LA PRINCESSE AUGUSTE-AMELIE (1814-1817)
LE TEMPS DES NEGOCIATIONS (1814-1817)
UN EXIL DORE
(1817-1824)


Le congrès de Vienne lui avait fixé comme résidence le château de Bayreuth, mais Eugène obtint de rester à Munich, où il fit construire de 1817 à 1821 par le grand architecte néoclassique local Leo von Klenze un palais Leuchtenberg. Il y installa sa bibliothèque et sa collection de tableaux ouverte au public, où l'on remarquait des oeuvres d'Adam, Appiani, Bassano, Canaletto, Carrache, Guerchin, Guido Reni, Holbein, Memling, Mieris, Migliara, Murillo, Poussin, Rembrandt, Ruysdaël, Van Dyck. Séjournant aussi à la résidence d'Eichstätt dont il embellit le parc, dans un château qu'il avait acquis à Ismaning sur le lac de Tegern ou dans une maison qu'il louait à Bade, son horizon se limita dès lors, à peu de chose près, aux petits Etats de l'Allemagne du Sud. En dehors de la routine des bals, des séances de musique, des représentations théâtrales, des tableaux vivants, des parties de chasse, de la bienfaisance, le duc de Leuchtenberg siégeait au premier rang des pairs du royaume de Bavière en affichant à l'occasion des tendances libérales héritées du feu vicomte de Beauharnais.

Outre les souverains de la Russie, de l'Autriche, de la Saxe, de Weimar, il rencontrait Caroline de Brunswick, sa cousine Stéphanie de Bade ou la princesse de Hohenzollern-Sigmaringen déjà nommée. Dans la petite cour qui l'entourait, à l'exception d'un nouveau venu, Planat de La Faye, il retrouvait l'essentiel de son entourage de Milan : Bataille, Tascher de La Pagerie, Triaire, Méjan père et fils, Darnay, Hennin, Mme de Wurmb, Mlle Sandizell68.

Les souvenirs du passé ne le lâchaient donc pas. Il distribuait généreusement des pensions à d'anciens collaborateurs (ex. : Delacroix mais non Danthouard) ou amis (ex. : Tallien mais non Barras). Les proscrits, tels Vaudoncourt, Thibaudeau ou Drouet d'Erlon, ne s'adressaient jamais à lui en vain et le roi de Bavière n'y faisait pas obstacle. Il revit Hortense à Bade en 1814, à Constance en 1816, à Augsbourg à partir de 1817. Il s'était entremis pour son installation dans cette dernière ville et la vente de son hôtel de Paris. " C'est quand il va voir sa soeur, à Augsbourg, qu'il est le plus heureux et il revient tout exalté, comme s'il ne connaissait pas de maison plus agréable que la sienne et de femme plus aimable qu'elle ", notait Auguste dans son journal tenu en français et conservé aujourd'hui à Stockholm69. A la fin de sa vie, il se fit même bâtir un château à Eugensberg à côté d'Arenenberg, près de Constance. Il était également intervenu en faveur d'un évadé célèbre : Lavalette, accepté par le roi de Bavière sous le nom prétendu de Cossar, se réfugia d'abord auprès d'Eugène, dont il disait : " Un frère aurait été moins bon, moins généreux "70, et en dernier lieu à Augsbourg chez Hortense (1821).

De même que les lettres du prince exhortant le Tsar à la magnanimité à l'égard de la France (5 juillet 1815) ou des victimes de Sainte-Hélène (28 novembre 1818), ses contacts avec l'exilé devaient échapper à ceux qui guettaient le moindre écart, la moindre faute. Napoléon lui-même recommandait de ne pas écrire et se servait d'intermédiaires comme Calmelet. Les rares entretiens d'Eugène avec Las Cases ou Gourgaud étaient entourés de mystère. Il n'en joignit pas moins quelques souvenirs à l'envoi familial de 1819, fournit à Sainte-Hélène à partir de 1818 une rente de 1000 louis par mois et versa des allocations à O'Meara, Stokoe, Las Cases, Gourgaud. Cela fit au total un peu plus de 800 000 francs, correspondant - intérêts exclus - à une somme remise en juin 1814 par Lavalette. En 1821, le prince se vit léguer un bougeoir en vermeil et porta le deuil. Quand il apprit que le deuxième codicille du testament de l'Empereur prévoyait 2 millions de legs à alimenter sur la liquidation de la liste civile du Royaume d'Italie, il fit observer que celle-ci attendait le bon vouloir de l'Autriche.71

On ne saurait nier qu'Eugène eût opéré le plus beau rétablissement matériel et social de toute la famille impériale. Et cependant lui, qui s'était montré naguère si économe, finit par manger son revenu avec un an d'avance et laissa en mourant 3 millions de dettes, c'est-à-dire plus que sa mère. Dans les années 1820, s'étant usé dans sa jeunesse sur les champs de bataille mais regrettant peut-être cette époque, il avait pris du poids, des couleurs et semblait devenu apathique. Sa femme aussi avait souffert des ravages du temps. En 1823-1824, il eut successivement deux attaques. Après la première, il assista encore au mariage de sa fille aînée (22 mai), alla prendre les eaux à Marienbad (tchèque : Marienské Lozné), y rencontra Louis Bonaparte ainsi que Goethe, qui le jugea " un grand caractère "72, et fit une dernière visite à sa soeur et à leur cousine Stéphanie.

La seconde attaque l'emporta le 21 février 1824 à Munich âgé de quarante-deux ans. Il fut enterré en grande pompe dans la crypte de l'église Saint-Michel.
La duchesse, veuve inconsolée, mourut dans la même ville le 13 mai 185173

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