Le percement de l’isthme de Suez

Auteur(s) : SPILLMANN Georges
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Le percement de l’isthme de Suez
Ferdinand de Lesseps, d'après une photographie de l'époque

De l’Antiquité aux années 1840

Le premier canal faisant communiquer la mer Rouge avec le Nil et, de là, par la branche orientale du fleuve (dite pélusienne), avec la Méditerranée, fut creusé environ deux mille ans avant Jésus-Christ sur l’ordre du pharaon Ramsès Ier. C’était un ouvrage médiocre donnant passage à des voiliers de faible tonnage, halés le long des rives par des chevaux ou des chameaux ou encore mus à la rame.

Il fut quelque peu amélioré ensuite par les pharaons Nechao II (617-601 avant J.-C.) et Ptolémée Ier, puis par Darius, roi des Perses, occupants momentanés de l’Égypte, d’où son surnom de canal des quatre rois. Mais, mal entretenu, il fut bientôt asséché et comblé par les sables que véhiculaient sans cesse les grands vents du désert.

Au XVIIIe siècle de notre ère, on songea à le rouvrir, idée vite abandonnée car on croyait qu’il existait une sensible différence de niveau entre la mer Rouge et la Méditerranée, d’où l’obligation de construire de grandes et coûteuses écluses.

Lors de l’expédition d’Égypte, Bonaparte retrouva personnellement aux environs de Suez les vestiges de l’ancien canal pharaonique et chargea Gratien Lepère d’étudier le problème. Celui-ci lui remit, le 24 août 1803, un important Mémoire pour la communication de la Mer des Indes à la Méditerranée par la Mer Rouge et l’Isthme de Suez. Le tracé préconisé suivait sensiblement celui des pharaons. Toutefois, du Nil, il se dirigeait, non plus sur Péluse en empruntant la branche orientale du fleuve, mais sur Alexandrie, traversant ainsi tout le delta, ce qui aurait bouleversé le système hydraulique de la région et donné à l’ouvrage une longueur excessive de plus de 400 kilomètres. De plus, Lepère évaluait à près de dix mètres la différence de niveau entre les deux mers, ce que Fourier et Laplace contestaient formellement.

Le pacha d’Égypte, Méhemet-Ali, maître absolu du pays de 1811 à 1848, manifesta peu d’intérêt pour le projet et quand le chef saint-simonien Prosper Enfantin reprit sur place la question après la mort de Napoléon à Sainte-Hélène, il se déclara même opposé au tracé de l’ingénieur français Paulin Talabot, directeur du chemin de fer du P.L.M., qui reprenait dans ses grandes lignes celui de Gratien Lepère. On ne pouvait évidemment rien entreprendre contre la volonté de Méhemet-Ali.

Néanmoins, deux ingénieurs français au service du pacha, A. Linant de Bellefonds et Mougel, reconnaissaient discrètement un tracé direct de Suez à Péluse, traversant les lacs Amer et Timsah, d’une longueur totale de 147 kilomètres seulement. De son côté, un autre ingénieur français, Bourdaloue, établissait que la différence des niveaux moyens des deux mers n’était pas supérieure à 80 centimètres, donc négligeable, et Linant de Bellefonds se penchant à son tour sur le problème confirmait les calculs de son confrère.

Tels étaient les précédents et les données techniques aux environs des années 1840-1850.

Le grand rêve de Lesseps

Rien ne laissait prévoir que le canal se ferait un jour, jusqu’au moment où intervient l’homme providentiel en la personne d’un jeune diplomate français, Ferdinand de Lesseps, petit-fils, fils, neveu et frère de diplomates, issu d’une famille d’origine basque ayant le goût de l’aventure dans le sang. Les fées ont mis dès sa naissance de nombreux dons dans son berceau. D’une grande robustesse, il est beau, intelligent, brave, hardi, tenace, désintéressé, patient quand il le faut, à la fois impulsif et réfléchi. C’est un bel animal d’action. Il possède enfin un charme personnel « qui touche à la magie », auquel Renan sera encore sensible alors que Lesseps a dépassé la cinquantaine. Excellent cavalier, il ne peut que plaire à des Orientaux, épris du cheval et de prouesses équestres. Enfin, il est le cousin germain de la comtesse de Montijo, mère d’Eugénie, future impératrice des Français.

D’autre part, son père, Mathieu de Lesseps, représentant de la France en Égypte peu après l’expédition de Bonaparte, a su discerner qu’un modeste chef d’un millier de janissaires albanais, du nom de Méhemet-Ali, possédait les qualités requises pour remettre de l’ordre dans la vallée du Nil. Aussi, l’a-t-il encouragé discrètement et aidé à ses débuts difficiles.

Puis Ferdinand de Lesseps vient à son tour gérer notre Consulat d’Alexandrie et ne tarde pas à se distinguer par son courage pendant l’épidémie de peste de 1834 à 1835.

Le souvenir de son père, sa propre attitude en des circonstances tragiques lui valent la bienveillance de Méhemet-Ali. Celui-ci le charge alors de former l’esprit et de secouer l’apathie de son fils Saïd, intelligent, mais goinfre et obèse, réduit de ce fait à la portion congrue. Ferdinand de Lesseps met Saïd en selle, l’astreint à un sévère régime sportif, quitte à le régaler en cachette d’un plat de macaronis quand il voit son élève sur le point de défaillir.

Dès son arrivée en Égypte, Lesseps étudie tout ce qui concerne le canal de Suez. Il s’en entretient longuement avec Linant de Bellefonds, et se jure bien de réaliser ce grand oeuvre dès que l’occasion se présentera. Mais il doit rentrer en France sans avoir été à même de faire quoi que ce soit. Et les années passent…

Soudain, alors qu’il a quitté la carrière diplomatique, il apprend en 1854 que son élève et ami Saïd vient de prendre le pouvoir en Égypte après l’assassinat de son oncle Abbas.

Ferdinand de Lesseps saisit par les cheveux l’occasion tant attendue, accourt en Égypte en octobre 1854, rejoint le 15 novembre le nouveau pacha en expédition militaire, et lui présente son projet de percement de l’isthme de Suez, qui est celui même de Linant de Bellefonds. Il obtient quinze jours plus tard le firman lui accordant le privilège exclusif de créer la Compagnie Universelle du canal maritime de Suez, d’exploiter cet ouvrage, de construire un port à chacune de ses extrémités. La concession aura une durée de 99 ans à compter du jour où il entrera en service. À la fin de cette période et à défaut d’autres arrangements, le canal deviendra propriété du gouvernement égyptien.

Un second texte, plus circonstancié, sera signé plus tard, le 5 janvier 1856. Il stipule que le canal, voie d’eau neutralisée, sera ouvert en tous temps, moyennant paiement d’un droit de transit, à tous les navires marchands sans distinction de nationalité. C’est l’égalité absolue pour tous. Le capital de la compagnie est fixé à 200 millions de francs-or, divisés en 400 000 actions de 500 francs chacune. En décembre 1858, la Compagnie Universelle du canal est définitivement constituée.

La souscription aux actions est un succès sans précédent. En France, 21 229 personnes, de condition souvent modeste, en achètent 207 111. 96 517 reviennent à des ressortissants de l’Empire ottoman, la plus grosse part étant celle du pacha d’Égypte. On trouve des acquéreurs dans tous les pays d’Europe. Mais les 85 506 actions réservées par Ferdinand de Lesseps à l’Autriche, l’Angleterre, la Russie et les États-Unis d’Amérique n’ont pas preneur. Elles seront achetées plus tard par Saïd, à l’instigation de Napoléon III.

La signature du firman de concession et la clôture dès les derniers jours de décembre 1858 des opérations de souscription provoquent une vive irritation dans les milieux gouvernementaux anglais et dans la presse londonienne. L’Angleterre officielle, suivie par une large fraction de l’opinion publique, craignant un renforcement de l’influence française en Égypte, susceptible de constituer un danger pour ses possessions de l’Inde, met tout en oeuvre pour faire révoquer le firman, soit par le pacha d’Égypte lui-même, soit de préférence, par son suzerain, le sultan ottoman. Lord Palmerston, Premier ministre, prend en personne la tête de la campagne contre les projets de Ferdinand de Lesseps.

Les Turcs se trouvent alors fort embarassés. Ils se méfient de tout ce qui peut renforcer la puissance de leur incommode vassal du Caire, et sensibles aux arguments anglais, appuyés au bon moment par de discrètes largesses. Mais ils craignent les réactions des Français, leurs alliés si efficaces de la guerre de Crimée. Ils prennent alors la ferme résolution de ne rien décider.

Quant à Napoléon III, il est sans aucun doute favorable au projet de Lesseps. N’a-t-il pas, alors qu’il était prisonnier à Ham, rédigé une courte brochure sur le canal du Nicaragua ? De longue date, il est en effet convaincu de la nécessité impérieuse de rendre plus rapides, donc moins coûteux, les transports maritimes et terrestres dont il prévoit le prodigieux essor pour répondre aux besoins du commerce international.

Mais il connaît bien l’Angleterre. Il ne sous-estime pas le danger d’une hostilité agressive de sa part. Il ne veut pas risquer un échec en s’engageant trop loin et trop vite, ni compromettre pour le canal les autres grands projets qu’il mûrit dans son esprit: l’indépendance et l’unité de l’Italie septentrionale, occupée par l’Autriche, le rattachement corollaire à la France de la Savoie et du comté de Nice, le règlement de l’épineuse question du Liban.

Il sait n’avoir rien à espérer des vieux Lords qui en sont restés à leurs souvenirs de jeunesse des guerres napoléoniennes. Ils ne tarderont pas à disparaître. En attendant, se lève en Angleterre une nouvelle classe dirigeante d’industriels, de banquiers, d’hommes d’affaires, de grands commerçants internationaux, qui veulent la paix, gage de prospérité. Il faut donc savoir patienter, ce qui est conforme à sa nature flegmatique.

Dès 1855, Napoléon III prodigue à Ferdinand de Lesseps les conseils de prudence, tout en l’encourageant à persévérer car, plus l’œuvre sera avancée, moins on pourra l’arrêter.

Après le banquet offert à Paris, en avril 1856, aux plénipotentiaires du Congrès de Paix, l’Empereur donne sans fard son opinion au grand vizir turc, qui lui a demandé, d’ordre de son Maître, le sultan, ce qu’il pensait du canal. Il porte, lui répond-il, grand intérêt à cette affaire, utile pour tout le monde. Elle a soulevé des objections, en Angleterre surtout. Elles ne lui paraissent pas fondées. Se fiant à l’heureuse alliance unissant les deux nations, il s’en remet à l’avenir pour les écarter un jour prochain. Et de faire immédiatement appeler le plénipotentiaire anglais, Lord Clarendon, pour le mettre au courant de cette prise de position.

Conforté par ces marques tangibles d’intérêt, Ferdinand de Lesseps presse les préparatifs et le premier coup de pioche ouvrant les travaux du canal est donné près de Péluse, le lundi de Pâques 25 avril 1859.

Les déboires et l’apothéose

La nouvelle de l’ouverture des travaux du canal remplit Palmerston de fureur. Il était d’autant plus violemment hostile au Français que celui-ci avait entrepris deux longues tournées dans les comtés anglais pour exposer devant les Chambres de Commerce les avantages que leurs membres retireraient du percement de l’isthme de Suez et que son rival, William Gladstone, chef des Wigh, prenait parti pour Lesseps. Dans le privé, Palmerston traitait ce dernier de fripon et d’escroc. À la Chambre des Communes, il n’était pas moins désobligeant. « Je pense, dit-il un jour de 1857, ne m’être guère trompé en disant que le projet est une de ces chimères si souvent édifiées pour entraîner des capitalistes anglais à se séparer de leur argent, avec ce résultat final qu’elles les laissent en définitive plus pauvres, quoi qu’elles puissent en rendre d’autres plus riches ».

Dédaignant ces insinuations, Ferdinand de Lesseps continue à proclamer que nul pays ne profitera davantage du canal que l’Angleterre et cela au moment où la grave révolte des Cipayes aux Indes (1857-1859) et la pénétration russe en Asie montrent à l’évidence l’intérêt que Londres aurait à disposer d’une voie d’eau à grand débit pour envoyer rapidement troupes et matériel en Extrême-Orient, sans faire le long détour du cap de Bonne-Espérance.

Sur ordre de Palmerston, sir Henry Lytton Bulwer, ambassadeur à Constantinople, se fait si pressant que Mouktar bey, ministre turc des Finances, se rend à Alexandrie, au début d’octobre 1859, porteur d’une lettre comminatoire du sultan, enjoignant d’arrêter immédiatement les travaux.

Très ému, le pacha vice-roi Saïd, ferme partisan du canal, convoque les consuls étrangers et leur signifie son intention d’obéir. À la stupeur générale, le consul général de France, Sabatier, l’approuve hautement et ordonne aux Français de la Compagnie Universelle de cesser toute activité.

Mohamed Saïd, vice-roi d’Égypte

Ferdinand de Lesseps fait immédiatement appel de cette décision à Napoléon III qui le reçoit à Saint-Cloud, le 23 octobre 1859, et l’assure de son appui, toujours discret. Sabatier, relevé de ses fonctions, prend sa retraite après avoir reçu de l’avancement. Des instructions sont envoyées à notre ambassadeur à Constantinople, M. Thouvenel, qu’appuient le baron de Prokesch, pour l’Autriche, le prince Lobanoff, pour la Russie, M. de Souza, pour l’Espagne. On ne demande pas aux Turcs de se déjuger mais seulement de fermer les yeux sur la continuation des travaux. Ils deviennent volontiers sourds-muets et aveugles plutôt que de prendre parti.

Lesseps est donc libre d’agir. Le 12 novembre 1862, les eaux de la Méditerranée parviennent au lac Timsah, presque toujours asséché jusqu’alors.

Ceci ne fait évidemment pas l’affaire de sir Henry Lytton Bulwer qui ne désarme pas. Il redoute toujours que les Français s’établissent définitivement en Égypte, que le canal soit avant tout un ouvrage défensif protégeant ce pays contre une intervention armée de la Turquie, qu’enfin les ouvriers égyptiens de l’entreprise, bien payés, bien traités, habitués à la discipline européenne, constituent la réserve d’une armée égyptienne prête à envahir la Palestine, la Syrie et le Liban, comme ce fut le cas entre les années 1832 et 1840.

La mort du vice-roi Saïd, le 18 janvier 1863, va très opportunément fournir au diplomate anglais les moyens de créer de nouvelles difficultés.

Ismaïl, le nouveau vice-roi, de culture occidentale et même française, n’a pas, en effet, la solidité de feu son oncle. C’est un faible. On décèle aussi chez lui les prémices d’un nationalisme naissant. En prenant le pouvoir il déclare ainsi: « Personne n’est plus canaliste que moi, mais je veux que le canal soit à l’Égypte et non pas l’Égypte au canal ». Il entend par là montrer à Ferdinand de Lesseps qu’il est le seul maître du pays.

Son ministre des Affaires Etrangères, Nubar pacha, chrétien arménien, ingénieux et retors, joue subtilement le jeu anglais depuis un voyage à Londres dès 1850. Puisque Lesseps a tiré jusqu’à présent sa force de sa parfaite entente avec le gouvernement égyptien, on va le mettre en conflit avec celui-ci, ce qui causera sa perte et la ruine de la Compagnie Universelle.

Nubar pacha, le grand-vizir Aali pacha et sir Henry Bulwer se mettent d’accord sur l’ultimatum suivant, qui sera adressé par la Turquie au vice-roi, le 6 avril 1863 :
– suppression du travail obligatoire pour le creusement du canal et réduction du nombre des travailleurs de 20.000 à 6.000, tous volontaires ;
– rétrocession à l’Égypte des terres concédées à la Compagnie Universelle ;
– révision du gabarit du canal afin de diminuer sa largeur, donc son efficacité comme obstacle à une éventuelle action armée turque.

Ismaïl Pacha, vice-roi d’Égypte

Le vice-roi Ismaïl se désolidarise aussitôt de la Compagnie et Nubar pacha s’en va à Paris faire campagne contre Lesseps. Il a déjà noté que trois avocats français, d’opinion républicaine, MM. Jules Favre, Jules Dufaure et Odilon Barrot, se sont prononcés contre la validité juridique du statut de la Compagnie Universelle. Il s’abouche avec le duc de Morny qui l’écoute avec faveur. Lesseps, alerté, ose dire à ce dernier que des bruits fâcheux courent sur son rôle étrange dans cette affaire. Soutenu par l’Impératrice et le Prince Napoléon Jérôme, il recourt à Napoléon III qui lui donne raison et prescrit à Morny de ne plus se mêler de la question du canal.

Inquiet de ces remous imprévus, le vice-roi Ismaïl et Nubar pacha, rentrant dans leur coquille, sollicitent sur la suggestion du prince Napoléon-Jérôme, l’arbitrage de l’Empereur des Français dans le conflit opposant l’Égypte à la Compagnie Universelle. La sentence, rendue le 6 juillet 1864, peut se résumer comme suit :

– Elle recevra en compensation 84 raillions de francs-or et gardera 10.864 hectares indispensables à ses besoins. L’Égypte accepte. La Turquie ne dit mot, donc consent.
– La Compagnie Universelle déférera à la demande turco-égyptienne la suppression du travail obligatoire, fera abandon à l’Égypte du canal d’eau douce alimentant les chantiers de l’isthme de Suez et rétrocédera 60.000 hectares de terre irrigables.

Palmerston est furieux, mais il ne peut rien faire car l’opinion publique de son pays commence à évoluer depuis la signature, en 1860, des accords de libre-échange entre l’Angleterre et la France. Gladstone se moque ouvertement de son « hydrophobie » de la mer Rouge.

Les travaux se poursuivent alors dans un climat nouveau de sérénité et l’ingéniosité française remplace très vite les hommes par de puissantes machines.

Puis Palmerston meurt en 1865 et tout devient désormais facile. Le 19 mars 1866, un firman du sultan Abd-ul-Aziz ratifie enfin les conventions passées entre le vice-roi Saïd et Lesseps. Ce dernier est fêté en Angleterre où le revirement est complet. Après avoir visité les travaux du canal, le prince de Galles, futur Édouard VII, jugera Palmerston « coupable d’un lamentable défaut de prévision ».

Mais, en 1867, l’argent fait défaut, la mécanisation des chantiers ayant coûté cher. Une fois de plus, Napoléon III intervient discrètement auprès du Corps législatif et du Sénat, qui autorisent l’émission au bénéfice de la Compagnie Universelle d’emprunt à lots de 100 millions de francs-or, couvert en quelques jours.

Le 15 août 1869, les eaux de la Méditerranée se mêlent enfin aux eaux de la mer Rouge dans les lacs Amer. Le canal maritime a 164 kilomètres de longueur, de Suez à Port-Saïd, situé un peu à l’ouest de Péluse, 54 mètres de largeur, 8 mètres de profondeur. 75 millions de mètres cubes de déblais ont été extraits, trois villes fondées (Suez, Ismaïlia, Port-Saïd), deux ports aménagés (Suez et Port-Saïd), des milliers d’hectares couverts de cultures riches, grâce aux canaux d’eau douce. La dépense s’élève à 432 807 882 francs. L’enthousiasme est aussi grand en Angleterre qu’en France. La Russie est satisfaite. En raison de leur position géographique, les États-Unis se sentent médiocrement concernés par l’événement.

L’entente parfaite entre Napoléon III et Lesseps, l’habileté du Souverain, sa patience, sa connaissance des Anglais, la ténacité de son partenaire ont triomphé des difficultés accumulées.

Le yacht impérial « L’Aigle », portant l’Impératrice et Ferdinand de Lesseps, entrant le premier dans le lac Timsah le 17 novembre 1869

Le khédive Ismaïl prie l’Impératrice Eugénie d’inaugurer le canal, juste hommage rendu à la France. Après avoir été reçue à Constantinople par le sultan Abd-ul-Aziz, la Souveraine arrive le 16 novembre 1869 à Port-Saïd, à bord du yacht impérial « L’Aigle », saluée par les salves d’honneur des navires de guerre de toutes les nations. Le khédive, l’Empereur d’Autriche, le prince royal de Prusse, les princes des Pays-Bas et de Hanovre, les ambassadeurs d’Angleterre et de Russie vont la saluer.

Le 17 novembre,  » L’Aigle » s’engage le premier dans le canal, suivi d’un imposant cortège d’une quarantaine de navires de guerre et de commerce. Le soir, on jette l’ancre devant Ismaïlia sur le lac Timsah. Le 19 novembre, on atteint les lacs Amer et le 20 novembre la flotte débouche à Suez, en mer Rouge.

Le retour à Port-Saïd s’effectue le 21 novembre, en une seule journée, avec la même facilité qu’à l’aller. L’apothéose est en tous points réussie et l’on célèbre avec joie « les noces, sur le canal, de l’Occident et de l’Orient ».

Napoléon III veut faire Lesseps duc de Suez. Il décline cet honneur.

Le 23 avril 1884, Ernest Renan, toujours perspicace, recevant à l’Académie française Ferdinand de Lesseps, élu au fauteuil d’Henri Martin, devait lui dire à propos du canal ces paroles prophétiques: « Vous avez ainsi marqué, Monsieur, la place des grandes batailles de l’avenir… ».

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
266
Numéro de page :
6-10
Mois de publication :
oct.
Année de publication :
1972
Année début :
1854
Année fin :
1869
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