L'union des deux mers
L'Isthme de Suez. Journal de l'Union des deux mers, n°315, 1er septembre 1869

Chronique de l'Isthme.

Notre numéro du 15-18 août contenait une dépêche télégraphique de M. le Directeur général des travaux annonçant l'introduction des eaux de la mer Rouge dans les lacs Amers et la réunion des deux mers dans ce vaste bassin.


 
Dernier coup de pioche donné par Ali Pacha au réservoir de la plaine de Suez
(Association du Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du canal de Suez)

Nous attendions avec impatience le courrier partant d’Alexandrie le 19 pour avoir des renseignements précis sur ce fait important, qui est un nouveau démenti à toutes les appréhensions sinistres qui ont été si obstinément exprimées à l’égard du remplissage des lacs Amers.

Depuis la date du télégramme ci-dessus indiqué nous avons reçu nos correspondances d’Égypte jusqu’à la date du 18, mais elles avaient été devancées par un second télégramme de M. le Directeur général à la date du 19, dont voici le très-satisfaisant contenu :

    “ Ismaïlia, 19 août 1869, 8 h. 17 m.

    “ Les eaux de la mer Rouge s’écoulent régulièrement sans déversoir dans les lacs Amers. La navigation à vapeur est établie sur le canal. La situation est excellente. ”

    ” Voisin. ”

    Nos correspondances du 18 contiennent des détails qui ne manquent pas d’intérêt sur les circonstances qui ont marqué cette introduction mémorable de la mer Rouge dans le canal et le principal bassin de l’isthme. Nous allons les résumer rapidement quoiqu’ils aient perdu une grande partie de leur importance par les faits accomplis.

    La fête du 15 août a été célébrée avec une grande pompe à Suez et l’un de ses principaux attraits était incontestablement l’opération délicate et décisive qui devait se faire ce jour-là. S.A. le khédive avait envoyé pour présider à la cérémonie Ali-Pacha Moubarek, Ministre des travaux publics. L’introduction des eaux s’était opérée avec un plein succès, et un grand banquet destiné à célébrer cet heureux événement avait réuni dans la soirée les principaux chefs et employés de la Compagnie, de l’entreprise, et les autorités égyptiennes. Plusieurs toasts y avaient été portés ; le premier par M. Voisin-Bey à S.A. le khédive, auquel S. Exc. le Ministre des travaux publics répondit par un toast à l’Empereur des Français : “ Ce jour, a-t-il dit, représente la triple fête de l’Empereur, de la France et de la civilisation, car l’ouverture de la communication entre les deux mers ouvre une nouvelle ère au progrès de la civilisation du monde. ”

M. Emerat, consul de France à Suez, a porté un toast à M. de Lesseps, président, et au personnel de la Compagnie et de l’entreprise.

M. Guichard, à la ville de Suez et à ses habitants.

M. West, consul anglais à Suez et directeur de la Compagnie Péninsulaire et Orientale, qui, nos lecteurs le savent, n’a jamais négligé une occasion de témoigner de ses sympathies pour l’entreprise, a bu au canal et à ses résultats pratiques et commerciaux.

M. Giraud, ingénieur en chef des ateliers des Messageries impériales, a renouvelé le toast à M. de Lesseps.

M. Voisin porte ensuite un toast à S. Exc. Ali-Pacha, en rappelant qu’il a été souvent délégué par Son Altesse pour les relations existantes entre le Gouvernement égyptien et la Compagnie.

Le banquet s’est terminé par un toast de M. Voisin aux entrepreneurs et à leur personnel.

Dans cet intervalle, les eaux de la mer Rouge continuaient à marcher vers les lacs Amers, et, à la fin de la soirée, un exprès est venu annoncer que les eaux grossissaient de façon à devenir menaçantes. Les chefs de sections se sont immédiatement portés sur les lieux. Dans la nuit, une partie du déversoir avait été emportée ; mais les eaux se sont arrêtées devant le barrage des petits lacs.

Dès le lendemain la situation se régularisait. Le 18, M. Voisin, suivi des ingénieurs de la Compagnie, parcourait le canal en bateau, de Suez à Chalouf. “ L’aspect du canal, écrit-il à M. de Lesseps, était splendide. Je regrettais que vous ne fussiez point là pour en jouir avec nous. Le courant était à peine sensible ; les talus se sont partout parfaitement comportés.


C’est le lendemain de la date de cette lettre, c’est-à-dire le 19, que M. le Directeur général expédiait le télégramme ci-dessus dans lequel il signale la situation comme excellente.

Nos derniers renseignements nous annoncent que tout marche du côté de Suez de la manière la plus satisfaisante. Les eaux de la mer Rouge se répandent tranquillement dans les lacs, dont le remplissage s’opère par leurs deux extrémités du Nord et du Sud, à raison d’une élévation de six centimètres par jour. La hauteur des eaux dans les lacs était déjà de plus de 4 mètres. Il n’est donc pas douteux que, dans les premiers jours de novembre, le remplissage ne soit complet à la hauteur voulue de 8 mètres.

Les autres travaux progressaient comme d’habitude, et ce n’est que dans le numéro prochain que nous pourrons publier le tableau du cube exécuté du 15 juillet au 15 août.
Nous le répétons, le canal sera livré à la grande navigation le 17 novembre prochain.

ERNEST DESPLACES.