Quand l’arsenic tourne en eau de boudin

Auteur(s) : MACÉ Jacques
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Le professeur Lucotte s'est livré à une recherche de l'arsenic, et autres polluants, dans des cheveux de Napoléon, Madame Mère et Caroline Bonaparte (prélevés dans le reliquaire Vivant Denon de Châteauroux) par étude au microscope électronique à balayage et par analyse en micro-fluoresence X. Le résultat en a été présenté au 3e Colloque de Pathographie qui s'est tenu à Bourges en avril 2009 et dont les annales ont été récemment publiées. Rappelons que la pathographie est une science de dénomination récente qui a pour but d'étudier les causes de la mort d'un individu, en démêlant le vrai du faux, « afin de dire si l'Histoire rapporte des légendes, des fantasmes ou des faits réels ».
 
Nous ne reprendrons pas le contenu de cette étude qui peut être consultée par les spécialistes et n'en retiendrons que les résultats essentiels dans le débat sur le prétendu empoisonnement de Napoléon. Résultats décoiffant,  osons-nous dire.
Les cheveux de Napoléon du reliquaire Denon ne contiennent aucune trace d'arsenic, tant sur leur surface extérieure que dans leurs coupes transversales.
En revanche, les cheveux de Madame Mère, prélevés après son embaumement (avec des potions notamment arsenicales), sont très riches en arsenic, que ce soit en surface ou en profondeur. Gérard Lucotte en déduit que, au fil des décennies, l'arsenic déposé sur des cheveux a la faculté de pénétrer à l'intérieur.
Il va sans dire qu'une telle observation est en contradiction avec l'affirmation du docteur Pascal Kintz – mandaté par Ben Weider, il a analysé des cheveux de Napoléon de diverses provenances – selon laquelle l'arsenic observé par lui ne pouvait être que de nature endogène, dont absorbé par voie buccale.
 
Le professeur Lucotte émet l'hypothèse suivante. La plupart des cheveux de Napoléon, recueillis après sa mort et conservés ou distribués  par ses compagnons, étaient destinés à être disposés dans des médaillons ou des enveloppes. Ils étaient donc aspergés de produits de conservation ( arsenicaux) pour garantir leur protection. Mais le valet de chambre Marchand précise dans ses Mémoires qu'il a mis de côté des mèches de cheveux de Napoléon pour en faire des bagues et des bracelets. Il est possible que ces cheveux, destinés à être en contact avec la peau, n'étaient pas traités à l'arsenic, produit dont on connaissait les propriétés toxiques.
 
Le médaillon Vivant Denon  contenant un morceau du drap taché de sang de l'autopsie, une feuille de saule et des cheveux, il est plus que probable que les cheveux en question sont post-mortem, lavés mais non traités. Et il ne contiennent pas d'arsenic !
Pour contester ce point, il faudrait supposer que le donneur (Marchand si c'est lui) a trompé Vivant Denon en lui remettant un morceau du drap de l'autopsie et des cheveux coupés bien antérieurement. Psychologiquement, une telle tricherie nous semble peu compatible avec ce que nous savons du comportement des compagnons de Napoléon.
 
Dans l'interprétation scientifique de cette présence, ou non, d'arsenic qui a fait couler des torrents d'encre depuis un demi-siècle, nous voilà donc ramenés au point mort, si j'ose ce mot, ou encore à Roland Garros quand les partenaires sont à deux sets partout. Il serait souhaitable que les scientifiques concernés pénètrent sur le même court pour confronter leurs méthodes et leurs résultats plutôt que de s'affronter dans des publications, qui ravissent leurs pairs mais laissent la part belle aux amateurs de mystères et aux inconditionnels adeptes de thèses bâties sur le sable (volcanique de Sainte-Hélène).

Titre de revue :
Inédit
Mois de publication :
juin
Année de publication :
2011
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