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Florence Le Corre

Gustave Le Gray,
un poète épris d'excellence

Jean-Baptiste Gustave Le Gray (1) naît le 30 août 1820 à Villiers-le-Bel, en Seine-et-Oise, dans une famille bourgeoise. Il apprend la peinture dans les ateliers de Picot et de Delaroche, grand amateur de photographie : c'est dans l'atelier de ce dernier qu'il rencontre Le Secq et Nègre avec qui il fonde en 1851 la Société héliographique. Il effectue de 1843 à 1846 un séjour en Italie, d'où il rapporte des tableaux de la campagne romaine et des portraits. Certains sont exposés, sans grand succès, au Salon de 1848 (2). Le Gray s'initie à la pratique du daguerréotype en 1847. Ce peintre sans grand talent va alors se révéler un photographe génial et éclectique : sa sensibilité artistique tout autant que ses dispositions pour la chimie vont s'exprimer complètement, et Gustave Le Gray va, avant les autres photographes, inventer de nouveaux procédés photographiques, les perfectionner et démontrer les multiples usages de la photographie. Il préconise dès 1849 l'utilisation du collodion, que met au point Frederick Scott Archer en 1851, mais, très intéressé par le négatif sur papier, il perfectionne ce procédé et invente le négatif en papier ciré sec. Il publie en 1850 son Traité pratique de photographie sur papier et sur verre, qui fera l'objet de trois éditions, un peu plus complètes à chaque fois (3). Il commence à photographier la forêt de Fontainebleau dès 1849 et déjà s'annonce comme le photographe de la lumière. Son talent sera très vite consacré : il est représenté à la première exposition française de photographies, l'exposition des Produits de l'Industrie de 1849, et le Salon de 1850 expose neuf de ses tirages dans la section des Arts graphiques (4).

En 1851, il participe avec le daguerréotypiste Mestral à la Mission héliographique commanditée par la Commission des Monuments historiques : il photographie en Touraine et en Aquitaine les monuments qui doivent faire l'objet de restaurations. Cette commande lui permet d'aborder la photographie documentaire et en 1852 il constitue, à la demande du directeur des Beaux-Arts, un album qui rassemble notamment huit vues du Salon de 1852. Cependant, Le Gray se bat contre ceux qui considèrent que la photographie n'est qu'un produit industriel : "Pour moi, j'émets le voeu que la photographie, au lieu de tomber dans le domaine de l'industrie, du commerce, rentre dans celui de l'art, et c'est sa seule, sa véritable place et c'est dans cette voie que je chercherai toujours à la faire progresser", écrit-il en 1852 (5).

Ce farouche défenseur de la photographie comme un des Beaux-arts est aussi un homme généreux : il publie ses découvertes (voir supra) et forme de nombreux élèves auxquels il communique sa passion, parmi lesquels Méhédin, Eugène Delacroix, Le Secq, Adrien Tournachon ou Maxime du Camp. Son atelier sert de lieu d'exposition à d'autres photographes et il n'hésite pas à donner ses photographies, ainsi que le raconte Nadar : "L'excellent Le Gray [...] épuisait ses produits et ses cartonnages à combler gratis d'épreuves chacun de ses visiteurs" (6). En homme passionné, il ne regarde pas à la dépense pour obtenir les plus belles images et précise : "Peut-être trouvera-t-on que ces manipulations élèvent le prix de revient d'une épreuve, et par les soins à y donner, et par la dépense de produits chimiques coûteux. Je ferai observer que ce sont là des considérations auxquelles on ne doit pas s'attacher. Le progrès de la photographie n'est pas dans le bon marché, mais dans la qualité d'une épreuve" (7).

Il est sollicité à plusieurs reprises par la famille impériale : on connaît le portrait qu'il réalise du Prince-Président en 1851 et ses superbes photographies de l'impératrice Eugénie. Il photographie les navires français de retour de Crimée en 1855 ; en 1856, il fixe les mouvements de la flotte française en partance pour le Spitzberg et photographie le yacht impérial La Reine Hortense. Il réalise en 1857 un reportage photographique au camp militaire de Châlons-sur-Marne, qui est très vraisemblablement une commande impériale puisque Charles Bousquet rapporte que "S.M. avait chargé ces messieurs [G. Le Gray et B. Masson] de reproduire, par la photographie, les principales scènes militaires dont le Camp aura été le théâtre, en y joignant une vue panoramique du camp, des scènes pittoresques empruntées à chacun des campements de la Garde, et les portraits des officiers généraux et supérieurs, français et étrangers, qui auront séjourné au Camp de Châlons, soit comme commandants, soit comme hôtes de l'Empereur" (8). Le Gray met sa science et sa sensibilité au service de cette commande. Ses portraits, que l'on trouve aujourd'hui peu attrayants, correspondent pourtant à la mode de l'époque. Mais c'est dans ses vues du camp qu'il donne toute sa mesure. Il photographie les régiments, et surtout les zouaves, ces "zou-zous" à la tenue si "pittoresque", qui se prêtent volontiers à la séance de pose. L'instantané n'existant pas encore, il photographie de loin et à de multiples reprises les manoeuvres. Il substitue au mouvement, qu'il ne peut restituer, une importante série d'images qui traduisent l'intense activité du camp et dont certaines sont empreintes d'une grande poésie. Il éclaircit et uniformise ses ciels afin de focaliser l'attention sur les sujets photographiés. Pour donner une vision plus large des lieux il a recours aux panoramas ; celui du camp, d'où tout personnage est absent, laisse une impression étrange et fantomatique mais restitue bien l'immensité de ce terrain de manoeuvres. Les cadrages de ses photographies, tout à fait inhabituels pour l'époque, attestent la grande modernité du regard de Le Gray : il excelle dans l'art d'utiliser les ombres, de magnifier l'éclat des uniformes dans une oblique qui donne une grande force à l'image. Il aime créer une symétrie inattendue, s'attarder sur un détail sans importance qui devient le centre d'une image très composée et rassemble en un subtil entrelac une route, un groupe de cavaliers et la ligne d'horizon, rendant presque palpable l'immensité du camp. Son talent va trouver toute son expression dans la réalisation de photographies de marines, qui constituent un de ses sujets de prédilection et dont la subtilité confine parfois à l'abstraction. Mais la ruine le guette : il a ouvert en 1856 un somptueux atelier au 35, boulevard des Capucines à Paris (9) et il est criblé de dettes. La concurrence des photographes de portraits-cartes de visite (10) est rude, et Le Gray, fidèle à ses principes, ne veut pas céder à la facilité d'une photographie commerciale. L'année 1860 marque un tournant dans sa vie : il dissout sa société et s'embarque pour le Proche-Orient aux côtés d'Alexandre Dumas. En Sicile, il photographie Garibaldi et les ruines de Palerme. Son voyage se poursuit en Syrie et au Liban - il a laissé de superbes images des ruines de Baalbek - puis s'achève en Egypte, où il donne des cours de dessins et poursuit, à titre personnel, ses activités de photographe (11). Il serait décédé au Caire le 30 juillet 1884 (12).

un autre témoin au camp de Châlons : G. Prévot

Peu de choses nous sont parvenues de G. Prévot, né à Bapaume en 1820. Il signe des photographies de parcs et de nombreux portraits d'officiers au format carte de visite, portant l'adresse : "5, boulevard Montmartre près le théâtre des Variétés, Paris". Il s'intitule Photographe de la Garde impériale.

Tout comme Le Gray, Prévot réalise un reportage au camp de Châlons, mais en 1866. Ses photographies ont du être commercialisées dans des portefeuilles, mais Prévot les rassemble aussi en un album, d'un format 0,32 m x 0,44 m, très proche dans l'esprit de ceux de Le Gray (13). Il présente en soixante-quatorze planches des vues du camp, montrant des groupes d'officiers, les différents corps de métier présents : menuisiers, plombiers, selliers, les abords du camp, ainsi que les photographies de deux tableaux, Le cuisinier et La chasse, qui évoquent celles des dessins de Bénédict Masson. Une série de petites photographies présente les uniformes des principaux régiments au camp de Châlons en 1866, constituant une galerie de portraits à l'instar de celle réalisée par Le Gray. Si les images sont d'une plus grande régularité technique que celles de Le Gray - la définition des tirages est souvent meilleure, les tonalités sont uniformes de l'une à l'autre, aucune n'a du être retouchée -, elles n'atteignent en rien leur poésie et leur subtilité. Elles constituent cependant un témoignage intéressant de l'évolution de l'architecture et des activités du camp depuis 1857. Elles montrent, par cette présentation identique à celle des albums de Le Gray, combien ceux-ci ont marqué l'histoire de la photographie.



1.Son nom est orthographié Legray sur certains actes officiels, voire même sur certaines photographies, notamment au début de sa carrière.

2. E. Parry Janis, p. 169.

3. Voir bibliographie.

4. W.J. Naef, "Les débuts de la photographie en France", Regards sur la photographie en France au XIXe siècle, Paris, 1980, p. 51 et note 116 p. 67.

5. Le Gray, La Lumière, 14 au 21 février 1852.

6. Nadar, Quand j'étais photographe, [s.d.], p. 203.

7. Le Gray, Photographie. Traité nouveau, théorique et pratique, 1852, p. 70.

8. Bousquet, p. 246.

9. L'Illustration, 12 avril 1856, pp. 239-241.

10. Douze de ces portraits coûtaient vingt francs, "quand on avait payé jusque là cinquante ou cent francs pour un seul" (Nadar, op. Cit., p. 206).

11. Il enverra des photographies qui seront restituées par la gravure dans L'Illustration ainsi que quelques épreuves qui seront présentées à l'Exposition universelle de 1867.

12. D. Le Guilchet, "Un grand nom de la Photographie française au XIXe siècle : Gustave Le Gray ou l'illustre inconnu de Viliers-le-Bel", La Gazette du Val d'Oise, 7 février 1990, p. 3.

13. Cet album, le seul retrouvé pour l'instant, est conservé à la Bibliothèque nationale de France (cote le 53 4). Il porte la mention manuscrite : "Offert à Monsieur Antonio Maria de Fontés Pereira de Mello ministre de la guerre en Portugal par G. Prévot photographe de la Garde impériale 5 boulevard Montmartre Paris".

[Une promenade photographique au camp de Châlons]

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