LA PRINCESSE AUGUSTE-AMELIE (1788-1814)
LE TEMPS DES NEGOCIATIONS (1814-1817)
UN EXIL DORE (1817-1824)


"Je sais très bien qu'ici ma position est fausse et dépendante, malgré la bonté du roi et l'amitié du prince Charles ; mais j'ai cru devoir faire à mes enfants et à ma femme le sacrifice de mon indépendance.

E. de Beauharnais52


Augusta-Amelia Ludovika Georgia de Bavière était née à Strasbourg le 21 juin 1788.53
Son père Maximilien-Joseph, de la branche Deux-Ponts-Birkenfeld de la maison de Wittelsbach, beau-frère de l'électeur de Saxe, servait alors le roi de France comme maréchal de camp.Auguste-Amélie portait à son frère aîné Louis, filleul de Louis XVI, futur amant de Lola Montès, une affection comparable à celle d'Hortense pour Eugène. Ayant dû fuir plusieurs fois la Révolution, ils étaient peu enclins à aimer la France mais ils en connaissaient parfaitement la langue. Les bonnes manières avaient été enseignées à la princesse par Frédérique de Wurmb, elle-même produit de l'éducation française d'Ancien Régime, et la religion catholique par le Jésuite italien Sambuga, précepteur de son frère. Le saint homme avait conclu des événements contemporains que les classes moyennes s'étaient élevées en vertu, en bonté, en probité à la hauteur des maisons princières. Sous sa direction Auguste apprit elle aussi que le mérite était toujours récompensé quoique, nuance importante, pas obligatoirement sur cette terre
54.

Lorsque sa mère, née Hesse-Darmstadt et tante de la future reine Louise de Prusse, était morte en 1796, son père n'avait pas tardé à se remarier avec Caroline de Bade, dont une soeur serait Tsarine et une autre reine de Suède. En 1799, une série de deuils familiaux avaient fait de ce cadet l'électeur de Bavière. Jouant résolument la carte française, il s'était retrouvé après Austerlitz dans le camp des vainqueurs et en attendait le bénéfice. Or Napoléon cherchait à introduire sa famille dans le cercle des dynasties européennes. L'union du prince Eugène et de la princesse Auguste avait déjà fait l'objet d'un long marchandage diplomatique ; le prince Louis avait été envoyé à Milan pour observer le prétendant. Maximilien finit par obtenir pour lui-même la couronne de roi de Bavière et pour sa fille la promesse implicite qu'elle serait un jour reine d'Italie. Restait à lever un obstacle de taille : la demoiselle était fiancée à Charles de Bade, frère de sa belle-mère Caroline. En janvier 1806 Napoléon, Joséphine, les Murat, Maret, Talleyrand, Caulaincourt, Bessières, Duroc, le joaillier Nitot se retrouvèrent à Munich où en quelques jours Auguste accepta de se sacrifier, Eugène fut convoqué et le mariage célébré (14 janvier 1806)55.

Rapprochés sinon par leurs origines, du moins par une certaine communauté d'éducation, les deux jeunes gens formèrent, en dépit de quelques infidélités de l'époux, un couple heureux qui sut résister à l'épreuve des désastres de 1813-1815. La plupart des ménages ultérieurs du même genre s'avérèrent en fin de compte aussi solides : Stéphanie de Beauharnais, cousine d'Eugène également adoptée par Napoléon, et Charles de Bade, ex-fiancé d'Auguste ; Jérôme Bonaparte et Catherine de Wurtemberg ; Antoinette Murat, nièce du maréchal, et Charles de Hohenzollern-Sigmaringen, neveu du feu prince de Salm. Seule l'archiduchesse Marie-Louise reprit sa liberté, tant il est vrai que génie politique et séduction conjugale ne vont pas forcément de pair.


Du côté de la Bavière les suites du précédent de 1806 ne furent pas moins fructueuses : une cousine de Louis et Auguste, Elisabeth de Birkenfeld, épousa le maréchal Berthier, prince souverain de Neuchâtel ; leur soeur puînée Charlotte serait un jour impératrice d'Autriche ; leurs demi-soeurs, filles de Caroline de Bade, seraient archiduchesse d'Autriche, reines de Prusse et de Saxe ; leurs nièces impératrice d'Autriche, reine de Naples, duchesse d'Alençon ; une de leurs petites-nièces reine des Belges. Et un fils de Louis serait le premier roi des Hellènes.

Le voyage de noces d'Eugène et Auguste, de Munich à Milan en passant par Venise, fut triomphal. Beaucoup d'Italiens crurent voir s'approcher des moments plus favorables à leurs yeux, où le Royaume relèverait directement d'Eugène et serait donc presque indépendant56.La princesse fut tout de suite plus populaire que son mari grâce à l'air de jeunesse de ses dix-sept ans, à sa haute taille, à ses manières compensant ses quelques faiblesses intellectuelles ; grâce au caractère restreint de son entourage allemand limité à Mme de Wurmb et Mlle Sandizell ; grâce aux moeurs dignes qu'elle fit régner à la cour, par exemple en contribuant à l'exclusion des sigisbées ; grâce enfin à son accueil dans le cadre de la villa Mirabellino, rebaptisée Augusta, au milieu du parc de Monza. Dans la famille impériale elle avait su conquérir Joséphine 57.Elle saurait se concilier Hortense, qui écrirait au sujet de son frère : " Que nos destinées avaient été différentes ! Il avait emporté la balance du bonheur de son côté, mais ce bonheur me devenait plus précieux. Il me semblait que j'y avais contribué pour quelque chose par mes souffrances. "58


L'Empereur affectait envers sa belle-fille une considération particulière. Cependant elle n'accepta pas de venir à Paris pour son premier accouchement, comme il le lui suggérait. Elle ne s'y rendit qu'à l'occasion du mariage de Marie-Louise (2 avril 1810) mais cela se termina mal, par l'incendie de l'ambassade d'Autriche, et elle ne devait jamais pardonner le divorce d'avec Joséphine qui, entre autres conséquences, risquait de nuire à ses espérances et à celles de ses enfants. Nombre de sujets du Royaume craignirent avec elle que l'attribution éventuelle de Francfort à Eugène et la décision de nommer roi de Rome l'héritier de l'Empire ne fussent de mauvais présages. C'était raisonner trop vite car il semble bien qu'aucune détermination définitive ne fût encore prise sur le sort de l'Italie.59
Auguste n'était pas loin de croire Eugène victime de la jalousie de l'Empereur, à qui en 1812 elle ne craignit pas de reprocher la nomination de Murat au commandement de l'armée. En 1813-1814 elle encouragea le vice-roi à repousser les offres de la coalition et à attendre de ses seuls mérites le trône convoité. Elle écrivit à son père : " je le suivrai partout, bien sûre qu'il ne s'écartera jamais du chemin de la vertu et de l'honneur "
60 (17 octobre).Cependant, comme elle était enceinte et qu'Eugène négociait avec les Autrichiens pour qu'elle pût rester à Monza en cas de retraite, Napoléon l'invita de nouveau à terminer sa grossesse à Paris. Elle le prit encore plus mal que la première fois. Dans le fracas des batailles perdues, des lettres furent échangées qui marquèrent une rupture définitive. Elle alla accoucher à Mantoue au quartier général de son bien-aimé, partagea son indignation de la conduite des Milanais et prit avec lui le chemin de Munich. 61


Désormais son influence et celle de son père domineraient l'esprit malléable du prince Eugène. Mais dans son testament Napoléon ne la mentionnerait même pas.

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