George Sand et les Bonaparte

Auteur(s) : LUBIN Georges
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George Sand et les Bonaparte

S’il est un personnage historique qui subjugua son époque, et fut l’objet d’une véritable idolâtrie, c’est bien Napoléon. La Bibliothèque Marmottan a collectionné depuis longtemps les innombrables témoignages de cette adulation qui a laissé tant de traces dans l’histoire, la littérature, les arts, les estampes, le théâtre, la faïence et les chansons. Qui ne se souvient du refrain de Béranger :

Il s’est assis là, grand’mère,
Il s’est assis là !

Et les vers épiques de Victor Hugo chantent encore dans toutes les mémoires (tout au moins les mémoires de ceux qui ont étudié avant que 1968 ne jetât le discrédit sur la récitation par coeur) :

Oui, l’aigle, un soir, planait aux voûtes éternelles,
Lorsqu’un grand coup de vent lui cassa les deux ailes.

L’oeuvre de Balzac, ce tableau si complet de la société de son temps, est pleine du souvenir de Napoléon. Y a-t-il un seul roman de la Comédie humaine dans lequel n’apparaisse pas le nom de l’Empereur ? Je ne l’ai pas contrôlé, faute de temps, mais une vérification très simple montre que ce nom occupe dix pages dans l’Index de l’édition de la Pléiade; alors que Bixiou, Lousteau, Vautrin, Nucingen, « personnages reparaissants » s’il en fut, ont de la peine à dépasser chacun trois pages. Les lecteurs du Médecin de campagne n’oublient pas le fulgurant récit de l’ex-fantassin Goguelat racontant dans une grange la vie de Napoléon, récit qui se termine en épopée, avec l’évocation d’un héros qui n’est pas mort à Sainte-Hélène, car il est d’origine plus qu’humaine, quasi divine: là-dessus, Goguelat est formel :

« Ce n’est pas à l’enfant d’une femme que Dieu aurait donné le droit de tracer son nom en rouge comme il a écrit le sien sur la terre».

George Sand et Napoléon Ier

Bon gré mal gré, les Français, dans leur grande majorité, ont subi l’ascendant de cet homme hors série. La fibre patriotique jouant, tous lui savaient gré des victoires et des conquêtes. Même ceux qui le traitaient de tyran et d’usurpateur. George Sand l’a exprimé en formules saisissantes : « On suçait avec le lait, à cette époque, l’orgueil de la victoire. La chimère de la noblesse s’était agrandie, communiquée à toutes les classes. Naître Français, c’était une illustration, un titre. L’aigle était le blason de la nation tout entière ». 1

De cet ascendant, de cette popularité prodigieuse, elle aussi nous a apporté son témoignage personnel. Je lis dans les Lettres d’un voyageur : « J’ai été fascinée dans mon enfance, comme les autres, par la force et l’activité de cette machine à bouleversements qu’on gratifie du titre de grand homme… ». 2

Fascinée et comme les autres : deux mots à retenir.

Elle est née avec l’Empire, la petite Aurore Dupin qui se fera connaître plus tard sous le nom de George Sand. Elle voit le jour l’année même du couronnement, le 1er juillet 1804. Elle est fille d’un officier, Maurice Dupin, lieutenant au 1er Régiment de chasseurs à cheval, qui assiste à la grandiose cérémonie et la décrit à sa mère, avec une certaine désinvolture, dans une lettre que sa fille publiera – et arrangera – plus tard dans Histoire de ma vie. En voici le texte authentique, d’après l’autographe :
« J’ai vu un, deux, trois, quatre, cinq régiments : hussards, cuirassiers, dragons, carabiniers et mamelucks, une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze voitures à six chevaux chargées des gens de la cour, une voiture à dix glaces des princesses, la voiture de l’archichancelier, celle de l’empereur, huit chevaux soupe de lait admirables, panachés, pomponnés jusqu’au premier étage, la voiture de l’empereur à dix glaces, plus galante et plus finie que magnifique. Sur l’impérial [sic] une manière de surtout représentant des aigles et la couronne, par devant et par derrière trente pages, dans le fond à droite l’empereur, à gauche, l’impératrice, sur le devant les deux princes Joseph et Louis, autour de la voiture à cheval les maréchaux Monçay [sic], Soult, Murat et Davoust [sic] ; des chevaux de main couverts de drap d’or, de housses éblouissantes, menés à deux reines [sic] de soie et d’or par des mamelucks à pied, vêtus eux-mêmes avec la plus grande magnificence [sic]. La voiture du pape à huit chevaux blanc panachés, le pape dans le fond, deux cardinaux sur le devant; la croix d’or portée en avant de la voiture par un cuistre en robe et en bonnet quarré [sic] monté sur une mule. Vingt autres voitures semblables en tout aux premières, toutes aux armes et à la livrée de l’empereur, remplies de gens de la cour. Dans Notre-Dame près de la porte du fond un arc de triomphe assez massif et dont l’architecture grecque s’accordait fort mal avec le gotique [sic] de l’église; les princes à deux marches au-dessous de l’empereur, l’impératrice un peu plus bas que son époux, les tribunes à droite et à gauche garnies de draperies, occupées par le conseil d’état, le corps législatif, les présidents de canton, les maisons des princes et les billets donnés, etc. Dans la nef les grands officiers de la Légion d’honneur.
« Après la messe l’empereur est descendu du trône avec l’impératrice, suivi des princes et des princesses, ils ont traversé au pas grave l’église, ont été à l’autel, le pape a mis de l’huile au front et aux mains de l’empereur et de l’impératrice, ensuite l’empereur s’est levé, a été prendre sur l’autel la couronne, se l’est mise lui-même sur la tête et a prononcé à haute voix le serment de soutenir les droits de son peuple et de maintenir sa liberté, il est remonté sur son trône, ensuite le Te Deum. Retour, illumination magnifique, danses, feu d’artifice, etc. ».
3

En publiant cette lettre en 1855, George Sand la bichonna quant au style, et y ajouta des réflexions de son cru ; par exemple les voitures transportant « le reste de la valetaille impériale », et un « Bonjour à la République ! » 4 plein d’ironie. On ne s’étonnera pas si le journal la Presse, où Histoire de ma vie parut d’abord en feuilleton, élimina tout le passage pour n’avoir pas d’ennuis avec le pouvoir.
Les sentiments de la famille Dupin sont nuancés, à l’égard de Bonaparte, puis de l’Empereur. L’avancement de Maurice Dupin n’a pas été aussi rapide que le descendant d’un héros fameux aurait pu l’espérer, en un temps où pullulent les généraux de moins de trente ans. Enrôlé à vingt ans, en décembre 1798, le petit-fils du maréchal de Saxe, nommé lieutenant sur le champ de bataille de Marengo, n’est pas encore capitaine quatre ans plus tard. En ces temps d’avancement éclair, on peut supposer qu’il doit ronger son frein. Tout le monde ne peut pas espérer être général de brigade à 22 ans, comme Jérôme Bonaparte, ou même à 25 comme Murat, mais il est toujours pénible de se voir distancé. C’est qu’il a deux torts, notre lieutenant : d’abord celui de se faire affecter à un état-major au lieu de rester dans une unité combattante. Car il est exact que Bonaparte freina l’avancement dans les états-majors, trop gonflés à ses yeux, et gonflés de jeunes officiers dorés sur tranches autant qu’arrivistes, qu’il jugeait, à tort ou à raison, plus avides de galons que de coups de sabre. A l’hiver 1802, Maurice a bien eu l’espoir d’être nommé lieutenant dans la Garde, ce qui était un bel avancement : Caulaincourt l’avait proposé à Bonaparte en insistant sur le fait que Maurice Dupin avait Maurice de Saxe pour aïeul, mais hélas ! le Premier Consul a répondu sèchement : « Point, point, il ne me faut pas de ces gens-là ». 5
Le second tort de Maurice Dupin, c’est d’avoir un fil à la patte (qu’on me pardonne l’expression populaire, mais expressive), dont sûrement le Maître est informé. En 1801, le beau lieutenant a fait à Milan une conquête qui retentira sur sa vie (et sur la mienne par ricochet, puisque sans elle nous n’aurions pas eu George Sand, et je ne serais pas là à vous entretenir de ses rapports avec la famille impériale). Cette jeune femme n’a pas un passé sans tache, loin de là : la Révolution, qui l’a trouvée orpheline, l’a roulée comme bien d’autres dans ses tourments. Elle a été mariée une première fois avec un mauvais sujet nommé Vantin Saint-Charles, dont elle a eu un enfant. (On n’a pas retrouvé les actes de ce mariage ni de cette naissance, en raison de la disparition presque totale des registres en 1871, mais j’ai découvert de nombreuses lettres, aux Archives Nationales, qui en font état). 6 D’autres aventures il lui reste une fille naturelle. Au moment où Maurice Dupin la rencontre, elle est à l’Armée d’Italie, dans les fourgons d’un protecteur de cinquante ans, non pas général comme on l’a souvent écrit, mais adjudant-général affecté aux subsistances, où sans doute il s’enrichit aux dépens du soldat. La mère de Maurice, Mme Dupin, née de Saxe, appelle la maîtresse de son fils une « coureuse d’armée », avec quelque raison, et considère que son fils est « dans la boue », ce qui est excessif. Mais ses alarmes ne sont pas vaines, car la jolie Antoinette Sophie Victoire Delaborde s’accroche, et pendant trois ans l’officier sera partagé entre sa liaison et sa carrière, cherchant toutes les occasions possibles de rejoindre la jeune femme, et même la faisant venir à Charleville où il était en garnison. Bien sûr, nous comprenons la passion réelle qui unit ces deux êtres, et que George Sand sublime quelque peu quand elle en parle, mais Bonaparte n’était pas sensible à ce genre de situation, il le montra bien dans sa propre famille lorsque ses deux frères Lucien et Jérôme firent des mariages d’amour sans demander la permission. (Et pourtant, son union avec Joséphine rentrait bien dans la catégorie des mariages d’amour, mais le coeur a ses raisons que la raison d’Etat ne connaît point). « Mon père était trop préoccupé de son amour pour être un solliciteur actif, écrira plus tard George Sand. Il faudrait ajouter : «…. et sans doute trop jaloux pour être bien fidèle à son devoir ». Car il lui arrive de se faire porter malade, sous le prétexte d’une fièvre tierce imaginaire. Disons cependant à sa décharge qu’il ne s’agit pas de fuir les batailles. Non, la paix d’Amiens durait encore, et Maurice ne répugnait qu’à aller à Charleville « découper les gigots du général Dupont », à Charleville « où il n’y a pas une amorce à brûler ». Il est certain qu’il se serait mis en route au premier coup de fusil, car il est patriote. « Mon pauvre père, écrit encore sa fille, ne songeait qu’à faire l’école buissonnière. Sa vie était désormais tout absorbée dans l’amour ». 7 L’amour n’est pas absolument incompatible avec l’avancement, quand on est militaire, mais les généraux préfèrent peutêtre les aides de camp qui sont là quand on apporte le gigot sur la table ou lorsque sonne le rassemblement.

Les préparatifs en vue de la descente en Angleterre firent vivre au lieutenant Dupin des heures moins « absorbées dans l’amour », et moins sybaritiques, car il fut envoyé au Camp de Boulogne coucher sur la paille. Encore y fut-il moins défavorisé que les soldats, logés « dans des baraques détestables, construites sur un terrain tellement marécageux qu’elles s’affaissent sous leur poids et rentrent dans la terre ». 8 Ce qui fait que les malheureux couchent dans la boue.

Il devait y être témoin d’un bain forcé que prit le Premier Consul, le 1er janvier 1804, et qu’il raconte ainsi :
« Son petit cheval arabe s’embarrassa dans des amarres de chaloupe, et Bonaparte tomba dans l’eau jusqu’au menton. Toute sa suite se précipita pour le secourir, mais il remonta lestement à cheval et fut se sécher dans sa baraque ». Et Maurice termine avec un sourire un peu narquois : « Cet événement n’est pas dans le Moniteur ». 9

Pendant ce temps, Sophie était enceinte, et proche, très proche de son terme. D’après George Sand, elle était venue « rejoindre » son amant au Fayel. Ne faudrait-il pas remplacer « rejoindre » par « relancer » ? Car Maurice était tiraillé entre le devoir de donner son nom à l’enfant qui allait naître, et la peur d’une opposition de sa mère à ce mariage si peu conforme à ses desseins. Toujours est-il qu’il revint à Paris avec Sophie, et le mariage eut lieu, à l’insu de Mme Dupin de Francueil. Mais, me direz-vous, ne fallait-il pas, à l’époque, l’autorisation des parents pour prendre femme ? Si, et depuis peu, puisque le Code civil, promulgué le 30 ventôse précédent (21 mars 1804), annulait les dispositions de la loi du 20 septembre 1792, qui avait donné aux citoyens majeurs toute liberté pour contracter mariage, sans le consentement des parents. Les nouvelles dispositions prévoyaient l’intervention des sommations respectueuses, système compliqué, et nécessitant des délais. Maurice, un peu lâche devant les conséquences, et songeant au désespoir de sa mère, qu’il aimait d’ailleurs tendrement, tourna la difficulté, ou plutôt la repoussa dans l’avenir, en imaginant une supercherie; il fit établir par des faux témoins un acte de notoriété qui est un monument de fourberie, attestant que ses parents étaient morts ou disparus sans donner de leurs nouvelles. Les bouleversements de l’époque révolutionnaire avaient amené bien d’autres disparitions, de sorte qu’on n’était pas trop curieux dans les municipalités pour se livrer à des contrôles. On était le 5 juin quand Sophie devint Madame Dupin. Il était grand temps, puisque la petite fille allait naître le 1er juillet.

Vers la fin de son séjour au Camp de Boulogne, le lieutenant Dupin écrivait à sa mère une lettre qui nous intéresse, car elle concerne la proclamation de l’Empire. On n’y décèle pas un grand enthousiasme pour l’événement qui se tramait :
« Nous avons fait durant quatre jours des courses énormes à l’effet de nous entendre sur la rédaction de l’adresse que nous sommes forcés de présenter au Premier Consul, pour le supplier d’accepter la couronne impériale et le trône des Césars. Quelle solennelle folie ! Cela ne fâche personne, mais fait sourire tout le monde ; il était trop grand pour s’exposer à ces sourires ». 10

Maurice Dupin, on le voit, n’était pas un inconditionnel. Tout en admirant Bonaparte, il réprouvait ces voeux « spontanés », destinés à appuyer celui d’un Tribunat servile.

L’enfant que nous avons vu naître, la petite Aurore Dupin, va forcément grandir dans une atmosphère de guerre, de combats, de victoires, et plus tard de défaites, cette atmosphère que rendent avec une éloquence un peu pompeuse les premières pages de la Confession d’un enfant du siècle, ce roman autobiographique où, comme on sait, Musset s’est beaucoup inspiré de son aventure avec George Sand :
« Pendant les guerres de l’Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse… De temps en temps, leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevant sur leurs poitrines chamarrées d’or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval ».

Je me suis souvent demandé si Musset, pour écrire ces lignes, ne s’était pas inspiré de conversations avec sa maîtresse qui avait connu, elle, cette vie inquiète et ce père chamarré (car, pour l’élégance et l’or des uniformes, Maurice Dupin ne craignait personne, alors que le père de Musset avait moins de panache).

Même les petites filles, en temps de guerre, jouent à la guerre. « L’impression militaire du dehors pénétrait forcément dans notre nid, dira George Sand, et plus d’une fois j’ai fait l’Empereur et j’ai commandé sur le champ de bataille. On mettait en lambeaux les poupées, les bonshommes et les ménages, et il paraît que mon père avait l’imagination aussi jeune que nous, car il ne pouvait souffrir la représentation microscopique des scènes d’horreur qu’il voyait à la guerre. Il disait à ma mère : « Je t’en prie, donne un coup de balai au champ de bataille de ces enfants ; c’est une manie, mais cela me fait mal de voir par terre ces bras, ces jambes et toutes ces guenilles rouges ». 11
Un jour, la fillette entendit une grande rumeur au dehors, des cris, des vivats, des pas précipités, le trot cadencé des chevaux. Bien qu’elle ne pût voir ce qui motivait ce remue-ménage, à cause d’un mur élevé qui la séparait de la rue, elle n’en cria pas moins « Vive l’Empereur ! », transportée d’un enthousiasme communicatif. Cet Empereur, elle le vit, alors qu’elle avait trois ans à peine. Je lui laisse la parole :

« Il passait la revue sur le boulevard, et il était non loin de la Madeleine, lorsque, ma mère et Pierret ayant réussi à pénétrer jusqu’auprès des soldats, Pierret m’éleva dans ses bras au-dessus des shakos pour que je pusse le voir. Cet objet qui dominait la ligne des têtes frappa machinalement les yeux de l’Empereur, et ma mère s’écria : « Il t’a regardée, souviens-toi de ça, ça te portera bonheur! » Je crois que l’Empereur entendit ces paroles naïves, car il me regarda tout à fait, et je crois voir encore une sorte de sourire flotter sur son visage pâle, dont la sévérité froide m’avait effrayée d’abord.
Je n’oublierai donc jamais sa figure et surtout cette expression de son regard qu’aucun portrait n’a pu rendre. Il était à cette époque assez gras et blême.
Il avait une redingote sur son uniforme, mais je ne saurais dire si elle était grise ; il avait son chapeau à la main au moment où je le vis, et je fus comme magnétisée un instant par ce regard clair, si dur au premier moment, et tout à coup si bienveillant et si doux. Je l’ai revu d’autres fois, mais confusément, parce que j’étais moins près et qu’il passait plus vite ». 12

Quelques années plus tard, vers neuf ou dix ans, elle vit le Roi de Rome enfant dans les bras de sa nourrice, à une fenêtre des Tuileries. Ce n’était pas un souvenir agréable, car un factionnaire à cheval, sur la consigne, n’avait point voulu permettre qu’elle ramassât un bonbon que le Prince Impérial lui avait jeté.

Pendant la Campagne de Russie, l’enfant partagea les angoisses des grandes personnes. On n’avait plus à trembler pour le pauvre Maurice Dupin, devenu capitaine, puis chef d’escadron, qui était mort bêtement d’une chute de cheval à son retour d’Espagne en septembre 1808, mais une grande inquiétude planait sur le sort de l’armée et de l’Empereur.

Il neigeait, on était vaincu par sa conquête,
Pour la première fois l’aigle baissait la tête…

On restait des jours et des jours sans nouvelles, et celles qu’on recevait étaient pires que ce que l’on avait imaginé. Aurore faisait d’étranges rêves éveillés : par exemple, elle se figurait avoir des ailes, qui lui permettaient de franchir avec aisance des centaines de lieues, de retrouver les régiments débandés dans la neige, de les guider sur le chemin du retour. En 1814, pendant la Campagne de France, ses ailes repoussèrent, et elle reçut en outre une épée magique et flamboyante (souvenir probable de quelque scène d’opéra) : elle mettait en déroute les armées des coalisés qui finissaient misérablement noyées dans le Rhin. Ces mêmes ailes miraculeuses servirent, après les Cent-Jours et Waterloo, à emporter Napoléon dans l’espace pour le déposer sur la coupole des Tuileries (visiblement un souvenir de l’Evangile de Saint Mathieu, quand le démon emporte Jésus sur la montagne pour le tenter). Repentant devant la petite fille qui le sermonnait, l’Empereur fit son mea culpa, promit de ne plus songer qu’au bonheur du peuple, moyennant quoi elle le rendit invulnérable avec son épée de feu. C’est encore cette arme merveilleuse qui fit chavirer le Bellérophon en route pour Sainte-Hélène; noya les seuls Anglais et ramena aux Tuileries un Napoléon assagi, bien décidé à ne plus faire la guerre pour son plaisir. 13

On peut rire, bien sûr, de ces phantasmes d’enfant. Mais… l’avouerai-je ? Eh bien oui, à mon âge, il est permis d’avouer ses faiblesses : j’ai caressé des idées aussi délirantes dans mon lit de pensionnaire pendant la guerre de 1914-1918. Mais comme l’armement et la science avaient fait des progrès depuis un siècle, mes procédés étaient plus modernes : je pilotais un avion qui allait cueillir magiquement kaiser, kronprinz et généraux teutons, et les combats cessaient faute de commandants. J’avais aussi inventé un gaz qui décomposait la poudre, mais uniquement celle de l’ennemi, bien sûr, dont les fusils et les canons muets n’étaient plus que de la ferraille.

Mais revenons à George Sand. Dans l’esprit d’un enfant qui n’est pas en mesure de se faire une opinion personnelle comptent surtout celles de ses parents et de ses maîtres. La grand-mère d’Aurore, d’une autre génération, redoutait l’Empereur, et écoutait volontiers les commérages anti-bonapartistes (comme elle avait en d’autres temps ouvert une oreille complaisante aux libelles contre Marie-Antoinette). Quant au vieux précepteur Deschartres, comme les habitués du Cabinet des Antiques, de Balzac, il ne pouvait souffrir que l’on dît du bien de Buonaparte, sa bête noire. Maurice Dupin n’avait pas connu, on l’a vu, le culte de la personnalité à l’égard de Napoléon, mais dans les dernières années de sa courte vie, il s’était pris d’affection pour lui : « Il y a en lui quelque chose, disait-il à sa femme, je ne sais quoi, son génie à part, qui me force à être ému quand mon regard rencontre le sien ». 14 Un témoignage de plus sur le magnétisme du regard de Napoléon, fréquemment observé. Quant à Sophie, « elle était comme le peuple, elle admirait et adorait l’Empereur à cette époque. Moi, ajoute George Sand, j’étais comme ma mère et comme le peuple ». 15

Est-ce à dire que, devenue adulte, elle soit restée fanatique de l’Empereur?
Il s’en faut de beaucoup. Bien sûr, elle lira, comme tout le monde à l’époque, le Mémorial de Sainte-Hélène, dont elle avait trois éditions. On trouve aussi dans sa bibliothèque l’Histoire de Napoléon, de Norvins, et l’inévitable Histoire du Consulat et de l’Empire, de Thiers. On peut s’étonner qu’elle n’ait pas eu de relation avec le général Bertrand, que son père avait rencontré à Boulogne et dont auraient pu la rapprocher deux intermédiaires : le propre beau-frère du général, le député Duris-Dufresne, avec lequel elle était en bons termes et en sympathie politique, et le précepteur de son fils, Jules Boucoiran, qui avait été celui des enfants Bertrand avant d’entrer chez elle. Le fidèle compagnon du martyr de Sainte-Hélène aurait pu lui parler abondamment de l’Empereur sur lequel il a encore des révélations à faire en 1979, puisque, comme les journaux l’annonçaient récemment, des liasses précieuses de son Journal inédit viennent d’entrer aux Archives Nationales.

Dans l’Histoire de ma vie, nombreuses sont les pages consacrées à Napoléon, assorties de jugements lucides. Il y a en particulier un chapitre sur le Concordat que George Sand considérait comme « une des plus fatales déviations de la carrière de Napoléon ». Dans la phrase que j’ai citée en commençant, il y avait bien de la réticence : « J’ai été fascinée… » Par qui ? « par cette machine à bouleversements qu’on gratifie du titre de grand homme ». C’est que George Sand est maintenant en possession d’une opinion personnelle (le morceau est écrit en 1834, après une visite au château de Valençay, la somptueuse demeure de Talleyrand, sur lequel est porté un jugement sévère, trop sévère peut-être, et qui aurait presque mérité l’aphorisme prêté à sa victime : « Ce qui est exagéré ne compte pas ».
Elle n’est plus l’enfant sensible aux aspects glorieux du règne, elle met dans l’autre plateau de la balance les morts, les veuves. les orphelins, les ruines et les désastres. Elle ferait sien le vers que Victor Hugo n’a pas encore publié :

«Toutes les grandes mains, hélas ! de sang rougies »…

Elle n’est pas, elle ne sera jamais pour le culte de la personnalité, mais néanmoins conservera pour la mémoire de Napoléon un certain respect et de l’intérêt. On en a la preuve lorsque, relatant son séjour à Majorque avec Chopin (1839), elle apporte la découverte d’un érudit qui a retrouvé les armoiries d’une famille majorquine du nom de Bonaparte, dont un membre serait passé en 1411 en Corse en qualité de régent pour le roi Martin d’Aragon. Dans son livre, Un hiver à Majorque, elle fait une place à ces recherches et reproduit même des blasons de la famille en question dont l’un comporte un aigle naissant, en chef, six étoiles en flanc dextre, un lion en flanc senestre. Je ne sais ce que pensent les généalogistes d’une filiation possible, mais il est probable, que dis-je, il est sûr que ces trois figures symboliques auraient séduit Napoléon s’il les avait connues. Et sans doute aurait-il trouvé des généalogistes pour le rattacher à cette noble famille majorquine (on en trouve toujours). Mais il était trop tard, en 1841.

A défaut de Napoléon, il se trouva quelqu’un pour se passionner de cette découverte lorsqu’elle parut dans la Revue des Deux mondes. C’est le poète Gérard de Nerval, qui s’empressa d’écrire à l’acteur Bocage un billet étrange et déroutant qui a longtemps intrigué les commentateurs. Et voici le passage intéressant : « Sy vous voyez (par hazard) la D-a Seta Collumba di Palma (G. S-d) dites-luy que j’ai à luy parler, pr affr de famille… ».

Ce billet est daté du 14, simplement. L’adresse indiquée, 6 rue de Picpus, à la maison de santé Sainte-Colombe, impose mars 1841. Or la première livraison de la publication de George Sand dans la revue avait paru, avec le blason, le 15 janvier 1841. Nerval est alors en plein dans une de ses crises. Dans les premiers jours de mars, recevant la visite d’Alexandre Weill, ne lui avait-il pas déclaré : « Moi, je descends de Napoléon, je suis fils de Joseph, frère de l’Empereur, qui a reçu ma mère à Dantzig». 16 Rien d’étonnant à ce que le document publié par George Sand l’ait vivement intéressé, puisque c’était une affaire de famille.

Trouve-t-on dans les romans de George Sand autant d’allusions à l’Empereur que dans ceux de Balzac ? Non, car elle ne fait pas l’histoire de son temps comme l’auteur de la Comédie humaine. Mais il est loin d’en être totalement absent. Il est évoqué et critiqué dans Jacques (1834), par le héros de ce roman, officier, qui, sur un champ de bataille, ne partage pas l’enivrement de ses compagnons pour la gloire et pour le général qui les commande. Au contraire : « J’accepterai les horreurs de la guerre avec la force d’âme que donne la raison à celui qui ne peut pas reculer; mais en galopant le lendemain sur ces crânes que brisait le pied de mon cheval, sur ces cadavres qui gémissaient encore, je me sentis pénétré d’une haine si profonde pour les hommes qui appelaient cela la gloire, et d’une aversion si insurmontable pour ces scènes hideuses, qu’une pâleur éternelle s’étendit sur mon visage, et que mon extérieur prit cette glaciale réserve qu’il n’a jamais perdue depuis ». Il va même plus loin, en déclarant qu’il a eu envie d’assassiner Napoléon.

Dans Jeanne (1844), qu’on vient de rééditer 17, Napoléon est mieux traité : il représente aux yeux de l’héroine, paysanne inculte, le héros national, presque mythologique, qui a bouté, boute et boutera les Anglais hors de France.

Aux premiers temps de la Révolution de 1848, George Sand publia un texte de propagande sous le titre : Histoire de la France écrite sous la dictée de Blaise Bonnin, dans un langage naïf et succulent, dont voici l’extrait où apparaît Napoléon :

« La République a fini [celle de 1789] comme une nuée d’orage qui s’est toute égouttée. Mais on s’est imaginé qu’il fallait un homme tout seul au gouvernement et on en a pris un qui n’était pas sot : l’Empereur Napoléon. Il a bien fait tout ce qu’il a pu, à ce qu’il paraît, pour empêcher les ennemis de prendre la France; mais, quoique ça fût un homme bien savant et bien courageux, et que tous les Français soient grandement bons soldats, et courageux à l’ennemi tout à fait, les étrangers sont revenus tous ensemble et ont donné la France à l’héritier des anciens rois que la République avait renvoyés… Voilà comment c’est arrivé. C’est que l’Empereur Napoléon, en se mettant la grande couronne sur la tête, avait perdu la moitié de son esprit… et à mesure qu’il devenait un roi à la mode des anciens rois, il ne savait plus si bien se conduire. Le monde ne l’aimait plus tant ; il faisait périr trop de soldats, et nos femmes s’en plaignaient grandement. En manière que, d’année en année, il augmentait les impôts pour payer ses grands officiers et ses amis, et que le peuple en était écrasé. Alors il a fallu qu’il tombe aussi, parce que quand un roi n’est plus aimé du peuple, il ne peut plus rester ». 18

On voit la portée de propagande d’un pareil texte, destiné à combattre la notion de droit divin dans les cerveaux des simples gens de campagne.

George Sand et Napoléon III

Revenons de quelques années en arrière, pour faire la connaissance d’un autre Napoléon. Cet agitateur malchanceux, mais pas quelconque, avait fait parler de lui lors de deux tentatives infructueuses pour soulever contre Louis-Philippe deux garnisons, à Strasbourg et à Boulogne-sur-Mer.
Il s’appelait Louis-Napoléon Bonaparte, fils de Louis, Roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais, neveu de l’Empereur par conséquent. La première équipée lui avait valu l’exil, la seconde, en 1840, la prison perpétuelle dans une forteresse, le Fort de Ham. La captivité y était douce, le prisonnier recevait des visites, correspondait à sa guise, collaborait à des journaux de tendance avancée. Auteur d’un ouvrage écrit en Angleterre en 1839, Des idées napoléoniennes, dans lequel il s’essayait à justifier l’autocratie de son oncle, en y mêlant des idées libérales à coloration socialiste, il profita de ses loisirs forcés pour en livrer d’autres au public, en particulier le plus connu : De l’extinction du paupérisme (1844). On ne saurait dire que c’est un ouvrage de poids : il est si petit qu’il est égaré dans ma bibliothèque – momentanément j’espère – comme se perd un enfant dans une foule de grandes personnes. Mais cette mince brochure fit plus de bruit qu’elle n’était grosse. On y rencontre des doctrines socialistes que j’oserai dire simplistes (exemple : la classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire), mais cette nouvelle recrue fut applaudie par certains socialistes et démocrates. Quelle heureuse conversion que celle d’un Prince à la grande idée de la souveraineté du peuple ! Parmi ceux qui s’en réjouissaient, George Sand. Louis-Napoléon lui avait envoyé ses deux ouvrages, avec dédicaces autographes. On ignore ce qu’elle a pensé du premier, mais à la réception de L’Extinction du paupérisme, elle écrivit au prisonnier une fort belle lettre approbatrice, mais avec des nuances, et, si j’ose dire, sous bénéfice d’inventaire. Il faut la lire en entier, cette lettre du 26 novembre 1844,19 pour se rendre compte qu’elle ne doit absolument pas être prise pour un ralliement, pour un acte d’allégeance. C’est pourtant ainsi que le Grand Larousse du XIX’ siècle l’a interprétée, en écrivant (à l’article Napoléon III, page 820), que « Mme George Sand prête le patronage de son nom et de son talent à la consécration de l’oeuvre du prisonnier », et il cite à l’appui un extrait de la lettre :

« Son règne illustre [celui de Napoléon 1er] n’est plus de ce monde, et l’héritier de son nom, penché, médite, attendri, sur le sort des prolétaires… Parlez-nous souvent de délivrance et d’affranchissement, noble captif ! Le peuple est comme vous dans les fers. Le Napoléon d’aujourd’hui est celui qui personnifie les douleurs du peuple comme l’autre personnifiait ses gloires ».

J’aime assez le Grand Larousse, où l’on trouve tant de renseignements qui ne sont pas ailleurs, mais ici je n’hésite pas à l’accuser de mauvaise foi; il est facile, en 1874, après les événements, de morigéner l’auteur d’une lettre écrite en 1844, auteur qui ne pouvait lui, deviner avec sept ans d’avance le coup d’Etat et ses suites. Il aurait été honnête de citer d’autres passages, comme ceux-ci :

« Sachez nous donc quelque gré de ce que nous osons vous dire la vérité de nos consciences. Cette vérité, c’est que jamais nous n’eussions reconnu d’autre souverain que le peuple, et que la souveraineté de tous nous paraîtra toujours incompatible avec celle d’un homme. Aucun miracle, aucune personnification du génie populaire dans un seul, ne nous prouvera le droit d’un seul… Vous n’aviez pas mission, vous, homme d’élite, de nous arracher à la tyrannie… Mais il est une autre gloire que celle de l’épée… et vous aspirez, dit-on, à n’être qu’un citoyen français; c’est un assez beau rôle pour qui sait le comprendre… Ne vous faites pas d’illusions ! ils sont tous inquiets et sombres autour de moi, ceux qui aspirent à des jours meilleurs. Vous ne les vaincrez que par les idées, par le sentiment démocratique, par la doctrine de l’égalité ».

On m’accordera peut-être qu’il n’y avait pas là des encouragements positifs à l’exercice de l’autocratie.

A la suite de cette lettre, il y eut un échange de correspondance assez important. Les lettres de l’écrivain ont disparu, sans doute en 1871, mais on connaît celles du prisonnier, dont on peut déduire que George Sand, chapitrée peut-être par ses amis « inquiets et sombres », plus méfiants, a esquissé un mouvement de retraite. D’autres qu’elle avaient engagé un dialogue avec le Prince, tous lui supposant des intentions pures : Chateaubriand, Béranger, Louis Blanc (oui, Louis Blanc). Leurs lettres, soigneusement conservées, reparurent dans des textes de propagande, notamment une affiche, au moment de l’élection à la Présidence de la République. Habilement, Louis-Napoléon se faisait ainsi cautionner par des personnalités marquants de tendances différentes. Ajoutons qu’il s’était fait mettre en relation avec George Sand par un journaliste politique du Pas-de-Calais, républicain pur et dur, à qui le Deux décembre donnera un tel coup qu’il en deviendra fou et mourra dans un asile : Frédéric Degeorge.

Chacun sait comment le prisonnier à perpétuité s’évada du Fort de Ham en mai 1846, revêtu d’une blouse et d’un tablier bleu d’ouvrier, et portant sur l’épaule une planche de sa bibliothèque. Je ne vous referai pas ce chapitre des Evasions célèbres. Réfugié en Angleterre, il n’en revient qu’après la chute de Louis-Philippe, et son nom prestigieux le fit élire représentant du peuple à Paris et dans trois départements. Détail amusant : dans un ouvrage sur la Chambre de 1848, on lit vers la fin de la notice qui lui est consacrée :

« Est-il vrai que le neveu de l’empereur ait fait alliance avec le parti socialiste ?… L’héritier du plus grand homme des temps modernes patroné, soutenu par M. Louis Blanc !… quel rapprochement et quelle image! » 20

Ce n’était pas si mal vu, et George Sand pourra écrire après le vote, en analysant avec pertinence les aspects du scrutin : « Les socialistes prolétaires des grands centres ont voté pour Louis Bonaparte, en haine des formes de la répression de juin », dont le responsable, on le sait, était le général Cavaignac, candidat évincé par le succès inattendu, écrasant, de son rival.

Trois ans plus tard, le coup d’Etat surprendra George Sand comme la plupart des Français. Elle quitta Paris dès le 4 décembre. Si elle revint dans la capitale, si elle adressa plusieurs lettres à Napoléon III, et sollicita des entrevues, ce fut uniquement pour plaider la cause de républicains menacés, déportés, exilés, ou simplement arrêtés par le nouveau régime. J’ai publié toutes ses lettres dont les minutes ont été conservées, à défaut des originaux malheureusement disparus dans l’incendie des Tuileries. Elles sont toutes d’une grande dignité, aucune d’elles ne peut être interprétée comme un ralliement, car George Sand ne manque jamais d’y souligner qu’elle n’abjure aucune de ses croyances socialistes. Il suffit de prendre connaissance d’une lettre de Louis-Napoléon, alors qu’il n’était encore que PrincePrésident, pour être convaincu qu’elle n’a jamais passé à ses yeux pour une ralliée : le sculpteur Clésinger, gendre de l’écrivain, avait sollicité l’hôte de l’Elysée pour obtenir une souscription à la statue de sa bellemère. Voici la réponse qu’il obtint 21 :

« Elysée, 27 mai 1851.

« Monsieur,

J’ai toujours rendu hommage au talent de George Sand, et je conserve le souvenir des témoignages de son intérêt dans des temps malheureux, et sa statue ne pouvait être confiée à un ciseau plus habile, mais l’attitude politique de l’écrivain ne me permet pas de souscrire pour l’oeuvre de l’éminent sculpteur. J’en éprouve un double regret dont je vous offre l’expression sincère avec celle de mes sentiments distingués.

Louis Napoléon B. »

Les interventions de George Sand, en 1852 et plus tard, eurent-elles satisfaction ? Oui, mais en partie seulement. Elle obtint quelques grâces, des commutations de peine. Aux Archives Nationales, on trouve souvent la trace de ses démarches, qui ne se sont pas bornées au cercle de ses amis personnels : un G. S. au crayon bleu sur de nombreux dossiers indique qu’elle a plaidé la cause du personnage poursuivi. Il fallait d’autant plus de courage pour maintenir cette attitude qu’elle fut parfois désavouée par ceux-là mêmes qu’elle voulait protéger.

Les relations directes avec l’Empereur cessèrent très vite. Quoi qu’on ait pu écrire à ce sujet, on ne la vit ni à l’Elysée, à part les deux audiences de janvier-février 1852, ni à Compiègne. En 1865, à la demande de leur éditeur commun, Michel Lévy, elle consentit à écrire un article sur le livre de l’Empereur, Histoire de Jules César, article où quelques louanges sans chaleur n’arrivent pas à contrebalancer une critique hardie dont on pourra juger par l’extrait suivant, qui résume plusieurs pages où George Sand bat Napoléon III sur le dos de César :

« Croit-on qu’il faille bénir César pour avoir rétabli l’ordre dans une société troublée ? Il ne l’a jamais rétabli, il ne pouvait pas le rétablir. Il est faux qu’on fasse de l’ordre avec le désordre dans les moeurs publiques. Quand on a fait le silence dans les rues, on n’a pas mis la paix dans les maisons, et quand, dans ces mêmes rues, on a déchaîné les bacchanales du plaisir, on n’y a pas fait circuler la joie… César est-il cet être divin qui mérite de s’emparer des destinées d’un peuple, lui qui commence par l’acheter, c’est-à-dire par flatter et développer le plus lâche de tous les vices, la vénalité des consciences ? Là où Sylla venait de régner par la crainte, César règne par la corruption ». 22

Il suffisait de lire entre les lignes, de remplacer César par Napoléon, pour découvrir une satire cinglante du régime impérial. Cinglante, mais inattaquable. Sous le Second Empire, dans une presse muselée, c’est seulement ainsi que pouvaient s’exprimer les opinions non conformistes. Renan s’en explique quelque part : « Les temps furent pour la presse d’une difficulté extrême. Il fallait être son propre censeur à soi-même : c’étaient des angoisses de tous les jours. La politique était si peu libre que la vie passa aux articles littéraires et moraux. Les lecteurs intelligents cherchèrent à la troisième page ce que ne pouvait dire la première. Les articles Variétés devinrent pleins de sous-entendus… Sous apparence de littérature, on parla ainsi de bien des choses alors défendues ». 23 Les menaces n’étaient pas vaines. En vertu d’un article du décret organique du 17 février 1852, « Un journal peut être suspendu par décision ministérielle, alors qu’il n’a été l’objet d’aucune condamnation, mais après deux avertissements motivés et pendant un temps qui ne pourra excéder deux mois ». Aucune définition n’était donnée des cas susceptibles d’entraîner l’avertissement : ce vague volontaire laissait place au plus total arbitraire.

George Sand et Plon-Plon

Dès le début de 1852, George Sand avait fait la connaissance du cousin de l’Empereur, le Prince Napoléon, fils du Roi Jérôme. Il avait pour elle une très vive sympathie. Bien que second personnage de l’Etat, il avait des idées beaucoup plus libérales que son cousin, et il s’entremit souvent et efficacement pour seconder les initiatives généreuses de la romancière. Mais il ne réussissait pas à tout coup, n’étant pas très bien vu par l’entourage. Son franc parler était mal supporté, et quand il y eut une Impératrice, ce fut encore pire. Eugénie s’employa à contrecarrer son influence.

Il fut ouvertement désavoué par Napoléon III après le discours d’Ajaccio (15 mai 1865), discours dans lequel le Prince, délégué officiellement à l’inauguration d’une statue de l’Autre, exprimait des idées frondeuses. La correspondance qu’il échangea avec George Sand est très importante et dura de 1852 à 1875. Une partie seulement en a été publiée. Je dois à la grande obligeance de son descendant, le Prince Napoléon, d’avoir pu prendre connaissance de 82 autographes de George Sand que je mets au jour au fur et à mesure. C’est un dialogue plein d’intérêt. Sand comprenait le mal-être d’un homme supérieur à la situation qui lui était faite et qui n’a pas eu le terrain d’action correspondant à sa stature.

Tant qu’il fut ministre de l’Algérie, le Prince put, à sa requête, adoucir le sort de certains déportés, colons piochant contre leur gré la terre d’Afrique. Il venait souvent lui rendre visite, soit dans son modeste troispièces de la rue Racine (George Sand note le 13 septembre 1853 : « Rachel vient à 11 heures du matin en grande calèche découverte avec Napoléon et les larbins galonnés ») 24, soit à Palaiseau où elle s’installa de 1864 à 1866. Une de ces visites est relatée par elle avec un brin de malice : « J’ai vu le Prince, il est venu dans un costume excentrique, avec Ferri [son aide de camp, le colonel Ferri-Pisani] dans un poney-chaise, que mon domestique appelle un pont-la-chaise, traîné par deux merveilleux chevaux gris. Il était crotté jusqu’aux oreilles, je ne sais pas pourquoi, car il faisait un temps superbe et Ferri n’avait pas une mouche de boue. Il avait une veste et une culotte de zouave très courte en lustrine brune, des bas beiges, des grosses bottines affreuses, un grand tuyau de poêle gris très laid, le tout sale comme un peigne. Est-ce une tenue de disgrâce ? [Cette lettre est du 6 juin 1865, peu après le discours d’Ajaccio qui avait si fort irrité l’Empereur]. Ferri, beau comme un astre, était conduit par lui et Palaiseau a salué en lui le Prince, sans faire attention au cocher, sinon pour dire que le Prince habillait mal ses gens. Avec tout ça, il est charmant, le Prince. Il cause toujours admirablement, il a toujours la rudesse et l’esprit du paysan du Danube, et je l’aime beaucoup ». 25

A Nohant il vint deux fois. La première mit en émoi les mouchards à l’affût, car George Sand était surveillée, et le Procureur impérial s’empressait d’alerter ses supérieurs d’un tel événement :

« Hier soir, vers les sept heures, une voiture attelée de quatre chevaux, montée par des cochers en grande livrée et précédée d’un coureur à cheval, entrait au château de Nohant chez Mme George Sand; la police de La Châtre, avertie le soir même, ainsi que la gendarmerie, se mettait en campagne et nous apprenait ce matin que cette voiture était celle du Prince Napoléon qui était arrivé à Nohant avec deux de ses aides de camp ou amis. Cette visite dans un château qui ne compte pour hôtes habituels que des actrices du boulevard et les hommes les plus compromis du parti socialiste qui, naguère encore, complotait la candidature de M. Jules Favre, a produit, je ne dois pas vous le dissimuler, un déplorable effet dans le pays. La malignité publique rattache le voyage de l’illustre visiteur à la présence de Mme Plessy-Arnould 26, du Théâtre français, qu’on dit être à Nohant. On annonce que le Prince doit repartir le soir-même ». (7 septembre 1857).

La seconde fois que le Prince vint à Nohant, ce fut en décembre 1868, pour être le parrain de la petite fille de George Sand, Aurore, ce qui prouve combien les relations étaient amicales. On en a un autre exemple : en 1861 Maurice, le fils de la romancière, fit partie de la croisière qui emmena le Prince, sa femme la Princesse Clotilde et leur suite, en Amérique du Nord, en pleine guerre de Sécession. Maurice devait en rapporter un récit de voyage où ne manque pas la note pittoresque, Six mille lieues à toute vapeur, et un carnet de croquis qui n’ont pas été reproduits. J’ai déjà engagé des Américains à traduire ce témoignage important de leur jeune histoire en l’illustrant avec des dessins de Maurice.

Le Prince fut un des rares amis parisiens qui assistèrent aux obsèques de George Sand le 10 juin 1876, avec Flaubert, Renan, Paul Meurice, Calmann Lévy, Alexandre Dumas, Henry Harrisse, Emile Aucante, le docteur Favre, Edmond Plauchut, Henri Amic. Le Prince tenait un des cordons du poêle.

Bien que facilitées par des amis communs (SainteBeuve, Flaubert), les relations de George Sand avec la soeur du Prince, la Princesse Mathilde, furent beaucoup moins fréquentes et moins familières. Elle ne lui écrivit guère qu’une dizaine de lettres, la plupart destinées à l’intéresser à une bonne oeuvre ou à lui recommander quelqu’un. Elle alla quelquefois – rarement – déjeuner rue de Courcelles, mais jamais à ma connaissance à Saint-Gratien.

George Sand et l’impératrice Eugénie

Et l’Impératrice, dira-t-on ? Elle était, paraît-il, une fidèle lectrice des romans de George Sand, qu’elle admirait. Mais que pensait d’elle la romancière ? Nous avons là-dessus un document, daté de 1860, mais qui n’a pas été publié avant 1871 :
« Et cette jeune Impératrice ? parlons-en, car elle joue déjà une grande partie. Elle arrive avec les chics espagnols bien portés, le goût des émotions fortes, le regret des combats de taureaux, nous ne voulons pas dire celui des auto-da-fé, la dévotion bien en vue, le jeu de l’éventail, la passion du costume, les cheveux poudrés d’or, la taille cambrée, toutes les séductions, même celle de la bonté, car elle est bonne et charitable avec grâce, enfin tout ce qui frappe l’imagination, les sens, le coeur au besoin. Voilà tous les hommes amoureux d’elle… ». 27

Bonne et charitable : c’est sur ce terrain que les deux femmes ont eu des rapports, uniquement par intermédiaires d’ailleurs. George Sand a écrit à l’Impératrice cinq lettres dont quatre ont été retrouvées, toujours pour appeler son attention sur une bonne action, une misère à soulager. Elle obtint ainsi une bourse dans un lycée pour le petit-fils de Marie Dorval, un gros billet pour remplacer le bateau, brisé par la tempête, d’un vieux marin de Tamaris, une pension pour le poète-tisserand Magu. Moins heureuse, Eugénie ne put réussir à faire lever la sanction qui frappait le journal la Presse, suspendu pour deux mois à la fin de 1857.

En 1861, l’Académie française avait décerné un Prix important (20 000 F) destiné à « l’oeuvre la plus propre à honorer ou à servir le pays parue dans les dix dernières années ». Trois noms furent d’abord retenus : Henri Martin. Jules Simon, George Sand. Le premier scrutin n’ayant donné à cette dernière que deux voix, le couple impérial lui fit offrir, par un intermédaire discret, un dédommagement éventuel équivalant au Prix. Elle refusa par une lettre très digne à Buloz :
« Dans plus d’une circonstance, j’ai trouvé l’Empereur généreux, l’Impératrice charitable et bonne. Je ne leur ai jamais rien demandé pour moi et je n’ai besoin de rien. Mais, en raison de leurs grands procédés à mon égard et de la bonne intention dont témoigne l’ouverture qui vous a été faite, j’entends bien que mon refus soit un remerciement sans fausse fierté et sans la moindre nuance d’ingratitude. Dites cela à l’ami si aimable et si excellent qui s’est chargé du message. Je ne souhaite ni argent, ni cadeaux, ni distinction d’aucun genre… Quant à l’Académie, je suis vraiment touchée des efforts de tous mes amis, des vôtres, et de ceux des académiciens qui, ne me connaissant pas personnellement, me jugent digne d’une couronne. Mais si ce n’est pas l’avis de la majorité, ce n’est pas à moi de décider s’il y a injustice – c’est l’opinion publique qui en sera juge… ». 28

En définitive, ce fut Thiers qui obtint le Prix, bien qu’il fût académicien, pour son Histoire du Consulat et de l’Empire qui lui avait déjà rapporté une coquette fortune. Pour de nombreux académiciens, il s’agissait avant tout d’écarter George Sand, cette socialiste ; on prit donc un chemin de traverse en mécontentant beaucoup de monde, et en particulier l’Impératrice.

Pauvre Eugénie ! dans la dernière année du règne, elle devait ressentir une peine cuisante, causée cette fois par George Sand elle-même. Dans le roman Malgrétout, celle-ci avait introduit un personnage plutôt antipathique, une aventurière espagnole ambitieuse et excentrique, nommée Carmen d’Ortosa, en qui l’exMademoiselle de Montijo crut se reconnaître, et, disonsle, à qui il était facile de l’identifier. Et ceux qui n’aimaient pas l’Impératrice se firent un malin plaisir de la voir sous les traits de Carmen d’Ortosa. Quelques extraits du roman le feront comprendre :
« Puis elle s’étendit sur son waterproof, dans une attitude fort gracieuse qui découvrait son pied espagnol mignon et cambré dans sa botte fine et souple. Elle ôta son chapeau et répandit sur ses épaules sa riche chevelure d’or rouge. Son oeil pâle, qu’un cercle noir artificiel faisait paraître énorme, prit la fixité d’un oeil félin, et, sûre de sa beauté bien arrangée, elle parla ainsi : « Je suis la fille d’une très grande dame… Je fus élevée à Madrid, à Paris, à Londres, à Naples, à Vienne, c’està-dire pas élevée du tout. Ma mère, belle et charmante, ne m’a jamais appris que l’art de bien porter la mantille et le jeu non moins important de l’éventail. … J’ai toujours cherché et produit l’éclat; je veux le fixer, le posséder, le produire sans effort, le manifester sans limites. Je veux donc tout ce qui le produit et l’assure. Je veux épouser un homme riche, beau, jeune, éperdument épris de moi, à jamais soumis à moi, et portant avec éclat dans le monde un nom très illustre. Je veux aussi qu’il ait la puissance, je veux qu’il soit roi, empereur, tout au moins héritier présomptif ou prince régnant… J’ai l’air d’attacher une grande importance à des choses futiles, on ne se doute pas des préoccupations sérieuses qui m’absorbent, on le saura plus tard quand je serai reine, tsarine, grande-duchesse… ou présidente d’une république… Enfin je veux, après avoir joué un rôle brillant dans le monde, en jouer un éclatant dans l’histoire… ». 29

Dès que ce chapitre eut paru dans la Revue des Deux mondes du 15 mars 1870, grand branle-bas à l’Elysée, crises de nerfs, Flaubert convoqué par télégramme par Mme Cornu, soeur de lait de l’Empereur, échange de lettres entre Nohant et Paris… George Sand se borna à répondre à Flaubert qu’elle n’avait tracé qu’une figure de fantaisie, qu’elle ne faisait pas de portraits, pas de satires, seulement des personnages inventés. Il est possible qu’elle fût sincère, et je me demande si en réalité elle n’avait pas pensé, pour peindre Carmen d’Ortosa, à sa propre fille Solange, en grossissant fortement le trait. Je me demande aussi comment il se fait que Buloz ne l’ait pas avertie des rapprochements, mais Buloz à ce moment paraît moins s’occuper de la Revue, et se décharge en partie sur son fils Charles. Je ne sais si les principaux intéressés furent convaincus par les explications transmises par Flaubert, mais la guerre allait bien vite donner à l’incident une dimension microscopique à côté des désastres, de la défaite, de l’invasion et de la guerre civile.

Conclusion

Pour être complet il faudrait parler aussi d’une Napoléonide aujourd’hui bien oubliée, la Princesse de Solms, petite-fille de Lucien Bonaparte, donc cousine de Napoléon III, jolie, mieux que jolie, mais tête folle, turbulente, qui vivait à Aix-en-Savoie où le Maître l’avait exilée. Ce ne furent que des relations épisodiques, George Sand n’ayant pas encouragé les manifestations d’une sympathie encombrante. Alphonse Karr avait surnommé Princesse Brouhaha cette trépidante jeune femme, qui eut trois maris et, paraît-il, d’amants bien davantage, dont Eugène Sue, François Ponsard, le maréchal Magnan, etc.

Voici maintenant la note comique. On sait que George Sand eut pour mari Casimir Dudevant, épousé en 1822, dont elle était séparée depuis 1836 (séparée, et non divorcée, et pour cause : le divorce n’avait pas été rétabli depuis que la Restauration l’avait supprimé). Ceux qui sont un peu familiers avec sa biographie savent que ce gentillâtre gascon ne fut pas à la hauteur de sa compagne, mais ils ignorent peut-être la demande qu’il adressa en 1869 à Napoléon III, afin d’obtenir la Légion d’honneur. Cette demande fut retrouvée lors du pillage des Tuileries dans un carton du cabinet de l’Empereur. On suppose que celui-ci l’avait conservée à portée de main pour en divertir quelques visiteurs. Il y avait de quoi ! Après quelques flatteries, suivies de l’exposé de mérites assez minces, (maire pendant quarante ans, services rendus par son colonel de père), il ajoutait :

« Bien plus, j’ose encore invoquer des malheurs domestiques qui appartiennent à l’histoire. Marié à Lucile Dupin, connue dans le monde littéraire sous le nom de George Sand, j’ai été cruellement éprouvé dans mes affections d’époux et de père, et j’ai la confiance d’avoir mérité le sympathique intérêt de tous ceux qui ont suivi les événements lugubres qui ont signalé cette partie de mon existence ». 30

C’est sans nul doute, depuis l’instauration de l’ordre par le Premier Consul, le seul candidat au ruban rouge qui ait mis en avant la qualité de mari trompé.

Mais je ne voudrais pas terminer sur cette note qui frise le grotesque. A la mort de Napoléon III, George Sand publia sur lui, dans le journal le Temps, 31 un article où, résumant l’histoire du règne, elle rappelait ses relations avec le vaincu de Sedan. C’est un jugement serein, et l’auteur s’élève à l’impartialité de l’historien. A propos de Napoléon le Petit, dont elle n’approuve pas l’outrance, elle écrit par exemple :

« Napoléon ne mérita jamais « ni cet excès d’honneur ni cette indignité » d’être traité comme un monstre. Il ne mérite pas davantage d’être rabaissé jusqu’à l’idiotisme. Il eut, comme homme privé, des qualités réelles. J’ai eu l’occasion de voir en lui un côté vraiment sincère et généreux. Il eut aussi un rêve de grandeur française qui ne fut pas d’un esprit sain, mais qui ne fut pas non plus d’un esprit médiocre. Vraiment la France serait trop avilie si elle avait subi pendant vingt ans la toute-puissance d’un crétin travaillant pour lui seul. Il faudrait désespérer d’elle à tout jamais. La vérité est qu’elle prit ce météore pour un astre et ce songeur silencieux pour un homme profond. Puis quand elle le vit succomber à des désastres qu’elle eût dû prévoir et prévenir, elle le prit pour un lâche. Il ne l’était pas, il avait un courage froid et je ne crois pas qu’il tînt à la vie… Il s’est cru l’instrument de la Providence. Il ne fut que celui du hasard ». Et dans sa conclusion nous retrouvons une des idées que j’ai signalées dans sa première lettre au prisonnier de Ham : « Le meilleur des hommes peut être le plus funeste des souverains, remettre les destinées de tous à un seul est l’acte le plus coupable et le plus insensé que puisse commettre un peuple civilisé ».

C’est sur ces paroles que nous quitterons une George Sand fidèle à elle-même, fidèle à ses opinions démocratiques en 1873 comme en 1844, et fidèle à son anticonformisme, car, pour se montrer impartiale et même
indulgente envers celui que tant de Français maudissaient après l’avoir encensé, il fallait ne pas craindre d’aller à contre-courant des idées dominantes. Mais cela ne lui a jamais fait peur.

Notes

1. Histoire de ma vie, III- partie, ch. IV (Oeuvres autobiographiques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, t. I, p. 736. Les textes tirés de cette édition seront désormais référencés sous l'abréviation O. A.).
2. O. A., t. II, p. 837.
3. Bibliothèque historique de la Ville de Paris (B.H.V.P.), Fonds Sand, E 274.
4. O. A., t. I, p. 483-484.
5. O. A., t. I, p. 448.
6. Voir notre édition d'Histoire de ma vie, O. A., t. I, p. 1255.
7. O. A., t. I, p. 444.
8. O. A., t. I, p. 452.
9. O. A., t. I, p. 453.
10. O. A., t. I, p. 460
11. O. A., t. I, p. 543.
12. O. A., t. I, p. 545-546.
13. O. A., t. I, p. 737, 746, 783, 784.
14. O. A., t. I, p. 692.
15. O. A., t. I, p. 694.
16. Nerval, Oeuvres, Bibl. de la Pléiade, éd. de 1974, t. I, p. 1463.
17. Jeanne, édition critique établie par Simone Vierne, Presses universitaires de Grenoble. 1978.
18. Georges Sand, Questions politiques et sociales, Calmann-Lévy, 1879, p. 282-283 (réédition conforme, aux Editions d'aujourdhui, 1977). 19. Correspondance de George Sand, Garnier frères, t. VI, p. 708-711.
20. Profils critiques et biographiques des 900 représentants du peuple, par un vétéran de la presse (Paul Lourdoueix), Garnier frères, 1848, 2e édition, p. 303.
21. Lettre inédite, Bibliothèque Spoelberch de Lovenjoul, E 952, fol. 20.
22. L'Univers illustré, 11 mars 1865, recueilli dans Questions d'art et de littérature, Calmann-Lévy, 1878, p. 363-377.
23. Ernest Renan, Feuilles détachées.
24. Agenda 1853, Bibliothèque Nationale, N.a.fr. 24814, fol. 38 v°.
25. Lettre du 6 juin 1865 à son fils, inédite, B. H. V. P., Fonds Sand, G 1982.
26. Archives Nationales, Musée de l'Histoire de France, publié par Pierre Labracherie, Europe, juin-juillet 1954, p. 185. Il est exact que l'actrice était à Nohant en même temps que le Prince dont elle était la maîtresse depuis quelques années. Leur rupture interviendra en 1858, dans des conditions où le Prince fit preuve de plus de brutalité que de chevalerie. A cette occasion, George Sand lui adressa une lettre qu'on peut dire courageuse (Voir Correspondance, t. XIV, p. 789-791).
27. Le Temps, 5 septembre 1871, recueilli dans Impressions et souvenirs. Michel Lévy, 1873, p. 23 (réédition conforme, aux Editions d'aujourd'hui, 1977).
28. Lettre du 9 mai 1861, Bibliothèque Spoelberch de Lovenjoul, E 858, fol. 101-102.
29. Malgré-tout, Michel Lévy, 1870, p. 202-215.
30. Wladimir Karénine, George Sand, t. IV, Plon, 1926, p. 259-260. Casimir aurait dû méditer ces vers de La Fontaine : Apprenez qu'à Paris ce n'est pas comme à Rome, Le cocu qui s'afflige y passe pour un sot, Et le cocu qui rit pour un fort honnête homme.
31. Le Temps, 30 janvier 1873, recueilli dans Dernières pages, CalmannLévy, 1877, p. 3-20.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
309
Numéro de page :
5-24
Mois de publication :
janvier
Année de publication :
1980
Année début :
1804
Année fin :
1876
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