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Tous les révolutionnaires ont, un jour ou l’autre, déclaré que la révolution était terminée.
Depuis 1789, on l’avait souvent promis, pour des impératifs de propagande. Dès le mois d’août de cette année, les monarchistes avaient proclamé que la parenthèse était refermée et que l’on était allé au terme des réformes nécessaires. L’année suivante, Mirabeau ou La Fayette ne disaient pas autre chose, bientôt relayés par le triumvirat Lameth-Barnave-Duport. Même Saint-Just, dans l’introduction de son Esprit de la Révolution et de la Constitution de France, en 1791, parla de la Révolution au passé[1]. Dernier exemple, mais on pourrait en citer beaucoup d’autres, lors de l’adoption de la Constitution de l’An III, le député Baudin des Ardennes s’était dit convaincu, à la tribune de la Convention, que l’on était bien cette fois au terme de la Révolution.
Comment Bonaparte et ses alliés voulaient-ils « finir » la Révolution ?
Jusqu’en 1799, n’avait-on pas défini comment on finirait la Révolution. On pouvait l’arrêter. On pouvait tenter de la canaliser, en lui donnant un cours plus calme et maîtrisé, ou au contraire en la figeant sur la base des principes les plus acceptables, du point de vue des différents pouvoirs. C’est ce que voulurent tenter les acteurs du coup d’Etat de Brumaire et c’est ce qu’exprime la proclamation.
Ils veulent gouverner au « centre-gauche »[2], loin du jacobinisme politique et de la contre-Révolution revancharde. Ils restent attachés aux grands principes de 1789. Ils veulent les rendre concrets, ce que Bonaparte déclare au Conseil d’Etat dès sa formation : « Nous avons fini le roman de la Révolution ; il faut en commencer l’histoire, ne voir que ce qu’il y a de réel et de possible dans l’application des principes, et non ce qu’il y a de spéculatif et d’hypothétique. Suivre aujourd’hui une autre voie, ce serait philosopher et non gouverner ».
Que veut dire « fini » dans le vocabulaire de l’époque ?
Il faut toujours, en histoire, comprendre les mots dans le sens qu’ils avaient à l’époque où on les employait. Sinon, on serait anachronique.
« La Révolution est finie », disent les consuls. Selon le Dictionnaire de l’Académie française de l’époque, « fini » a deux sens principaux :
- Le premier sens est « parfait», comme aujourd’hui dans l’expression « produit-fini ».
- Le deuxième sens est « terminé».
En utilisant ce mot, les consuls veulent être compris par les contemporains dans les deux sens. Pour eux, la Révolution est parfaite (avec les principes qui l’ont commencée en 1789) et terminée.
Quels sont les principes retenus par les consuls ?
Le texte entier de la proclamation les énumère :
Une constitution vous est présentée. Elle fait cesser les incertitudes que le gouvernement provisoire mettait dans les relations extérieures, dans la situation intérieure et militaire de la République. Elle place dans les institutions qu’elle établit les premiers magistrats dont le dévouement a paru nécessaire à son activité. La Constitution est fondée sur les vrais principes du gouvernement représentatif, sur les droits sacrés de la propriété, de l’égalité, de la liberté. Les pouvoirs qu’elle institue seront forts et stables, tels qu’ils doivent être pour garantir les droits des citoyens et les intérêts de l’État. Citoyens, la révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée. Elle est finie.
Il ressort du texte que l’on proclamait avoir fini (ou rendue parfaite) la révolution politique dont le but essentiel avait été d’assurer l’avènement du régime représentatif, l’égalité et la liberté. On complétait cet aspect politique en qualifiant de sacré un droit social, la propriété. On précisait que, techniquement, la garantie de ces droits ne pouvait être assurée que par un gouvernement fort et stable.
Le Consulat de Bonaparte fait-il partie de la Révolution ?
La plupart des manuels d’histoire divisent la Révolution en quatre période (Constituante, Législative, Convention, Directoire). Le Consulat de Bonaparte en est généralement exclu.
Remarquons, cette périodisation presque officielle a été rejetée par deux historiens n’ayant pas, à de nombreux égards, la même philosophie. C’est ainsi qu’Albert Soboul et Jean Tulard ont tour à tour été responsables d’un ouvrage dans une collection célèbre dont le titre est Le Directoire et le Consulat (4). Ce faisant, ils ont concrètement montré la voie. Si la périodisation de la Révolution est nécessaire, pour des raisons pratiques, elle ne saurait être figée. Elle ne doit pas être considérée comme « sacrée ». Ainsi, qu’il y ait continuité entre le Directoire et le Consulat, et plus largement, entre les dix premières années de la Révolution et le régime fondé par la Constitution de l’an VIII, nul ne devrait plus en douter aujourd’hui, en dépit des programmes et du découpage des spécialités universitaires(5).
Mettre toujours l’histoire dans le bon sens
Pour exclure le Consulat de la « Révolution », on l’interprète toujours par rapport à sa suite, sans vraie logique chronologique, pourtant règle de base de l’historien. Il est donc souvent écrasé par la suite de l’aventure napoléonienne. Mais pour travailler sur le Consulat, il est intéressant de le faire comme en ignorant presque sa suite. Dès lors, le Consulat est davantage le régime qui continue le Directoire que celui qui précéda l’Empire. Nous étudierons le « présent » du Consulat, qui s’appuie c’est un truisme bien plus sur son passé que sur son avenir. Et tant pis si, parlant de l’Histoire, Jaurès écrivit : « Ce qu’il y a de moins grand en elle, c’est le présent » (6).
Auteur : Thierry Lentz, historien, directeur de la Fondation Napoléon, avril 2019
Notes :
(1) Saint-Just se donnait pour but dans cet essai de découvrir « les causes, les suites et le terme » de la Révolution (Théorie politique, 1976, p. 38).
(2) J.-J. Chevallier, Histoires des Institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours, 1977, p. 106.
(3) « Aux français », 24 Frimaire An VIII, le 15 décembre 1799, Correspondance de Napoléon Ier, document n°4422.
(4) Collection « Que sais-je ? », n° 1266. La première édition (Soboul) date de 1967. Tulard a repris le titre en 1991.
(5) La même remarque pourrait être faite sur les débuts de la Révolution. Il fallait qu’elle ait commencé à la réunion des États Généraux, au moment précis de « l’éveil de la Nation » : cette vison restrictive est aujourd’hui remise en cause, tant il est vrai que a Révolution a commencé et pas seulement “couvé » avant 1789. Voir, par exemple, Jean-Clément Martin, Contre-Révolution, Révolution et Nation, 1998, pp. 16-17.
(6) Histoire socialiste de la Révolution française, éd. 1968, p. 14.
Chronologie > Napoléon Bonaparte et la Révolution
1er avril 1789 Comme officier d’artillerie, Bonaparte (19 ans) participe à la répression d’une émeute à Seurre (Bourgogne).
30 octobre 1789 Bonaparte part pour la Corse où il veut participer à la révolution insulaire. Il obtiendra plusieurs permissions et fera six séjours sur l’île.
Février 1791 Bonaparte adhère au club des Jacobins.
Juin-octobre 1792 Séjour à Paris au cours duquel il assiste, sans y participer, à la prise des Tuileries, le 10 août 1792.
22 février 1793 Séjournant en Corse, Bonaparte s’engage dans un bataillon de volontaires locaux et reçoit son baptême du feu en Sardaigne
Juin 1793 Après une brouille avec les partisans du leader corse Pascal Paoli, Bonaparte et sa famille doivent quitter l’île et se réfugier sur le continent.
Sept.-décembre 1793 Bonaparte dirige l’artillerie lors du siège de Toulon qui a été livré au Anglais par des contre-révolutionnaires.
22 décembre 1793 Après la reprise de Toulon, il est nommé général de brigade.
Août 1794 Bonaparte est mis aux arrêts suite à la chute de Robespierre : il est à l’époque considéré comme un jacobin. Il sera libéré au bout de quelques jours.
13 juin 1795 Nomination à l’armée de l’Ouest que Bonaparte refusera de rejoindre pour, dit-il, ne pas avoir à combattre d’autres Français.
5 octobre 1795 Il participe au sauvetage de la République lors de la journée du 13 vendémiaire an IV : alors que l’émeute royaliste tente de s’emparer de la salle des séances de l’Assemblée, il mitraille les insurgés au canon, sur les marches de l’église Saint-Roch (Paris).
26 octobre 1795 Il est nommé commandant de l’armée de l’Intérieur, chargée de défendre et de surveiller Paris.
2 mars 1796 Bonaparte devient général en chef de l’armée d’Italie.
9 mars 1796 Il épouse civilement Joséphine de Beauharnais.
D’avril 1796
à octobre 1797 Début de la campagne d’Italie, marquée par les victoires d’Arcole (15-17 novembre 1796) et de Rivoli (14 janvier 1797). Installé près de Milan, Bonaparte gouverne tout le nord de l’Italie. Il oblige les Autrichiens à demander la paix, signée à Campo-Formio le 17 octobre 1797.
12 avril 1798 Nomination du général Bonaparte à la tête de l’armée d’Égypte, qui embarque à Toulon et Rome en mai suivant.
10 juin 1798 Occupation de Malte.
1er juillet 1798 Prise d’Alexandrie.
21 juillet 1798 Victoire des Pyramides.
25 juillet 1798 Entrée au Caire.
1er août 1798 Défaite navale d’Aboukir.
Février-mai 1799 Campagne de « Syrie » (Palestine) qui s’achève par un échec devant Saint-Jean d’Acre.
25 juillet 1799 Dernière bataille de la campagne d’Égypte : victoire terrestre d’Aboukir, près d’Alexandrie.
22 août 1799 Bonaparte quitte l’Égypte.
13 octobre 1799 Arrivée à Paris
9-11 novembre 1799 Coup d’État de Brumaire, Bonaparte, Sieyès et Ducos consuls provisoires.
Décembre 1799 Entrée en vigueur de la nouvelle constitution de l’an VIII : Bonaparte Premier consul, Cambacérès et Lebrun Second et Troisième consuls.