L’administration des monnaies. Une institution dirigée sous le Consulat et l’Empire

Auteur(s) : DARNIS Jean-Marie
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De toutes les branches de l'administration semi-publique française créées au lendemain de 1789, il n'en est aucune qui ait eu durant tout le grand XIXe siècle, plus d'influence sur la richesse nationale, que l'Administration des Monnaies. D'ailleurs jusqu'en 1789, la fabrication du numéraire métallique était décentralisée en un certain nombre d'ateliers disséminés dans les provinces et gérés par des entreprises privées contrôlées par l'Administration centrale.

Infrastructure logistique en matière d’affaires monétaires

Si cette manufacture issue de l'ancienne Cour des Monnaies perd en 1790 ses pouvoirs de tribunal d'exception, désormais dévolus aux tribunaux ordinaires, il ne lui en reste pas moins une activité accrue et une lourde responsabilité, qui se situe sur deux fronts : celui de la gestion administrative dépendant de l'État d'une part, celui de son potentiel technologique assumé par le secteur privé d'autre part. Sur ce point, que dire des interventions de groupes de pressions étrangers au sein même d'organismes administratifs ? Il est vrai que les cinq premières années de la Révolution perturbèrent le fonctionnement productif des ateliers avec l'apparition du papier-monnaie, mais, en même temps, cette institution monétaire poussiéreuse fait peau neuve en se donnant les moyens de la réflexion ; elle se cherche et se définit en rompant les anciens équilibres, ce qui lui ouvre d'autres horizons. Les monétaires n'oublient pas que leur identité et leur raison d'être sont menacées, surtout lorsque les ateliers monétaires des départements ferment leurs portes une à une, faute de fabrication suffisante de numéraire. Mais l'année 1795 sera faste pour les monnaies métalliques : l'effort des autorités vise à restaurer les ateliers monétaires départementaux grâce à l'instauration le 6 juillet d'un nouveau système de poids et mesures. Cette action a permis de mettre provisoirement en échec le cours forcé du papier-monnaie.

Le Directoire, puis le Consulat rétabliront l'agencement des bureaux, beaucoup mieux que l'agencement technologique qui leur échappe en grande partie, mais qu'importe, on compose, tant et si bien qu'après un moment de frappes intensives les nouvelles monnaies républicaines deviendront même marchandises disputées, objet d'agiotage. Toutefois, en ouvrant ainsi l'accès aux métaux précieux, le gouvernement fera aussi renchérir la matière première de l'industrie monétaire : aucune opération ne sera gratuite.

La tutelle de l'État sur les Monnaies n'est pas affaire de circonstance : déjà le pouvoir monarchique, par les tailles (impôts sur les roturiers) contrôlait depuis des siècles la fabrication du numéraire métallique. La Révolution apporta son exigence de liberté, mais aussi ses périodes guerrières, d'où un devoir supplémentaire de surveillance. Des compromis ne pouvaient que s'établir entre ces deux exigences, puisqu'elles exprimaient les idées dominantes en besoins technologiques prioritaires : toutefois sans refouler la première doctrine, l'autre semble la pratiquer. Ainsi, entre ministères financiers, autorités de l'Administration, ingénieurs, chimistes, mécaniciens ou graveurs, les différences d'attitudes reproduisent souvent la hiérarchie des pouvoirs qui sera en fait déterminante par la suite. Au centre de ce réseau de monétaires, la simple Agence, devenue Administration centrale des Monnaies, jouera un rôle d'inspiratrice et de coordinatrice. Le gouvernement est conscient, comme les dirigeants et les chefs de la Monnaie, du retard de la technologie monétaire française et l'encourage à innover. Le soutien ou la protection d'un Gaudin ou d'un Mollien témoignent, à l'avènement du Consulat, de cette préoccupation.

Toutefois, le Consulat enfanta dans la douleur, en particulier sur le plan monétaire ; les paiements s'effectuaient encore jusqu'en 1797 au moyen de mandats territoriaux. Même si l'or et l'argent reprennent en France leur place traditionnelle, l'abus du papier-monnaie et la famine de la monnaie d'appoint (en cuivre et en bronze) provoquèrent la ruine des créanciers à revenus fixes : fonctionnaires, pensionnaires et rentiers tombent encore en 1800 dans la misère, au point que les traitements des premiers doivent être relevés et qu'une  » loi de pitié  » est votée pour secourir les autres. En la matière, les révolutions n'existent pas et les métaux précieux ne se laissent pas détrôner aussi facilement par des bouleversements d'ordre politique. Certes, au début du Consulat, les incertitudes, les hésitations, les traditions nouvelles, ébranlent encore la trésorerie des fournisseurs en métaux de toutes natures. Mais peu à peu, on en arrive à prendre conscience que l'État-client devient la manne : travailler pour lui, en temps de guerre, de crise ou de paix, semble un excellent moyen de faire rouler les ateliers monétaires. Les guerres consulaires et impériales apportent, protègent et soutiennent dans une certaine mesure les hôtels des Monnaies, notamment ceux relevant des territoires annexés. On note sur ce plan, que l'administration des Monnaies, aux limites extra-territoriales nouvelles, semble sur la voie d'une auto-suffisance.

Le réseau des monétaires suit, ne l'oublions pas, divers secteurs de la métallurgie et de la docimasie, lesquels relèvent du maquis secret des fournisseurs. Le courant traditionnel d'échanges d'idées, de conceptions et d'influences, dépasse peu à peu nos frontières pour offrir des possibilités supplémentaires de développement. C'est sur la Monnaie de Paris que se porta, sous le Consulat et l'Empire, la plus importante demande en matière technologique et économique.

Bon ou mauvais, le gouvernement n'exerce qu'un contrôle sur les fabrications d'espèces monétaires, ce qui fera dire fort justement à Mollien :  » Le gouvernement ne bat pas monnaie pour son compte et n'est pas propriétaire du métal qui compose les espèces qu'il fabrique : il se borne à en assurer le titre et la forme, comme il étalonne toute autre mesure sur la demande et la présentation du marchand qui veut l'employer (…) « . C'est reconnaître les limites de l'État sur les étranges pratiques effectuées par les particuliers, qui avaient la faculté de transformer leurs métaux précieux (couverts, monnaies étrangères en or ou en argent en monnaies nationales). Or ces transactions anonymes n'apparaissent nullement dans les colonnes chiffrées des fabrications officielles.

Dans la chose publique, il est bien connu, que  » le Gouvernement est l'âme qui inspire, et l'Administration est le corps qui agit « . En l'espèce, du Consulat à l'Empire, l'Administration des Monnaies sera l'une des manufactures les plus choyées mais aussi les mieux surveillées par Napoléon Bonaparte, que la Restauration rendra peu à peu à la portion congrue. D'ailleurs Louis XVIII ne créa-t-il pas, face à ce foyer de  » buonapartistes « , la Caisse des Dépôts et Consignations en 1816 afin de se constituer un fonds de garantie ?

La Monnaie impériale, qui put commettre des erreurs sur le plan de la gestion et de la conception des choses, sera techniquement, du moins à ses débuts, une administration monétaire de progrès. Du progrès technique, les régimes consulaires et impériaux en furent les témoins. À la Monnaie comme en toute autre manufacture, l'élan fut le même : elle vécut les balbutiements du machinisme industriel, participant elle-même à petits pas aux progrès techniques de la seconde moitié du XIXe siècle.

Activité semi-industrielle, voire artisanale, la Monnaie entretenait des relations de dépendance, de solidarité et de conflits avec son environnement. L'implantation des bureaux administratifs en décembre 1795, consolidée en 1803, est tributaire de Napoléon Bonaparte, des deux ministères de tutelle (Finances et Trésor public) et des secteurs privés ; le rythme et la capacité de ses bureaux et laboratoires se modèle à partir de la visite du Premier Consul à la Monnaie le 11 mars 1803, sur la puissance et la vitalité de ces trois moteurs.

Les ateliers monétaires, qu'ils soient à Paris, dans les départements, ou dans les territoires sous contrôle de la France, seront pour l'État une source appréciable de revenus. Ses personnels (de bureaux) soigneusement sélectionnés forment un noyau soudé proprement bureaucratique de l'Administration. Leur recrutement est spécifique à la hiérarchie sociale. Les dirigeants sont choisis par Napoléon lui-même et les exécutants sont recrutés par  » cooptation  » interne. Leur mode de travail, leur capacité, leur rémunération, les placent dans une sorte de caste de monétaires ; c'est un bloc soudé par la solidarité et les intérêts.

La gestion de l’Administration monétaire

Le transfert à la Nation des prérogatives royales édicté dès 1790 n'est pas chose aisée.

Qui dirigera ? Qui exécutera ? La reconstitution du personnel administratif constitué d'une équipe triée sur le volet et soudée permet de dégager huit volets, à savoir : A) les administrateurs : les dirigeants ; B) le personnel de gestion : les chefs ; C) le personnel administratif : les subalternes, l'accès social ; D) les grilles de salaires : écarts hiérarchiques ; E) les filières de recrutement du personnel ; F) le personnel d'exécution des ateliers ; G) le personnel de service ; H) le fonctionnement des bureaux.

A) Les administrateurs : les dirigeants

La nouvelle administration monétaire fonctionne déjà à coups de textes ; ce sont eux qui organisent les bureaux et déterminent leur activité, de même que, quel que soit le rang du fonctionnaire et de l'employé, ils sont liés par les textes et les règlements. Jusqu'en 1826, la direction est tricéphale : Jean-Balthazard-Melchior Dibarrart, à la personnalité obscure mais répondant au profil qu'en attendait le gouvernement, a la charge entre autres, des affaires politiques intérieures et des relations avec les ministères et le Parlement, il quittera la Monnaie en 1804 pour occuper le poste de directeur-adjoint de la Banque de France. Puis une figure dans le domaine de la chimie-physique, nécessaire à la réputation de cette manufacture, Claude-Louis Berthollet, véritable trait d'union entre le laboratoire et le ministère de tutelle, en 1798, il quitte la Monnaie pour rejoindre Bonaparte à Toulon et prendre part à l'exaltante campagne d'Égypte : il sera remplacé par une autre figure, Guyton de Morveau. Enfin Antoine Mongez, chimiste à ses heures, helléniste, humaniste, collectionneur, ex-conservateur du Muséum d'histoire naturelle de la bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris, à la fin de l'Ancien Régime, chargé à la Monnaie des affaires monétaires. On note également les passages de Jean-Claude Laumond, minéralogiste et de Pierre Sivard de Beaulieu qui mourra en fonction le 26 mars 1826.

B) Le personnel de gestion : les chefs

Placé sous l'autorité des administrateurs, le personnel de gestion représente la cheville ouvrière dans la marche des affaires monétaires. Mais auparavant des bureaux doivent être créés. Comment les créer ? Pourquoi les
créer ? Qui mettre en place ? S'agissait-il d'étoffer un bureau central qui risquerait à plus ou moins long terme de se trouver engorgé ; lui adjoindre des bureaux spécifiques aux impératifs de service, à même de traiter les travaux opérés en laboratoire ou en atelier (réalisation des outillages de frappe, fabrication des monnaies) ?

L'affaire n'est pas mince ; même si à première vue, coucher une proposition théorique sur le papier semble autre. Principal souci, créer des postes budgétaires confiés à des hommes politiquement sûrs et compétents sous l'angle professionnel.

Les sujets traités prioritairement portèrent sur trois secteurs : celui des laboratoires, celui de la gravure des aciers et celui des machines-outils. Mais curieusement, on s'aperçoit que faute de cadres administratifs, techniques et scientifiques républicains (il est vrai, où et comment les aurait-elle formés ?) la Monnaie compose et reprend, pour constituer son administration, de vieux chevaux de retour ni trop marqués par l'ancienne monarchie, ni marqués par les idées robespieriennes. Ainsi, on retrouve des scientifiques, académiciens (cela jette du poids et fait sérieux) de l'ancienne administration royale des Monnaies présents à la veille de la Révolution, mais aussi des cadres administratifs, des chimistes, physiciens, ingénieurs-mécaniciens, professeurs, orfèvres-graveurs, qui ne sont pas émigrés. Marie-Alexis de Rochon, astronome, Antoine Silvestre de Sacy, le fondateur de l'École des langues orientales, Guillaume Cressard, ancien substitut du procureur général de la Cour des Monnaies, un jeune, Étienne Bertrand, ancien secrétaire particulier du Procureur général, que Bonaparte nommera secrétaire général des Monnaies, les chimistes Jean Darcet, Jean-Pierre Anfry, Jean-Robert Bréant ou Laurent-Jean Chaudet. Le graveur général Augustin Dupré recruté sur concours (pseudo) en 1791 à l'instigation du peintre Louis David, sera démissionné de son poste par le Premier consul et remplacé par son adjoint Pierre-Joseph Tiolier qui répond davantage au profil souhaité par Napoléon Bonaparte. Enfin, un nouveau : Philippe Gengembre, mécanicien, métallurgiste, physicien, espion sous la Révolution et proche de Berthollet et de Gaudin et dont la nomination d'Inspecteur général des Monnaies eut les faveurs du Premier consul.

L'Administration des Monnaies connaîtra jusqu'à la fin de l'Empire sa période la plus faste de son existence, qu'elle ne devait plus jamais retrouver par la suite.

François-Nicolas Mollien et Martin-Charles Gaudin consolidèrent la Monnaie, sous contrôle de l'État, par la loi des 7 et 17 germinal an XI (28 mars et 7 avril 1803) qui conforta la charte du  » Franc « . Puis l'arrêté du 10 prairial an XI (30 mai 1803) créait ou restructurait six postes de gestion : l'inspection générale des Monnaies dévolue à Philippe Gengembre, la secrétairie générale au profit d'Étienne Bertrand, l'inspection des Essais à Jean-Pierre Anfry, issu d'une longue lignée de conducteurs et de mécaniciens-graveurs des monnaies, connue depuis 1582 ; le poste de vérificateur des essais à Jean-Pierre-Joseph Darcet, le poste d'essayeur à Joseph Lecour, enfin le poste de graveur des monnaies à Pierre-Joseph Tiolier.

C) Le personnel administratif : les subalternes, l'accès social

Dans l'ordre hiérarchique nous trouvons le commissaire et le caissier, puis viennent les chefs et les sous-chefs de bureaux, le contrôleur du monnayage et le vérificateur des monnaies.

Sous la houlette directe des chefs (de service), ils concourent à la marche de l'entreprise. Précisons que les ateliers monétaires autres que celui de Paris, ne disposent pas d'un tel personnel (commissaire et contrôleur du monnayage et caissier exceptés) ; il est vrai qu'ils n'en avaient pas un besoin avéré. Mais aussi, quelles tâches distribuer ? Comment répartir les compétences ? Le commissaire assure la sécurité générale, contrôle les rentrées et les sorties de métaux, l'acheminement du matériel ; il assure le suivi des frappes de monnaies métalliques et donne son feu vert pour toutes les transactions d'ordre financier avec les fournisseurs et le directeur de fabrication. Ce fonctionnaire politique est chargé en outre de l'entretien des bâtiments sur avis de l'inspecteur des bâtiments (un architecte) et assure l'inventaire contradictoire du matériel en cas de départ et de succession d'un directeur de fabrication. Le contrôleur du monnayage supplée le directeur de fabrication (sous contrat). Il vérifie l'état des outillages de frappe et du matériel monétaire et suit les procédés et les circuits de fabrication. Assisté d'un commis (aux écritures), il surveille le petit peuple de monnayeurs et autres manouvriers : de lui dépend la qualité finale. Bref, il veille à la conformité des affaires (vérification du poids et titres) ne serait-ce que pour y déceler d'éventuelles fraudes.

D) Les grilles de salaires : écarts hiérarchiques

L'homogénéité des salaires des diverses catégories de personnels permanents sera la règle de l'unité administrative des Monnaies. On observe aussi que, depuis l'institution de l'arrêté de prairial an XI évoqué supra, la gradation des salaires afférents aux employés subalternes est faible.

En ce qui concerne les avancements, fort peu d'employés conservent l'espoir de franchir l'intervalle de 2 000 à 3 000 francs annuels et sont arrêtés pour quelques-uns à 2 000 francs. Le traitement reste par ailleurs le même pour les plus anciens et les plus nouveaux à l'exception de quelques-uns d'entre eux (les protégés) qui bénéficient d'un régime de faveur exceptionnelle.

Par ailleurs, du haut fonctionnaire à l'employé le plus modeste, leurs situations se trouvaient juridiquement placées dans un état de dépendance totale : l'un dans la sphère du gouvernement en place, l'autre à l'égard de ses chefs hiérarchiques ; ils n'avaient apparemment aucun moyen de recours.

En revanche, les révolutions politiques touchent les dirigeants ou des fonctionnaires responsables ; le phénomène s'observe à chaque changement de régime. Le retour des Bourbons en 1814 inaugure cette discrimination, à son tour reprise ensuite sous les Cent-Jours.

E) Les filières de recrutement du personnel

Bien que nouvelle, l'Administration des Monnaies hérita de certaines méthodes et de certains styles de celles qui l'ont précédée. D'une manière générale, on entre à la Monnaie sur présentation par personnes influentes interposées ; politiciens proches du gouvernement ou d'opposition, sans oublier les obédiences maçonniques : les décisions importantes se prennent les dimanches à l'heure du digestif. Il n'est pas rare d'y trouver un père, puis un fils, un oncle ou un neveu, voire un ami à qui l'on a rendu quelques menus services…

Les individualités y jouèrent à l'époque admirablement leur rôle. Un dirigeant, un chef de service ont pleinement la faculté d'orienter, en raison de leur personnalité, l'action de tel ou tel secteur qui leur sont confiés, tels les Berthollet, Mongez, Dibarrart, Vauquelin, Darcet, Bertrand, Gengembre ou Tiolier. Les postulants à l'Administration de la Monnaie seront sélectionnés : le centre de tri est au secrétariat général.

L'hôtel des Monnaies de Paris devient peu à peu comme sous l'Ancien Régime le haut lieu privilégié de rencontres d'une élite de savants, de politiciens, d'artistes ou de littérateurs. Dans ce lieu parisien de monétaires où se côtoient, intrigues, associations d'obédiences
artistiques, politiques ou philosophiques, il était préférable de se forger un pedigree pour posséder un esprit d'élite.

F) Le personnel d'exécution des ateliers
 
On ne sait rien de précis, pas même un nom sur ce type de personnel, qui ne relève nullement de l'Administration des Monnaies, mais du directeur de fabrication (banquier-entrepreneur et adjudicataire sous contrat), seul détenteur de ses appréciations personnelles (recrutement, salaires ou mises à pied du personnel coopérateur). Ce monde ouvrier est composé de commis d'ordre, de mécaniciens, d'ajusteurs, de voituriers, de monnayeurs-ajusteurs, de charpentiers, de maçons et de forgerons. À l'exception des mécaniciens et ajusteurs, la situation des autres catégories de corps de métiers peu enviable, n'offrait pas toujours l'assurance de la stabilité, qui ne dépendait que du numéraire à produire.

G) Le personnel de service de l'Hôtel de la Monnaie de Paris

Il est connu que la hiérarchie administrative française comporte quatre ordres de textes : la loi, le décret, l'arrêté et la circulaire. La pratique ne tarde pas à en ajouter un cinquième sous le Consulat, le règlement intérieur, qui complète les quatre autres. Sur ce point, les scribes du commissaire de la Monnaie planchèrent allégrement. À ces nécessités impérieuses, précisons que les locaux de la Monnaie de Paris n'étaient pas comme aujourd'hui, une caserne déserte deux jours par semaine. Les logements de fonction et de service étaient nombreux, puisqu'ils occupaient les lieux, du premier étage aux combles, sans omettre les écuries, remises et caves (2 niveaux), ce qui représentait toute une population de domestiques, de parents et d'enfants, gardée par quatre concierges d'origine suisse du canton des Grisons, qui en l'occasion pouvaient se faire prêter main-forte par une compagnie militaire détachée à la Monnaie.

G) Le fonctionnement des bureaux

À mesure que la division du travail s'affine, la correspondance et les livres de bord augmentent, l'Administration aura au fil du temps besoin de nouveaux bureaux spécifiques pour instruire les affaires ; c'est la prolifération des bureaux. Quels furent-ils ? L'année 1795 voit l'ouverture du bureau du secrétariat général, 1797, le bureau de change et du caissier, 1799, celui de la garantie, 1803, les bureaux de la comptabilité, du monnayage-délivrance et de l'inspection des bâtiments. Selon l'importance des bureaux, le personnel varie de cinq à trois fonctionnaires. Naturellement, on trouve l'incontournable chef de bureau ; il est celui qui connaît le détail du service ; c'est l'âme du bureau. Il fait travailler les autres et se contente d'apposer son paraphe. Puis vient le sous-chef de bureau, qui est l'âme de son chef ; c'est lui qui prépare les dossiers et en améliore la présentation si nécessaire et rédige la correspondance de son chef. Annuellement, le sous-chef de chaque bureau planche sur les demandes de crédits à allouer et veille au classement des lois, arrêtés, ordonnances, décisions, circulaires, correspondance générale et documentation, bref, c'est l'ordonnateur et la mémoire de l'administration. Un expéditionnaire ventile l'ensemble des documents traités. Scribe, véritable virtuose de la plume, son écriture relève de la calligraphie. Conscient de cette culture, il tient en haute estime sa fonction. Bras droit du sous-chef, il est en mesure de préparer le petit et moyen courrier. Sous sa houlette, deux autres expéditionnaires en rodage retranscrivent les lettres et tracent des états. Enfin l'inévitable garçon de bureau dont l'avenir est nul et mal rétribué, mais qui est utile par les services qu'il peut rendre. Dans ce rôle d'estafette, il bénéficie des restes de chandelles, de papiers de corbeilles, des cendres et parfois de gratifications accordées par l'Administration. Cette fonction apparemment effacée lui permet d'être au courant de beaucoup de choses (habitudes des chefs, défauts des employés) ; il est permis de supposer qu'il espionne, par goût, par habitude ou pourquoi pas sur ordre.

Au cours du Premier Empire, un secteur d'activité nous a laissé d'intéressants souvenirs, celui du bureau de la garantie parisienne alors dirigé par l'illustre chimiste Louis-Nicolas Vauquelin, qui s'illustra par trois interventions historiques d'apposition de marques de garanties valant d'être citées :

– Marques de garantie apposées sur la toilette de mariage de l'impératrice Marie-Louise.
Il s'agit de la toilette que Marie-Louise portera lors de son union religieuse à Compiègne, le 2 avril 1810 au puissant Napoléon.
 » Le mardi 14 mars 1810, l'orfèvre Odiot (qui réalisa les pièces principales de cet ensemble) avait fait porter les pièces de cette toilette chez Monsieur le Préfet, Messieurs Vauquelin, essayeur, Holevrel, receveur, Mercier, contrôleur principal chargés chacun de l'une des clefs du coffre aux trois serrures renfermant les poinçons de titre et de garantie servant au bureau de Paris, s'étant réunis à ce bureau à 9 heures du matin avec Monsieur Nigon, inspecteur des droits réunis ; Drouard, contrôleur de 1re classe, Mozard, marqueur, Ravoisie et Damerat, employés, faisant fonction de présentateurs, il a été extrait par lesdits essayeurs 3 poinçons, l'un du 1er titre d'argent, le second de la moyenne garantie d'argent et le 3e des menus ouvrages d'argent, lesquels poinçons ont été enveloppés et scellés, puis il se sont transportés à l'Hôtel de la préfecture et là, en présence de Monsieur le Préfet, de Monsieur Sivard (de Beaulieu, l'un des administrateurs de la Monnaie) et de Odiot, orfèvre, dans une salle où était exposée cette toilette. Les cachets ayant été reconnus sains et entiers, furent brisés et les poinçons remis à M. Mozard qui a marqué aussitôt les pièces de ladite toilette… Devant l'urgence des circonstances, les mêmes employés se sont alors rendus chez l'orfèvre, afin de marquer les pièces dépendantes de ladite toilette… « .

– Marques de garantie apposées sur le berceau du roi de Rome offert par la ville de Paris.
 » Monsieur Mercier accompagné de Monsieur Souchot, l'un des sous-aides de M. Vauquelin, essayeur, le 26 février 1811, ces employés se sont donc transportés chez M. Odiot pour assister à la pesée des pièces en présence d'un commissaire du département nommé par le préfet et ont retenu note du poids du berceau pour asseoir le droit de garantie.
 » Messieurs Odiot et Thomire ayant reçu l'ordre de porter ce berceau directement au Palais des Tuileries, il n'a pas été possible d'exécuter la disposition de la délibération surdatée. M. Odiot a fait prévenir l'Administration des Monnaies de cet incident en l'invitant à envoyer marquer ledit berceau chez Monsieur Thomire, rue Boucharat, mais l'Administration ayant décidé que cette condescendance ne pouvait avoir lieu, le berceau a été livré sans marque…
 » M. Odiot ayant obtenu de Monsieur le Grand Maréchal du Palais une autorisation pour que ce berceau fût marqué aux Tuileries… l'Administration (des Monnaies) ayant autorisé cette nouvelle disposition, MM. Mercier, Souchot, Nigon-de-Berty et Mozard jeune, marqueur au bureau de la garantie, se sont transportés munis des poinçons, accompagnés de M. Odiot aux Tuileries « .

– Marques de garantie apposées sur le glaive de l'Empereur.
 » Le 3 décembre 1812, Vauquelin, Nigon-de-Berty, inspecteur et contrôleur principal des droits réunis, le sieur Belzevrier, receveur principal des droits réunis du 3e arrondissement de Paris, Drouet, sous-contrôleur, Charpentier, chef du bureau de la garantie de Paris, en présence de Lolivrel, receveur du bureau de la garantie, en conséquence des ordres de l'Administration (des Monnaies) et d'une lettre d'invitation de Monsieur le Comte de Montesquiou, Grand Chancelier…, nous avons extrait de l'armoire à trois serrures…, un poinçon du deuxième titre pour l'or, un poinçon petite tête de coq destiné à marquer les menus ouvrages d'or avec garniture et un poinçon pour marquer les menus ouvrages sans garniture… « .
 » Nous nous sommes transportés avec ledit coffret à poinçons au Palais des Tuileries, au Trésor général de la Couronne, bureau de Monsieur Georges, caissier général, à l'effet d'y apposer les poinçons prescrits et percevoir les droits sur un glaive enrichi de diamants, fourni pour sa Majesté l'Empereur et Roi, par Monsieur Nitot, joaillier de leurs Majestés, contenant suivant facture, 25 onces demi-gros d'or au 2e titre (soit un équivalent de 766 grammes) « .

Naissance d’une identité

Il ressort que l'industrie encore bien artisanale de la Monnaie est loin d'être immobile ; elle a ses contraintes qui l'empêchent de progresser efficacement, mais ses procédés bureaucratiques et technologiques, même s'ils restent encore lacunaires, ont déjà l'empreinte de la marge d'amélioration par rapport à ceux de l'Ancien Régime.

La Révolution puis l'Empire amenèrent les aménagements et la consolidation des monnaies (en théorie). Néanmoins, par-delà sa révolution proto-industrielle qu'elle n'accomplira réellement que dans les années 1850, la Monnaie conservera son identité spécifique où se conjuguent, révélés par les événements, la dépendance réciproque de l'État, de l'Administration centrale des Monnaies et du secteur privé, au travers de la maîtrise de ses cadres administratifs, scientifiques, techniques et artistiques.

En l'espèce, il résulte que, tout bilan, si fragmentaire selon nos informations, comporte naturellement un aspect positif et un aspect négatif. Certains, sous le charme de la réussite de nos monétaires en oublièrent les coûts en matière de recherches technologiques et de production, d'autres (avec le retour des Bourbons) obnubilés par ces coûts nièrent la réussite.

Il n'en demeure pas moins vrai qu'historiquement, le Consulat et l'Empire conférèrent une véritable identité nationale et internationale à l'Administration monétaire, assortie d'une classification plus rationnelle du numéraire métallique français ou d'obédience française, dont les principes seront à l'origine de la première instauration d'union monétaire en 1865 dont les contractants furent la France, la Belgique, la Suisse, l'Italie, puis la Grèce (voir Revue du Souvenir Napoléonien, n° 419, p. 25-33).

Notes

Sources :
Les archives de la Monnaie de Paris révèlent d'intéressantes pièces sur la période :
- en particulier les Séries B à L (Affaires administratives et rapports avec le ministère), les registres de procès-verbaux cotés Reg.Ms.fol. 161-185, 226-231, 236, 259-272, 310,
- et les ouvrages imprimés de J.-M. Darnis, La Monnaie de Paris, du Consulat à l'Empire... (1795-1826), Levallois, C.E.N., 1988, 314 p. et  Deux Palais sur un Quai (Bâtiments et Institutions _ La Monnaie), Liv. Expo., Paris, D.A.A.V.P., 1990, pp. 181-238, 260-265.
- Guy Thuillier, La monnaie en France au début du XIXe siècle, Genève, 1983 et La réforme monétaire de l'An XI - La création du franc germinal, Paris, C.H.E.F.F., 1993.
- J. Tulard, Dictionnaire Napoléon, Paris, 1987
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
441
Numéro de page :
19-27
Mois de publication :
juin-juillet
Année de publication :
2002
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