Pages napoléoniennes : La tribu indienne, ou, Edouard et Stellina, par le citoyen L.B [Lucien Bonaparte], (Paris, 1799)

Auteur(s) : LHEUREUX-PRÉVOT Chantal
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Pages napoléoniennes : <i>La tribu indienne, ou, Edouard et Stellina,</i> par le citoyen L.B [Lucien Bonaparte],  (Paris, 1799)
Biographie nouvelle des contemporains, 1820-1821

Lucien Bonaparte, comme ses frères Joseph, Napoléon, Louis, a eu dans sa jeunesse des ambitions littéraires.

Grand admirateur et ami de Bernardin de Saint-Pierre, il fait publier en 1799 un roman sentimental et exotique, qui se déroule à Ceylan.
L’intrigue est alors en vogue : un Européen sauvé par une sauvage, la vendra comme esclave.
Cette variante exotique du thème de l’amante abandonnée par un vil amant apparaît au XVIIe siècle dans les récits de voyage sous la forme d’une anecdote sur un Anglais, Inkle, qui trahit Yarico, une femme des Barbardes qui lui avait sauvé la vie.
Lucien Bonaparte, qui a lu les oeuvres de l’abbé Raynal contre l’exploitation des indigènes par les colons, y mêle à la fois des considérations sur la violence des colonisateurs (en l’occurrence des Portugais) et sur les bons sauvages qui ne connaissent ni la corruption, ni l’avarice.

Résumé et critiques

Page de couverture

L’intrigue est à rebondissement : Édouard, jeune, beau, intelligent et riche, fils d’un grand marchand londonien, part vers les Indes (Java) ouvrir un comptoir pour son père à bord du … Bellérophon ! L’escale sur l’île de Ceylan tourne au cauchemar : une partie de ces compagnons descendus à terre sont tués par des insulaires féroces. Le croyant mort lui aussi, le capitaine du bateau le laisse seul, abandonné. Edouard traverse la forêt pour tenter de rejoindre le seul campement européen de l’île, Columbo tenu par les Portugais. Et là, couchée sur une peau d’éléphant, la taille élancée à peine couverte par un voile transparent, lui apparaît Stellina, la belle sauvage. Après bien des jalousies tramées par le grand prêtre de la tribu, Édouard devient son époux. Mais l’avidité des richesses de diamants et d’or des insulaires, la nostalgie de l’Europe l’éloigne de Stellina. Une fausse accusation de meurtre les oblige à trouver refuge à Colombo. Le vil conseiller du vice-roi comprend qu’Édouard recherche la fortune plus que tout. Il lui propose des coffres d’agent et des esclaves contre la fille du roi des sauvages, qui est la clef pour devenir gouverneur de toute l’île. La romance finit mal : Édouard est tué, Stellina est mise au ban de la tribu et meurt en couche, les Portugais massacrent une partie des insulaires …
La moralité est double : « Dans tous les pays de la terre, les prêtres sont les artisans du crime et de l’erreur », et « La soif immodérée des richesses étouffe la nature, et l’or appelle tous les maux sur la terre qui le renferme. »
Si le style est, selon nos goûts actuels, larmoyant et grandiloquent, on peut encore apprécier quelques passages sur la beauté de la forêt.
Ce roman est considéré comme précurseur du mouvement romantique, par la place faite à la nature et la recherche de la liberté individuelle hors des carcans traditionnels.
Certaines critiques voient dans l’affrontement entre la tribu archaïque, mais moralement pure, et les nouveaux colons porteurs d’avenir, mais avides de pouvoir et de richesse, la métaphore de la mort de l’Ancien Régime et l’installation d’un nouveau régime issu de la Révolution.

Histoire bibliographique

Imprimé en petit nombre (300 exemplaires semble t-il) au mois de mai 1799, « La Tribu indienne » connut un succès d’estime auprès des critiques. Lucien Bonaparte devenu ministre de l’intérieur après le 18 Brumaire, rachète et fait détruire tous les exemplaires encore dans le commerce. Il en reste trois exemplaires dans les collections ouvertes au public : un à la Bibliothèque nationale de France, un autre à la bibliothèque du Château d’Oron (Suisse), et le troisième à la New York Public Library, illustré par cinq gravures de Pierre-Paul Prud’hon. Le quatrième exemplaire de l’édition originale est désormais conservé à la Fondation Napoléon.
Une nouvelle édition paraît en 1822, chez Chaumerot (Paris), sous un titre différent Les Ténadares [nom de la tribu], ou, l’Européen et l’indienne, donnée comme une traduction d’un roman anglais d’une certaine Mrs. Helme.
En 1848 ou 1849 (les deux dates sont imprimées sur la page de couverture), soit huit ans après la mort de Lucien Bonaparte en Italie, la revue Les veillées littéraires illustrées : choix de romans, nouvelles, poésies, reprirent en fac-similé le texte du roman.

Titre : La tribu indienne ou Edouard et Stellina

Éditeur et date d’édition : À Paris, De l’imprimerie de Honnert, rue du Colombier, n° 1160, an VII [1799]

Description matérielle : 18 cm, 2 vol.