après la livraison du canal d’eau douce, le gouvernement en aura la jouissance et disposera de la faculté d’y établir des prises d’eau ; la Compagnie, de son côté, aura pendant la durée des travaux de construction du canal maritime et, au besoin, jusqu’à la fin de 1869, la faculté d’établir sur le canal d’eau douce des services de remorqueurs à hélice ou de toueurs pour les besoins de ses transports ou de ceux de ses entrepreneurs et l’exploitation exclusive du transit des marchandises de Port-Saïd à Suez, et vice versa.

    Après 1869, la Compagnie rentrera dans le droit commun pour l’usage du canal d’eau douce ; elle n’aura plus sur ce canal que la jouissance appartenant aux Égyptiens, sans toutefois que jamais ses barques et bâtiments puissent être soumis à aucun droit de navigation.

    L’alimentation d’eau douce en ligne directe à Port-Saïd sera toujours amenée par les moyens que la Compagnie jugera convenable d’employer à ses frais.

    La Compagnie cesse d’avoir le droit de cession de prise d’eau, de navigation, de pilotage, de remorquage, de halage ou stationnement à elle accordés sur le canal d’eau douce par les articles 8 et 17 de l’acte de concession du 5 janvier 1856.

    Les bâtiments construits par la Compagnie pour ses services sur le parcours du canal d’eau douce de Zagazig à Suez sont cédés au gouvernement égyptien au prix de revient ; ceux de ces bâtiments et dépendances qui seront nécessaires à la Compagnie pendant la période ci-dessus indiquée lui seront loués par le gouvernement au taux de 5 % l’an du capital remboursé.

    Le canal d’eau douce ayant été ainsi complètement rétrocédé au gouvernement égyptien, son entretien étant à la charge dudit gouvernement, il pourra établir sur ledit canal et ses dépendances tels ouvrages fixes ou mobiles qu’il jugera convenable ; d’un autre côté il devient inutile de déterminer, ainsi qu’on l’a fait pour le canal maritime, aucune étendue de terrain pour son entretien et pour sa conservation.

Art. 8.

    – L’indemnité totale due à la Compagnie, s’élevant à la somme de 84,000,000 de francs, lui sera payée par le gouvernement égyptien, ensemble avec le restant du montant des actions du gouvernement au cas où la Compagnie ferait un appel de fonds la présente année, et les 10,000,000 de francs, prix de la vente du Ouady, de la manière indiquée au tableau dressé à cet effet, signé et annexé aux présentes.

Art. 9.

    – Le canal maritime et toutes ses dépendances restent soumis à la police égyptienne, qui s’exercera librement comme sur tout autre point du territoire, de façon à assurer le bon ordre, la sécurité publique et l’exécution des lois et règlements du pays.

    Le gouvernement égyptien jouira de la servitude de passage à travers le canal maritime sur les points qu’il jugera nécessaires, tant pour ses propres communications que pour la libre circulation du commerce et du public, sans que la Compagnie puisse percevoir aucun droit de péage ou autre redevance sous quelque prétexte que ce soit.

Art. 10.

    – Le gouvernement égyptien occupera dans le périmètre des terrains réservés comme dépendance du canal maritime, toute position ou tout point stratégique qu’il jugera nécessaire à la défense du pays. Cette occupation ne devra pas faire obstacle à la navigation et respectera les servitudes attachées aux francs bords du canal.

Art. 11.

    – Le gouvernement égyptien, sous les mêmes réserves, pourra occuper pour ses services administratifs (poste, douane, caserne, etc.), tout emplacement disponible qu’il jugera convenable, eu tenant compte des nécessités de l’exploitation des services de la Compagnie ; dans ce cas, le gouvernement remboursera, quand il aura lieu, à la Compagnie les sommes que celle-ci aura dépensées pour créer ou approprier les terrains dont il voudra disposer.

Art. 12.

    – Dans l’intérêt du commerce, de l’industrie ou de la prospère exploitation du canal, tout particulier aura la faculté, moyennant l’autorisation préalable du gouvernement et en se soumettant aux règlements administratifs ou municipaux de l’autorité locale, ainsi qu’aux lois, usages et impôts du pays, de s’établir, soit le long du canal maritime, soit dans les villes élevées sur son parcours, réserve faite des francs bords, berges et chemins de balage : ces derniers devant rester ouverts à la libre circulation, sous l’empire des règlements qui en détermineront l’usage.

    Ces établissements, du reste, ne pourront avoir lieu que sur les emplacements que les ingénieurs de la Compagnie reconnaîtront n’être pas nécessaires aux services de l’exploitation, et à charge par les bénéficiaires de rembourser à la Compagnie, les sommes dépensées par elle pour la création et l’appropriation desdits emplacements.

Art. 13.

    – Il est entendu que l’établissement des services de douane ne devra porter aucune atteinte aux franchises douanières dont doit jouir le transit général s’effectuant à travers le canal par les bâtiments de toutes les nations sans aucune distinction, exclusion ni préférence de personne ou de nationalité.

Art. 14.

    – Le gouvernement égyptien, pour assurer la fidèle exécution des conventions mutuelles entre lui et la Compagnie, aura le droit d’entretenir à ses frais, auprès de la Compagnie et sur le lien des travaux, un commissaire spécial.

Art. 15.

    – Il est déclaré, à titre d’interprétation, qu’à l’expiration des quatre-vingt-dix-neuf ans de la concession du canal de Suez et à défaut de nouvelle entente entre le gouvernement égyptien et la Compagnie, la concession prendra fin de plein droit.

Art. 16.

    – La Compagnie universelle du canal maritime de Suez étant égyptienne, elle est régie par les lois et usages du pays ; toutefois, en ce qui regarde sa constitution comme Société et les rapports des associés entre eux, elle est, par une convention spéciale, réglée par les lois qui, en France, régissent les Sociétés anonymes. Il est convenu que toutes les contestations de ce chef seront jugées en France par des arbitres avec appel comme sur arbitre à la Cour impériale de Paris.

    Les différends en Égypte entre la Compagnie et les particuliers, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, seront jugés par les tribunaux locaux suivant les formes consacrées par les lois et usages du pays et les traités.

    Les contestations qui viendraient à surgir entre le gouvernement égyptien et la Compagnie seront également soumises aux tribunaux locaux et résolues suivant les lois du pays.

    Les préposés, ouvriers et autres personnes appartenant à l’administration de la Compagnie, seront jugés par les tribunaux locaux, suivant les lois locales et les traités, pour tous délits et contestations dans lesquels les parties ou l’une d’elles seraient indigènes.

    Si toutes les parties sont étrangères, il sera procédé entre elles conformément aux règles établies.

    Toute signification à la Compagnie par une partie intéressée quelconque en Égypte sera valable faite au siège de l’administration à Alexandrie.

Art. 17.

    – Tous les actes antérieurs, concessions, conventions et statuts sont maintenus dans toutes celles de leurs dispositions qui ne sont point en contradiction avec la présente convention.

    Fait en double au Caire le vingt-deux février mille huit cent soixante-six.

ISMAÏL.
FERDINAND DE LESSEPS