Témoins et Témoignages
« Les délégations commerciales dans l’Isthme de Suez »,
L’Isthme de Suez. Journal de l’union des deux mers,
n°213, 1er mai 1865.


En 1865, la Compagnie Universelle du canal maritime de Suez organise un voyage d’inspection des travaux afin de présenter au monde entier la bonne marche des chantiers. Cette manifestation, sans précédent dans l’histoire des grandes entreprises industrielles, réunit les représentants officiels de dix pays ( Autriche, Belgique, Brésil, Grèce, Italie, Pays-Bas, Perse, Russie, Suède, Villes Hanséatiques) ainsi que les délégués de huit grandes compagnies constituées et de soixante deux chambres de commerce appartenant à quatorze nations différentes. Le journal de l’Isthme de Suez souligne le complet succès de cette expédition et donne le compte rendu de quelques discours de délégués.

    « C’est donc, on peut le dire, toute l’Europe qui proclame et affirme l’utilité universelle du percement de l’isthme de Suez, c’est l’Europe entière, c’est l’Amérique, c’est l’Asie, c’est l’Afrique, qui, par la voix des représentants de la politique et du commerce, viennent reconnaître que le canal de Suez est l’affaire du monde, le promoteur d’une nouvelle ère pour tous les peuples et pour tous les pavillons, et que cette œuvre plane au-dessus de toutes ces accusations d’ambitions étroites et de nationalisme exclusif dont on essayé de se forger un prétexte pour la combattre et la discréditer. »

Discours de Cyrus Field, délégué de la ville de New York :

    « Sur l’invitation de la chambre de commerce de New York, je me suis rendu ici pour assister à la jonction de l’Atlantique et de l’océan Indien par la Méditerranée et la mer Rouge unies au moyen du canal de Suez.

    Je suis certain que tous ceux qui auront vu ce que nous voyons seront d’accord pour reconnaître qu’un canal maritime peut être exécuté à travers l’Isthme, moyennant un capital convenable, sous la direction des ingénieurs les plus distingués du XIXe siècle.

    Vous avez entrepris, monsieur le Président, le grand œuvre de couper deux continents au profit de toutes les nations commerciales du monde ; je fais les voeux les plus ardents pour que vous puissiez en voir bientôt le succès complet, et pour que ce travail reste un monument aussi durable que les Pyramides de votre énergie et de votre talent. »

Discours d’Alfred de Lindheim, délégué de la Société impériale et royale de Vienne :

    « En peu de mots : la métropole de l’Autriche bénit le jour où l’union de la mer Rouge avec la Méditerranée sera au service de la grande navigation. Que ce fait s’accomplisse qui pourrait en douter ? Nous tous en retournant dans notre pays, nous n’aurons pas seulement à faire l’éloge du bon accueil, de l’aimable et gracieuse hospitalité avec laquelle la société a bien voulu nous recevoir, nous pourrons dire à nos compatriotes :

    Le Canal n’est plus un rêve, il est assuré à jamais.

    Mais nous pourrons faire mieux encore. Nous tous, nous pourrons, chacun selon son influence, ses moyens, sa capacité, prêter nos forces à cette grande, cette glorieuse entreprise.

    Pour moi, même dans ma position modeste, j’avoue franchement que j’aime à penser qu’à mon retour S. M. l’Empereur sera assez gracieux pour me recevoir. C’est bien dans ce moment que j’oserai lui dire : Sire vous avez fait le bonheur de l’Autriche ; vous lui avez fait le don le plus précieux : elle vous doit la liberté ; qu’il plaise à Votre Majesté de mettre sous son auguste protection le canal de Suez, une entreprise qui favorise le commerce de l’Autriche et qui ne connaît pas d’autres intérêts que les intérêts du monde entier.

    Messieurs, à la fin de mon discours ce n’est pas un toast que je vous propose. Nous avons vu parmi toutes les oeuvres admirables qu’on a voulu nous montrer ce jour, qu’il y a un Dieu pour le désert comme pour notre belle patrie ! Eh bien ! que ce Dieu du désert, ce Dieu puissant, soit avec M. de Lesseps : qu’il bénisse ses efforts, et qu’on puisse dire à jamais : avec Lesseps est Dieu ! »

Discours d’Alexandre de Smelsky, vice-consul de Russie :

    « Permettez-moi, monsieur le Président, de vous témoigner, en présence des délégués des différentes chambres de commerce, l’intérêt sincère que le gouvernement de Sa Majesté l’Empereur, mon maître, porte à la grande affaire du percement de l’isthme de Suez, et la sympathie qu’il a pour vous, initiateur de cette grande entreprise, brave et fidèle champion des intérêts du commerce et de la navigation universelle.

    Le commerce extérieur de la Russie se développe de jour en jour avec les améliorations de nos voies de communication. Nos vastes et fertiles plaines, nos vigoureux travailleurs attendent avec impatience le moment où ils pourront envoyer, par la voie dont vous leur ouvrez la porte, le produit de leur travail aujourd’hui libre.

    La construction du chemin de fer de Moscou à Odessa va commencer cette année, et nous voici à la veille du jour où, du sud au nord et du nord au sud, la civilisation va marcher à la vapeur. C’est bien elle qui est la paix et le bonheur des peuples. »

Déclaration de la délégation italienne :

    [...] Sur la grandeur de l’œuvre immense que vous avez entreprise, sur votre admirable persévérance, sur les espérances que le monde entier, et notre pays en particulier, nourrissent à son égard, il serait désormais inutile d’insister ; d’autant plus qu’en rentrant en Italie et en reportant toute notre attention sur les précieux renseignements et les consciencieuses observations que nous avons recueillis sur les lieux, et sur les documents ultérieurs que vous avez bien voulu nous promettre, nous soumettrons à nos mandants et au public le résultat de nos études, que vous nous avez facilitées avec tant de bonté et d’empressement.

    Aujourd’hui, c’est seulement de notre reconnaissance vive et sincère que nous voulons vous parler.

    L’hospitalité généreuse et splendide avec laquelle vous avez accueilli les délégués du commerce, et qui leur a permis de parcourir les terres les plus désolées du désert au milieu du confortable et du bien-être européens, est une preuve nouvelle de cette traditionnelle courtoisie qui forme un des traits les plus saillants et les plus nobles du caractère français.
    Nous emportons, Monsieur, dans notre pays et au milieu de nos familles le souvenir impérissable de la bienveillance exquise que vous nous avez témoignée. »