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Inauguration du canal
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La tribune officielle
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Fête d'inauguration

 
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La Tribune des Souverains
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Souverains régnant au moment de l'ouverture du canal de Suez
Journal Officiel de l'Empire Français
Lundi 29 novembre 1869 (n°328 p1527)

Tout était disposé à Port-Saïd pour l’imposante solennité qui devait s’y accomplir, la bénédiction religieuse du canal maritime. C’est à droite du canal, sur le terre africaine, qu’est construit le quai de Port-Saïd et que sont élevées les principales maisons, les édifices administratifs, militaires et religieux de la cité naissante. Sur la rive opposée, trois estrades avaient été construites : l’une destinée aux princes et aux autorités, les deux autres aux clergés chrétien et musulman. La première de celles-ci où devaient officier les prêtres catholiques, était surmontée d’une croix ; la seconde, qui attendait les ulémas, était ornée du croissant.

Une heure avant le commencement de la cérémonie, deux régiments d’infanterie égyptienne se formèrent en haie sur le passage du cortège ; puis les députations des diverses nations européennes parurent successivement et prirent place sur la grande estrade : chacune d’elles était précédée de son consul et de plusieurs officiers de terre et de mer. Une foule considérable couvrait la plage. Cette multitude venue de tous les points du monde, présentait le spectacle le plus varié et le plus bizarre. On peut dire que toutes les races étaient représentées. Les yeux contemplaient avec surprise cette confuse et brillante agglomération de costumes des diverses nations.

On voyait, accourus à cette fête de la civilisation, les hommes de l’Orient couverts de vêtements aux couleurs éclatantes, les chefs des tribus africaines enveloppés de leurs grands manteaux, des Circassiens en costume de guerre, des officiers de l’armée anglaise des Indes avec leurs shakos entourés de mousseline, des magnats hongrois revêtus de leurs habits nationaux.

Les détonations de l’artillerie, les cris de la foule, le bruit des tambours annoncèrent l’arrivée des princes. L’évêque d’Alexandrie, le mitre en tête, prit place sur son estrade, accompagné de son clergé ; presque en même temps se présentaient les popes grecs, les rabbins israélites, les muftis et les ulémas. Bientôt arrivèrent l’Impératrice, l’empereur d’Autriche, le khédive, le prince et la princesse des Pays-Bas, le prince de Prusse, l’émir Abd el Kader, M. de Lesseps avec les principaux employés de la Compagnie de Suez. L’aspect des estrades était resplendissant ; on admirait l’effet pittoresque des riches uniformes, des ornements sacerdotaux, des cafetans verts et violets des ulémas et des muftis.

Mais ce qui dominait toutes les pensées, c’était la grandeur de l’œuvre que tant les princes, que les représentants de tous les peuples civilisés venaient inaugurer en cette journée solennelle. Chacun comprenait le grand caractère de cette fête internationale, et ce fut avec une vive émotion que l’on vit commencer la cérémonie religieuse.

Les prêtres musulmans récitèrent des versets du Coran et levèrent les mains au ciel pour appeler la bénédiction divine sur les travaux accomplis ; puis le clergé catholique entonna un psaume. Mgr Bauer prononça un discours, où il fit ressortir la majesté de ce grand spectacle, et invoqua la protection de Dieu sur cette œuvre pacifique, poursuivie avec tant de persévérance et avec l’appui de tant de sympathies augustes. Le chant du Te Deum suivit ces paroles, unanimement applaudies, et l’évêque d’Alexandrie, Mgr Ciurcia, bénit solennellement le canal qui réunit les deux mers.