Correspondance générale de Napoléon Bonaparte. Tome 6 : 1806 – Vers le Grand Empire. Introduction

Auteur(s) : KERAUTRET Michel
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La Correspondance générale continue son chemin, et de nouvelles collectes fructueuses opérées un peu partout, grâce à des concours très divers, en France comme à l'étranger, permettent une fois de plus d'étoffer sensiblement l'héritage épistolaire de Napoléon : pour 1806, ce sixième volume réunit 2685 lettres, soit 39 % de plus que n'en comportait la publication du Second Empire. (1)
L'année 1806 est sans doute l'une des plus belles de la carrière de Napoléon, peut-être son véritable apogée. Du point de vue qui nous occupe, on relèvera d'abord qu'il écrit beaucoup plus qu'en 1805 : la progression dépasse 50 % par rapport à l'année précédente, pourtant déjà bien remplie. On en conclura volontiers que Napoléon redouble d'activité. C'est à la fois évident et un peu trompeur.
Ce qui caractérise avant tout cette année 1806, c'est qu'elle se place pendant trois trimestres sous le signe de la paix et de la construction d'une nouvelle Europe, tandis que le dernier trimestre est de nouveau tout guerrier, par suite de l'entrée en guerre de la Prusse.
L'année s'ouvre, au lendemain d'Austerlitz et de Presbourg, sur un réel espoir de paix générale. Mais dans un premier temps, il s'agit avant tout d'organiser définitivement l'Allemagne du sud et de l'ouest, libérée désormais de l'Autriche – privée de la Souabe et repoussée vers l'est -, comme de la Prusse, chassée de la Franconie et du Rhin. Trois nouveaux États dignes de ce nom se partagent à présent l'espace du sud de l'Allemagne, le Bade, la Bavière et le Wurtemberg, agrandis par la grâce de Napoléon, et dotés d'une entière souveraineté qui signifie à terme la fin des institutions du Saint Empire. Plusieurs mariages entre les Beauharnais-Bonaparte d'un côté, les princes allemands de l'autre, complètent l'entreprise.
On ne s'étonnera pas de voir Napoléon échanger une correspondance régulière, plus d'une lettre par mois en moyenne, avec Maximilien Joseph de Bavière et Frédéric de Wurtemberg, ses deux interlocuteurs principaux, et presque autant avec l'archichancelier Dalberg, devenu Prince Primat en juillet 1806. Mais la discussion des questions allemandes occupe surtout une bonne part des 146 lettres adressées à Talleyrand, ministre des Relations extérieures, ainsi que nombre des 283 lettres destinées à Berthier, qui réside à Munich au cours de la période et joue le rôle d'une sorte de lieutenant général de l'empereur pour l'Allemagne. Celle-ci s'invite aussi pour partie dans la correspondance  avec Murat (69 lettres au total pour l'ensemble de l'année), devenu duc de Berg et de Clèves en mars 1806, offrant à Napoléon un levier pour contrôler la région du Rhin inférieur, aux confins de la Hollande et de la zone d'influence prussienne.
Au terme de quelques mois d'intense activité diplomatique, la poire est mûre : seize souverains, petits ou grands, fondent à la mi-juillet la Confédération du Rhin sous la protection de Napoléon, et proclament leur sécession formelle d'avec l'Empire germanique. François II en dépose la couronne le 6 août, ajoutant, bien qu'il n'ait eu aucun droit à le faire, mais pour s'assurer que l'empereur des Français ne se ferait pas élire empereur germanique, que le Reich presque millénaire cessait désormais d'exister.
Napoléon ne songeait nullement à se parer de ce nouveau titre, bien que d'aucuns y aient pensé pour lui, à commencer par Dalberg. La nouvelle organisation de l'Allemagne n'est en réalité qu'un élément dans une construction plus vaste, un « système fédératif », en réalité hégémonique, que les historiens appellent couramment « le Grand empire », et où l'on pourra chercher à sa guise une inspiration romaine ou carolingienne. L'Italie en forme la seconde pièce maîtresse, et elle prend également toute sa place dans la correspondance.
Le pivot de la péninsule demeure « le royaume », administré à Milan par Eugène de Beauharnais, à qui Napoléon écrit en moyenne une fois par jour (363 lettres). Tous les sujets sont abordés dans cette correspondance quotidienne, à commencer par les questions de défense et les fortifications, la marine, l'administration intérieure, et même de nombreux détails de personnes. Mais le vice-roi joue aussi le rôle d'un relais, car il est placé à mi-chemin entre Paris et les contrées lointaines du Grand Empire que sont la Dalmatie, rattachée au royaume d'Italie après avoir été cédée par l'Autriche à Presbourg, ou Naples, conquise au début de l'année et confiée à Joseph Bonaparte. C'est donc par lui que transitent beaucoup d'instructions destinées à cette périphérie, ainsi qu'aux postes intermédiaires, Ancône, Rome et Civitavecchia notamment, passées en mains françaises sous l'autorité nominale du pape. Cela n'empêche pas Napoléon de correspondre fréquemment par ailleurs avec son frère aîné, surtout pour le chapitrer : 159 lettres sont adressées à Joseph, roi de Naples, dont beaucoup particulièrement longues et circonstanciées. (2) On relèvera également, pour l'Italie toujours, une quarantaine de lettres à Junot, nommé gouverneur de Parme pour reprendre en main la région de Plaisance, qui s'était soulevée pendant l'hiver.
Au chapitre de l'empire familial, il faut mentionner enfin plus de cinquante lettres destinées à Louis Bonaparte, devenu roi de Hollande au printemps de 1806.
A voir Napoléon si absorbé dans le gouvernement du continent, on en oublierait presque que l'état de belligérance n'a pas cessé avec l'Angleterre. Or, rien ne sera acquis aussi longtemps qu'elle continuera le combat. Depuis Trafalgar, il n'est plus question de la vaincre sur mer, et la stratégie maritime n'occupe plus la place qu'elle avait prise au premier semestre de 1805. Cela n'empêche pas Napoléon d'élaborer de nouveaux plans pour l'attaquer sur les océans, dans son commerce en particulier, et de suivre attentivement la marche des divisions navales qu'il a envoyées dans les quatre parties du monde, ainsi que l'attestent les 92 lettres envoyées à Decrès, ministre de la Marine.
Mais l'heure est plutôt à l'apaisement. Fox ayant succédé à Pitt, une négociation de paix s'ouvre à la fin de l'hiver, elle languit plusieurs mois, semble se préciser en juillet, puis s'enlise et finalement se rompt en septembre. Entre temps, on avait presque fait la paix avec la Russie, mais le traité signé en juillet à Paris n'est pas ratifié par le tsar. Ces différentes négociations, distinctes mais liées, surgissent sporadiquement au fil de la correspondance, à commencer bien sûr par les lettres envoyées à Talleyrand.
Tout cela ne fait pas oublier la France à Napoléon, bien au contraire. Il met à profit le répit que lui laisse pendant neuf mois l'arrêt des soucis militaires pour se préoccuper très sérieusement des questions financières, qui avaient créé tant d'embarras l'année précédente : à preuve, les 135 lettres qui leur sont directement consacrées, 89 à Mollien, ministre du Trésor, et 46 à Gaudin, ministre des Finances. Au chapitre des dépenses, les grands travaux et les embellissements, s'agissant de Paris notamment, occupent une place importante, attestée par une soixantaine de lettres à Champagny, ministre de l'Intérieur.
L'ordre public reste enfin une préoccupation centrale, comme le montre la bonne centaine de

 

Notes

(1) Nous remercions ici très vivement toutes les personnes qui ont oeuvré avec nous à la réalisation de ce volume, et notamment Alain Pillepich, Jacques Garnier, Jacques Macé, Gabriel Madec, Michelle Masson, Patrick Le Carvèse, ainsi que les conservateurs des Archives nationales, des Archives du ministère des Affaires étrangères et du Service historique de la Défense. Sans oublier bien sûr Elodie Lerner et François Houdecek, qui assurent toujours avec la même compétence et le même dévouement la continuité de l'entreprise.
(2) La correspondance croisée des deux frères a été publiée par Vincent Haegelé, Napoléon et Joseph Bonaparte : correspondance intégrale (1784-1818), Paris, Tallandier, 2007.
(3) Cf. Ernest d'Hauterive, La police secrète du Premier Empire. Bulletins quotidiens adressés par Fouché à l'Empereur, tomes 2 et 3, Paris, Perrin, 1913-1922.
(4) L'autre versant de cette correspondance a été publié par Jean Tulard, Cambacérès, lettres inédites à Napoléon (1802-1814), 2 volumes, Paris, Klincksieck, 1973.
Titre de revue :
Livre : Correspondance générale de Napoléon Bonaparte, tome 6, p. 13-15, Editions Fayard, 2009.
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