Exposition "Goya graveur", au Petit Palais à Paris

Auteur(s) : LERNER Elodie
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Exposition "Goya graveur", au Petit Palais à Paris
Affiche de l'exposition

Une exposition à voir, sans hésitation

 
Vous pensez : « Aller à une exposition de gravures ? Non merci, pas pour moi. C'est bien trop triste les oeuvres en noir et blanc, souvent plus documentaires que réellement esthétiques, et puis je ne comprends rien aux aspects techniques de cet art ». Attention, avec la rétrospective « Goya graveur » présentée jusqu'au 8 juin au Petit Palais à Paris, vous risquez de voir voler ces idées en éclat.

Des oeuvres trop tristes ? Sombres, certes, car elles sont à l'image de leur auteur tourmenté ; mais, le principal message transmis n'est pas celui de la résignation face à l'adversité.

Un apport documentaire ? Bien sûr, car qui a su mieux que Goya (1746-1828) retracer les « Désastres de la guerre » pendant les années 1810-1811 de guérilla espagnole face aux troupes françaises ? Pourtant, au-delà de la description d'une époque, c'est bien du genre humain dont il est question, de ses vices, comme de ses beautés. « Le colosse » (1) est symbolique de cet art à portée universel.

Des aspects techniques trop complexes ? L'exposition a le rare mérite de rendre ces questions abordables en présentant des plaques de cuivre, matière première de l'artiste, ou encore une presse de gravure, le tout inséré dans une mise en scène claire, adaptée à tous.
 

De la série des « Caprices » de 1799 …

Les Désastres de la Guerre, Pl. 36, « Non plus », 3ème état, INHA 
Quelle heureuse idée aussi de montrer au public les riches fonds de deux institutions parisiennes ! Pour la plupart, les oeuvres exposées appartiennent en effet au Petit Palais même et à l'Institut National d'Histoire de l'Art (INHA), et plus précisément à deux collections majeures entrées dans leur propriété par donation : respectivement celle des frères Dutuit et celle de Jacques Doucet (2). Pour constituer un ensemble de plus de 280 gravures, s'y ajoutent des planches venues d'Espagne, des Etats-Unis et de la Bibliothèque nationale de France.
 
De cette dernière proviennent d'ailleurs des estampes de la série des « Caprices » détenues par Vivant-Denon (1747-1825),  nom bien connu des férus d'histoire et d'art du Premier Empire, qui sera directeur du Musée Napoléon  (actuel Louvre). D'autres épreuves présentées des « Caprices » (3) ont appartenu à un personnage également important de cette époque, Godoy (1757-1851) le favori de la reine d'Espagne Marie-Louise de Bourbon-Parme (1751-1819).
 

… à celle des « Désastres de la guerre » de 1810-1811

Les Désastres de la Guerre, Pl. 26, « Cela ne peut se regarder », 3ème état, INHA 
Au fil des salles, c'est en effet la période du Consulat et du règne impérial qui se déroule sous nos yeux, rendue compréhensible par les explications fournies sur le contexte historique de création des oeuvres. Trop rarement entrepris, cet effort pédagogique est particulièrement utile pour saisir la situation en Espagne, de l'arrivée des troupes françaises en 1807 au retrait de Joseph Bonaparte (1768-1844), le frère de Napoléon, en 1813. Cette époque est riche en événements : avec pour la seule année 1808, l'abdication du roi d'Espagne Charles IV (1748-1819), l'avènement de son fils Ferdinand VII (1784-1833), puis l'accession au trône de Joseph. En 1811, Goya prête serment au nouveau souverain et reçoit l'Ordre d'Espagne.

Le graveur s'intéresse alors aux épisodes qu'il a vus à Saragosse et, au travers des 82 planches des « Désastres de la guerre »,  retrace des scènes de famine et d'exécutions. Apposés aux oeuvres par Goya, les titres ne font que souligner l'absurdité de la guerre. Dans ce domaine couramment associé à la masculinité, le spectateur est surpris de la place que l'artiste fait aux femmes, actrices majeures du drame espagnol.
 

Le fruit d’un vrai travail de scénographie et de recherche

Les Désastres de la Guerre, Pl. 2, « Avec ou sans raison »,2ème état, INHA 
Pour illustrer pleinement ce dernier, il manque logiquement à cette exposition réservée aux gravures les tableaux bien connus de Goya des « Dos de Mayo » et « Tres de Majo » (4), mais celui-ci est quand même évoqué par une reproduction en grand sur le mur de l'une des salles.

Ce clin d'oeil à la peinture de Goya montre combien la scénographie a été mûrement réfléchie. Dans cette exposition riche mais restant à taille humaine, tout est prévu pour le confort intellectuel du spectateur : sur les cimaises agréablement colorées, sont lisibles des traductions des explications en espagnol et en anglais ; et, dans chaque salle, un rappel des principaux repères chronologiques est proposé.
Le parcours permet aussi une connaissance plus large du XIXe siècle puisque la postérité de Goya est largement présentée, notamment par la célèbre « Exécution de Maximilien » de Manet peinte sous le Second Empire (5). Ainsi sont sans doute comblées les attentes des spectateurs, même les plus curieux.

 

Notes

(1) Madrid, Musée national du Prado.
(2) Eugène (1807-1886) et Auguste (1812-1902), riches collectionneurs normands et le couturier Jacques Doucet (1853-1929).
(3) INHA.
(4) Tous deux à Madrid, Musée national du Prado.
(5) 1867, étude conservée à l'INHA.
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