Maryse Dusoulier : "Joséphine, la passion des étoffes" au showroom de la manufacture Prelle (2015)

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À l’occasion du bicentenaire de la mort de l’impératrice Joséphine, grande collectionneuse d’étoffes, le showroom parisien de la manufacture Prelle présente l’exposition « Joséphine, la passion des étoffes », depuis le 24 octobre 2014.
Le prolongement de l’exposition jusqu’au 20 février 2015 est une belle occasion pour napoleon.org de poser quelques questions à la directrice de Prelle-Paris, Madame Maryse Dusoulier.

Propos recueillis le 2 février 2015.
Les photos (© R. Young et I. Delage) sont publiées avec l’aimable autorisation de Mme Dusoulier et des prêteurs privés des robes et bijoux Empire présents à l’exposition Joséphine, la passion des étoffes : M. et Mme Exertier et M. Labrosse. Plus de photos de l’exposition sur notre page Facebook

Maryse Dusoulier : "Joséphine, la passion des étoffes" au showroom de la manufacture Prelle (2015)
Accueil du showroom Prelle à Paris

Marie de Bruchard : La maison Prelle a été fondée au milieu du XVIIIe siècle. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire de cette manufacture à la longévité exceptionnelle ?

Maryse Dusoulier : La maison Prelle existe sous d’autres noms effectivement depuis cette période. Grâce à des dirigeants doués, cette maison a survécu parmi les multiples petits établissements du XVIIIe s. en évitant les faillites, en se transmettant au fil des héritages et en rachetant les fonds d’autres petites manufactures  ; c’est ainsi que notre fond d’archives existe sans discontinuité depuis. Il forme vraiment un « trésor de guerre » de deux siècles et demi. À la fin du XIXe s., le dessinateur Eugène Prelle reprend cette maison qui devient, alors, la maison Prelle et s’est transmise depuis au sein de la même famille sur cinq générations.

Marie de Bruchard : Cette longévité sans rupture explique-t-elle la transmission de techniques de tissage de la soie encore aujourd’hui ?

Cahier d'archives de la maison PrelleMaryse Dusoulier : À proprement parler, les techniques existaient et existent encore dans d’autres maisons de la Croix-Rousse à Lyon, au XVIIIe comme au début du XIXe. La chance de notre maison, c’est d’avoir su survivre à de grandes périodes de crise qui ont touché d’autres ateliers, notamment sous la Terreur avec les boucheries ordonnées par Fouché, ou après la Commune qui a heurté de plein fouet les artisans de la soie. L’histoire de ces soieries de Lyon correspond en tout point avec l’histoire de France : économie, finance, art, goût… et donc avec l’histoire napoléonienne, par exemple, comme le montre notre exposition.

Marie de Bruchard : Quelle est la spécificité de la période du Premier Empire dans le domaine des tissus ?

Échantillons de Prelle, prêts privés de collier et robe EmpireMaryse Dusoulier : Elle est marquée par un réel renouveau. Pour le comprendre, il faut se figurer la période de détresse que connaissait la soierie lyonnaise pendant et après la Révolution. Il n’y avait plus de marché, plus de commandes, il y avait eu beaucoup de morts parmi les tisseurs. Napoléon était particulièrement « entiché » de la ville de Lyon : ses cinq passages là-bas sont restés dans l’histoire de la ville, de son retour d’Italie aux Cent-Jours. À chaque séjour, il n’a pas manqué de visiter les soieries lyonnaises, et avait une vision très aiguë de ce qu’il fallait faire pour faire renaître cette industrie à Lyon. Il y avait une vraie volonté de relance par le pouvoir. Dès le tout début du XIXe s., ses nombreuses commandes de damas, ces tissus assez simples mais très beaux, servaient à « impérialiser les palais royaux », à commencer par celui de Saint-Cloud. Ces tissus annoncent une nouvelle ère : on y voit déjà percer les motifs typiques du Premier Empire : le registre floral, le registre géométrique, … Dès le départ, la conscience du pouvoir du luxe, comme instrument politique, est présente chez Napoléon, pour le tissu comme pour les autres arts décoratifs. En 1811 et 1813, il fait deux énormes commandes : on dit qu’à elles deux, ces commandes cumulent plus d’une centaine de kilomètres de tissu.

Marie de Bruchard : Et quand on sait le temps que demandait la production de telles quantités d’étoffes…

Retissage d'après motif EmpireMaryse Dusoulier : Oui ! Pour faire un velours ciselé, un tissu très cher, on tisse dix centimètres par jour, pas plus, à l’époque impériale comme à la nôtre. Et le Garde-meuble impérial ne faisait pas de cadeaux aux fournisseurs : il observait les effets de la lumière du soleil et de la Lune, pendant des semaines, pour tester la résistance des couleurs végétales !

Marie de Bruchard : Que nous apprennent ces tissus sur les goûts esthétiques de l’Empereur ?

Retissage d'après motif EmpireMaryse Dusoulier : Il y a énormément d’anecdotes vérifiables où l’Empereur se déchaîne par exemple sur telle ou telle personne, en particulier Joséphine : « Madame, il faut porter de la soie ! ». Ce qui n’était pas la tasse de thé de Joséphine qui préférait des tissus plus légers, des matières fines qui lui faisaient penser à ses îles, comme l’illustrent les robes présentées dans notre exposition. Les robes de l’Empire ne ressemblaient pas du tout aux robes XVIIIe, toutes faites de taffetas et de soie. On sait que Napoléon incitait ses maréchaux, généraux et conseils à porter de la soie. Il existe même un décret de 1804 définissant la tenue des ministres : « Les ministres porteront leur costume ordinaire, lequel pourra être boutonné et presque fermé par-devant, en soie, velours ou drap, avec écharpe blanche, à laquelle l’épée sera suspendue […] ». D’une façon assez curieuse, on revient à l’époque, par sa volonté, à des vêtements masculins qui ressemblent à ceux de l’Ancien Régime. Pour ce qui est du détail des tissus, de nombreux intermédiaires existaient entre l’Empereur et la manufacture : Percier et Fontaine passaient eux-mêmes commande au Garde-meuble, qui passait à son tour commande à la manufacture. Mais on trouve trace, dans la Correspondance, de la divergence des goûts entre Napoléon Ier et Joséphine. En tout cas, ces commandes ont été si importantes que le Mobilier national les utilisait encore dans les années 50, sous la présidence de Charles de Gaulle. Juste après, ça n’a plus été le cas, et désormais ces tissus sont rangés dans les magnifiques placards du Mobilier national. Lorsque nous devons refaire un tissu comme à l’époque, nous nous rendons là-bas pour observer ces pièces historiques.

Marie de Bruchard : Un de vos projets est directement concerné par cette recréation de tissu Empire, il s’agit de la restauration du salon doré de l’Impératrice, à Malmaison. Pouvez-vous nous dire plus sur ce projet ?

Motif des chaises du Salon doré de la Malmaison © PrelleMaryse Dusoulier : Il y a quelques années, j’ai lancé une association bénévole sur une idée conjointe avec Bernard Chevallier qui était encore conservateur en chef de Malmaison et qui se désolait de ne pas pouvoir refaire ce salon dont le tissu était usé jusqu’à la trame. Nous avons relevé le défi avec tout un groupe de convaincus. Avec la difficulté pour trouver un mécène unique, surtout par les temps qui courent, nous avons organisé des appels aux dons à l’aide de quelques manifestations et de conférences qui ont lieu au moins deux fois par semaine, pour lesquelles nous demandons 5 à 10 euros à l’ordre de la restauration du salon doré. Petit à petit, au bout de cinq ans, nous avons pu restaurer quatre chaises et nous devrions pouvoir faire deux ou trois fauteuils. Je l’ai fait par goût pour cette période mais le contexte actuel économique n’a pas forcément aidé à ce que ce projet aboutisse rapidement : il est en cours… On espère ainsi revoir le tableau de Joséphine et de ses adieux au Tsar, entourée par ses enfants : c’est un tableau très émouvant où le fameux tissu du salon est éclatant. Celui-ci est caractéristique du goût impulsé par l’Empereur. Contrairement à la période précédente où la décoration flottait dans un flou de motifs de fleurs, pompons et noeuds, ici, il y a un cadre pensé, néoclassique, avec ses palmettes structurantes, mais qui comporte aussi une mandorle centrale avec son bouquet de lilas. Cela aurait pu être des pavots, une fleur que l’Empereur aimait beaucoup. Enfin, l’audace des couleurs est impressionnante : ce jaune jonquille, un des termes poétiques de l’époque pour désigner les couleurs, nous l’avons retrouvé dans les parties protégées de la lumière du tissu originel. Il est très dur à croiser avec des fils de couleur rouge grenat, comme c’est le cas ici. Les deux couleurs peuvent se perturber et c’est le travail du tisseur de trouver ou retrouver les bonnes techniques afin de produire l’effet désiré, sur les reproductions de tissus d’hier comme pour les commandes totalement actuelles.

Salon doré dans son état actuel © RMNEn savoir plus :
Un numéro hors-série du magazine Connaissance des arts, paru en 2005, portait sur la manufacture de soieries Prelle. Quelques exemplaires restent à acheter auprès de la manufacture.

Showroom de la manufacture Prelle
5, place des Victoires
75001 Paris
Contact : http://www.prelle.fr/

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