Napoléon à Rambouillet

Auteur(s) : POISSON Georges
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Le sénatus-consulte du 18 avril 1804 attribua au Premier consul, bientôt Empereur, l’ancienne liste civile de Louis XVI, mettant à sa disposition les anciennes demeures de la Couronne. Pour certaines, il n’avait pas attendu cette décision : il s’était installé aux Tuileries dès le 19 février 1800 et avait décidé, dès septembre 1802, de faire de Saint-Cloud, où il avait conquis le pouvoir, une de ses principales résidences. Par la vertu du sénatus-consulte, Versailles, Fontainebleau, Compiègne étaient mis à la disposition de Napoléon, ainsi que Rambouillet, possession de la Couronne depuis 1783.

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Ce dernier domaine reçut, le 4 novembre 1804, la première, et courte, visite de l’Empereur, venu de Saint-Cloud. L’ensemble se présentait de triste façon. D’abord le château lui-même avait souffert de remaniements successifs. Construit sous Charles V par Jean Bernier, prévôt des marchands, sur plan triangulaire, avec deux tours aux angles, il avait été complété au XVe siècle, en hors d’oeuvre, par une grosse tour à mâchicoulis. Le château, où était mort François Ier en 1547, était passé sous Louis XIV à son fils légitimé le comte de Toulouse qui avait encadré la cour d’honneur de deux ailes dont une, à l’ouest, joignant le château à la grosse tour, avait reçu l’appartement d’assemblée, superbe suite de salons de boiserie. Louis XVI, acquéreur du domaine en 1783 (malgré un trésor royal aux abois), n’avait guère modifié l’intérieur de la demeure.

Le parc lui-même avait évolué au cours de l’ancien régime. Fleuriau d’Armenonville y avait en 1700 fait creuser des canaux conduisant aux divers points de l’horizon, le comte de Toulouse avait, en 1743, planté le Quinconce, son fils, le duc de Penthièvre, fait tracer le jardin anglais et construire la chaumière des coquillages, tandis que Louis XVI faisait élever la laiterie de la reine.
Sous la Révolution, le domaine avait été dépecé et morcelé, les meubles vendus à l’encan, les tapisseries (brûlées, sans doute) dépouillées de leurs fils d’or et d’argent, les communs avaient été utilisés comme prison et le parc comme pâture municipale.

Restaurer le château ?

Il y avait fort à faire, et d’abord rendre le château à nouveau habitable. C’est ce dont Napoléon, affectant un crédit de 256 300 francs, chargea l’architecte du domaine, Trepsat. Ce dernier avait perdu une jambe dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise, sans y gagner de talent, et avait été en dédommagement nommé en 1802 architecte de Rambouillet : « Le plus invalide des architectes », disait Napoléon, qui estimait peu la profession.

Trepsat avait donc eu le temps de réfléchir à l’aspect peu harmonieux de l’édifice, où la cour d’honneur, étriquée depuis la construction des ailes, ne mesurait plus que vingt-cinq mètres de large. L’architecte rêvait de raser le tout et de construire un nouveau château, ce à quoi semble-t-il avait déjà songé Louis XVI. Mais l’Empereur refusa, ne voulant avoir ici qu’un simple rendez-vous de chasse. Il souhaitait seulement que la cour d’honneur fut moins étroite (par quel moyen ?), que la vue fût dégagée sur la ville et que l’on remplaçât le vieil escalier par un grand degré desservant les appartements. Le 14 mai 1805, il donnait huit jours pour que tout fût prêt pour le recevoir, puis, devant les objurgations, porta le délai à six semaines.

Il fallait donc remeubler le château dégarni. Sous la surveillance de Brongniart, inspecteur du mobilier impérial, on fit exécuter « un lit d’acajou à pilastres, une couronne pour servir de dais, vingt-six petits meubles de toilette intime », d’autres lits, des chaises, vingt tables de chêne, cent vingt vases de nuit dont quarante en faïence de Sceaux et quarante en Rouen. Et encore cinq douzaines de miroirs à bordure vernie, cinquante autres à bordure de noyer, quarante et une paire de mouchettes, douze garde-feu à six feuilles, des balais, plumeaux, écritoires. Et comme les divers ateliers ne suffisaient pas à produire dans un si court délai, on dégarnit quelque peu d’autres résidences impériales, Trianon, Saint-Cloud, le Butard.

Pendant ce temps, Trepsat cherchait à satisfaire l’Empereur : pour élargir la cour, un seul moyen, pensait-il, abattre l’aile est, où apparaissaient quelques lézardes. Mais, contrairement à ce que certains – dont nous-même – ont écrit à ce sujet, il ne se livre pas de son propre chef à cette opération. En l’absence de l’Empereur, qui guerroyait en Autriche, il soumit son projet au Comité des Bâtiments, qui donna son accord à la fin de 1805.

« Il fallut, écrit un témoin, employer la mine pour venir à bout de ces assises séculaires ». Non seulement l’aile est, mais l’ancienne porte fortifiée, en pendant à la tour, disparurent dans l’opération. Avec les matériaux de démolition, on combla le bassin du Miroir.

On avait ainsi redonné de l’air à la demeure, en accentuant sa dissymétrie, mais la façade, portant les arrachements de l’aile disparue, était complètement déséquilibrée, le beau portique du comte de Toulouse ne se trouvant plus dans l’axe : Trepsat dut recomposer entièrement cette partie, en s’inspirant, sans génie, de la façade ouest et en plaçant au centre de sa composition une nouvelle porte d’entrée qui n’est qu’une lucarne agrandie.

On s’est, depuis, montré plus sévère sur ce vandalisme, exécuté dans les premiers mois de 1806, mais à l’époque personne, même l’Empereur, ne semble avoir adressé de reproches à Trepsat. En revanche, il se mit dans son tort peu après en entreprenant sans autorisation la restauration du Grand commun, où les entrepreneurs se plaignaient en outre de n’être pas réglés. Daru formula des observations sévères et, sur recommandation de Fontaine, on adjoignit à l’imprudent architecte un Prix de Rome de 1801, élève de Percier, Auguste Famin, qui bien vite, Trepsat ayant été relégué en sous-ordre à Versailles, resta maître du terrain.

Premier séjour de Napoléon en 1806

Il lui fallait d’abord compléter les travaux, la nouvelle entrée n’étant plus raccordée à la distribution intérieure : il aménagea derrière la nouvelle façade un vestibule d’où part un escalier desservant les appartements de l’Empereur, dans l’aile ouest, et de l’Impératrice, dans la partie nord-est du corps central.

C’est seulement en 1806 que Napoléon séjourna pour la première fois à Rambouillet : le 9 mai pour une chasse au loup, le 2 juin, et neuf jours en août. Il s’était donc installé dans l’aile ouest, à la fois côté cour et face au parc dans l’appartement d’assemblée, décoré des superbes boiseries de Verberckt qui triomphaient dans leur parure blanc et or, alors que nous ne les connaissons plus que décapées. Il avait installé son cabinet de travail dans l’ancienne chambre de parade, suivie du salon et du boudoir de Marie-Antoinette, dont les espagnolettes portent encore aujourd’hui le N. De là part un petit escalier creusé en décembre 1806 dans la paroi de la grosse tour et descendant à la bibliothèque et au cabinet de topographie, au rez-de-chaussée : Napoléon avait toujours aimé les pièces de plain-pied donnant sur les jardins.

Un couloir, également creusé dans l’épaisseur de la tour, desservait les pièces sur cour, où la chambre de l’Empereur était située derrière son cabinet de travail. À côté était sa salle de bain, que nous avons conservée, décorée par Godard en 1809 en style pompéien. Sur fond ocre s’y déploient une frise de lyres et palmettes, des Renommées, cygnes, chevaux ailés, trophées militaires encadrant les constitutions de l’Empire ou le traité d’Amiens (curieux décor pour une salle de bain) accompagnant des médaillons où le peintre Vasserot avait représenté les princesses de la famille impériale, assistant ainsi à la toilette de Napoléon.
– « Quel est l’âne qui a fait cela ? s’exclama-t-il. Il faut avoir bien peu de respect pour les dames pour commettre une pareille inconvenance ».

Vasserot se remit au travail et exécuta des vues de villes d’Europe. Le décor de la pièce, qui avait coûté 2 857 francs, nous a été conservé, mais elle a perdu son mobilier, baignoire de cuivre étamé ou « seau pour bain de pieds » de style antique.

De l’autre côté de la chambre de Napoléon se trouvait son « cabinet de déjeuner » : ainsi les deux suites de salles de l’aile ouest bordant la cour formaient-elles son appartement privé, aménagé par Famin et qui a conservé quelques traces du décor de l’époque. Dans la grande salle à manger donnant sur le parc, le tapis d’Aubusson de soixante-dix mètres carrés et l’énorme lustre datent aussi de ce temps

L’impératrice avait été installée à l’est dans l’ancien appartement de la reine, comprenant une antichambre et un salon dans l’actuelle salle à manger, un grand salon ouvrant par trois fenêtres sur le parc et une chambre accompagnée d’un boudoir logé dans la tourelle nord-est. Pour chauffer les deux appartements, Napoléon fit installer au rez-de-chaussée de la grosse tour de gros poêles de faïence.

D’autres séjours pour la chasse

Du 7 au 16 septembre 1807, Napoléon séjourna ici avec quarante-quatre princes et hauts dignitaires, difficilement casés ; « Les mieux lotis n’ont qu’un petite chambre. Il pleut à verse, tout le monde tousse ». L’après-midi, chasse : on rentre tard et transis pour entendre l’Empereur ordonner :
– « Mesdames, je vous laisse un quart d’heure pour faire votre toilette. Ceux qui ne seront pas prêts mangeront avec les chats… ».

Pour ses chasses, Napoléon fera construire en forêt un relais, le pavillon de Pourras, qui a été restauré ces dernières années.

Deux haltes en 1808, nouveau séjour de six jours en 1809. Dans les intervalles, les travaux continuaient, en particulier dans le parc, nettoyé et replanté, conservant son caractère de parc à la française en partie transformé en jardin à l’anglaise. On retraça les allées, on cura les canaux, on rétablit les débarcadères, on créa une flottille avec mariniers en uniforme, on fit venir de Laeken, voyageant en paniers, de ces cygnes qu’aimait Joséphine. On boisa les îles, qui reçurent dix mille arbres en 1811-1812, les fabriques furent réparées et Napoléon fit orner de peintures la chapelle de l’Ermitage.

C’est encore l’Empereur qui, retrouvant des graines commandées avant la Révolution par Louis XVI, fit planter en 1805 l’avenue des cyprès de la Lousiane, aujourd’hui splendide. Surnommés « cyprès chauves », car ils perdent leurs aiguilles en hiver, ces arbres firent ici une entrée remarquée en France.

Les écuries nouvelles de Louis XVI furent transformées en vénerie et l’Empereur fit cadeau du Baillage à la municipalité, qui y installa sa mairie. Mais son intention se porta également sur la ferme, construite par Thévenin en 1786 pour Louis XVI, qui désirait y acclimater des mérinos d’Espagne, dont la laine fine était pour le Royaume une importation coûteuse. Le roi avait réussi à faire venir tout un troupeau, la Révolution maintenu l’établissement et Napoléon, apprenant en 1800 que ce dernier avait déjà produit plusieurs milliers de moutons, encouragea vivement l’élevage de Rambouillet, correspondant à sa politique économique, et déclara : « L’Espagne a vingt-cinq millions de mérinos, je veux que le France en ait cent millions ». En 1805, il fit construire à côté de la ferme la Bergerie, dont reste le porche d’entrée surmonté de l’inscription Curat oves oviumque magister (on y prend soin des moutons et de leur maître). La laiterie de la reine fut restaurée, avec nouveau pavement et nouveau décor de la salle en rotonde.

Mais les temps changeaient. Dans les comptes de mai 1810 apparaît la mention : « Suppression du chiffre de S.M. l’impératrice Joséphine » : le mariage autrichien était conclu, et Marie-Louise vint s’installer dans l’appartement de la créole, ce qui entraîna deux modifications architecturales.

Avec Marie-Louise

« Arranger la chapelle » avait écrit Napoléon en pensant à sa nouvelle et catholique épouse. Famin réaménagea, dans la tourelle ouest, l’oratoire du duc de Penthièvre, qui reçut une coupole à caissons en trompe-l’oeil, supportée par des pilastres décorés.

D’autre part, Napoléon trouvait l’appartement de la nouvelle impératrice éloigné du sien et, peu soucieux de traverser de nuit tout le château sous les yeux du personnel, fit établir sur les façades côté parc, par le serrurier Fauconnier, le balcon de communication que l’on y voit toujours. Spectacle pittoresque que celui de l’Empereur gagnant, comme un sous-lieutenant, au prix d’un trajet extérieur de quatre-vingt-dix mètres, la petite porte toujours visible donnant accès au boudoir de l’indolente Autrichienne.

Napoléon résida en tout à Rambouillet soixante jours de son règne. De toutes les résidences, c’est celle où l’étiquette était la moins sévère, et l’Empereur s’y montrait de bonne humeur, organisant même un jour sous les fenêtres une partie de barres à laquelle Marie-Louise ne participa qu’à contrecoeur. Il y rendit en juillet 1810 le décret réunissant la Hollande à l’Empire et y signa le 11 mai 1811 la circulaire annonçant aux évêques de France la naissance du roi de Rome.

Un nouveau palais pour le roi de Rome

Pour ce dernier, son père rêvait de palais à Paris et à Rome, qui seront tous deux entrepris et, à Rambouillet une de ses résidences principales, complétée d’un pied à terre indépendant du château. Or, se trouvait au nord du parc, en bordure de la grande rue de la ville, l’hôtel dit du Gouvernement, construit par Thévenin sur ordre de Louis XVI, demeure au plan en U, avec un corps central d’un étage et ailes basses bordant la cour, ces dernières ayant survécu à la démolition sous la Révolution. Napoléon destina d’abord la demeure à ses invités. Chargé en 1809 de sa reconstruction, Famin, gardant les ailes basses, reconstruisit un nouveau corps central en un style inspiré des palais de la Renaissance italienne qu’il avait vus à Rome, Sienne et Florence : « façades plates, hauteur décroissante des niveaux, chaînages à fort relief, corniche importante masquant le toit à faible pente, grand vestibule occupant sur deux étages les trois travées centrales. Avec ses 90 mètres carrés et sa coursive à l’étage, reposant sur quatre colonnes doriques de 3,40 m de haut, il s’inspirait des cours intérieures des demeures de Florence » (Chantal Waltisperger). Derrière (à l’emplacement de la petite maison actuelle), une ellipse de gazon descendait sur le parc du château.

Après l’affectation de l’hôtel au roi de Rome, les travaux furent activement poussés. On y apporta « un lit en fer formant berceau », et l’enfant vint un jour voir « sa maison », dont il se souviendra avec nostalgie en Autriche. Cette demeure, achevée avant Waterloo, est la seule de France à avoir été élevée pour l’Aiglon. Elle comportait quarante-deux pièces au rez-de-chaussée (ailes basses comprises), vingt-trois au premier et trente-sept au second. La bibliothèque et la chambre du roi de Rome se trouvaient dans le pavillon de droite.

Le palais resta inoccupé jusqu’en 1834, date à laquelle l’État le vendit. Le nouvel acquéreur dispersa à l’encan meubles, bronzes, grilles et finit par démolir les trois travées centrales, supprimant le vestibule, dont une partie du décor, moulures, larmiers, pilastres, subsiste de part et d’autre du passage. Les colonnes qui supportent maintenant les lourds balcons proviennent peut-être de ce vestibule. Les bâtiments subsistants restèrent longtemps à l’abandon, ainsi que le jardin. C’est l’honneur de la municipalité de Rambouillet de les avoir restaurés il y a quelques années.

Les derniers passages

Napoléon était encore venu ici en février et juillet 1810, puis en mai 1811. Le séjour d’août suivant fut le dernier des temps heureux, et les ultimes travaux ordonnés par l’Empereur en 1813 sentent l’appréhension : verroux, barres de fer, serrures de sûreté…

Puis, ce furent les jours tragiques. Le 29 mars 1814, Marie-Louise, fuyant Paris menacé par les alliés, passa la nuit ici avec le roi de Rome. Quinze jours plus tard, revenant au château, les cosaques lui présentèrent les armes. Elle eut ici avec son père l’empereur François II une entrevue sans témoins : lui demanda-t-elle pourquoi il s’acharnait contre son gendre ? Ensuite, malgré sa résistance et son désir sincère de rejoindre Napoléon, elle dut partir pour Vienne, escortée par deux mille soldats autrichiens.

Mais Rambouillet devait revoir l’Empereur déchu. L’année suivante, après la seconde abdication, il vint ici passer la nuit du 29 au 30 juin, et sortit du domaine par la porte de Guéville, sur la route de Chartres, répondant au salut du garde, grenadier amputé d’une jambe. À Sainte-Hélène, il écrira dans son testament : « Je lègue vingt mille francs à Hébert, dernièrement concierge à Rambouillet » : extraordinaire mémoire des noms.

Ainsi Napoléon avait-il, dans ce domaine qu’il aimait, commandé des travaux de restauration, de transformation, d’embellissement, comme il avait fait aux Tuileries, à Malmaison, à Saint-Cloud, à Trianon, à Compiègne. On reste toujours effaré du bilan des entreprises de ce diable d’homme au cours d’un règne de moins de quinze ans, haché de guerres.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
453
Numéro de page :
9-12
Mois de publication :
juin-juillet
Année de publication :
2004
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